Pour vous, qu’est-ce qui reste essentiel ?
La meilleure thérapie consiste d’abord à prendre le temps de construire un lien, une
relation. La notion de transfert reste fondamentale : qu’est-ce que le patient
déclenche chez moi? A quelle place m’identifie t-il ? La psychanalyse a beaucoup
apporté à la psychiatrie. De nouvelles formes de soins apparaissent aujourd’hui et
sont intéressantes si le praticien et le patient se retrouvent dans une relation
constructive et si les querelles de clocher ne prennent pas le pas sur l’intérêt du
patient de bénéficier d’une offre de soin diversifiée, créative. Le meilleur thérapeute
est celui avec qui le patient se sent bien.
L’évaluation des différentes techniques de soin psychique est très utopique (qui
évalue quoi, avec quel outil ?), l’accès à un soin psychique relève souvent du
parcours du combattant pour le patient qui a du mal à se repérer dans les différents
soins proposés (psychanalyse, thérapies cognitivo-comportementales, thérapies
familiales, psychodrame, art thérapie, thérapies émotionnelles, etc).
Notre société, dans un souci de prévention, voudrait même prétendre repérer dès
leur plus jeune âge des enfants à risque, on pourrait ainsi essayer de repérer les
enfants qui deviendront des suicidants potentiels à l’adolescence, ceux qui
risqueraient de développer des troubles du comportement et des conduites, ceux qui
seraient de futurs délinquants, de futurs toxicomanes, pourquoi pas de futurs
cosmonautes ? Ce repérage précoce permettant alors la mise en place de soins
spécifiques adaptés qui pourraient permettre à l’enfant d’échapper à son destin.
Cette idée très simpliste dérivée de travaux scientifiques « vulgarisés » est typique
de notre époque qui voudrait pouvoir trouver des équations qui permettraient de
résoudre les problèmes de l’humain, sans tenir compte dans l’équation du caractère
très dangereux de cette malédiction qui viendrait dès l’âge de trois ans peser sur
certains enfants, « tu seras délinquant mon fils, le docteur me l’a dit quand tu avais
trois ans », ni de la complexité de l’humain qui heureusement vient tous les jours
nous surprendre, nous interpeller et qui rend notre métier si passionnant. Il n’y a pas
de « recette » pour soigner un enfant; des enfants qui ont toutes les raisons d’aller
très mal sur le plan psychique au vu de tous les traumatismes potentiels qu’ils
auraient subis, vont très bien, d’autres décompensent sans que l’on découvre de
facteur déclenchant prédictible. Ce qui me semble important c’est que la société
réfléchisse au sens de cette volonté de détecter et de prévenir très précocement les
troubles des enfants. Pourquoi créer ainsi des boucs émissaires ? Notre société
prétend-elle ainsi créer une société « normativée », d’adultes qui seraient tous en
bonne santé psychique ? Qu’elle réfléchisse aussi à la multitude de facteurs qui
jouent dans le déclenchement d’un trouble chez l’enfant ou chez l’adulte; cette
multitude de facteurs qui interagissent entre eux est telle que l’on ne pourra jamais
dire que le tout n’est que la somme des parties. Notre société est très souvent
préoccupée par la notion de rentabilité et notre médecine, y compris la psychiatrie
risque alors fort de ressembler à une nouvelle médecine de guerre, « je soigne
efficacement » celui qui a le plus de chance de retourner le plus vite au combat
économique, je veux « créer des adultes » qui seront rentables pour la société en
terme de productivité. Ces notions de rentabilité, d’efficacité si importantes dans une
société qui a tendance à tout vouloir poser en terme de prédiction, d’évaluation, sont
très éloignées des préoccupations du soin. Prendre soin psychiquement d’un enfant,
d’un adulte, c’est parier sur les capacités de cet enfant, de cet adulte à se réparer, ce
pari n’est jamais gagné, jamais sûr, mais celui qui prétend soigner n’a pas le droit de
définir des priorités, d’avoir des a priori aussi réducteurs que dangereux qui
l’empêcheraient de voir en l’enfant autre chose qu’un futur délinquant. Si l’adolescent