Étude La mort mérite-t-elle d’être vécue ? es lois occidentales ont abordé le fait d’aider une personne à mourir comme une forme d’homicide passible de sanctions. Pourtant, le mot euthanasie ne figure pas dans le Code pénal français. La jurisprudence l’assimile à un homicide volontaire. Celui qui la pratique est passible de trente ans de prison. Bénéficier de l’accord du malade, des médecins et de la famille ne diminue pas les peines encourues. Aujourd’hui, on distingue l’euthanasie active, qui implique un acte déterminé commis par un tiers de sa propre initiative ou à la demande du malade, de l’euthanasie passive, qui consiste simplement en l’omission volontaire de thérapeutiques qui auraient pu prolonger la vie du malade. Enfin, on utilise le terme d’euthanasie active indirecte pour désigner un acte thérapeutique employé délibérément en dépit des risques très importants qu’il présente eu égard au diagnostic vital. Le mot euthanasie est parfois associé ou opposé à d’autres termes tels que l’aide à mourir, le suicide assisté, la mort dans la dignité, les soins palliatifs ou l’acharnement thérapeutique. L Le dictionnaire Larousse définit l’euthanasie comme “l’ensemble des méthodes qui procurent une mort sans souffrance, afin d’abréger une longue agonie ou une maladie très douloureuse à l’issue fatale”. Dans son sens étymologique premier, l’euthanasie (eu thanatos) signifie mort douce, mort paisible, mort sans souffrance. 16 Des limites repoussées Les progrès de la médecine, de l’hygiène et de la nutrition, ont permis de prolonger considérablement la durée de la vie humaine, du moins dans les pays industriels développés. Les limites médicales et scientifiques ont été repoussées. La vieillesse est de moins en moins considérée comme une fatalité, plutôt comme une maladie. Alors qu’au XIXe siècle, une personne sur dix seulement atteignait 65 ans, on prévoit, en l’an 2000, 15 000 centenaires. Les cités antiques grecques et latines dans lesquelles naquirent la philosophie, la médecine et notre droit ont toujours pratiqué une certaine forme d'euthanasie. La prééminence de religions monothéistes (le judaïsme, le christianisme et l'islam) a rompu avec cet usage et conféré à l'euthanasie, quelle que soit sa forme, un caractère moral et éthique condamnable. La prodigieuse avancée de la médecine a donné aux soignants des pouvoirs qui leur permettent actuellement d’avoir un contrôle quantitatif et qualitatif des naissances grâce à la génétique et aux diagnostics prénatals, de guérir des maladies réputées jusqu’alors incurables, de modifier le patrimoine génétique, de remplacer des organes déficients, de maintenir en survie artificielle une personne en coma dépassé et enfin de repousser la mort ou de mettre fin à l’agonie par... l’euthanasie. Les contours d’un mythe La fin de vie est un domaine où se mêlent confusément des considérations juridiques, philosophiques, politiques qui trouvent une cristallisation autour de la notion d’euthanasie. L’activité et la mission d’une équipe soignante sont placées au centre de la controverse qui entoure l’euthanasie. Partisans et adversaires s’affrontent autour d’un faux dilemme : être pour ou contre l’euthanasie, alors que chaque fin de vie pose des problèmes strictement individuels ne pouvant se résumer en une solution schématique et simpliste. Toujours est-il qu’il n’est pas de soignant qui ne soit tôt ou tard confronté à ces situations et aux interrogations éthiques qu’elles suscitent. Y répondre est d’autant plus malaisé que certains de ces progrès sont trop récents pour que notre jugement ne soit pas influencé par la crainte de la nouveauté ou simplement par des normes morales qui ne valent que pour notre époque. C’est pourtant guidé par cette ambition que les pouvoirs publics ont créé en 1983 le Comité national d’éthique. Pour encadrer les pratiques de la biologie et de la médecine, l’État s’est doté de lois bioéthiques. Parmi les questions non résolues par une loi, celle de l’euthanasie resurgit. Car c’est maintenant surtout à l’hôpital que l’on meurt (au XIXe siècle, 90 % des gens mouraient chez eux ; au cours des vingt dernières années, la proportion des personnes décédées à l’hôpital ou en institution est passée de 30 à 70 %). Du mythe à la réalité Quelle que soit son qualificatif, l’euthanasie évoque une situation difficile pour l’acteur de soin qu’est le soignant. Acteur de soin au sens défini par Walter Hesbeen comme étant « celui qui par le soin fait œuvre de création, porte une attention particulière, à chaque fois qu’il soigne un individu dans la singularité de la situation de vie qui est la sienne ». Périodiquement, la grande presse, le grand public, parlent de l’euthanasie. Chose frappante, commente H. Planche, « le goût d’en parler est infiniment plus répandu dans le grand public et chez les littérateurs que chez les médecins ». Ces propos écrits il y a près de 50 ans montrent à quel point le problème de l’euthana- sie n’est pas nouveau, à cette différence près qu’aujourd’hui, ce n’est plus seulement la presse et le public qui s’y intéressent mais la classe politique, à travers la question de l’opportunité d’une intervention législative. Le Code pénal, le Code de déontologie et la doctrine religieuse ne font aucune exception à l’interdiction de l’homicide, hormis la légitime défense et la guerre. L’euthanasie n’a donc aucune place légale dans la pratique des soignants. Mais des voix s’élèvent pour demander la légalisation de l’euthanasie dans notre pays, au nom de la valeur absolue de l’individu à disposer lui-même de sa vie. Ces mêmes voix récusent une longévité artificielle provoquée par l’acharnement thérapeutique ou “palliatif” et proposent d’aligner notre législation sur le modèle hollandais, australien ou américain. L’étude des textes adoptés dans ces pays montre la difficulté pour le législateur de définir les limites d’une loi “permissive”. Une réalité virtuelle On le sait, la loi française ne constitue pas un obstacle infranchissable pour celui qui, dans le cadre de ses relations avec le malade, estime devoir abréger la vie de celui-ci. Il est vrai qu’en l’occurrence, le Parquet, comme les juges du siège, manifestent une réticence évidente à qualifier le fait euthanasique de meurtre ou d’assassinat et préfèrent retenir d’autres qualifications. Lorsque la qualification de meurtre, voire d’assassinat, est retenue, l’analyse des verdicts de cour d’assises montre que les décisions sont pour le moins “clémentes”. De la discordance entre une pratique quotidienne et le droit ou les positions officielles émerge un droit coutumier qui repose sur un processus décisionnel centré sur le patient et le carac- tère “laïquement sacré” de la vie. Sous le terme de processus décisionnel se mettent en place des mécanismes d’aide et de contrôle de la décision qui ont force de règles et qui, peut-être, prennent la place de cette fameuse loi absente. Les choix sont le fruit de discussions d’équipe et permettent de mieux éclairer celui qui a la charge de la décision, de relativiser son point de vue personnel, incomplet et partial par définition. S’il arrive que le médecin se sente, en son âme et conscience, obligé de commettre des actes qui accélèrent la mort, il doit le faire en pleine responsabilité et comme un geste de transgression exceptionnelle, sous le regard de son jugement intérieur et non pas comme un exécuteur autorisé ou dissimulé derrière la légalité. Jean-Christophe Crusson Cadre supérieur infirmier Hôpital Bichat - Claude-Bernard, Paris Références • “ Mieux vivre sa mort”, Le Monde, 24 septembre 1998, p. 17. • E. Dunet, J.-M. Lassaunière, L. Hacpille, B. Plages, P. Thominet, “Le renoncement thérapeutique : aspects médicaux et juridiques”, Espace éthique, Paris, Doin, 1997, p. 148. • J.-L. Baudoin, D. Blondeau, Ethique de la mort et droit à la mort, Paris, PUF, 1993, p. 99. • B. Baerstchi, “Il faut libéraliser l’euthanasie”, La Recherche, n° 284, février 1996, pp. 101-102-103. Cf. annexe n° 16. • Changer la mort, Paris, Albin Michel, 1997, p. 228. • L. Schwarzenberg, Requiem pour la vie, Paris, Le Pré aux Clercs, 1985, p. 206. • P. Verspieren, Face à celui qui meurt, Paris, Desclée de Brouwer, 1984, p. 143. • A.-M. Revol, “Kouchner prend le train en marche”, Le Figaro, 21 septembre 1998, p. 9. • W. Hesbeen, Prendre soin à l’hôpital, Paris, Masson, 1997. Brèves… Xénogreffe Les membres du Comité consultatif national d’éthique ont adopté une position très prudente quant à la pratique clinique des xénogreffes qui, selon eux, peuvent améliorer la survie des personnes et même éviter des problèmes éthiques liés au prélèvement d’organes chez d’autres personnes. Mais le risque de transmission à l’homme d’agents infectieux inconnus issus du xénogreffon n’est-il pas trop grand ? En effet, outre le patient lui-même, celui-ci peut concerner l’ensemble d’une population, pouvant même être à l’origine d’une pandémie. N’y a-t-il pas aussi un risque de démotivation de la part des donneurs humains si les animaux peuvent satisfaire les besoins ? Il serait très prématuré aujourd’hui de renoncer aux dons humains car le recours à des greffons animaux relève pour l’instant d’un nombre de possibilités très limité. Il ne faut pas non plus oublier les tabous des peuples quant à la fusion homme/animal et les questions, autrement plus importantes, soulevées du fait du nombre réduit de sujets qui pourraient en bénéficier. C’est d’ailleurs peut-être à ce niveau que se situe le nœud qui interdit pour l’instant de passer à la pratique clinique. Douleur et choix de l’hôpital Un article publié dans le numéro de septembre 1999 de la revue américaine Anesthesia and Analgesia et signé par une équipe française (Drs F. Larue, A. Fontiane et L. Brasseur) dresse la synthèse d’une enquête réalisée par l’association Action Douleur, avec le concours de la Ligue contre le cancer et de la Fondation de l’avenir pour la recherche médicale appliquée. Elle a été réalisée en 1996, soit six ans après un premier sondage sur les attitudes et les connaissances du grand public face à la douleur post-opératoire ou du cancer. Elle montre une importante évolution en six ans : aujourd’hui, les patients choisiraient un hôpital ou une clinique en fonction de la qualité de la prise en charge de la douleur qui y est effectuée. 17