‚Bactériologie
Le tableau III résume les données bactériologiques
de l’enquête épidémiologique française de 1991
[4]
.
Les streptocoques sont responsables de près de 60 %
des EI. La répartition au sein de ce groupe
microbiologique des streptocoques d’origine orale
habituelle et des streptocoques d’origine digestive
(Streptococcus bovis et Enterococcus faecalis
essentiellement) a varié au cours des années, les
derniers étant aujourd’hui plus souvent identifiés que
dans le passé (ce qui est lié à l’élévation de la moyenne
d’âge des patients atteints d’EI, et à l’augmentation
corrélative des endocardites à porte d’entrée
digestive). Près du quart des EI sont dues aux
staphylocoques, dont la voie de pénétration est le plus
souvent cutanée. Les staphylocoques sont plus
souvent en cause chez les drogués, les porteurs de
prothèse valvulaire et ceux atteints d’EI iatrogène.
Parmi les bacilles à Gram négatif, les entérobactéries
sont très rarement responsables d’EI, de même que les
germes du groupe HACEK (Hæmophilus aphrophilus,
Actinobacillus actinomycetemcomitans,Cardiobacte-
rium hominis,Eikenella corrodens,Kingella kingae). Les
endocardites fungiques (Candida,Aspergillus), rares,
sont identifiées grâce à la présence dans le sang
d’anticorps spécifiques, de même que les EI de la fièvre
Q. Le progrès de l’identification des germes rares ou
difficiles à cultiver a diminué le pourcentage des EI à
hémocultures négatives (moins de 10 % dans les
séries récentes). Signalons que les personnes infectées
par le virus de l’immunodéficience humaine (VIH)
n’ont pas de risque accru d’EI, sinon celui lié à leur
éventuelle toxicomanie.
■
Le praticien face au diagnostic
de l’endocardite infectieuse
Le diagnostic de l’EI a la réputation d’être un
diagnostic difficile : de fait, les statistiques les plus
récentes montrent que le délai moyen écoulé entre
l’apparition du premier symptôme et l’affirmation du
diagnostic est encore en moyenne supérieur à 1 mois.
Si ce retard est parfois imputable au patient que les
symptômes initiaux de la maladie n’ont pas alarmé,
dans la plupart des cas, la reconstitution a posteriori de
la séquence des événements montre que le diagnostic
aurait pu être fait plus tôt si, dès l’apparition du premier
signe, la possibilité d’une EI avait été envisagée, et la
démarche médicale tout entière orientée vers la
confirmation ou l’infirmation du diagnostic.
‚Premiers symptômes
La première difficulté du diagnostic de l’EI vient du
fait que ses symptômes initiaux sont très variables
d’un cas à l’autre, et d’interprétation plus ou moins
difficile en fonction du contexte. La fièvre est certes
pratiquement toujours présente, et bien souvent elle
est le signe révélateur de la maladie, mais il faut la
replacer « en situation » pour préciser sa valeur
diagnostique. Une fièvre élevée, avec frissons
contemporains des clochers thermiques, est
immédiatement évocatrice d’une maladie bactérienne.
Survient-elle chez un valvulaire connu ou un porteur
de prothèse valvulaire que la possibilité d’une EI est
immédiatement évoquée, et son diagnostic peut être
fait dès les premiers jours de la maladie. Survient-elle
au contraire chez une personne qui n’a pas d’atteinte
cardiaque connue, la maladie bactérienne demeure la
première hypothèse évoquée, mais la greffe
endocarditique risque d’être méconnue, surtout s’il
existe un foyer infectieux extracardiaque, porte
d’entrée éventuelle du germe ou métastase de sa
localisation endocarditique première. On ne doit pas
oublier qu’un tiers au moins des EI surviennent chez
des personnes indemnes de passé cardiaque et que la
greffe bactérienne se fait souvent sur des lésions
mineures, asymptomatiques, de l’appareil valvulaire,
qu’une auscultation rapide peut laisser passer
(notamment prolapsus mitral ou bicuspidie aortique
congénitale). Bien souvent la fièvre est peu élevée, non
ressentie par le patient, qui « traîne » durant plusieurs
semaines, se plaignant de fatigue, de perte d’appétit
et/ou de poids, de sueurs nocturnes, et parfois
d’arthralgies ou de myalgies : le thermomètre révèle à
retardement un discret décalage thermique, à 37,6 °C-
38 °C. C’est dans ces formes à manifestations initiales
larvées, fréquentes chez le sujet âgé, que la révélation
de la maladie peut se faire brutalement, à l’occasion
d’une complication qui risque de masquer
l’endocardite causale : il en va ainsi notamment des
cas où l’EI est révélée par un déficit neurologique, un
syndrome méningé, une ischémie aiguë d’un membre,
une ostéoarthrite vertébrale. De même, l’apparition de
signes d’insuffisance cardiaque chez un valvulaire sans
altération myocardique pouvant la justifier doit-elle
évoquer la possibilité d’une EI génératrice
d’insuffisance cardiaque par brusque aggravation de la
dysfonction valvulaire préexistante.
‚Examen clinique
L’examen clinique peut-il être de quelque utilité
pour orienter le diagnostic ? La réponse à cette
question est affirmative, mais nuancée...
L’auscultation cardiaque représente certes un temps
capital de l’examen, mais les cas où elle emporte la
conviction en faveur de l’EI sont finalement assez
rares. L’augmentation nette de l’intensité d’un souffle
antérieurement connu, l’apparition d’un souffle
systolique d’insuffisance mitrale et/ou diastolique
d’insuffisance aortique chez un sujet dont on peut
affirmer qu’il avait antérieurement une auscultation
cardiaque normale sont, évidemment, très hautement
suggestives d’EI. Mais cette éventualité est
relativement rare, pour deux raisons : d’une part des
végétations de petit volume, sans ulcération de l’étoffe
valvulaire, n’entraînent aucune dysfonction audible
des appareils valvulaires, et d’autre part, très
nombreuses sont les personnes qui n’ont jamais fait
l’objet d’une auscultation cardiaque attentive et pour
lesquelles manque donc la référence à des données
stethoscopiques antérieures fiables.
Chez un malade fébrile, la recherche d’une
splénomégalie s’impose : la palpation suffit à l’affirmer
dans 30 à 40 % des cas d’EI. Elle est modérée, la rate
débordant habituellement les fausses côtes gauches
de2à4cm.Lorsque la splénomégalie ne peut être
reconnue à la palpation, l’échographie abdominale ou
la tomodensitométrie pourront la mettre en évidence.
Mais ces examens sont surtout utiles pour dépister une
complication splénique de l’EI (cf infra). La présence
d’une splénomégalie n’est qu’un argument mineur en
faveur du diagnostic d’EI.
Il en va autrement des signes cutanéomuqueux qui
sont rares mais de grande valeur diagnostique. Les
« faux panaris » d’Osler sont des nodosités rouges,
douloureuses, siégeant au niveau de la pulpe des
phalanges distales des doigts ou des orteils. Ils ne sont
observés que dans un quart des cas, et leur recherche
doit être d’autant plus attentive et répétitive qu’ils sont
éphémères et n’évoluent jamais vers la suppuration.
L’érythème hémorragique de Janeway, palmaire ou
plantaire, est encore plus rare. Les pétéchies à centre
blanc, le plus souvent localisées aux conjonctives et à
la muqueuse buccale, ne sont évocatrices que dans un
contexte clinique d’infection. Quant aux bulles
hémorragiques, elles s’observent surtout sur le
tégument dans les EI staphylococciques.
‚Examens complémentaires
Lorsque la possibilité d’une EI est évoquée, les
examens complémentaires pratiqués en vue de
confirmer ou d’infirmer le diagnostic doivent être
conduits de façon rationnelle.
Trois à quatre hémocultures réalisées à 1 heure
d’intervalle sont habituellement suffisantes si le
malade n’a pas été traité par les antibiotiques. Pour
ceux qui ont été traités par des antibiotiques dans le
cours des 2 semaines précédentes, à ces trois ou
quatre hémocultures initiales doivent s’ajouter trois à
huit autres, à raison d’un prélèvement toutes les 8 à
12 heures, durant1à3jours. Le volume optimal de
sang à prélever est de7à10mLpour chacun des
deux flacons (l’un pour la culture en atmosphère
aérobie, l’autre en anaérobie). La majorité des micro-
organismes sont identifiés dans la première semaine
des cultures, mais il faut parfois plus de 3 semaines
pour isoler des bactéries à croissance difficile : germes
du groupe HACEK, streptocoques déficients, et levures.
L’identification des endocardites de la fièvre Q et de
celles dues à Chlamydia (C pneumoniae,C psittaci et
L’évolution de l’EI éclairée par
l’anatomie pathologique
✔Les mutilations valvulaires sont la
cause première de l’insuffisance
cardiaque (elle-même cause
première de mortalité dans l’EI).
✔Les abcès des anneaux
périvalvulaires sont fréquents,
surtout dans les EI aortiques et dans
les EI sur prothèses valvulaires.
✔Les végétations de l’EI donnent
souvent lieu à des migrations
emboliques, notamment vers les
artères cérébrales.
Tableau III. – Micro-organismes isolés au
cours des endocardites infectieuses (enquête
épidémiologique française de 1991 sur 401
cas
[4]
).
Micro-organismes (%)
Streptocoques 58
– oraux 27
– fécaux 23
– autres 8
Staphylocoques 23
– dorés 18
– coagulase négatifs 5
Autres micro-organismes 11
Non identifiés 8
Il importe en premier lieu de ne
jamais traiter un valvulaire fébrile par
des antibiotiques, sans avoir au
préalable réalisé les hémocultures
indispensables.
Endocardite infectieuse - 2-0250
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