Unité mobile et unité fixe Soins palliatifs Gériatrie

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Gériatrie
Soins palliatifs
Unité mobile et unité fixe
Hôpital Sainte-Périne, AP-HP, seizième arrondissement de Paris.
Spécialité : gériatrie. On y compte 670 lits de moyen et long séjours,
dispersés dans plusieurs bâtiments. Nous franchissons l’enceinte
d’un grand mur qui sépare les vieillards de la vie du quartier.
A
u quatrième étage, le Dr Jean-Marie Gomas
nous attend. Il est coordinateur du Centre
Jane-Gatineau, siège de l’unité mobile de soins
palliatifs.
Il n’existe pas de comparaison possible entre une
unité fixe et une unité mobile de soins palliatifs.
L’unité fixe est « un lieu d’accueil hyperspécialisé
des malades les plus complexes : dans leurs symptômes douloureux, dans leurs conflits éthiques et/ou
psychologiques et/ou dans leurs situations familiales, explique le Dr Gomas. Ce n’est surtout pas
un mouroir. La preuve : les patients en fin de vie,
mais “moins complexes”, ne font pas l’objet d’une
orientation vers ce service très pointu.
A présent, pouvons-nous qualifier l’unité mobile
d’“équipe de prosélytes” ? Oui, en quelque sorte,
dès lors que ce prosélytisme reste professionnel, humain, laïque, décentralisé et républicain ». C’est
ainsi que l’“équipe volante” du Dr Gomas réunit
des consultants qui apportent un soutien, une
aide et/ou une expertise à l’équipe du service
qui a demandé leur visite auprès d’un de ses
patients.
Pour simplifier, on pourrait dire que toute difficulté de stratégie avec un malade en fin de vie est
une occasion pour que l’équipe du Dr Gomas
travaille avec l’équipe désarmée devant des souffrances : celle du vieillard et la leur.
« Nous contrôlons les symptômes de tous, réaffirmons le sens du soin et évacuons les difficultés stratégiques en nous fondant sur un arsenal de textes
éthiques, déontologiques, du serment d’Hippocrate à
la loi du 9 juin dernier, soit quelques siècles de
cohérence dans l’accompagnement médical. »
Pas de normalisation
sinon celle de l’entourage
Trop souvent, dès lors qu’il s’agit d’une personne
âgée, notre approche des soins palliatifs s’encombre de poncifs, moralement dangereux.
Pourtant, il faut éviter de brosser un “comportement type” face à la mort. Cependant, nous de-
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vrions nous résoudre à penser que, s’il existe une
palette d’attitudes récurrentes “révolte, déni,
marchandage avec sa maladie, désespoir”, cellesci s’appliquent dans le désordre, en fonction des
différentes étapes de l’agonie ou s’appliquent,
Être soignant en palliatif
Beaucoup de médecins s’enferment encore aujourd’hui dans la technicité : seuls importent les sondes
gastriques et les scores de souffrance. Le Dr Gomas
dénonce ce fait : « Aucune échelle ne pourra jamais
mesurer le désir de vie d’un patient. Alors, je
m’interroge sur les vraies valeurs : le sens de la vie,
le sens de la mort, l’amour. Je suis en perpétuel
questionnement ».
Ce n’est pas l’épreuve qui lui a fait “faire du soin
palliatif”, mais “la manière de métaboliser cette
épreuve”, qui l’a amené à soigner autrement les patients en souffrance.
Échelon individuel contre échelon collectif
La toute dernière position du Comité consultatif
national d’éthique (CCNE) concernant l’euthanasie
marque, selon le Dr Gomas à l’hôpital SaintePérine, une rupture avec toute la cohérence historique des textes d’éthique. Une première faille. « Il
y a confusion entre échelon individuel et échelon
collectif, tempête-t-il. Apparemment, on ne passe
pas de l’un à l’autre sans y perdre son âme, avec
celle du patient. » Chaque fin de vie est unique et
singulière. Personne ne pourra établir des “critères
d’exception” d’un “intolérable” qui restera toujours directement dépendant de la sollicitude et
du regard de l’entourage. « Ouvrir cette voie
conduira à une autre forme d’arbitraire encore plus
dangereuse pour la liberté et la dignité des personnes », souligne le Dr J.-M. Gomas dont le nom
est cité dans les annexes du rapport du CCNE
concernant l’euthanasie, le 13/03/00), dans un
communiqué de presse.
pour l’observateur (et non pour le patient), de
façon aléatoire.
En effet, « toute la vie d’un patient conditionne son
approche de la mort, synthétise le Dr Gomas. Et
plusieurs facteurs peuvent caractériser sa vie : sa
culture, son psychisme, ses relations, ses conflits parentaux, ses traces mnésiques, sa filiation familiale.
Une personne de 95 ans n’accepte pas systématiquement plus volontiers qu’un jeune patient l’arrivée
de sa fin de vie, rappelle le Dr Gomas. La peur n’a
pas d’âge, en somme. Mieux, la jeunesse n’a pas le
monopole de l’amertume face au point final. Même
si l’entourage du patient ne comprend pas que l’on
puisse être vieux, incontinent, sans plus un cheveu
sur la tête ET avoir du désir pour la vie. C’est, en
réalité, en fonction de sa propre appréhension de la
vieillesse qu’il suppose la situation “intenable”, y
compris pour un parent proche.
Or, qui sait mieux que ce “patient décrépi” combien
il tient à la vie, coûte que coûte, au point d’élaborer
parfois un mécanisme subtil de défense psychique, la
démence, au risque d’y sombrer pour de bon ? »,
poursuit le médecin.
L’archétype de ses vingt ans
Si, aux yeux du Dr Gomas, la vieillesse est très
souvent difficile, il reproche au grand public de
ne pas oser se demander pourquoi. Pour le praticien hospitalier, « il faut s’abstenir de toute langue
de bois et se poser les vraies questions : Est-ce que ma
vie n’existe que parce que je suis beau, désirant ?
Faut-il, comme condition au bien-être, ressembler à
l’archétype de ses vingt ans ? » Vingt années de pratique clinique laissent penser au Dr Gomas
qu’une vieillesse bien vécue est possible. Même
s’il convient que « vieillir, c’est souvent le handicap,
qui est toujours un peu triste », mais il répète avec
force « qu’on peut être vieux, incontinent, sans plus
un cheveu et avoir encore du désir ».
Fabienne Ausseré
Euthanasie
Le point de vue Jalmalv
La question de l’euthanasie est désormais bel et bien posée.
Le rapport “Fin de vie, arrêt de vie, euthanasie” du CCNE
(Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie
et de la santé) a été rendu public. Il a le mérite de soulever l’ambiguïté
de situations complexes que l’infirmière est souvent seule à gérer.
L
e Pr René Schaerer, président de la Fédération Jalmalv (1) et oncologue au CHU de
Grenoble, a salué « la position ferme prise contre
l’acharnement thérapeutique » et « la référence faite
au principe d’autonomie du patient » (2). Ce document reconnaît qu’il existe une pratique illicite,
mais réelle, de l’euthanasie dans notre pays. Les
juges ont, il est vrai, de la peine à lui donner une
qualification. Il existe en outre une forte demande dans l’opinion en faveur du caractère légitime de l’euthanasie volontaire.
« La question qui se pose dès lors est de savoir,
d’une part, si l’exception d’euthanasie que propose
le rapport du CCNE est de nature à régler ce qu’il
nomme le décalage trop important entre les règles
affirmées et la réalité vécue, dit le Pr Schaerer. Il
s’agit, d’autre part, de savoir si elle répond aux
attentes des partisans d’une législation ou d’une
dépénalisation. »
Pour Jalmalv, la question est à poser autrement.
« La mort est un événement de la vie qui peut laisser de nombreuses séquelles auprès des soignants,
dit Monique Roussel, cadre infirmier, membre
du comité de rédaction de la revue de Jalmalv.
Les deuils passés sous silence génèrent des troubles
psychiques et physiques. Il faut du temps pour restaurer l’équilibre perdu. Il arrive que les infirmières aient tendance à banaliser ou à refuser de
reconnaître l’importance de ce qu’elles vivent à ce
propos. Le stress est pourtant énorme... Il serait
souhaitable que les soignants paramédicaux et
médicaux proposent des pistes de réflexion, créent
des groupes de parole informels ouverts à tous
et évaluent les besoins en formation avec ●●●
25
10
es
“Ensemble,
donnons
du sens au soin”
Cité
des Sciences
et de l’Industrie
La Villette
Paris
21-22 novembre 2000
Une formation complète
pour une application immédiate au quotidien
Matin
LES CONFÉRENCES
1 conférence au choix
Pré-programme
Chaque journée est conçue en deux sessions distinctes et complémentaires :
LE MATIN : la conférence plénière pour une formation scientifique
“la recherche, l’actualité thérapeutique, les pratiques de soins...”
et aussi “les nouvelles orientations de la profession...”
LES ATELIERS
DE FORMATION
2 ateliers au choix*
L’APRÈS-MIDI : les ateliers pratiques sur les soins quotidiens.
CANCÉROLOGIE
RESPONSABILITÉ
C
R
La recherche
et l’actualité thérapeutique
Les plaies cancéreuses
Les soins palliatifs
La prise en charge à domicile
La qualité de vie et la douleur
CA1
CA2
CA3
CA4
RA1
RA2
NEUROLOGIE
N
NA1
NA2
NA3
NA4
DOULEUR
BA3 La douleur postopératoire
BA4 Les dispositifs et le matériel
Mardi 21 novembre
RA3
RA4
La recherche
et l’actualité thérapeutique
La sclérose en plaques
La maladie de Parkinson
L’hygiène et la prise en charge
des blessés médullaires
(pansements, incontinence...)
L’Alzheimer
D
L’évolution de la responsabilité
est-elle compatible avec les risques
nécessaires à la pratique soignante ?
La surveillance du malade
et le respect de ses libertés
La gestion de l’écrit
dans la pratique soignante
Les droits de l’enfant
L’information préalable
et le consentement
Mercredi 22 novembre
Les différents axes
de la chirurgie
BA1 L’hygiène et la stérilisation
BA2 L’anesthésie
DA1
DA2
DA3
DA4
Les différentes perceptions
de la douleur selon que l’on soit
soignant ou soigné
La douleur de l’enfant
La douleur en rhumatologie
La douleur dans le soin des plaies
La douleur chez le brûlé
PSYCHIATRIE
P
PA1
PA2
PA3
PA4
Les nouvelles orientations
des soins
Les soins dans l’urgence
La précarité et l’exclusion
Les violences subies par l’enfant
Faire face à l’agression
GÉRIATRIE
ÉVOLUTION
PROFESSIONNELLE
G
E
BLOC
B
Après-midi
GA1
GA2
GA3
GA4
La prise en charge
de la personne âgée
(à domicile, handicap, démence...)
Les droits des personnes âgées
La violence en institution
La nutrition
L’hygiène et la qualité de vie
EA1
EA2
EA3
EA4
Comment le “social” a transformé
la prise en charge du patient
L’avenir de la profession libérale
Vers une spécialisation des soins
Pourquoi appartenir à un réseau ?
Les nouvelles technologies
au service des soignants
✁
BULLETIN D’INSCRIPTION
M., Mme, Mlle :
Adresse :
Ville :
A retourner à CDTM Éditions, 62-64, rue Jean-Jaurès, 92800 Puteaux
Tél. : 01 41 45 80 00 - Fax : 01 41 45 80 45
Prénom :
Tél. :
Cochez par ordre de préférence de 1 à 4
les ateliers auxquels vous souhaitez assister.
* Nous tenterons de respecter vos choix d’ateliers en fonction des impératifs horaires et du nombre limité de places.
Mardi 21 novembre
La conférence
□C
Cancérologie :
□ N Neurologie :
□B
Bloc :
□R
Responsabilité :
Mercredi 22 novembre
□ G Gériatrie :
□ D Douleur :
□P
Psychiatrie :
□E
Évolution professionnelle :
Les ateliers
□ CA1 □ CA2
□ NA1 □ NA2
□ BA1 □ BA2
□ RA1 □ RA2
□ CA3
□ NA3
□ BA3
□ RA3
□ CA4
□ NA4
□ BA4
□ RA4
□ GA1
□ DA1
□ PA1
□ EA1
□ GA3
□ DA3
□ PA3
□ EA3
□ GA4
□ DA4
□ PA4
□ EA4
□ GA2
□ DA2
□ PA2
□ EA2
Pratique : □ hospitalière □ libérale □ autres :
Code postal :
Fax :
Droit d’inscription
1 jour
2 jours
Établissement :
110 F (90 F)
200 F (160 F)
Individuel :
60 F (50 F)
100 F (80 F)
Je suis : abonné à Professions Santé infirmier-infirmière
ou salarié APHP :
40 F (30 F)
60 F (50 F)
Étudiant :
1 jour offert
60 F (50 F)
Inscription avant le 30 juin 2000 : prix rouges
MODE DE PAIEMENT
❑ par virement bancaire à réception de facture
(réservé aux établissements, merci de nous adresser un bon de commande)
❑ par chèque (à l’ordre de CDTM Éditions)
❑ par carte Visa,
No
Eurocard Mastercard
Signature :
Date d’expiration :
Gériatrie
●●● l’institution (3). » Elle rappelle le rôle que
doit jouer, dans le cadre du projet de service,
l’élaboration du plan de formation continue
des agents hospitaliers. « Il est essentiel de créer
des espaces de parole sur le lieu de travail, afin que
les soignants verbalisent leur souffrance pour se
décharger, pour se ressourcer, dit-elle. Il est important de les aider à se développer sur un plan
personnel, guidés par des psychologues. C’est d’autant plus urgent que l’actuelle réflexion éthique, au
niveau des services, va porter sur l’euthanasie,
l’acharnement thérapeutique et le soulagement de
la douleur. »
« Il faut poursuivre l’effort entrepris de formation “à
l’éthique et aux soins palliatifs”, selon le président
de Jalmalv, mais aussi ouvrir des temps réguliers de
réflexion en équipe sur la fin de vie des malades, et
rappeler que l’euthanasie est un homicide », comme
le fait le CCNE.
Une part de l’opinion serait hantée par la peur de
la démence. Or, « jamais, dans ce pays, la démence, en tout cas pas la démence seule ou la démence à son début, dit-il, ne constituera, pour une
équipe gériatrique ou un médecin, l’argument suffisant d’une exception d’euthanasie ».
Jalmalv reste opposée à la dépénalisation “du
suicide médicalement assisté”. Celle-ci peut poser un problème insoluble. Quand la souffrance
Qu’est ce que l’euthanasie ?
Le mot euthanasie vient du grec (eu/thanatos) qui
veut dire mort douce et sans souffrance. Ce mot a
évolué en prenant des significations différentes
selon la subjectivité de chacun.
L’euthanasie consiste à « administrer volontairement à un malade, à un handicapé ou à un blessé
incurable, dans le but d’abréger la durée de sa souffrance, une drogue ou un produit toxique qui met
rapidement fin à sa vie, selon le Pr Schaerer, président de la Fédération Jalmalv. L’euthanasie est dite
volontaire quand elle répond à la demande d’un
patient et involontaire quand elle est réalisée sans
qu’il l’ait demandée. Mais « l’arrêt de soins disproportionnés ou superflus et l’administration de médicaments qui soulagent, comme la morphine,
n’ont rien à voir avec l’euthanasie », même « si un
usage malencontreux a parfois désigné de tels actes
comme une euthanasie “passive” ; même si, dans
les situations que vivent les soignants, la distinction
est parfois difficile à faire entre un acte volontaire
qui tue et un acte de soin authentique ».
28
© Alix-Phanie
Une formation nécessaire
pousse en effet une personne à demander la
mort, « aucun médecin, aucune équipe n’est apte à
juger la souffrance d’une personne supérieure ou inférieure à celle d’une autre qui pousserait le même
cri dans d’autres circonstances ».
Mais reconnaître une parole comme légitime ne
signifie pas l’exécuter à la lettre. « On sait, par
exemple, qu’une demande de mort, même réitérée,
précise le Pr Schaerer, n’est jamais tout à fait à
sens unique et qu’elle exprime aussi, au même
moment, le désir de vivre, d’être soulagé, d’être
reconnu comme personne vivante. » Jalmalv propose qu’il n’y ait pas d’exception de l’euthanasie. « Si le malade exprime librement sa demande de mort à un médecin qui, de son côté, lui
répond librement, les yeux dans les yeux, qu’il ne
fera pas cet acte, l’un et l’autre restent ou redeviennent des sujets capables de chercher ensemble
une issue, dit-il. L’issue ne réside pas dans une
solution professionnelle ou technique, mais dans un
engagement de fidélité réciproque à vivre le temps
qui reste à vivre dans une relation de vérité. Les
solutions techniques, dont les soins palliatifs font
partie, sont utilisées alors, non comme des antidotes
de la demande, mais comme des réponses aptes à
soulager, chargées du seul sens que le malade et son
médecin ont décidé de chercher ensemble. »
M.B.
(1) La Fédération Jalmalv regroupe une soixantaine d’associations régionales. Jalmalv (Jusqu’à la mort accompagner
la vie), 132, rue du Faubourg-Saint-Denis, 75010 Paris.
Tél. : 01 40 35 89 40.
(2) “Pourquoi je dis non à l’exception euthanasique”, Pr René
Schaerer, 7 mars 2000.
(3) “Entre vie et mort”, Parigot C., Poulet J., Roussel M., revue
de la fédération Jalmalv, mars 1999, n° 56, pp. 21-25.
Maltraitance
La fin des tabous ?
Dix ans après la levée du tabou sur la maltraitance
des enfants, le silence entourant celle
infligée aux personnes âgées s’estompe.
Un premier colloque national s’est tenu à Évry,
sous l’égide du Conseil général de l’Essonne, fin 1999.
L
e Conseil général est engagé dans un vaste
programme de formation de tous les personnels travaillant auprès des personnes âgées,
ainsi que dans une campagne de sensibilisation.
L’affiche a fait scandale. Elle représentait deux
écuelles sur un sol carrelé. L’une destinée à “Rex”,
l’autre à “Mamie”. Le numéro de téléphone de
l’Association gérontologique de l’Essonne était
indiqué sous les mots “Maltraitance des personnes âgées”. L’association a été submergée
d’appels pendant des semaines.
De son côté, l’Unesco a donné un large retentissement à ce thème en organisant le symposium
“Maltraités et maltraitants en institutions gérontologiques” le 10 février 2000. « On ne compte
plus les demandes de formation qui nous sont
adressées sur ce thème », constate le Pr René
Hugonot, président de l’association Alma (Allô
maltraitance des personnes âgées). En 1990, il
fut le premier en France à rompre la loi du silence, devant l’Académie de Médecine. Son intervention fit scandale. Le Pr Hugonot est aussi
le fondateur d’Alma, créée fin 1994, au sein de
la commission “Droits et libertés des personnes
âgées” de la Fondation nationale de gérontologie
à la suite d’expériences et d’enquêtes sur la maltraitance menées auprès des médecins, des soignants et des familles. Cette association a mis en
place, en France, un réseau d’écoute de la maltraitance envers les personnes âgées.
Que l’on soit la victime, un proche ou encore un
soignant, que la situation concerne la famille ou
une institution, il est possible de la contacter,
notamment par téléphone, de parler des questions de maltraitance et d’envisager la marche à
suivre. Alma compte aujourd’hui huit antennes
en France. « Chaque antenne d’Alma est animée
par des bénévoles, d’une part, c’est-à-dire des écoutants formés, et par divers types de professionnels,
d’autre part, auxquels ces bénévoles peuvent se
référer », explique Françoise Busby, responsable
de l’association Alma. A travers ce dispositif,
l’écoute offerte peut même être accompagnée
d’une aide, d’un soutien psychologique en fonction de la détresse exprimée et d’un suivi.
Le soignant face à sa vieillesse
Récemment, Françoise Busby, intervenant auprès d’un groupe d’élèves aides-soignants, leur
demandait s’ils avaient “déjà vu ou entendu des
choses” qu’ils considéraient comme de la maltraitance (1). Cette question suffit à provoquer
les témoignages de la quasi-totalité des participants. Certains font apparaître de la méchanceté
pure et simple. Tous suscitent l’émotion des soignants. Ainsi, Amina a retenu de son stage en gériatrie le calvaire de « cette grand-mère qui avait
trompé son mari et culpabilisait terriblement de ne
pas lui avoir dit avant sa mort. L’équipe soignante lui
rappelait constamment cette histoire, dit-elle. Elle
en pleurait dès le matin. » D’autres cas cités sont
aussi à la limite de la cruauté.
Il faut cependant redire qu’il est difficile, pour
deux soignants, d’aider 30 patients lorsque 60 %
d’entre eux sont très dépendants pour réaliser
tous les actes de la vie, même les besoins les plus
simples. Ainsi, des questions d’effectifs et de
temps peuvent empêcher d’accompagner aux
toilettes les personnes qui marchent lentement.
L’enseignement dispensé aux aides-soignantes
spécifie qu’il faut trente minutes pour faire une
toilette en écoutant et respectant la personne,
notamment sa pudeur. Mais une étude rapporte
la souffrance des patients et des soignants dès
lors qu’il n’est possible de consacrer que trois à
douze minutes par personne (2). En outre, la
taille des chambres, en France, est beaucoup
trop petite, en cas de chambre à deux lits ou
plus, pour pouvoir respecter la pudeur en utilisant des rideaux ou des paravents (3).
Zohra cite enfin l’exemple de la “salle des
mixés”, où mangent ceux qui ne peuvent plus
mâcher. « On mélange purée et dessert pour
que cela aille plus vite, sous prétexte qu’ils ●●●
29
Gériatrie
n’auraient plus de goût, dit-elle. Et quand ils n’en
veulent pas, c’est tant pis, on ne leur propose rien
d’autre. » Peut-on s’étonner, dès lors, que les
études montrent que la moitié des personnes
âgées en institution sont dénutries ? Encore des
questions de temps ! « S’il faut faire manger
15 personnes sur 30, il est difficile de consacrer plus
de 5 minutes à chacune ».
Mais le manque de temps n’explique pas tout.
Les quelques minutes consacrées, si elles sont
de qualité, notamment accompagnées d’empathie, peuvent changer notablement le soin qui
devient alors un échange. Même s’il est particulier chez les personnes séniles, il existe toujours.
La formation est nécessaire. Car, en gériatrie
surtout, la technicité seule est un leurre. Le soignant formé, auquel on a appris à réfléchir sur
l’effet de la vieillesse sur sa propre personne,
portera un regard tellement différent que son
soin participera à son enrichissement personnel.
Cela de telle façon que, si l’on interroge des
soignants formés en gériatrie, venus souvent
par hasard dans ce domaine, ils expriment leur
volonté d’y rester.
M.B.
(1) “Un quotidien fait de petites violences ou de vraies horreurs”, de Pascale Krémer, Le Monde du 5 janvier 2000.
(2) Pratiques de l’ergonomie à l’hôpital, de R. Villate et coll.,
Interéditions, 1993.
(3) Voir à ce sujet les nouvelles normes concernant l’architecture des chambres au Québec dans Ergonomie hospitalière,
théorie et pratique de Madeleine Estryn-Béhar, éd. Estem,
1996, p. 82 à 84 et p. 519 à 522.
La violence et l’institution
Aujourd’hui président d’Alma, le Pr Hugonot fut, en 1965,
nommé chef de service de gériatrie aux hôpitaux de Grenoble.
Il souligne les domaines et les choix déterminants
pour réduire la violence exercée contre les personnes âgées.
La prévention de la violence en établissement débute-t-elle dès le choix du site ?
Pr René Hugonot : Bien sûr. Nous recommandons
depuis longtemps de ne pas construire des établissements pour personnes âgées loin des villes.
Beaucoup ont tout de même été construits dans
des sites reculés. Cela convient peut-être aux
familles, à qui cela donne l’occasion, lors d’une
visite, de se promener à la campagne. Cependant,
les personnes âgées profitent peu de l’environnement et se trouvent éloignées de leurs proches.
Existe-t-il d’autres caractéristiques de taille
ou d’organisation auxquelles il faut être
attentif ?
Pr R.H. : On bâtit souvent des établissements trop
importants. Une chaîne française a construit des
établissements d’une capacité de 120 personnes
destinés à des patients souffrant de maladie d’Alzheimer. Ceux-ci sont nombreux, mais pas au point
de remplir aisément une structure de cette importance. Cela conduit, de nouveau, à drainer des patients issus d’une zone géographique souvent trop
large, alors que les enfants ne sont déjà pas “très
chauds” pour ces visites obligées.
30
Ne trouvant pas assez d’Alzheimer, de tels établissements prennent en outre des sujets souffrant d’autres maladies, même s’ils sont atteints,
par exemple, de délire paranoïaque. Or, des patients souffrant de maladie d’Alzheimer et vivant
ensemble atteignent un bon degré de socialisation. Ils ne se rejettent pas les uns les autres. En
revanche, des personnes souffrant de troubles
psychologiques forts et anciens, font fréquemment l’objet d’un rejet important. Souvent, les
personnes âgées à “cerveau clair” et leurs familles
ne supportent pas les plus fragiles. L’institution
elle-même est tentée de mettre les plus agités à
part afin de les préserver de la “vindicte des
autres”. Les erreurs de conception des institutions, ici en matière de taille d’établissements,
font aussi partie de la maltraitance.
Des erreurs sont-elles aussi faites en matière
de ressources humaines ?
Pr R.H. : N’importe qui peut devenir directeur
de maison de retraite aujourd’hui ! Il existe
pourtant des exigences importantes pour les
directeurs de maisons de l’enfance... Heureusement, de plus en plus d’établissements exigent
de leurs directeurs une formation préalable.
Mais ils privilégient l’équilibre financier de ces
établissements, et préfèrent un administrateur
ayant suivi une formation en gestion ! Les
autres compétences sont considérées comme
secondaires... On voit même des établissements gériatriques éviter d’engager des médecins gériatres, afin d’embaucher à leur place un
médecin sans formation en gérontologie et
ayant un œil moins critique.
Quant aux infirmières, on en engage le moins
possible parce qu’elles coûtent cher. On préfère
engager des aides-soignantes à leur place ou bien
faire venir une infirmière libérale “en cas de besoin”. Cela suscite des glissements de tâches ! On
découvre alors que celles des médecins sont
faites par les infirmières. Les tâches des infirmières sont accomplies par des aides-soignantes,
et les leurs sont effectuées par du personnel de
service. Or, ce qui manque pour prévenir la maltraitance, c’est la formation. Les améliorations
sensibles que l’on a pu observer depuis quinze
ans en matière de maltraitance en institution sont
directement liées à l’embauche de directeurs et
de personnels compétents. Il faut y ajouter la
mise en place d’un véritable travail en équipe
dans les unités, permettant d’aborder les difficultés ou les cas de patients parfois rouspétants,
grincheux, voire agressifs.
Propos recueillis par
Richard Belfer
La famille souvent responsable
S
elon un bilan d’Alma, sur 3 000 dossiers,
une moitié des appels concerne une situation de maltraitance ; l’autre moitié les conseils
juridiques ou généraux. Les maltraitances financières (32 % des cas exposés) se traduisent par
des utilisations de chéquiers, des héritages anticipés ou spoliations d’argent, de biens mobiliers
et immobiliers, une vie aux crochets de l’aïeul.
Les maltraitances psychologiques (30 % des cas)
prennent diverses formes : paroles dévalorisantes, menaces de mettre à la porte ou de priver de visites ou de l’affection des petits-enfants,
humiliations, infantilisations.
Viennent ensuite les maltraitances physiques
(14 %), les négligences actives (6 %) et passives
(3 %), qui concernent l’aide à la vie quotidienne (lever, coucher, toilette, repas, marche...), les maltraitances civiques (3 %) et médicamenteuses (2,5 %).
Les maltraitances exercées à domicile (70,5 %)
sont plus souvent citées que les maltraitances en
institutions (29,5 %), lesquelles augmentent depuis 1996. Trois victimes sur quatre sont des
femmes (75 %), souvent veuves et vivant en famille. Quant aux hommes (25 %), ils sont mal-
traités par la conjointe, un membre de la famille
ou par une tierce personne, compagne “de
quelque temps”. Parmi les maltraitants désignés,
la famille reste la plus citée lors des appels
(59 %), suivie des voisins (17 %), des soignants
à domicile ou en institution (12 %) et d’autres
protagonistes (12 %), tels que directeurs de maison de retraite, tuteurs, banquiers, élus...
Permanence des huit antennes d’Alma
Chacune des huit antennes d’Alma offre au
moins deux demi-journées de permanence par
semaine.
Les appels proviennent en général de la région,
voire d’une région voisine.
Bordeaux
: 05 56 01 02 18
Grenoble
: 04 76 01 06 06
Limoges
: 05 55 79 60 88
Mulhouse
: 03 89 43 40 80
Montpellier : 04 67 04 28 50
Reims
: 03 26 88 10 79
Saint-Étienne : 04 77 38 26 26
Strasbourg : 03 88 41 91 69
M.B.
Briser le carcan de l’âge pour vivre harmonieusement en institution
Pour Pascal Champvert, le carcan de l’âge n’existe pas seulement chez les personnes âgées. « Toute la société
fonctionne en vase clos. L’école en est un exemple frappant. Ce sont des personnes qui ont le même âge et qui
exercent les mêmes activités ». Afin de brasser les générations, une initiative intéressante a été prise dans la
résidence de l’Abbaye à Saint-Maur et la résidence des Bords-de-Marne à Bonneuil. Une halte-garderie
accueillant des enfants de 18 mois à 3 ans a été aménagée dans chacune des résidences. Des activités sont
organisées, mettant en relation les personnes âgées et les jeunes enfants. Des échanges privilégiés se créent
respectivement dans chaque lieu, permettant un éveil particulier tant chez les enfants que chez les adultes.
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