Revue de presse Revue de presse Après la kétamine… la gabapentine Une meilleure connaissance des mécanismes de la douleur périopératoire et de la genèse – précoce – des phénomènes d’hyperalgésie a conduit à proposer depuis ces deux dernières années une assez large indication des faibles doses de kétamine dans divers types de chirurgie. La connaissance des mécanismes de sensibilisation périphérique et centrale d’une part, d’hyperalgésie d’autre part devait donc logiquement conduire à s’interroger sur le rôle possible des médicaments qui bloquent le canal sodique TTX-résistant dont l’expression augmente lors des phénomènes de sensibilisation (up-regulation). Le type même de ces agents est la gabapentine, dont l’indication initiale reste l’épilepsie, mais qui est déjà très largement utilisée dans la prise en charge des douleurs neuropathiques chroniques. Quatre études récentes, trois turques et l’une émanant de l’équipe danoise bien connue de J.B. Dahl, se sont attachées à préciser son rôle potentiel dans le cadre de la douleur et de l’analgésie périopératoires dans divers types de chirurgie. Dierking G et al. Effects of gabapentin on postoperative morphine consumption and pain after abdominal hysterectomy: a randomized, double-blind trial. Acta Anaesthesiol Scand 2004;48:322-7. Quatre-vingts patientes devant subir une hystérectomie par voie haute ont été réparties en deux groupes pour recevoir, une heure avant la chirurgie, une dose unique de 1 200 mg de gabapentine ou un placebo. En postopératoire, les patientes recevaient le placebo ou une dose de 600 mg de gabapentine aux 8e, 16e et 24e heures. En outre, toutes les patientes avaient à disposition une pompe d’analgésie autocontrôlée (morphine i.v.). La gabapentine a permis de réduire la dose de morphine consommée pendant 24 heures de 63 à 43 mg (p < 0,001). Il existait par ailleurs, entre 0 et 2 heures d’une part et 0 et 4 heures d’autre part, une corrélation inverse entre les taux plasmatiques de gabapentine et la consommation de morphine. Aucune différence n’était retrouvée entre les deux groupes en termes d’effets adverses. Au total, l’administration d’une dose de 3 000 mg de gabapentine a permis de réduire de 32 % la consommation de morphine des 24 premières heures sans altérer la qualité de l’analgésie, ni modifier l’incidence des effets adverses. L’étude, même si elle ne révolutionne pas pour l’heure les modalités d’analgésie, confirme 124 Le Courrier de l’algologie (3), no 4, octobre-novembre-décembre 2004 donc le concept d’hyperalgésie périopératoire précoce et l’intérêt potentiel d’inclure un volet “antihyperalgésique” dans nos stratégies de prise en charge de la douleur périopératoire. Turan A et al. The analgesic effects of gabapentin after total abdominal hysterectomy. Anesth Analg 2004;98:1370-3. Dans cette étude contrôlée et menée prospectivement, les patientes recevaient par voie orale, une heure avant la chirurgie, un placebo ou une dose de 1 200 mg de gabapentine. L’anesthésie était conduite à l’aide de propofol, sévoflurane et fentanyl. En période postopératoire, toutes se voyaient mettre à disposition une pompe pour analgésie intraveineuse autocontrôlée par tramadol (dose de charge de 50 mg, bolus de 20 mg, période d’interdiction de 20 minutes et dose limite/4 heures 300 mg ; bolus augmenté à 30 mg en cas d’analgésie insuffisante au-delà de la première heure). Les scores de douleur, évalués par EVA en décubitus dorsal et en position assise, étaient significativement abaissés dans le groupe gabapentine jusqu’à la 20e heure postopératoire par comparaison au groupe placebo. De même, les consommations de tramadol aux 12e, 16e, 20e et 24e heures ainsi que la consommation totale étaient significativement réduites dans le groupe traité préventivement par la gabapentine. Les scores de sédation étaient identiques dans les deux groupes, ainsi que l’incidence des effets adverses. Turan A et al. The analgesic effects of gabapentin in monitored anesthesia care for ear-nose-throat surgery. Anesth Analg 2004; 99: 375-8. Cinquante patients devant subir une rhinoplastie ou une chirurgie endoscopique des sinus sont répartis par tirage au sort en deux groupes dont le premier reçoit, une heure avant la chirurgie, une dose de 1 200 mg de gabapentine et le second un placebo. Pendant la chirurgie, une sédation par propofol est maintenue, et adaptée au score de Ramsay. Le diclofénac (75 mg) par voie intramusculaire est l’analgésique “de secours” en cas d’insuffisance analgésique. La consommation analgésique peropératoire (fentanyl, 122 ± 40 µg vs 148 ± 22 µg, p < 0,05) et les scores de douleur postopératoires étaient significativement abaissés dans le groupe gabapentine. Le délai de première demande analgésique était également allongé de manière significative dans ce groupe par comparaison au groupe placebo (9 ± 7 h vs 18 ± 9 h, p < 0,001). Parallèlement, l’incidence de la somnolence était plus élevée (24 % vs 4 %) dans le groupe traité. Ce point pourrait évidemment s’avérer gênant dans le cadre d’actes de chirurgie ambulatoire. Turan A et al. Analgesic effects of gabapentin after spinal surgery. Anesthesiology 2004;100:935-8. Se référant à la démonstration expérimentale, chez l’animal comme chez l’homme, d’une synergie analgésique entre la morphine et la gabapentine, les auteurs se sont proposé d’examiner l’intérêt potentiel de la gabapentine dans le cadre de la chirurgie rachidienne. Cinquante patients étaient ainsi répartis par tirage au sort en deux groupes dont le premier recevait, une heure avant la chirurgie, une dose de 1 200 mg de gabapentine et le second un placebo. Après induction par propofol et curarisation par cisatracurium, l’anesthésie générale de ces patients était entretenue par sévoflurane et rémifentanil. En période postopératoire, l’analgésie était assurée par une analgésie morphinique intraveineuse contrôlée par le patient. Les scores de douleur à 1, 2 et 4 heures étaient significativement abaissés dans le groupe gabapentine, ainsi que la consommation de morphine en PCA (16,3 ± 8,9 mg vs 42,8 ± 10,9 mg, tandis que l’incidence des vomissements et des rétentions aiguës d’urine étaient significativement plus importante (p < 0,05) dans le groupe ayant reçu le placebo. Au total, ces quatre études confirment l’intérêt d’une administration préopératoire de gabapentine, agent antihyperalgésique, pour améliorer la qualité de l’analgésie et réduire la consommation analgésique, et corrélativement pour diminuer l’incidence de certains effets adverses dose-dépendants des morphiniques. E.Viel Fortes doses de morphiniques à domicile : pas d’appréhension si le traitement est justifié ! L’emploi des morphiniques à forte dose en situation palliative est souvent confronté à une appréhension liée au suivi des effets indésirables et de la tolérance. Pour voir si la qualité de vie des patients recevant de fortes doses de morphiniques en phase palliative est différente de celle des patients recevant des doses moyennes, cette étude a repris les dossiers de 661 patients traités à domicile ou en maison de retraite pour des douleurs d’origine cancéreuse. Quatre-vingt-onze pour cent des patients recevaient moins de 300 mg de morphiniques par jour, 7,4 % d’entre eux en recevaient entre 300 et 600 mg, et seulement 1,4 % en recevaient plus de 600 mg par jour. Les doses étaient inversement proportionnelles à leur âge, et les hommes recevaient en moyenne des doses plus élevées que les femmes. L’origine des douleurs du groupe fortes ou très fortes doses venait surtout des métastases osseuses, des cancers gastro-intestinaux, des cancers pulmonaires et des cancers ovariens. L’intérêt de l’étude est de montrer qu’il n’y a pas de différence dans l’apparition et l’intensité des effets indésirables entre les groupes recevant de petites doses, des doses moyennes ou de fortes doses. La médiane de survie des patients sous fortes doses était légèrement plus élevée que celle du groupe doses moyennes. Les auteurs constatent donc que l’utilisation de fortes doses de morphine à domicile en situation palliative dans le cadre de douleurs cancéreuses ne doit pas être une barrière. Les règles de prescriptions et de gestion des effets indésirables, associées à une évaluation périodique, permettent une utilisation en toute sécurité. L’emploi de PCA à domicile a permis d’offrir un meilleur confort aux patients dont les douleurs requièrent des doses très importantes de morphiniques. Revue de presse Revue de presse L. Labrèze, F. Lakdja Bercovitch M et al. Patterns of high-dose morphine use in a home-care hospice service: should we be afraid of it? Cancer 2004;101(6):1473-7. Prise en charge des métastases osseuses douloureuses L’éditorial du British Medical Journal du 9 octobre 2004 consacre une revue synthétique des modalités de prise en charge des métastases osseuses douloureuses, notamment au Royaume-Uni. Deux modalités sont maintenant bien développées : la radiothérapie externe et les biphosphonates. La radiothérapie ne montre pas de différence significative sur la réduction des douleurs qu’elle soit délivrée en une fraction (8-10 Gy) ou en plusieurs (20-30 Gy en 5-10 fractions). Cette réduction est complète chez un tiers des patients traités et est significative chez plus de 60 % d’entre eux. L’intérêt majeur de cette technique applicable sur les tumeurs isolées est de prévenir les fractures pathologiques et les compressions spinales. Pour cette dernière pathologie, l’auteur insiste sur l’urgence d’une IRM associée à la radiothérapie si des signes nouveaux de douLe Courrier de l’algologie (3), no 4, octobre-novembre-décembre 2004 125 Revue de presse Revue de presse leur neuropathique périphérique apparaissent. Les biphosphonates sont les produits les plus utilisés en cas de tumeurs multiples. Leur emploi précoce permet de limiter le risque de fracture pathologique, l’utilisation de la radiothérapie palliative, le risque d’hypercalcémie et le besoin de chirurgie orthopédique. En revanche, ils ne préviennent pas le risque de compression médullaire. Le pamidronate est actuellement le plus utilisé, et le zelodronate et l’ibandronate sont l’objet d’études récentes. La bibliographie complète propose les articles marquants les plus récents sur ce sujet. L. Labrèze, F. Lakdja Dewar JA. Managing metastatic bone pain. Br Med J 2004;329:812-3. Contre la culture de “l’opiophobie” La publication récente, par la Société britannique de la douleur (UK’s Pain Society) et par les Royal Colleges d’anesthésie, de médecine générale et de psychiatrie, des recommandations sur l’utilisation appropriée des opioïdes relance le débat entre partisans et détracteurs de “l’opiophobie”. La plupart des critiques, en particulier américaines, à une utilisation démocratisée des opioïdes concernent invariablement les problèmes d’addiction et d’abus de prescription. Ces nouvelles recommandations constituent, d’après l’auteur américain, une avance indéniable et officielle dans la prise en charge des douleurs chroniques, et un bel outil de promotion de l’utilisation appropriée de cette famille d’antalgiques. Ce commentaire du Lancet rappelle l’historique progressif de l’utilisation des morphiniques sur le marché américain, son impact sur la prise en charge des douleurs chroniques et la montée parallèle des critiques. L’oxycodone, arrivée en 1995 aux États-Unis, a été plébiscitée par les médecins, largement informés par la presse spécialisée, par les programmes de formation continue et par l’industrie pharmaceutique. Malheureusement, l’utilisation plus importante de ces produits a été suivie d’une surconsommation et d’abus réels ainsi que de l’apparition d’un marché illicite parallèle. Ces nouvelles recommandations recadrent les principaux objectifs de ce type de traitement, en particulier l’amélioration du confort du patient. Les recommandations sont accessibles sur le site : http://www.britishpainsociety.org/pdf/opioids _doc_2004.pdf L. Labrèze, F. Lakdja Portenoy RK. Appropriate use of opioids for persistent non-cancer pain. Lancet 2004;364:739-40. 126 Le Courrier de l’algologie (3), no 4, octobre-novembre-décembre 2004 Paracétamol et traitement des douleurs cancéreuses par des morphiniques à fortes doses Soixante-quinze pour cent des patients à la phase avancée de la maladie cancéreuse présentent une douleur. Cette douleur peut persister malgré un lourd traitement morphinique. Son traitement nécessite une titration des doses de morphiniques, afin d’obtenir la meilleure balance entre efficacité et effets indésirables, tous deux dosedépendants. L’adjonction de paracétamol au traitement morphinique a pour but d’optimiser cette balance. L’objectif de cette étude était de déterminer si cette adjonction améliore la douleur et la qualité de vie, chez des patients présentant un cancer avancé et des douleurs persistantes malgré un traitement morphinique adapté. Les patients recevaient du paracétamol pendant 48 heures et du placebo pendant 48 heures. L’ordre, paracétamol ou placebo en premier, était désigné de façon randomisée. La douleur était le critère principal. Les critères secondaires étaient la préférence du patient (période sous paracétamol ou sous placebo), le nombre d’interdoses de morphine et les effets indésirables dans leur ensemble : nausées, vomissements, somnolence, constipation, sueurs. L’intensité de l’ensemble des effets indésirables et de la douleur était évaluée quotidiennement grâce à une échelle visuelle analogique (EVA) et une échelle verbale numérique (EVN) allant de 0 à 10. Trente et un patients ont été inclus ; vingt-trois d’entre eux prenaient de la morphine, et sept de l’hydromorphone. La dose moyenne équivalente de morphine orale par jour était de 200 mg. La douleur et les effets indésirables étaient significativement améliorés lors de la période sous paracétamol, par rapport à celle sous placebo. Les patients préféraient la période sous paracétamol. Les autres données n’étaient pas significatives. Cette étude confirme donc l’intérêt d’associer chez le patient douloureux cancéreux des antalgiques de palier 1 et de palier 3 afin d’obtenir des effets antalgiques additifs, voire synergiques. Cette association permet aussi de réduire la fréquence des effets indésirables, parfois sources d’échec du traitement morphinique au long cours. Cette étude présente cependant des limites en raison de la faible taille de la population, de sa courte durée et du bénéfice antalgique modeste. F. Dixmérias, F. Lakdja Stockler M,Vardy J,Pillai A, Warr D. Acetaminophen (paracetamol) improves pain and well-being in people with advanced cancer already receiving a strong opioid regimen: a randomized, double-blind, placebo-controlled crossover trial. Clin J Oncol 2004;22:15-21.