d o s s i e r Prurit anal Pruritus ani ■ M. Dapoigny* RÉSUMÉ. Le prurit anal est un problème plus fréquent chez l’homme que chez la femme en pratique quotidienne. C’est un symptôme particulièrement invalidant. Il peut être en rapport avec des anomalies cutanées de la région péri-anale ou avec une pathologie anorectale. Dans un grand nombre de cas, aucune cause n’est cependant mise en évidence. La contamination fécale en l’absence d’incontinence majeure, une allergie alimentaire ou des applications locales de divers produits, et même des troubles psychologiques ont été proposés, sans que leur rôle ait été démontré de façon claire. Mots-clés : Lésions dermatologiques – Incontinence anale – Constipation – Infection. Figure 1. Figure 2. Figure 3. Figure 4. * Service de gastroentérologie, Hôtel-Dieu, Clermont-Ferrand. E-mail : [email protected] 28 ABSTRACT. Pruritus ani is a more common presenting problem in general practice in male than in female. It is particularly distressing to patients. It may result from an underlying disorder of the epithelium in that area or from anorectal pathology. Many patients with pruritus ani do not have a clear cause for this condition. Faecal contamination of the perineum in the absence of gross soiling, allergies to locally applied agents or components of diet, and even psychosomatic factors have been suggested as possible aetiologies but are not conclusively proved to be of relevance. Keywords: Dermatological diseases – Fecal incontinence – Constipation – Infection. éfini comme la perception de sensations imposant de façon impérieuse le besoin de se gratter, le prurit anal est un motif très fréquent de consultation. Il est toutefois beaucoup moins fréquent chez la femme que chez l’homme (1 pour 4). Il importe de rechercher une étiologie à ce symptôme, même si, dans la plupart des cas, le prurit sera dit “essentiel”. L’orientation diagnostique se fera sur un interrogatoire précis et complet à la recherche : – d’antécédents dermatologiques (psoriasis, terrain atopique, etc.), proctologiques (fissure ou fistule anale, hémorroïdes) ou généraux (diabète) ; – de prise médicamenteuse générale (antibiotiques pouvant favoriser la survenue d’une candidose) ou locale (antiseptiques, anesthésiques locaux, etc.) ; – de signes en faveur d’une constipation terminale majorée ou non par des erreurs hygiénodiététiques : poussée abdominale importante lors des efforts d’évacuation, sensation de persistance du besoin après l’évacuation, évacuations fractionnées, difficultés à l’essuyage, perte de la sensation de besoin, nécessité de manœuvres digitales intravaginales et/ou péri-anales pour faciliter l’évacuation ; D – d’une incontinence fécale ou d’un simple suintement anal. L’examen clinique est essentiel au diagnostic. CERTAINES LÉSIONS VISIBLES SONT D’EMBLÉE ÉVOCATRICES D’UNE ÉTIOLOGIE Causes dermatologiques Il est parfois difficile de faire la part entre les lésions induites par le grattage et la maladie primitive. Un bilan après traitement symptomatique des lésions inflammatoires peut se révéler utile dans un deuxième temps. ✓ Le psoriasis (figure 1) : les lésions sont périanales, et imposent la recherche d’autres lésions sur l’ensemble des téguments. ✓ Le lichen plan (figure 2). ✓ L’eczéma de contact (figure 3) est souvent en rapport avec l’application locale de pommades, de lotions ou de savons divers. ✓ D’autres maladies dermatologiques plus rares peuvent être à l’origine d’un prurit anal : maladie de Bowen (figure 4), de Verneuil, de Paget, de Darier, etc. Ce type de lésions inhabituelles nécessite une consultation spécialisée. Correspondances en pelvi-périnéologie - n° 1, vol. V - janvier/février/mars 2005 Périnée de la femme : maladies de la peau et des muqueuses Causes proctologiques P O U R E N S A V O I R P L U S ... ✓ Dailey TH. Pruritus ani. Practical Gastroenterol 1980;4:33-5. ✓ Lysy J, Sistiery-Ittah M, Israelit Y et al. Topical capsaicin-a novel and effective treatment for idiopathic intractable pruritus ani: a randomised, placebo controlled, crossover study. Gut 2003;52:1323-6. ✓ Smith LE, Henrichs D, McCullah RD. Prospective studies on the etiology and treatment of pruritus ani. Dis Colon Rectum 1982;25:358-63. Figure 5. Figure 6. Figure 7. ✓ Fissure anale (figure 5) : elle est souvent suspectée dès l’interrogatoire sur des douleurs anales violentes survenant au passage des selles. Le toucher rectal est le plus souvent impossible en raison de l’hypertonie sphinctérienne associée. Le simple examen local, effectué en déplissant l’anus permet de voir la lésion fissuraire, qui siège le plus souvent sur le bord postérieur de la marge anale. Une lésion atypique de par sa forme, son siège ou son caractère rebelle au traitement doit faire évoquer un cancer ou une maladie de Crohn. ✓ Fistule anale (figure 6) : le diagnostic peut être facile lorsqu’il existe un orifice fistuleux sur la zone péri-anale. En revanche, lorsque l’orifice est situé à l’intérieur du canal anal ou au-dessus de celui-ci, et qu’il n’y pas de syndrome infectieux ou de signe d’appel pour un abcès, le prurit anal peut être le seul signe présent. Il convient alors de rechercher l’orifice de drainage de la fistule par une rectoscopie. ✓ Prolapsus hémorroïdaire (figure 7) : l’inspection de la marge anale suffit au diagnostic. C’est l’irritation de ce prolapsus qui entraîne un suintement à l’origine du prurit. Causes infectieuses ✓ Oxyurose (figure 8) : le diagnostic est facile lorsque les vers sont présents à la marge anale ; il est plus difficile lorsque seuls les œufs sont responsables du prurit. ✓ Condylomes (figure 9) : l’inspection de la marge anale suffit au diagnostic de cette affection chronique et récidivante. ✓ Mycoses : la plus habituelle est la candidose, qui est généralement retrouvée à d’autres niveaux, en particulier au niveau génital. Le traitement du prurit anal repose dans tous ces cas sur le traitement étiologique de l’affection responsable. Figure 8. Figure 9. Correspondances en pelvi-périnéologie - n° 1, vol. V - janvier/février/mars 2005 DANS LA PLUPART DES CAS, IL N’Y A PAS DE LÉSIONS ÉVOCATRICES D’UNE ÉTIOLOGIE PRÉCISE On peut constater alors de simples lésions de grattage, avec parfois déjà une lichénification (figure 10). Il faut alors évoquer des étiologies générales. ✓ La constipation terminale : elle peut induire un prurit anal par différents mécanismes. Une impression de vidange rectale incomplète peut être à l’origine de manœuvres intracanalaires irritantes et/ou d’essuyages trop intenses. Un anisme (contraction inappropriée de l’anus lors du passage des selles) peut laisser persister une petite quantité de matières fécales dans le canal anal, qui sera libérée au niveau de la région péri-anale au cours de réflexes inhibiteurs induits par un gaz ou par le remplissage rectal. Ce mécanisme à l’origine de souillures des sous-vêtements favorise la surinfection des lésions de grattage. ✓ L’incontinence anale : elle est à l’origine de souillures persistantes de la région péri-anale et engendre bien souvent des manœuvres d’essuyage vigoureuses entretenant l’irritation des téguments. ✓ Les parasitoses : en l’absence d’une des étiologies mentionnées ci-dessus, il faut penser à l’oxyurose, même si aucun ver n’est visible à la marge anale. Dans ce cas, un scotch test s’impose, à la recherche des œufs d’oxyure. ✓ Enfin, le diabète est un facteur favorisant le prurit anal ; il doit donc être recherché en l’absence d’autres causes évidentes. Toutefois, dans la plupart des cas, aucune étiologie n’est mise en évidence. On parle alors de prurit essentiel. Le caractère rebelle aux différentes thérapeutiques de cette affection chronique peut justifier le recours à une psychothérapie. Cependant, on ne retrouve pas plus de troubles psychologiques dans ce groupe de patients que dans la population générale. ■ Figure 10. 29