Aromatase Dossier Les inhibiteurs de l’aromatase et leurs applications

Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition (VII), n° 4, juillet/août 2003
Aromatase
Dossier
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Les inhibiteurs de l’aromatase et leurs applications
S. Moslemi*, G.É. Séralini*
D
ifférents concepts en endo-
crinologie et même en intra-
crinologie (1) ont été revus
de nos jours, particulièrement à la
lumière de nouveaux résultats concer-
nant le rôle des estrogènes dans la
physiologie masculine et la repro-
duction. Il s’avère que les estrogènes
sont nécessaires à faible taux pour la
physiologie en général et possèdent
des effets stimulants, en particulier
sur la fonction gonadique et osseuse,
notamment chez les mammifères
mâles. En revanche, les effets inhi-
biteurs gonadotropes des estrogènes
à plus forte dose restent vrais chez
les mâles, mais souvent à des taux
élevés pouvant correspondre à des
niveaux de base chez la femelle.
* Laboratoire de biochimie et biologie molécu-
laire, EA2608, IBFA, université de Caen.
Dans les deux sexes, le rapport androgènes/estro-
gènes semble plus déterminant sur plusieurs fonc-
tions endocriniennes que l’action d’une hormone
seule.
La conversion irréversible des androgènes en estro-
gènes est contrôlée par un complexe enzymatique
appelé aromatase, composé d’une réductase ubi-
quiste et d’un cytochrome P450 (CYP19). En physio-
logie, l’activité aromatase est souvent un facteur
plus limitant sur la concentration des estrogènes
que le taux des androgènes eux-mêmes.
Des modèles animaux ou des anomalies génétiques
chez l’homme montrent que la sous-expression ou
la surexpression du gène de l’aromatase conduisent
à des pathologies variées, touchant en particulier le
développement osseux, la reproduction et certains
cancers hormono-dépendants. En outre, des xéno-
biotiques polluants interférant avec l’aromatase
pourraient perturber la balance androgéno-estro-
génique chez l’individu normal.
Le blocage de l’action physiologique des estro-
gènes, nécessaire dans certains cadres patho-
logiques, est plus complet en agissant au niveau de
leur synthèse, plutôt qu’au seul niveau de leurs
récepteurs. Ainsi, de nombreux inhibiteurs de l’aro-
matase ont été développés selon plusieurs tech-
niques, et utilisés en clinique, seuls ou en combi-
naison avec les antiestrogènes, pour le traitement de
cancers du sein, de gynécomasties et de certaines
pubertés précoces.
Les inhibiteurs de l’aromatase sont considérés
comme des outils essentiels pour étudier les rôles
des estrogènes non seulement chez la femelle des
mammifères, mais aussi et plus récemment chez le
mâle : sur la fonction testiculaire, le comportement
sexuel, la maturation squelettique et la minérali-
sation osseuse ou le métabolisme lipidique et la
circulation.
Il existe plusieurs approches permettant de déve-
lopper de nouveaux inhibiteurs puissants et spéci-
fiques ; parmi les plus performantes, on note le cri-
blage des composés chimiques, la cristallographie
et la modélisation moléculaire du site actif du CYP19,
assistées d’études biochimiques comparées et de
mutagenèse dirigée.
Notre laboratoire a développé des études com-
paratives d’inhibition sur deux aromatases de
mammifères : l’aromatase placentaire humaine et
l’aromatase testiculaire équine, bien caractérisées
biochimiquement, mais aussi purifiées et clonées.
Le cheval, par sa synthèse testiculaire exceptionnel-
lement élevée d’estrogènes, constitue un modèle
particulièrement intéressant pour l’étude de l’aro-
matase.
De nombreux inhibiteurs de l’aromatase n’ont pas
apporté les résultats espérés au niveau de leur
spécificité, de leur tolérabilité ou de leur efficacité
clinique ; ont aussi été abandonnés des composés
comme l’aminoglutéthimide, le fadrozole, le vorozole
ou plus récemment la 4-hydroxyandrostènedione.
L’anastrozole (Arimidex
®
), le létrozole (Fémara
®
) et
l’exémestane (Aromasine
®
) sont parmi les mieux
tolérés et les plus efficaces actuellement contre des
cancers du sein, mais une amélioration est encore
recherchée avec des inhibiteurs de dernière géné-
ration.
La synthèse d’oligonucléotides antisens stables, ou
des petites séquences interférant avec les ARNm
(ARNsi) de l’aromatase, constituent des méthodes
d’avenir intéressantes à développer afin d’inhiber
localement l’expression de son gène.
points FORTS
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Ainsi, les estrogènes ne sont plus
considérés seulement en tant qu’hor-
mones féminines (2), car il est bien
établi maintenant qu’ils sont essen-
tiels pour la balance endocrine des
mâles, avec toutefois un effet de seuil
qui semble, au moins pour certaines
fonctions, considérablement diffé-
rent dans les deux sexes (figure).
Cela dépend en partie, pour certains
organes, de la répartition tissulaire
et de l’expression cellulaire des
enzymes de la stéroïdogenèse et des
récepteurs des hormones sexuelles.
De plus, comme la dihydrotesto-
stérone est un effecteur final de la
testostérone, laquelle peut donc être
considérée dans bien des cas comme
une prohormone, les estrogènes peu-
vent être dans certains cas des effec-
teurs alternatifs de l’action masculi-
nisante des androgènes, par exemple
au niveau central chez les mâles ou
lors des processus de la spermato-
genèse. Ainsi, le comportement
agressif et le rétrocontrôle exercé
par les androgènes ont été associés
à la métabolisation in situ des andro-
gènes en estrogènes chez le mâle (3).
De même, le rapport androgènes/
estrogènes est crucial pour induire,
par exemple, l’ovulation ou l’apoptose
des ovocytes ou peut-être au cours
de la spermatogenèse. Aujourd’hui,
on pourrait considérer que, tenant
compte de l’ensemble de la physio-
logie d’une cellule sensible aux sté-
roïdes, et encore plus au niveau des
grandes fonctions, le rapport andro-
gènes/estrogènes apparaît plus
important que l’action d’une seule
hormone, et ce dans les deux sexes.
Chez les vertébrés, le rapport andro-
gènes/estrogènes est sous le contrôle
d’une enzyme membranaire du
réticulum endoplasmique intra-
cellulaire appelée aromatase. Cette
enzyme comporte en fait deux enti-
tés. Tout d’abord une réductase ubi-
quiste peu spécifique qui est une
flavoprotéine à FAD et FMN, fonc-
tionnant en tant que donneur d’élec-
trons nécessaires à la réaction enzy-
matique. Celle-ci est ensuite couplée
à une protéine spécifique responsable,
grâce à un groupement hémique, de
la liaison et de la conversion irréver-
sible du stéroïde androgène. Cette
protéine appartient à la superfamille
des cytochromes P450, répartis en
plus de 750 séquences et regroupés en
107 familles, et l’aromatase est le seul
membre de la famille 19 (CYP19).
C’est la seule enzyme capable de
convertir essentiellement l’andros-
tènedione et la testostérone respec-
tivement en estrone et estradiol, en
utilisant trois moles d’oxygène et
trois moles de NADPH. Cela se
réalise en trois étapes impliquant
d’abord des hydroxylations, et per-
mettant finalement la formation du
cycle A aromatique ; d’où la dénomi-
nation d’aromatase pour l’enzyme
et d’aromatisation pour la réaction.
Cette enzyme est exprimée au niveau
des gonades, du placenta et du sys-
tème nerveux central, mais aussi aux
niveaux osseux, adipeux et cutané.
Le gène de l’aromatase est particulier
car il est extrêmement long (plus de
123 kb) et comporte chez l’homme au
moins neuf promoteurs bien carac-
térisés, liant de nombreux facteurs
de régulation utilisés dans différents
tissus, dont l’implication conduit
à un épissage alternatif complexe
de l’exon 1. La partie codante est
répartie sur seulement 30 kb et
apparaît identique dans différents
tissus. Le contrôle de l’expression
de l’aromatase est très variable selon
Inhibiteurs de l’aromatase
Niveau
de base
Femelle
Mâle
{E}
Effets
gonadiques
+/-
{ }
+
+
––
Figure. Fonction gonadique (stimulation : + ou inhibition : -) et niveaux sériques d’estrogènes.
Les balances des niveaux estrogéniques mâles et femelles sont présentées. Dans
la plupart des espèces de mammifères, les mâles ont des taux d’estrogènes [E]
plus bas que les femelles. Les effets stimulants des estrogènes sur la physiologie
gonadique (principalement la spermatogenèse ou l’ovulation) se font sentir à des
taux moindres chez le mâle que chez la femelle, tout comme les effets inhibiteurs.
L’inhibition de la fonction gonadique est généralement atteinte chez le mâle à des
taux encore stimulants chez la femelle. Les inhibiteurs de l’aromatase peuvent
moduler cette balance endocrine. Au-dessus des pointillés, représentation de la
vision classique, au dessous, nouvelles découvertes.
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les organes, les cellules et les états
physiologiques. Il inclut la formation
des divers ARNm en fonction du
promoteur impliqué pour une unique
protéine responsable de l’activité
enzymatique. Le gène de l’aroma-
tase offre donc aux biologistes molé-
culaires un excellent modèle pour
étudier la régulation complexe de
l’expression génique.
De nombreuses méthodes ont été
développées pour inhiber l’aroma-
tase (4). Leur champ s’étend du cri-
blage de composés chimiques mimant
le substrat, au sondage du site actif
par la modélisation d’inhibiteurs spé-
cifiques, grâce à la biochimie com-
parée dans plusieurs espèces ou à
la mutagenèse dirigée. S’y incluent
l’immuno-inhibition, le développe-
ment des modèles animaux de défi-
cience génétique, le contrôle des
facteurs de régulations spécifiques
aux tissus ou encore l’inhibition de
l’expression des ARNm. On a iden-
tifié, par ailleurs, certains composés
nutritionnels ou des polluants (rési-
dus industriels, pesticides) suscep-
tibles de moduler l’activité de l’aro-
matase et donc de perturber la balance
hormonale (4).
En clinique, on a cherché à inhiber
l’activité aromatase grâce à au moins
trois générations de composés chi-
miques, stéroïdiens ou non. Ils ont
été utilisés non seulement en traite-
ments des cancers du sein chez la
femme (5), mais aussi pour celui de
la gynécomastie (6) dans certains
cas de cancers de la prostate (7) et
lors de pubertés précoces (8). Enfin,
l’inhibition de la synthèse des estro-
gènes pourrait être testée comme un
moyen de contraception masculine.
L’aromatase est en effet présente
dans les cellules de Leydig de diffé-
rentes espèces : rat (9), cheval (10)
et homme (11), mais également dans
les tubes séminifères. En raison de
sa présence dans les spermatides et
les spermatozoïdes, la synthèse des
estrogènes paraît être bien impliquée
dans la régulation de la spermato-
genèse (11). Notre laboratoire a déve-
loppé ces dernières années plusieurs
inhibiteurs nouveaux de l’aromatase,
sur la base de la structure du site actif
de l’enzyme (12, 13), étudiée par la
mutagenèse dirigée (14) et grâce à
des comparaisons biochimiques et
structurales avec une autre aroma-
tase de mammifère (15). Nous avons
également développé des inhibiteurs
oligodesoxynucléotides antisens de
l’expression du gène en nous fondant
sur la structure tertiaire de l’ARNm
de l’enzyme (16).
Les différents types
d’inhibiteurs
Les inhibiteurs de l’aromatase peu-
vent être classés en différentes géné-
rations, selon l’ordre chronologique
de leur conception ou de leur utilisa-
tion clinique. Ils peuvent aussi être
mis en catégories selon leur nature
chimique ou leur mécanisme d’action.
Classement des inhibiteurs
par ordre chronologique
Nous disposons aujourd’hui d’au
moins quatre principales généra-
tions d’inhibiteurs chimiques de
l’aromatase, dont trois ont été large-
ment utilisés en clinique. L’amino-
glutéthimide (Orimétène®) fut le
premier inhibiteur de l’aromatase
développé et utilisé pour le traite-
ment du cancer du sein métastatique
comme alternative à l’ablation chi-
rurgicale des surrénales ; il est de
la première génération. La 4-OHA
(Formestane®ou Lentaron®), connue
en tant qu’inhibiteur de type suicide
et inactivateur, est un membre de la
deuxième génération, tout comme le
fadrozole (CGS 16949A ou Afema®).
Le vorozole (troisième génération)
a été médicalement développé mais
secondairement abandonné. L’anas-
trozole (Arimidex®) et le létrozole
(Fémara®) ont été employés plus
récemment, et sont de la troisième
ou de la quatrième génération selon
la manière dont on compte. Les nou-
veaux inhibiteurs développés in vitro
ou sur des modèles animaux, comme
les dérivés de l’indane ou de l’indoli-
zinone (17), sont des dernières géné-
rations. L’efficacité de ces molécules
a été considérablement augmentée
sur des modèles in vitro, mais mal-
heureusement l’efficacité en clinique
reste limitée (avec un taux de réponse
de 14 à 36 % qui pourrait également
être dû à la résistance aux estrogènes)
et on l’associe à des effets secon-
daires, notamment pour l’aminoglu-
téthimide, le vorozole et le fadrozole.
Cela montre bien qu’il s’agit d’un
domaine de recherche encore large-
ment ouvert. En outre, le meilleur
inhibiteur in vivo n’a pas forcément
la meilleure constante d’inhibition
(Ki) in vitro, et vice versa. La demi-
vie, le métabolisme ou la spécificité
des inhibiteurs sont des paramètres
cliniques cruciaux à prendre en consi-
dération dans l’évaluation générale
d’un inhibiteur de l’aromatase.
Classement
selon la nature chimique
Les inhibiteurs sont stéroïdiens ou
non stéroïdiens. Les inhibiteurs
stéroïdiens sont les analogues des
substrats de l’aromatase, particu-
lièrement de l’androstènedione, le
plus hydrophobe et qui possède la
meilleure affinité pour l’enzyme.
Depuis les travaux de Schwarzel et
al. (18) plusieurs inhibiteurs stéroï-
diens ont été développés. La 4-OHA
est apparue la plus sélective et la
plus efficace contre le cancer de
sein (19-21). La particularité de la
4-OHA est liée à sa liaison irréver-
sible au site actif de l’enzyme. Elle
agit en tant qu’inhibiteur de type
“suicide”, avec une action prolongée
sur l’enzyme. La restauration de
l’activité enzymatique nécessite en
effet une nouvelle synthèse de la
protéine et l’inhibition persiste un
certain temps après l’arrêt du traite-
ment. Dans la pratique, une prescrip-
tion intermittente pouvait donc être
envisagée (250-500 mg toutes les
deux semaines), ce qui constituait un
avantage pour le patient. Cependant,
l’emploi de cette molécule a pré-
senté des inconvénients. Le premier
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a concerné son administration par
voie intramusculaire. Le deuxième a
été lié à ses propriétés androgéniques
aux posologies élevées qui ont dimi-
nué significativement le rapport
bénéfices/risques. En outre, cette
molécule est, comme d’autres sté-
roïdes, rapidement métabolisée par les
cytochromes P450, notamment hépa-
tiques ou rénaux (22, 23), respon-
sables de la détoxication. Par exemple,
l’androst-4-ene-3,6,17-trione, inhi-
biteur de type suicide de l’aroma-
tase (24), est aromatisé par les micro-
somes placentaires humains (25),ce
qui augmente les risques endocri-
niens ou de cancérogenèse. En rai-
son de ce type d’inconvénient, la
4-OHA – qui était le principal inhi-
biteur stéroïdien utilisé en clinique
contre le cancer du sein – a été reti-
rée du marché par la compagnie qui
l’avait développée. Plus récemment,
l’exemestane (Aromasine®), un autre
inhibiteur stéroïdien de type suicide,
a été développé par les laboratoires
Pharmacia. Il a prouvé son intérêt
en clinique dans quelques pays. Cette
molécule semble être plus efficace
que la 4-OHA (26). Elle est la seule
molécule stéroïdienne disponible par
voie orale.
Des inhibiteurs non stéroïdiens ont
également été développés. Ils sont
dérivés pour la plupart de l’imida-
zole et du triazole et fondés sur la
structure des agents antifongiques
inhibant les enzymes des cytochromes
P450. L’aminoglutéthimide a été le
premier inhibiteur non stéroïdien de
l’aromatase utilisé en clinique comme
traitement de deuxième ligne chez
des patientes atteintes d’un cancer du
sein à un stade avancé. Son emploi
fut abandonné malgré son taux de
réponse de 30 à 50 %, à cause de son
absence de spécificité et de ses effets
secondaires. Notamment, il inhibe
la synthèse des corticostéroïdes par
un blocage du cytochrome P450scc,
responsable du clivage de la chaîne
latérale du cholestérol. Plus récem-
ment, des inhibiteurs non stéroïdiens
appartenant aux deuxième et troi-
sième générations ont été développés
par différents laboratoires pharma-
ceutiques tels que le fadrozole
(Afema®, CGS 16949A, Novartis),
l’anastrozole (Arimidex®, ZD1033,
AstraZeneca), le vorozole (Rivizor®,
R83842, Janssen) et le létrozole
(Fémara®, CGS 20.267, Novartis).
Ils se sont montrés, dans un premier
temps, plus efficaces (affinité élevée
pour l’enzyme, de l’ordre du nM) et
bien tolérés par rapport à l’acétate
de mégestrol ou à l’aminoglutéthi-
mide (27). Hormis le vorozole et le
fadrozole, dont les utilisations ont
été abandonnées par manque de
spécificité (par exemple, le fadro-
zole possède un effet supresseur sur
l’aldostérone), l’anastrozole et le
létrozole se sont montrés les plus
efficaces et sélectifs sur l’aromatase
et sont bien tolérés par les patients
(28, 29). D’autres études ont montré
que ces substances sont plus actives
que les antiestrogènes tamoxifène et
faslodex (ICI 182.780, un antiestro-
gène stéroïdien) sur la régression de
la croissance des tumeurs mammaires
des souris. Avec ces inhibiteurs, on a
également observé la régression des
tumeurs et du poids de l’utérus, à la
différence du tamoxifène. Les études
montrent que le létrozole (30) a peu
d’effets sur la synthèse des autres
stéroïdes surrénaliens. Il est l’inhi-
biteur de l’aromatase le plus sélectif
disponible aujourd’hui. L’anastrozole
a récemment été évalué en phase III
pour le traitement du cancer du sein
métastatique chez les femmes méno-
pausées, quand la maladie a progressé
en dépit de la thérapie au tamoxifène.
L’anastrozole et le létrozole ont obtenu
leurs autorisations de mise sur le
marché en Amérique du Nord et en
Europe dans cette indication (27).
Cependant, leur efficacité reste
limitée, les réponses étant respecti-
vement de 27 et 36 % (28, 31). Le
tableau résume les avantages et les
inconvénients des inhibiteurs stéroï-
diens et non stéroïdiens.
Classement
selon le mécanisme d’action
Il existe deux principaux méca-
nismes pour inhiber une activité enzy-
matique : soit la molécule se fixe de
manière irréversible à l’enzyme par
liaison covalente et la bloque défi-
nitivement (4-OHA et exémestane),
soit la molécule inhibe de manière
réversible, compétitive ou non, l’ac-
tion de l’enzyme (pour les non sté-
roïdiens en général). En outre, en
spectrophotométrie, le type d’inter-
action des molécules stéroïdiennes
avec le site actif de l’enzyme diffère
de celui observé avec les inhibiteurs
non stéroïdiens. Les inhibiteurs non
stéroïdiens forment, via un hétéro-
atome omniprésent comme l’atome
d’azote, une liaison dite de “coordi-
nation” avec le fer hémique de l’en-
zyme. Cela se traduit au spectro-
photomètre par une absorbance
maximale à 420 nm et une autre mini-
male à 390 nm (spectre de type II).
En revanche, les inhibiteurs stéroï-
diens ne présentant pas ce type
d’interaction, le spectre précédent
est inversé, avec une absorbance
maximale à 390 nm et une minimale
à 420 nm (spectre de type I). Ces
spectres d’absorbance sont spéci-
Inhibiteurs stéroïdiens non stéroïdiens
Avantages plus sélectifs absorption orale
demie-vie plus longue moins d’effets
(profil d’inactivation) hormonaux parasites
Désavantages faible absorption orale moins sélectifs (inhibition
(sauf pour l’exémestane) d’autres cytochromes P450)
effets hormonaux demie-vie plus courte
(androgéniques à fortes doses) (nécessité d’administrations
métabolisme possible fréquentes)
par les cytochromes P450
Tableau. Avantages et désavantages des deux classes majeures d’inhibiteurs chimiques
de l’aromatase.
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fiques aux cytochromes P450 et ils
représentent donc des paramètres
importants à vérifier lors des phases
préliminaires d’évaluation des molé-
cules. Cependant, nous avons pu
récemment montrer qu’un inhibteur
non stéroïdien, le MR20814, pou-
vait présenter à la fois les spectres
de type I et II respectivement avec
l’aromatase testiculaire équine et
l’aromatase placentaire humaine (12).
Les modélisations moléculaires de
ces deux aromatases, en présence de
MR20814, nous ont permis de mettre
en évidence des différences d’orien-
tation de cet inhibiteur au sein du
site actif et, par conséquent, d’amé-
liorer les possibilités de synthèse
d’inhibiteurs de nouvelle génération,
encore plus efficaces. Ces hypothèses
d’interaction avec des acides aminés
présents au sein du site actif de l’en-
zyme ont été vérifiées par mutage-
nèse dirigée. Sachant qu’il n’existe
pas, à l’heure actuelle, d’inhibiteurs
de type “suicide” ou d’inactivateurs
non stéroïdiens de l’aromatase, il
serait donc intéressant de les déve-
lopper afin de limiter les interactions
non spécifiques avec le système
endocrinien lors des traitements. En
effet, on peut supposer que plus une
molécule sera finement adaptée au
site actif de l’enzyme avec laquelle
elle est sensée interagir, plus son
interaction risque d’être spécifique et
donc limitée avec les autres enzymes.
Même si ce raisonnement n’est pas
universellement applicable, il permet
d’augmenter les chances d’obtention
de molécules de plus en plus spéci-
fiques.
Les applications des
inhibiteurs de l’aromatase
Sur le plan des études
biochimiques ou cellulaires
Les inhibiteurs de l’aromatase sont
des outils d’exploration biochimique
ou de fonction cellulaire permettant
d’élucider leurs mécanismes d’action
sur l’enzyme par comparaison des
effets sur des modèles différents
comme, par exemple, les aromatases
humaine et équine. Ils permettent
aussi de sonder la structure du site
actif et d’évaluer les fonctions des
acides aminés qui y sont impliqués
afin de comprendre la conformation
et le fonctionnement de ce type de
cytochrome P450 membranaire de
mammifère (à ce jour, seuls des cyto-
chromes bactériens solubles ont été
cristallisés). Ces approches permet-
tront possiblement d’en déduire en
retour la structure de nouveaux inhi-
biteurs plus efficaces (17, 32). Habi-
tuellement, leurs effets secondaires
sur d’autres cytochromes P450 hépa-
tiques sont considérés comme poten-
tiels, même après des épreuves cli-
niques (33). Les études de biochimie
comparée permettent de mieux appré-
hender ce risque et de mieux com-
prendre ces mécanismes impliqués
et le métabolisme des inhibiteurs.
Avec ces approches, notre équipe
contribue depuis plusieurs années
aux études in vitro et au développe-
ment des nouveaux inhibiteurs de
l’aromatase (12, 13, 17, 32).
In vivo chez l’animal
Les rôles physiologiques des estro-
gènes chez la femelle sont bien
démontrés alors que leurs effets chez
le mâle ont été en particulier mis en
évidence grâce à l’utilisation in vivo
des inhibiteurs de l’aromatase. Ils
ont été confirmés grâce au modèle
de déficience génétique des souris
ArKO qui correspond à une inhibi-
tion constitutive du gène de l’aro-
matase. En effet, le rôle des estro-
gènes, de la vie fœtale jusqu’à la
puberté, est plus facilement déduit
des études de mutation ou de délé-
tion des gènes des récepteurs des
estrogènes ou de l’aromatase. Les
inhibitions chimiques de l’aroma-
tase possèdent l’avantage de per-
mettre de dévoiler le rôle de la sup-
pression des estrogènes à la fois
pendant le développement postnatal
ou pendant la seule vie adulte. En
plus de l’action des estrogènes sur
le métabolisme lipidique, le méta-
bolisme de l’insuline ou la protec-
tion contre l’athérosclérose, les inhi-
biteurs de l’aromatase ont permis de
montrer que les estrogènes agissaient
essentiellement à trois autres diffé-
rents niveaux. Le premier niveau, le
plus visible phénotypiquement, a été
mis en évidence dans une expérience
détaillée où le vorozole altère le gain
de poids corporel et le remodelage
squelettique et diminue globalement
la densité minérale osseuse chez
les rats mâles en pleine croissance
(34). Il est désormais évident que
lorsqu’un patient a une insuffisance
estrogénique importante, il souffre
d’anomalies de la maturation et de
la minéralisation squelettique (35).
Le deuxième niveau d’action des
estrogènes a été démontré par l’ob-
servation de l’effet du fadrozole sur
le cerveau et la fonction neuronale.
Ainsi, le développement de la mor-
phologie dendritique masculine dans
le noyau spinal du bulbe caverneux,
dans le cordon médullaire lombaire
du rat, est sous la commande estro-
génique (36). Ce centre est respon-
sable des réflexes copulatoires mas-
culins. Le comportement copulatoire
normal chez les rats mâles a été
inhibé par l’administration chronique
de l’anastrozole (3). Le troisième
niveau d’action des estrogènes est
gonadique. Les actions des inhibi-
teurs de l’aromatase ont mis en
exergue le rôle indispensable des
estrogènes dans l’appareil de la
reproduction masculine, notamment
au niveau de la régulation de pro-
duction de testostérone (3).
Sur le plan clinique
L’utilisation des inhibiteurs de l’aro-
matase constitue une stratégie de
thérapie endocrinienne bien établie
dans certaines pathologies hormono-
dépendantes. Des inhibiteurs de l’aro-
matase sont généralement employés
en traitement de deuxième ligne dans
les cancers du sein hormono-dépen-
dants métastatiques, souvent chez
les femmes postménopausées, quand
les antiestrogènes deviennent ineffi-
caces ou non tolérés. Le tamoxifène
1 / 8 100%