Le Labyrinthe de la folie, Ethnographie de la psychiatrie en

Le Labyrinthe de la folie, Ethnographie de la psychiatrie en milieu ouvert et de la réinsertion
Extrait du Site officiel des Ceméa - Mouvement national d'éducation nouvelle
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Le Labyrinthe de la folie,
Ethnographie de la psychiatrie
en milieu ouvert et de la
réinsertion
- Pédagogie et Ressources - Répertoire de ressources (Archives) -
Date de mise en ligne : mars 2000
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Le Labyrinthe de la folie, Ethnographie de la psychiatrie en milieu ouvert et de la réinsertion
Sue Estroff est anthropologue. Elle a passé deux ans à vivre auprès de malades mentaux, pris en charge dans des
structures de milieu ouvert, à Madison dans le Wisconsin. Nous sommes en 1976-77, soit quinze années après les
expériences de Erwing Goffman (1961, rapportées dans Asiles Nrf) et celle de K. Kesey (1962, Vol au-dessus d'un
nid de coucou). Son témoignage nous parvient donc presque dix ans après sa parution aux presses de l'université
de Californie, grâce à la collection dirigée par Philippe Pignare aux éditions de l'Institut Synthélabo (traduction de
Françoise Bouillot). C'est dire la faible perméabilité de l'univers scientifique français à un travail ethnographique en
santé mentale Ces travaux sont pourtant rares. Celui de Sue Estroff surprend par sa modestie, son honnêteté, sa
lisibilité pour un ouvrage universitaire (qualité américaine que l'absence de tout jargon pseudo-professionnel). Il
surprend aussi par son actualité même dans la situation française. L'auteur n'a pas eu à faire un voyage exotique,
elle est allée à quelques kilomètres de son laboratoire pour partager des repas dans des cafétérias, assister à des
groupes d'affirmation sociale, bavarder dans des appartements, être mêlée à la vie d'une quarantaine de personnes
prises en charge dans des dispositifs de soin et de réhabilitation, alternatifs à une hospitalisation intra-hospitalière.
Non dissimulée dans son statut de témoin (ni soignante, ni soignée, elle s'explique sur les problèmes déontologiques
et scientifiques qu'elle a dû résoudre) elle a poussé la proximité compréhensive avec les patients jusqu'à
expérimenter la prise de psychotrope (fluphénazine) contrôlée sur elle-même. Cela n'était pas nécessaire pour
ressentir qu'à leurs cotés elle vivait dans un autre monde. Un monde paradoxal. Les médicaments soignent, mais
produisent des effets secondaires perceptibles par autrui et par la personne elle-même. Leurs dépendances «
grossissent les déficiences et la différence des clients à leur propre yeux et à ceux des autres ». Ils servent aussi de
trait identitaire entre patients ce qui referme le réseau des relations sociales. Leurs stratégies de subsistance, de
rapport à l'argent, au travail, au logement montrent qu'ils sont incapables, ou non désireux, de participer à une
économie fondée sur l'échange de travail de biens et de savoir contre une rémunération. Sue Estroff constate que «
ce qu'ils échangent (intentionnellement ou non) contre leurs salaires ce sont leurs handicaps, leurs diagnostics et
leurs déficits » ! Ainsi vécue de l'intérieur, la désinstitutionnalisation du soin psychiatrique n'atténue pas suffisamment
ce qu'Estroff appelle la « fabrication de la folie ». Elle en énumère de façon provocante quelques règles, soutenues
par son option théorique proche de l'interactionnisme symbolique : « Supposer que si vous ne prenez pas soin de
vous-mêmes, quelqu'un d'autre le fera. Supposer que vous allez échouer à peu près partout, sauf dans l'art d'être un
patient. Avoir peur d'aller mieux parce que.. » Tous ces « parce que... » font que les stratégies de soins en milieu
ouvert sont un catalogue d'échecs tant des personnes que du milieu socioculturel dans lequel elles évoluent. Une
minorité seulement arrivera « à mettre fin au confort et à la douleur de faire le fou » . Dans son épilogue, Estroff se
référant à Baxter et Hoper et à leur étude des milliers de sans-abris de New-York (1981) constate l'abandon des
malades mentaux par certaines politiques sociales restrictives (diminution des revenus minimums et des
appartements à loyer modérés). Elle critique la tentation de revenir à la ré-institutionnalisation psychiatrique qui ne
créera pas d'espace personnel et social pour les personnes pauvres, handicapées et fragiles. Son étude montre les
malades mentaux comme victimes (et acteurs) de processus sociaux complexes ; Les comparaisons interculturelles
(OMS 1973-75-79) montrent des différences négatives sur la chronicisation des maladies mentales entre pays
occidentaux et pays en développement (Inde, Colombie, Nigeria). Des études intra-culturelles courageuses comme
celle de Sue Estroff, malgré son évidente difficulté, devrait nous aider à comprendre et à agir pour atténuer ce qui «
fabrique la folie » et la pérennise. Une remarquable bibliographie anglo-saxonne complète cet ouvrage.
Serge Vallon
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