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É d i t o r i a l
Supplément à La Lettre de l’hépato-gastroentérologue - n° 3 - vol. VII - mai-juin 2004
D epuis plusieurs années, l ’ é ry t h rop oïétine (EPO) est utilisée en cancéro l o gie pour corri ger vo i re
p r é v enir l’anémie, soit dans un but symptomat i q u e , soit pour tenter d’améliorer l’efficacité de cer-
tains traitements comme la ra d i o t h é rap i e. Ces ap p ro ches sont séduisantes en oncologie dige s t ive
( a s s o c i ations ra d i o - ch i m i o t h é rapi e fréquentes, a rrivée de schémas de ch i m i o t h é rapie adjuva n t e
potentiellement re s p o n s a bles d’anémie), et nous avons lu avec intérêt l’éditorial de J. Belloc et
G. Bellaïche paru récemment dans Les Actualités en gastroentérologie. Cependant, nous pen-
sons que des données cemment publiées concernant d’autres pat h o l ogies doivent nous
conduire à tempérer notre enthousiasme.
Une récente étude de phase III a comparé l’utilisation de l’érythropoïétine béta (EPO-β) à un
pl a c e bo chez des patients traités par ra d i o t h é rapi e (ex cl u s ive ou adjuvante postopérat o i re) pour
un cancer ORL (1) et ayant un taux d’hémoglobine inférieur à la normale. Sur les 351 patients
i n cl u s , m a l gré un gain signifi c atif en taux d’hémog l o b i n e,l ’ a n a lyse en intention de traiter mon-
t ra i t , dans le groupe EPO,un risque re l a tif (RR) de progression loco-régionale surieur (RR = 1 , 6 9 ;
p = 0,007 ), une survie sans progression loco-régionale plus fa i ble (406 j o u r s ve rsus 745 j o u rs;
p = 0,008) et une survie globale plus faible (RR = 1,39 ;
p = 0,02). En analyse multivariée,
l’utilisation
d’EPO-βétait associée à un pronostic défavorable. Il faut préciser les conditions
un peu part i c u l i è r es d’utilisation de l’EPO, puisque le taux d’hémoglobine médian avant tra i t e -
ment était de 11,7 g/dl dans le groupe EPO, et que l’EPO était utilisée à des doses d’emblée plus
é l e vées que celles préconisées. Le taux moyen d’hémoglobine après quat re semaines de tra i t e-
ment était de 14,8 g/dl. Notons un surc rt de mortalipar pat h o l ogie cardiaque et générale ch e z
les patients re c evant de l’EPO-β. Ce papier a bien entendu soulevé de nombreuses critiques et
c o n t rove rs e s , notamment concernant sa méthodologi e , mais il faisait suite à une autre étude ra n-
domisée en double aveugle mu l t i c e n t rique visant à évaluer l’intérêt de la prévention de l’anémie
chez les patientes re c evant une ch i m i o t h é rapie en pre m i è re ligne métastatique pour un cancer
du sein ( 2 ). Cette étude portait sur la p r é v e n t i o n d’une anémie chimio-induite chez 939 p at i e n t e s
t r aitées soit par placebo soit par éry t h ropoïétine alpha (EPO-α). Cette étude a être interro m p u e
p r é m aturément suite aux résultats à un an : ceux-ci montraient une survie à un an inféri e u r e dans
le groupe EPO-αpar rap p o rt au groupe placebo (re s p e c t i vement 70 % et 76 % ; p = 0,0117). Cette
d i f f é rence de survie était liée à une mortalité plus importante dans les quat re pre m i e rs mois dans
le groupe EPO-α( 4 1 décès ve rsus 16 décès dans le groupe placeb o ) , p rincipalement due à une
p r ogression tumorale et à des événements thrombotiques et va s c u l a i r es plus élevés dans le gro u p e
E P O -αque dans le groupe placebo (re s p e c t ivement 6 % ve r sus 3 % , et 1 % ve r sus 0,2 % ) .
Ces deux études ont fait l’objet d’un éditorial dans le Journal of National Cancer Institute ;
V. Brower (3) y incite à la prudence en attendant de nouvelles données. Il annonce également
que le lab o rat o i re Jo h n s o n & Johnson a stoppé
plusieurs essais concernant l’époïétine alpha
suite à un surnombre de problèmes thrombo-
emboliques.
Nous ne pouvons que souscri r e à cet avis auto-
ri et appeler à la pru d e n c e, notamment dans
d e s i n d i c a tions “ p r é v e n t ives”. L’ u t i l i s a tion des
é r y t h r opétines en situation palliat i ve avec ané-
mie retentissant sur la qualité de vie n’est pro-
b ablement pas remise en cause, m a i s , encore,
le pri ncipe de précaution doit nous amener à
peser les ava n t a ges et les inconvénients.
Réponse à l’éditorial “Faut-il prescrire de l’érythropoïétine dans les cancers digestifs ?”
de J. Belloc et G. Bellaïche (mars-avril 2004)
Érythropoïétine et cancer : prudence !
H. Desclos, J.L. Raoul (oncologie digestive, centre E. Marquis, Rennes)
Références
1 . H e n k eM , L a s z i g R , R ü b e C et al. Ery t h ropoietin to
t r e at head and neck cancer patients with anaemia u n d e r -
going ra d i o t h e r apy : ra n d o m i s e d ,d o u b le bl i n d,p l a c eb o -
c o n t rolled trial. Lancet 2003;362:1255-60.
2 . L ey l a n d - J o n e s B on behalf to the BEST Inve s t i gat o rs
and Study Group. Breast cancer trial with ery t h ro p o i e-
tin t e r m i n a ted unex p e c t e d l y. Lancet Oncol
2003;4:459-60.
3. Brower V. Epoetin for cancer patients: a boon or a
danger? J Natl Cancer Inst 2003;95:1820-1.
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