À vos soins Le prurit chez les insuffisants rénaux Mme A. L. est une patiente hémodialysée de 79 ans. Elle se présente à votre pharmacie et vous montre ses avant-bras révélant plusieurs lésions de grattage. Elle vous dit souffrir de démangeaisons sur presque tout le corps, surtout la nuit. Elle a ainsi beaucoup de difficulté à dormir et se sent épuisée. La semaine dernière, son médecin lui a prescrit de l’hydroxyzine 10 mg à prendre au coucher en cas de besoin. Malgré une prise régulière, ce traitement ne semble pas efficace. Elle vous demande conseil... Le prurit urémique survient chez environ 15 % des patients souffrant dʹinsuffisance rénale chronique et chez plus de 50 % des patients en hémodialyse1-4. Lʹamélioration des techniques de dialyse des dernières décennies a permis dʹen réduire lʹincidence chez les patients hémodialysés2,3,5,6. Il demeure cependant un problème traité de façon sous-optimale qui peut devenir très incommodant pour les patients et entraîner dʹimportantes comorbidités, telles que lʹinsomnie et la dépression2,4,5,7. Le prurit urémique se localise le plus souvent sur le dos, les bras, la tête et l’abdomen, mais il peut se généraliser dans certains cas1,2,4,6. Son intensité peut varier selon le moment de la journée, avec une occurrence accrue la nuit, et sa prévalence augmente avec l’âge1-4,6-8. La pathogenèse du prurit urémique n’est pas clairement élucidée et semble multifactorielle. Une des hypothèses est l’implication du système immunitaire. En effet, la prévalence du prurit chez les patients greffés rénaux prenant des immunosuppresseurs s’avère presque nulle6,7. Par ailleurs, la peau sèche dont souffrent la plupart des patients urémiques contribue au prurit1,6,8. Une composante inflammatoire peut également être présente, car il a été noté que les patients souffrant de prurit urémique présentaient une augmentation de la protéine C réactive et autres cytokines proinflammatoires1. D’autres facteurs peuvent aussi jouer un rôle dans la pathogenèse de la maladie : augmentation de l’urémie, hyperparathyroïdie, accumulation de vitamine A au niveau cutané, accumulation d’ions divalents (Ca2+, Mg2+, PO42-) dans la peau pouvant mener à la formation de microcristaux, libération accrue de la substance P, déséquilibre dans l’expression des récepteurs mu et kappa-opioïdes sur les lymphocytes, anémie ferriprive et baisse du seuil de perception du prurit en raison de dommages nerveux1,4-7,9-11. La sérotonine pourrait également être impliquée en tant que médiateur du prurit6,8,12. L’état psychologique du patient peut influer sur sa propre perception6,9. Traitements non pharmacologiques Certaines mesures non pharmacologiques peuvent être suggérées en premier lieu pour soulager le patient : garder les ongles courts afin de limiter les lésions de grattage, prendre des bains à lʹeau tiède, car lʹeau chaude augmente les démangeaisons, assécher sa peau en tapotant avec un linge doux, utiliser un nettoyant doux non parwww.professionsante.ca fumé (Cetaphil) et porter des vêtements amples en coton. Puisque la plupart des patients urémiques ont la peau sèche, lʹapplication dʹune crème émolliente à base dʹeau et sans parfum est conseillée à la sortie du bain et jusquʹà deux fois par jour3,4,6,8 (Vaseline crème, Eucerin, Aveeno). La photothérapie à rayons UVB, l’acupuncture, la relaxation, la neurostimulation transcutanée (TENS), la résolution des désordres phosphocalciques et le traitement de l’anémie ferriprive peuvent également diminuer le prurit1,2,4. Texte rédigé par Sarah Gauthier-Proulx, B. Pharm., Pharmacie Francine Robert. Texte original soumis le 4 avril 2012. Texte final soumis le 18 avril 2012. Révision : Sarah Saudrais Janecek, B. Pharm., M.Sc., Pharmacie Francine Robert, Clinique médicale du Lac et Centre hospitalier Memphrémagog. Traitements pharmacologiques Le seul traitement permettant de soulager définitivement le prurit est la transplantation rénale1,6,9. Plusieurs options pharmacologiques peuvent être tentées, mais la plupart de celles-ci ont été étudiées sur un petit nombre de patients. SLa patiente semble souffrir de démangeaisons sur presque tout le corps, surtout la nuit. O n n A n Patiente de 79 ans hémodialysée. Diagnostic de prurit urémique établi la semaine dernière par son médecin de famille. n Lésions de grattage sur les avant-bras. n Depuis environ une semaine, elle utilise régulièrement de l’hydroxyzine 10 mg au coucher pour traiter son prurit urémique, sans aucune amélioration. Son sommeil semble se détériorer en raison de ce manque d’efficacité. Efficacité limitée des antihistaminiques dans le soulagement du prurit urémique de la patiente. n Mirtazapine à dose initiale de 7,5 à 15 mg au coucher, efficace pour soulager le prurit urémique. Pourrait aussi améliorer le sommeil. n Chez les patients atteints d’insuffisance rénale sévère (Cl créatinine < 10 mL/min), élimination de la mirtazapine réduite d’environ 50 %. n Il est donc recommandé de débuter à faible dose. Ainsi, la dose initiale sera de 7,5 à 15 mg une fois par jour au coucher. n Aucune dose supplémentaire requise après les séances d’hémodialyse. P Suggérer des mesures non pharmacologiques : prendre un bain à l’eau tiède, utiliser un nettoyant doux ainsi qu’une crème émolliente à base d’eau deux fois par jour. n Contacter le médecin traitant pour suggérer la mirtazapine, à la dose initiale de 7,5 mg une fois par jour au coucher, et rédiger l’opinion pharmaceutique. n Donner les conseils sur la mirtazapine, incluant l’importance de la prise au coucher. n Suivi téléphonique par la pharmacienne pour évaluer l’efficacité et la tolérance de la mirtazapine après 24 à 48 heures. n Suivi tous les sept jours pour évaluer la nécessité d’un titrage de la dose de mirtazapine jusqu’à la dose maximale de 30 mg, selon l’efficacité, la tolérance et l’observance du traitement. n Suivi tous les mois (lors des renouvellements) pour réévaluer l’efficacité et la tolérance de la mirtazapine, ainsi que l’observance de l’ensemble de la thérapie, incluant les mesures non pharmacologiques. n juin 2012 vol. 59 n° 3 Québec Pharmacie 11 À vos soins Traitements topiques : des crèmes ou lotions à base de camphre et de menthol (1 % à 2 %) peuvent soulager grâce à leur action anesthésique et à la sensation de fraîcheur quʹelles procurent4,6,8. Une crème de lidocaïne 2,5 % ne devrait être appliquée que sur une petite surface corporelle en raison du risque dʹabsorption systémique4,6,8. La capsaïcine 0,025 % à 0,075 % peut être utilisée dans les cas de prurit localisé, en considérant la substance P comme un médiateur dans la transmission des influx douloureux et prurigineux6,10,11. La hausse graduelle de la concentration et de la fréquence dʹapplication de la capsaïcine est recommandée pour en favoriser la tolérance4,6. Lorsque des signes dʹinflammation sont présents, lʹutilisation de corticostéroïdes topiques peut être recommandée4,8. Traitements systémiques : les antihistaminiques sont peu efficaces pour traiter le prurit urémique puisque lʹhistamine ne joue pas un rôle de premier plan dans la pathogenèse de la maladie4,6,8,9. Ils pourraient être bénéfiques dans certains cas où un effet sédatif est souhaité4,6. D’autres traitements systémiques sont plus prometteurs. La paroxétine s’est montrée efficace pour réduire le prurit dès les 24 à 48 premières heures de traitement3,4. Il est recommandé de commencer le traitement à faible dose (5 à 10 mg par jour) et d’augmenter en cas de besoin, jusqu’à 20 mg par jour. L’efficacité de la paroxétine peut parfois diminuer après quatre à six semaines d’utilisation4,6. La mirtazapine, antagoniste des récepteurs sérotoninergiques 5HT1 et 5HT2 ainsi que du récepteur H1, peut soulager le prurit à une dose de départ de 7,5 à 15 mg au coucher3,4,6,8. Son effet sédatif à cette dose peut également être souhaitable chez les patients souffrant d’insomnie3,6. Son début d’action est rapide dès les 24 premières heures et la dose peut être titrée jusqu’à 30 mg selon la tolérance et le soulagement4,12. La gabapentine administrée à une dose de 100 à 300 mg trois fois par semaine (après chaque séance d’hémodialyse) s’est montrée efficace et sécuritaire1,2,5,16,17. Elle soulagerait le prurit en affectant la nociception5. Son élimination par voie rénale en fait une molécule pouvant s’accumuler chez les insuffisants rénaux. L’administration trois fois par semaine permettrait d’éviter une accumulation excessive et de diminuer les effets secondaires au niveau du système nerveux central5. Par ailleurs, l’ondansétron, antagoniste des récepteurs 5HT3, pourrait contribuer à traiter le prurit urémique. Il agirait principalement au niveau du SNC, car aucun récepteur 5HT3 n’a été identifié au niveau de la peau6. La dose initiale est de 4 mg une à deux fois par jour, pouvant être augmentée jusqu’à 8 mg trois fois par jour. Le début d’action est rapide, de 30 à 60 minutes après la première dose. Les données sont toutefois conflictuelles quant à son efficacité14. D’autres études ont démontré que le granisétron à la dose de 1 mg deux fois par jour serait plus efficace que l’ondansétron, en plus d’être bien toléré1,13. De plus, la naltrexone, antagoniste des récepteurs mu-opioïdes, peut être utilisée à la dose initiale de 6,25 à 12,5 mg une fois par jour et être titrée graduellement jusqu’à 300 mg par jour, divisée en deux à trois prises. La prudence est de mise chez les utilisateurs d’opioïdes chroniques puisqu’ils pourraient souffrir de symptômes de retrait et d’un renversement de l’analgésie4,8. Les études concernant la naltrexone dans le traitement du prurit urémique demeurent contradictoires2,3,6,14. Elle pourrait n’être efficace qu’en présence de prurit sévère6,17. Une diminution de l’effet peut survenir après plusieurs semaines de traitement. Une période d’arrêt de deux à trois semaines peut alors être tentée4,14. Certains rapports de cas ont montré que le butorphanol, opioïde synthétique présentant aussi des propriétés antagonistes des récepteurs mu-opioïdes et des agonistes des récepteurs kappa, est une option de rechange intéressante à la naltrexone, car il ne renverse pas l’analgésie chez les patients prenant des opioïdes4. La dose est de une à deux vaporisations intranasales toutes les trois à quatre heures selon le soulagement. Le début d’action est de 15 à 60 minutes15. D’autres traitements pourraient être utiles dans le traitement du prurit urémique, tels que la thalidomine, le tacrolimus, le charbon activé, la cholestyramine et la doxépine1-4,6,8,9,17. n Acte pharmaceutique facturable Opinion pharmaceutique : substituer un médicament par un autre, car inefficacité (DIN : 009990140) Opinion pharmaceutique Docteur, Mme A. L. utilise actuellement de lʹhydroxyzine 10 mg HS PRN pour soulager un prurit urémique. Elle ne note aucune efficacité après une semaine dʹutilisation régulière. Elle se plaint de démangeaisons généralisées se manifestant surtout la nuit. Les mesures non pharmaco­ lo­g iques de traitement de la xérose ont été suggérées et apportent un soulagement minime. Parmi les options de traitement du prurit urémique, la mirtazapine me semble un choix approprié, puisque la patiente se plaint de démangeaisons, surtout la nuit. La mirtazapine 7,5 à 15 mg serait un traitement efficace et sécuritaire, en plus dʹapporter un effet sédatif pouvant améliorer son sommeil. En toute collaboration, La pharmacienne Références 1.Berger TG, Steinhoff M. Pruritus and Renal Failure.Semin Cutan Med Surg. 2011; 30: 99-100. 2. Kuypers D. Skin problems in chronic kidney disease. Nature Clinical Practice. 2009; 5: 157-70. 3. Greaves MW. Itch in systemic disease: Therapeutic options. Dermatologic Therapy. 2005; 18: 323–27. 4. Lachance-Demers H, Coutu-Lamontagne I. Le prurit. Dans : Guide pratique des soins palliatifs. Montréal : APES; 2008 : 335-46. 5. 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La mirtazapine semble efficace pour soulager le prurit urémique, mais son important délai d’action en limite l’utilisation. C. L’administration de gabapentine à raison de 100 à 300 mg trois fois par jour s’est montrée efficace et sécuritaire chez les patients hémodialysés. D. La peau sèche ne serait pas un facteur exacerbant le prurit urémique. E. La crème anesthésique de lidocaïne 2,5 % peut être utilisée indépen­damment de la surface corporelle à couvrir. Répondez maintenant en ligne. Voir page 78.