Douleur du brû
par Jacques Latarjet, François Ravat, André Robert
Centre hospitalier Saint-Joseph et Saint-Luc, 69365 Lyon Cedex 07.
Les brûlures sont une des pathologies les plus douloureuses qu'il soit possible à un
individu de subir :
- parce que la douleur continue dont elles sont responsables et la douleur
intermittente due aux actes thérapeutiques peuvent atteindre des niveaux d'intensité
extrêmement élevés;
- parce que la répétition de ces actes, pendant plusieurs semaines, peut être
ressentie comme une véritable torture.
Pourquoi traiter la douleur du brûlé ?
En dehors de préoccupations purement humanitaires, il est maintenant bien
démontré que la douleur du brûlé ne lui fait pas de bien :
- elle constitue un facteur d'hyper métabolisme donc de dénutrition et de moindre
résistance aux infections ;
- elle peut entraîner des troubles psychiques, qui peuvent gêner la thérapeutique au
stade aigu, et qui peuvent retarder la rééducation ultérieurement.
Mécanismes de la douleur du brûlé
1. Nociception
La douleur du brûlé est due à la stimulation des nocicepteurs cutanés présents dans
l'épiderme et aussi assez profondément dans le derme (figure 1). Ceux qui ont
été détruits sont inactifs, jusqu'à ce qu'ils commencent à régénérer ; ceux qui sont
intacts ou seulement partiellement lésés continueront à générer des influx
douloureux.
2. Hyperalgésie
Immédiatement après la brûlure, la réponse inflammatoire sensibilise les
nocicepteurs actifs (figure 2) et ceci de façon durable, puisque l'inflammation
persistera au niveau de la lésion tant que la cicatrisation ne sera pas complète et
même parfois au-delà. Cette hyperalgésie périphérique peut se compléter d'une
hyperalgésie centrale, lorsque des actes nociceptifs répétés comme les pansements,
ne sont pas contrôlés par une analgésie suffisante. On peut alors assister à de
véritables embrasements des systèmes de transmission centraux de la douleur, le
moindre stimulus au niveau de la lésion ou même à distance, devenant intolérable.
Caractéristiques cliniques de la douleur du brûlé
La douleur continue : elle est ressentie au niveau de la brûlure, mais aussi des sites
donneurs de greffes. Elle est relativement peu intense et assez facilement contrôlée
par l'immobilisation et la thérapeutique.
Les douleurs dues aux actes thérapeutiques ce sont non seulement les pansements
mais toutes les procédures qui impliquent des mouvements ou des contacts,
notamment la kinésithérapie. Les niveaux très élevés de douleur atteints lors de ces
traitements et le fait qu'ils soient infligés de façon répétitive, font de la brûlure une
des pires expériences douloureuses possible.
Douleur après cicatrisation
La prévention et le traitement des cicatrices hypertrophiques pendant la phase de
réhabilitation sont l'occasion de nouveaux types de douleur ; plus tardivement, les
brûlures cicatrisées peuvent être le siège de douleurs neuropathiques ayant une
symptomatologie voisine des douleurs post-zoostériennes.
Intensité
L'intensité de la douleur du brûlé est par essence extrêmement variable :
- d'un instant à l'autre, pour un même patient,
- d'un patient à l'autre, pour des lésions apparemment identiques.
Il est donc très difficile de la prédire, d'autant plus qu'elle n'a aucune relation avec le
sexe, l'âge, ou les caractères socio-démographiques, contrairement à certaines
idées reçues.
Evolution
Initialement, la douleur du brûlé a les caractéristiques d'une douleur aiguë.
Cependant, chez les patients dont le traitement nécessite plusieurs semaines, il n'est
pas exceptionnel que la douleur prenne les caractères d'une douleur chronique,
surtout si l'analgésie n'est pas suffisante et que le brûlé est exposé à des actes très
douloureux répétés. En somme, on passe d'une douleur « aiguë aiguë » à une
douleur « aiguë chronique » (tableau 1). À ce stade, il peut être très difficile de
distinguer, dans la symptomatologie douloureuse, ce qui revient à la nociception et
ce qui est à des altérations psychiques, ce qui peut conduire à des aberrations
thérapeutiques comme une insuffisance d'analgésie et un excès de psychotropes, et
vice versa.
Traitement
Principes
1) Traiter et évaluer séparément la douleur continue et la douleur due aux actes.
2) Utiliser un petit nombre de médicaments compatibles les uns avec les autres, dont
on connaîtra parfaitement la pharmacologie.
3) Prévoir des protocoles écrits permettant une adaptation aux grandes variations qui
peuvent exister dans l'intensité de la douleur.
Ceci n'est possible qu'avec :
4) Une évaluation systématique de la douleur.
Brûlés ambulatoires
- Pansements : on peut faire une prémédication par de la morphine en solution, avec
une dose de départ de 1 mg/kg de poids, administrée une heure avant. Si
l'analgésie n'est pas suffisante, il faudra pour le pansement suivant augmenter cette
dose de 50 % au moins.
- Douleur continue : à domicile :
Prendre régulièrement toutes les 4 heures du paracétamol jusqu'à 100 mg/kg/24
heures) ou/et un anti-inflammatoire (aspirine jusqu'à 50 mg/kg/24 heures).
Si cela ne suffit pas, y associer toutes les 4 heures un morphinique du pallier 2,
comme le dextropropoxiphène ou la codéine.
Brûlés hospitalisés
- Douleur continue : utiliser la morphine sous toutes ses formes.
Voie parentérale : cette voie est très utile pendant les 48 premières heures, après
admission, et en période postopératoire, car elle permet un ajustement rapide des
doses nécessaires. Commencer avec 50 μg/kg/h en rajoutant des bolus égaux à
50 % de la dose horaire, avec un maximum de 3 par heure. Si ces doses ne sont
pas suffisantes, augmenter la dose horaire de 100 %. Ce protocole est plus facile
à administrer avec une PCA.
La voie sous-cutanée est très intéressante chez le malade non perfusé, ne
disposant pas de voie veineuse ou chez les enfants. On peut très bien l'utiliser
en infusion continue, à condition de s'abstenir de faire des bolus trop importants
de surcroît.
Voie orale : on passe de la voie parentérale à la voie orale en multipliant les
doses par deux. Par exemple: si le patient a reçu 60 mg de morphine/24 heures,
par voie parentérale, on donnera un comprimé de morphine à libération
prolongée à 60 mg toutes les 12 heures, ou 20 mg de morphine en solution orale
toutes les 4 heures.
Douleur due aux actes
Voie orale (figure 3) : comme en ambulatoire, certains pansements,
relativement peu douloureux, peuvent être réalisés avec une prémédication par
de la morphine orale (commencer avec une dose de 1 mg/kg une heure avant).
Augmenter par pallier de 50 % si l'analgésie est insuffisante.
- Voie parentérale (figure n°4): on dispose actuellement de morphiniques puissants,
d'action très courte, comme l'alfentanil ou le remifentanil. Ils sont idéaux pour les
pansements des brûlés, car la dépression respiratoire qu'ils peuvent entraîner en cas
de surdosage n'est jamais prolongée ni retardée, donc facilement traitée. Toutefois,
en fonction des possibilités, on peut utiliser la pentazocine ou la kétamine.
Les enfants : il faut les traiter exactement comme les adultes ! Et d'autant mieux qu'il
est parfaitement prouvé actuellement qu'ils sont d'autant plus sensibles à la douleur
qu'ils sont plus petits. Attention cependant avant 3 mois, les doses de
morphiniques doivent être divisées par 3 en raison de l'immaturation de leur
métabolisme.
Les vieillards : attention aussi ! Les morphiniques peuvent avoir chez eux de
fâcheuses conséquences respiratoires (encombrement) car ils dépriment la toux et
l'amplitude respiratoire, surtout dans le traitement de la douleur continue. Il faudra
donc réduire les doses et utiliser des adjuvants ayant un effet d'épargne en opiacés
comme le paracétamol et les anti-inflammatoires.
Évaluation
Un traitement de la douleur efficace ne peut être réalisé en toute sécurité sans
évaluation. Il faut pour cela utiliser des méthodes simples.
Pour les adultes : une auto évaluation par l'échelle verbale numérique (donner une
note de 0 à 10 à la douleur) ou une échelle verbale simple faisant appel au langage
(tableau n° 2) ou encore des représentations graphiques adaptées.
Pour les enfants : l'auto évaluation est possible après 5 ans ; avant 5 ans, utiliser une
échelle d'hétéro-évaluation comme l'échelle CHEOPS.
Toutes ces méthodes sont très suffisantes et très faciles à appliquer à condition de
les administrer en routine, ce qui est souvent extraordinairement difficile à obtenir
dans une unité de soins ni ne l'a jamais fait. Parmi toutes les mesures organisation
et de formation, qui sont cessaires, il est particulièrement fondamental d'intégrer
l'évaluation de la douleur de façon écrite dans la feuille de surveillance des patients,
au même titre que la tension, le pouls ou la diurèse ! De même est-il très important
que les protocoles écrits dont disposent les infirmières soient suffisamment souples
pour leur permettre d'adapter elles-mêmes la thérapeutique nécessaire en fonction
de l'évaluation de la douleur.
Conclusion
La douleur du brûlé n'est pas une fatalité. Son éradication est parfaitement possible
sans effet iatrogène. Son contrôle est essentiel pour la qualité des soins au stade
aigu. Il est aussi indispensable à la prévention des troubles psychiques qui peuvent
survenir à la suite de ce traumatisme, particulièrement mutilant.
Développement et santé, n° 131, octobre 1997
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