La Lettre du Psychiatre - vol. I - n°3 - juillet-août 2005
Mise au point
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En Allemagne, citons H. Stierlin, pour son travail de pionnier
au sein du National Institute of Mental Health (NIMH) et le
développement du concept de délégation transgénérationnelle ;
et F.B. Simon, pour sa réflexion non dénuée d’humour, mais
néanmoins profonde, sur les aspects les plus modernes et
actuels des théories qui, comme celle de l’auto-organisation,
ont permis de prolonger la réflexion systémique (26).
Qu’en est-il de la France ? La pensée systémique n’a diffusé que
très lentement dans notre pays au sein des équipes psychiatriques.
Cela peut s’expliquer en grande partie par l’influence considé-
rable qu’ont jouée – et que jouent encore – les courants de pensée
issus de la psychanalyse. Cette influence a rendu difficile l’intégra-
tion d’une nouvelle modélisation des troubles mentaux, comme
elle a induit la résistance à la prise en compte du cognitivo-
comportementalisme et de la psychiatrie biologique. Mais, d’autre
part, et surtout, peut-être, c’est la référence prépondérante au
sujet et à l’individualité dans la mentalité française en général qui
a freiné cette nouvelle façon de penser.
Des instituts de formation ont bien fini par voir le jour, mais force
est de constater que ce sont surtout les travailleurs sociaux qui
constituent encore le gros des troupes intéressées par cette
approche. Quant aux psychiatres, ils se sont malheureusement
souvent englués dans des luttes de pouvoir pour la reconnais-
sance de leur territoire, quand ils ne se sont pas compromis dans
des shows télévisuels (le Loft Story,en particulier).
Cela permet de comprendre qu’aucune pensée vraiment origi-
nale dans le domaine systémique n’ait pu se développer jusqu’à
présent dans l’Hexagone, et qu’aucun thérapeute ne se soit dis-
tingué par des conceptions innovantes. Mais, ce qui est plus
grave, c’est la “mainmise” qui s’est opérée sur les sociétés
d’édition et qui a débouché sur la publication d’ouvrages de
seconde main, tandis que les ouvrages d’auteurs étrangers de
premier plan et des pionniers de la thérapie familiale sont res-
tés longtemps – et restent encore, pour beaucoup d’entre eux –
inaccessibles aux lecteurs francophones, faute de traduction.
Ces querelles intestines et ces prébendes ont sans doute elles
aussi contribué à freiner le développement des thérapies systé-
miques. On ne peut que le regretter.
ÉVOLUTION ACTUELLE
Elle consiste en premier lieu en la référence à d’autres épistémo-
logies telles que le constructivisme (27),qui considère que nous
ne découvrons pas la réalité mais que nous la construisons, et le
constructionnisme social (28),qui nous vient des États-Unis mais
qui est issu des thèses développées, entre autres, par les philo-
sophes français J. Derrida et M. Foucault. Celles-ci considèrent
que la réalité est socialement construite, en particulier par les
détenteurs du pouvoir, afin de continuer à dominer.
Cette évolution est, d’autre part, caractérisée par l’affirmation
que des résultats peuvent être obtenus au cours de thérapies
brèves (29).
Enfin, après s’être intéressés aux problèmes et à leur genèse, cer-
tains auteurs mettent actuellement l’accent sur les solutions (30).
CONCLUSION
Le courant systémique en psychiatrie a constitué un mouvement
extrêmement novateur sur le plan théorique. Il a débouché sur des
pratiques multiples et variées et s’est constamment enrichi d’em-
prunts à des courants de pensée issus d’autres disciplines (auto-
organisation, théorie des jeux, théorie du chaos, etc.).
L’essoufflement dont il semble faire preuve actuellement ne
repose pas sur un tarissement de sa créativité, mais sur la diffi-
culté à intégrer des conceptions qui semblent faire l’impasse sur
la notion d’individu, notion qui continue à gouverner notre vision
du monde, tant elle s’est enracinée au fil des siècles et reste pré-
gnante dans notre perception des relations humaines, au point que
S. Minuchin se demandait récemment où était passée la famille
dans la thérapie familiale.
Une synthèse de ses apports en vue d’un futur dépassement reste
à faire, mais ne sera très certainement possible que quand le
temps aura permis le recul nécessaire.
■
R
ÉFÉRENCES
B
IBLIOGRAPHIQUES
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