D'où provient notre clinique courante ?
Elle provient d’abord de tout le courant du XIXe siècle et du début du 20e où la
sémiologie des maladies mentales a connu un grand essor. Les auteurs classiques ont
défini de grandes entités cliniques avec leurs signes plus ou moins spécifiques et la
sémiologie que l'on trouve dans les grands traités
reste indispensable au repérage
courant. Cependant le grand essor des traitements médicamenteux, au-delà des
premiers jours, a transformé considérablement la sémiologie. Tous les signes sont
atténués et n'apparaissent plus dans leur clarté de l'époque pré-médicamenteuse.
Cette sémiologie s'est en outre constituée dans les conditions particulières de
l'observation au sein d'un asile fermé dans lequel les patients séjournaient très
longtemps voire même toute leur vie. Assistés, réduits à l'inaction, isolés de leur
famille et de leur milieu habituel, amical et professionnel, pris dans une structure
contraignante, parfois inhumaine, les patients évoluaient plus ou moins rapidement
vers des états déficitaires ou une radicalisation des symptômes qui justifiaient leur
hospitalisation au très long cours. Leur délire, par exemple était d'autant plus
florissant et pouvait se prêter à une description détaillée dont l'intérêt de nos jours,
s'est beaucoup amenuisé.
En effet, à partir des années 1960, s’est développée une clinique beaucoup plus
relationnelle qui a modifié notre façon de connaître les patients. La psychiatrie de
secteur a élargi le champ d’observation dans le temps mais surtout dans l’espace
relationnel des patients. Les intervenants psychiatriques, plus proches des malades,
peuvent les observer dans leur vie courante, dans leurs interactions avec leurs
familles et leur voisinage, parfois dans le milieu professionnel. Les rencontres avec la
famille, quand elle existe et qu’elle s’y prête, donnent des aperçus essentiels pour la
connaissance du malade et de son histoire. Les difficultés de gestion et de
maniement de l’argent, d’entretien du logement, les problèmes inhérents à l’activité
professionnelle, les effets de la conflictualité et du handicap psychique du patient sur
son univers matériel sont largement perçus, en particulier des assistantes sociales et
des infirmiers (ères) interviennent au domicile.
Si nous prenons au sérieux toutes ces observations nouvelles, il en résulte un
enrichissement de la clinique qui peut se formuler, se transmettre et qui modifie en
retour les réponses psychiatriques.
Cette nouvelle connaissance des patients a été enfin très enrichie par les expériences
et les écrits des psychanalystes anglo-saxons et européens. Le fondateur de la
psychanalyse, Sigmund Freud, dès les années 1905, espérait que les psychiatres se
saisiraient des nouvelles modalités de compréhension qu'il leur proposait. Dès le
début de son œuvre, il apporte de nouveaux éléments de compréhension des
psychoses dans les textes fondamentaux que sont le Président Schreber
, Pour
Manuel de Psychiatrie Henri Ey, P. Bernard et Ch. Brisset. Manuel de psychiatrie, 1967, 3e édition
revue et complétée
Freud S. (1911 c), Remarques psychanalytiques sur l’autobiographie d’un cas de paranoïa (le
Président Schreber), Cinq psychanalyses, trad. fr. M. Bonaparte, R. M. Loewenstein, Paris, PUF, 1977 ;
OCF.P, X, 1993 ; GW, VIII.