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Mise au pointLes mots et les hommes
Les mots et les hommes
’est nécessaire parce que cette
pathologie mentale (souffrance
psychique ?) ou plutôt ce qui se
présente à nous à cette enseigne (celle,
par exemple, que nous qualifions de
“psychotique”) a changé. La certitude
est de plus en plus difficile à acquérir :
les repères, les signes sont plus ténus
et, en ce qui concerne les “psychoses”
par exemple, les sous-espèces sont de
plus en plus difficiles à différencier,
les signes réduits à l’os. Nous avons
affaire à des patients égarés, morcelés,
tentant de ressaisir, ou de mimer, dans
des efforts souvent pathétiques, ce qui
peut les faire ressembler à chacun.
L’écran du délire, cette interface qui
permettait un semblant de dialogue, un
prétexte à l’échange, se manifeste
moins : l’abord est immédiat, angois-
sant et celui qui écoute se trouve
comme entraîné dans le vide et en
passe de cesser d’élaborer.
On peut, bien sûr, se satisfaire de ces
approximations vulgaires si répandues :
extension illimitée de LA schizo-
phrénie, disparition des paraphrénies,
mais aussi DES schizophrénies,
critères des troubles psychotiques
réduits au seul délire, lui-même réduit
à l’irrespect de la doxa ou à l’incon-
gruité du langage.
Ces transformations peuvent sans
doute être rapportées aux modifica-
tions de l’abord des patients. Comme
il est probable que l’évolution des
démences précoces était liée à un
mode de vie imposé plus qu’au génie
évolutif de l’affection (et cela aussi a
changé, tout comme les névroses), la
dépression a englouti les nuances et
l’hystérie s’est fondue dans le paysage.
Les symptômes obsessionnels sont de
moins en moins avoués : tout, mais pas
TOCkés ! Mais cela évolue encore et,
pour la première fois depuis vingt ans,
je viens de voir un cas de paralysie
hystérique ; un, puis deux, puis trois !
La souffrance exprimée – qui tient lieu
de sésame pour la rencontre – est
fondée, pour une bonne part, sur un
sentiment de non-conformité à une
norme culturelle où chacun est censé
pouvoir être à lui-même transparent :
norme parfaitement paranoïaque au
demeurant !
Si je tente d’éclairer ma religion, c’est
donc sur des éléments peu classiques :
excès de sens ou non, retransmission
du discours de l’Autre, avec ou sans
hésitation, achoppement, rectification,
retour en arrière, capitonnage, avec ou
sans sujet, peut-être…
L’armature sémiologique qui était la
nôtre ne fonctionne plus et c’est pour-
quoi, sans doute, les catégories
comportementales des DSM se sont
imposées si facilement. Toute théorie
est devenue “non grata”, il n’y a plus
d’élaboration devant la folie, partant
devant toute condition humaine, dont
la valeur se trouve réduite aux appa-
rences. Rien n’a pu s’imposer pour
remplacer le jacksonisme de Henri Ey,
c’est même l’élaboration d’hypothèses
qui est devenue répréhensible, comme
dans le cas de l’autisme infantile
précoce, où il est interdit de conclure
après l’observation clinique à une
relation entre famille et développe-
ment.
L’ h ypothèse génétique s’impose pour
“ne pas culpabiliser les familles” (et
ménager quelques fromages). Quand
bien même cette hypothèse serait
juste, elle ne permettrait en aucune
façon d’expliquer le déterminisme de
l’affection.
L’adjectif “scientifique” utilisé en l’affaire
n’est rien moins qu’un fétiche, nous
sommes en présence d’un véritable
denkverbot (interdit de penser) qui va
bientôt prendre sa place dans la
subjectivation aux côtés du refoule-
ment, du déni et de la forclusion !
Pourquoi, dans ces conditions, vouloir
refonder ce qui ne sert plus, ce qui
n’est pas nécessaire à la prescription
médicamenteuse, ce qui est inutile –
voire nuisible – à la “réhabilitation”,
aux “groupes homogènes de
malades”, à la statistique, à ce qui
conduirait à penser qu’un psychotique
“n’est pas une personne présentant des
troubles de la série psychotique”
(rapport Piel et Roelandt) mais que
c’est quelqu’un qui fait vaciller notre
assurance à supposer un sujet ?
Alors pourquoi ?
Parce que c’est de notre fonction : “le
savoir psychiatrique s’est constitué là
où la médecine a estimé avoir quelque
chose à dire de ce que la culture à
laquelle elle appartient entend par
folie” (G. Lanteri-Laura).
Et si nous ne le faisons pas, qui le fera ?
Partant, qui pourra écouter, qui pourra
accueillir sans imposture cette parole
de la folie ?
Y aura-t-il autre chose que réduction
chimique et recherche de tranquillité
sociale ?
Et que sera cette société qui ne pourra
même plus se préoccuper de la ques-
tion de la liberté, de ses conditions, de
Petit discours préparatoire
à une refondation
J.P. Rumen*
* Psychiatre, Ajaccio.
Refonder la nosologie, trans-
former les classifications utili-
sées en psychiatrie, voilà beau
temps que nous en sentons la néces-
sité.
Mais il faudrait bien commencer...
C
Act. Méd. Int. - Psychiatrie (19), n° 3, mars 2002