CAS CLINIQUE
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La Lettre du Cancérologue - Volume XV - n° 3 - mai-juin 2006
M
me N.D., âgée de 62 ans, ancienne secrétaire,
sans antécédent particulier, consultait en
décembre 2004 pour douleur hémithoracique
droite. Elle avait fumé de l’âge de 14 à 60 ans, avec une consom-
mation globale estimée à 35 paquets-années. Le scanner révélait
à droite une masse lobaire inférieure de 4 cm associée à de volu-
mineuses adénopathies hilaires et médiastinales et une pleurésie
de faible abondance. La cytologie pleurale était négative. Le dia-
gnostic d’adénocarcinome était obtenu par ponction transthora-
cique sous scanner. L’immunohistochimie était clairement en
faveur d’un carcinome d’origine bronchique. Le bilan d’exten-
sion (scanner cérébral, scintigraphie osseuse, coupes scanner
hépatiques et surrénaliennes) étant négatif, la lésion était classée
cT2N2M0, la patiente recevait deux cures de chimiothérapie
d’induction (cisplatine/docétaxel). Cette induction n’entraînait
aucune réponse objective. La thoracotomie découvrant une car-
cinose pleurale patente, il n’était réalisé qu’une pleurectomie par-
tielle pour symphyse. Les analyses histologiques confirmaient
l’atteinte métastatique pleurale d’un adénocarcinome. À comp-
ter du 25 février 2005, la patiente recevait une deuxième ligne de
chimiothérapie par pemetrexed (Alimta®). Après six cures, le
bilan montrait une progression de la lésion lobaire inférieure
droite et des nodules intraparenchymateux
(figures 1 et 2)
ainsi
qu’une lésion cérébrale frontale antérieure gauche très suspecte
(figure 3)
. Un traitement par erlotinib à la posologie de
150 mg/jour était commencé à partir du 1er juillet 2005. La
patiente présentait une réaction acnéiforme de faible intensité au
niveau péribuccal et sur le décolleté. Il n’y avait pas de toxicité
digestive. Après 2 mois d’erlotinib, on constatait une réponse
objective thoracique et cérébrale. La poursuite du traitement
entraînait des infections péri-unguéales évoluant favorablement
sous antiseptiques locaux. Après 10 mois de prise continue d’erlo-
tinib, le bilan confirmait la régression majeure de l’opacité lobaire
inférieure droite (23 mm) et de l’épaississement pleural ainsi que
la disparition complète des nodules intraparenchymateux et des
adénopathies médiastinales
(figures 4 et 5)
. Le scanner céré-
bral ne retrouvait plus la lésion antérieure gauche initialement
décrite
(figure 6)
. L’amélioration fonctionnelle manifeste per-
mettait à la patiente de reprendre des activités physiques régu-
lières. Notre observation souligne :
– la valeur des facteurs cliniques prédictifs d’une réponse objec-
tive sous inhibiteur du récepteur de l’EGF (ITK-EGFR) ;
– l’efficacité potentielle des ITK-EGFR sur les métastases céré-
brales ;
– l’apport de l’erlotinib.
Des facteurs cliniques et biologiques prédictifs d’une réponse
sous ITK-EGFR ont été décrits. Les éléments cliniques sont
fiables et facilement identifiables : le sexe féminin, l’histologie
adénocarcinomateuse, l’absence de tabagisme et l’ethnie asia-
tique (1). La valeur prédictive des facteurs biologiques (expres-
sion de l’EGFR en immunohistochimie, nombre de copies du
gène en FISH, mutations du gène de l’EGFR) est plus discutée,
car toutes les études ne sont pas concordantes (2, 3). À ce jour,
il n’est pas demandé de réaliser ces tests biologiques pour sélec-
tionner les candidats à un traitement par ITK-EGFR. Des réponses
objectives sous ITK-EGFR ayant déjà été rapportées sur des
métastases cérébrales, cette situation clinique ne doit pas repré-
senter une contre-indication à la prescription (4). Dans l’essai
BR 21 de F.A. Sherperd et al. comparant l’erlotinib au placebo
chez des patients atteints de cancer bronchique non à petites cel-
lules (CBNPC) en deuxième et troisième ligne de chimiothéra-
pie, le taux de réponse objective était de 9 % dans le bras erloti-
nib (5). Ce résultat modeste était toutefois associé à une différence
significative en termes de survie, avec une médiane de 6,7 mois
dans le bras erlotinib versus 4,7 mois dans le bras placebo. Ce
bénéfice sur la survie n’était pas confirmé par l’essai ISEL, uti-
lisant, dans des circonstances cliniques a priori comparables, du
géfitinib (Iressa®) [6]. Des différences pharmacologiques pour-
raient expliquer au moins partiellement cette supériorité de l’erlo-
tinib.
Même si le recul est faible, notre observation illustre le bénéfice
que peut apporter l’erlotinib tant sur le plan fonctionnel qu’en
termes de réponse objective chez des patients en situation d’échec
après une deuxième ou troisième ligne de chimiothérapie. De
nombreuses questions persistent sur les ITK-EGFR, mais il
semble indéniable qu’ils peuvent aider certains patients à… fran-
chir les lignes.
■
Franchir la ligne !... À propos d’une évolution favorable
sous erlotinib (Tarceva®)
●
E. Dansin
1
, G. Cardot
2
, S. Ribadeau
3
, H. Porte
4
1
CLCC Oscar-Lambret, département de cancérologie générale, Lille.
2
Centre hospitalier de Boulogne-sur-mer.
3
Centre hospitalier Rang du Fliers.
4
Centre hospitalier régional universitaire de Lille.