Mise au point Helicobacter pylori et cancer gastrique : du nouveau

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Mise au point
Act. Méd. Int. - Gastroentérologie (16), n° 9, novembre 2002
Mise au point
Le risque de cancer
gastrique lié à H. pylori
a été sous-estimé
Les études cas-témoins montraient jus-
qu’à présent une augmentation du
risque relatif de cancer en cas d’infec-
tion mais donnaient des résultats
variables d’une étude à l’autre avec des
odds-ratios (OR) de 2 à 9 (1). Deux
études récentes publiées en 2001 mon-
trent que le risque de cancer lié à l’in-
fection à H. pylori a en fait été très sous-
estimé. L’étude japonaise de Uemura et
al. a été la première étude prospective
de suivi dont le but était la détection
précoce du cancer gastrique chez des
sujets infectés et des sujets non infectés
(2). Parmi 1526 sujets suivis pendant
7,8 ans en moyenne par endoscopie
tous les 1 à 3 ans, 36 ont eu un cancer
gastrique. Tous étaient infectés par
H. pylori, alors qu’aucun cancer n’était
survenu chez les sujets non infectés. La
deuxième étude, de Ekström et al., a
comparé en Suède, deux diagnostics
sérologiques chez 298 sujets atteints de
cancer gastrique et 244 témoins appa-
riés pour l’âge et le sexe (3). Il s’agis-
sait d’une sérologie ELISA détectant
les immunoglobulines contre plusieurs
antigènes de surface de H. pylori et une
sérologie immunoblot détectant les
anticorps anti-cagA. La prévalence des
anticorps détectés par la seule méthode
ELISA était de 72% chez les malades
atteints de cancer versus 55% chez les
témoins alors que, lorsque la positivité
de l’une ou l’autre sérologie était prise
en compte, la séroprévalence était de
93% chez les sujets avec cancer ver-
sus 59% chez les témoins.
Ces deux études convergent pour attri-
buer à l’infection à H. pylori un risque
relatif de cancer 10 fois plus élevé que
dans les études précédemment publiées,
supérieur à 20 dans l’étude suédoise et
jusqu’à 34 en cas de gastrite fundique
prédominante dans l’étude japonaise.
Cette très forte augmentation du risque
relatif dans les deux études est due à
un meilleur diagnostic de l’infection
tant chez les malades que chez les
témoins. Dans l’étude japonaise, le
diagnostic d’infection est fait à l’in-
clusion plusieurs années avant l’appa-
rition du cancer. Ekström et al. utilisent
une sérologie anti-cagA dont ils mon-
trent qu’elle reste positive chez 10%
des sujets chez qui la sérologie ELISA
est négative. Les anticorps anti-cagA
du fait de leur persistance prolongée,
sont une trace plus sensible d’une infec-
tion ancienne que les sérologies stan-
dard. L’intérêt de ces deux études tient
donc à la fiabilité et à la sensibilité du
diagnostic d’antécédent, même très
ancien, d’infection à H. pylori. En effet,
au moment du diagnostic de cancer,
l’infection a souvent disparu ainsi que
la trace immunologique détectée par
les sérologies standard. Seules les
études cas-témoins antérieures, qui
disposaient de sérum prélevé depuis
plus de 10 ans avant le diagnostic de
cancer, montraient une augmentation
du risque relatif dû à l’infection, mais
même dans ces études, il est probable
que la sensibilité insuffisante des séro-
logies utilisées minimisait les antécé-
dents infectieux et le risque relatif de
Helicobacter pylori
et cancer gastrique : du nouveau
A. Courillon-Mallet*
algré une forte dimi-
nution de son inci-
dence, le cancer de
l’estomac reste en France le
deuxième cancer digestif
avec une incidence de 8 000
cas environ pour l’année
2000. Dès 1994, H. pylori
avait été classé comme carci-
nogène de type I par l’Inter-
national Agency for Research
on Cancer. Mais les argu-
ments épidémiologiques du
rôle carcinogène de H. pylori
étaient considérés jusqu’à
présent comme insuffisants
pour proposer une éradica-
tion systématique de la bac-
térie à titre prophylactique.
Des données épidémiolo-
giques récentes montrent
que le risque de cancer gas-
trique lié à la bactérie a été
en fait sous-estimé. Par
ailleurs, la description d’un
modèle animal de cancer
induit par la bactérie, la des-
cription de facteurs de sus-
ceptibilité de l’hôte et de fac-
teurs de virulence de la
bactérie permettent de
mieux comprendre le rôle
carcinogène de H. pylori. Ces
nouvelles données sont suf-
fisamment convaincantes
pour que soit discuté désor-
mais le problème de la pré-
vention du cancer gastrique
par l’éradication prophylac-
tique de l’infection à H. pylori
M
* Service d’hépato-gastroentérologie
et de médecine interne, CHI de Villeneuve-
Saint-Georges.
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cancer par rapport aux deux études
récentes.
Ces deux études montrent en outre que
l’infection à H. pylori est un facteur de
risque comparable pour le cancer de type
intestinal et le cancer de type diffus. Jus-
qu’à présent, le cancer de type intestinal
survenant préférentiellement sur une
atrophie gastrique était considéré comme
davantage lié à l’infection à H. pylori que
le cancer de type diffus, qui lui survient
sur une gastrite chronique sans la
séquence atrophie métaplasie intestinale
préalable. En fait, dans les deux cas, le
cancer est la conséquence de l’inflam-
mation chronique, d’une part, et de l’in-
teraction directe bactérie-cellule épithé-
liale qui vont entraîner par des
mécanismes variés l’accumulation pro-
gressive des mutations aboutissant à la
perte du contrôle du cycle cellulaire,
d’autre part.
Enfin, l’étude suédoise et une étude
récente publiée dans Gut, reprenant
12 études prospectives cas-témoins
regroupant 1228 patients, montrent que
l’infection à H. pylori n’est certes pas
un facteur de risque du cancer du car-
dia mais n’a pas non plus de rôle pro-
tecteur (4). En effet, on pouvait penser
que la diminution de la sécrétion acide
gastrique induite par la gastrite fundique
due à H. pylori pourrait, en diminuant
le reflux acide gastro-œsophagien, pré-
venir la survenue du cancer du cardia,
dont un des facteurs favorisants est le
reflux. Les résultats de 2001 ne vont pas
dans ce sens et la crainte d’une aug-
mentation de l’incidence du cancer du
cardia due à l’éradication systématique
de H. pylori n’apparaît pas fondée.
Le rôle carcinogène
de H. pylori est confirmé
dans un modèle animal
Les travaux récents faits chez un ron-
geur du désert, la gerbille mongolienne,
confirment le rôle carcinogène de
H. pylori et le rôle protecteur de l’éra-
dication de l’infection (5). L’utilisation
de ce modèle a permis d’étudier des
facteurs environnementaux cocarcino-
gènes, comme le sel, la carence en
acide ascorbique, mais aussi de mettre
en évidence des facteurs liés à l’hôte et
à la bactérie. Pour les facteurs liés à
l’hôte, on s’est ainsi aperçu que la fré-
quence de survenue de l’adénocarci-
nome induit par la même souche bac-
térienne était hautement variable
suivant la lignée animale. Ainsi une
équipe a obtenu un cancer gastrique au
bout de 62 semaines chez 37% des ani-
maux infectés, alors que dans une autre
équipe avec une autre lignée animale,
seulement 4 % des animaux dévelop-
paient un cancer.
Les facteurs de susceptibilité
liés à la bactérie
Ces dernières années, pour apprécier la
virulence bactérienne, les anticorps diri-
gés contre la protéine cagA ont été
recherchés systématiquement chez des
sujets infectés. Les résultats concernant
l’association de ces anticorps aux diffé-
rentes pathologies associées à H. pylori
ont été très discordants. Il apparaît
maintenant que le système de virulence
cagA est complexe et ne se résume pas
à l’expression de la seule protéine cagA
et donc au développement d’anticorps
anti-cagA chez l’hôte. Ce système de
virulence correspond en fait à un îlot
de pathogénicité composé de 14 gènes,
codant pour un système de sécrétion
dont l’arrimage et l’assemblage à la
surface de la cellule épithéliale indui-
sent la synthèse de cytokines pro-
inflammatoires (IL8…) (6). La pro-
téine bactérienne cagA est transloquée
dans la cellule épithéliale par ce sys-
tème de sécrétion. Celle-ci induit
ensuite le réarrangement de l’actine
cellulaire et une dérégulation de la pro-
lifération cellulaire. In vivo, dans le
modèle de la gerbille, les souches délé-
tées d’un seul des 14 gènes de l’appa-
reil de sécrétion ne provoquent plus
d’adénocarcinome. Cela confirme le
rôle essentiel de l’intégrité de l’en-
semble du système cag et la nécessité
dans l’avenir, pour apprécier la viru-
lence d’une bactérie, de déterminer
l’expression de l’ensemble des gènes
de ce système et non l’expression de la
seule protéine cagA.
Les facteurs liés à l’hôte
On sait qu’il existe deux profils évolu-
tifs de la gastrite chronique à H. pylori,
la gastrite chronique antrale prédomi-
nante associée à l’ulcère duodénal et la
gastrite diffuse ou fundique prédomi-
nante qui est le facteur prédisposant à
la survenue du cancer. L’étude japonaise
de Uemura confirme ces données avec
seulement deux cancers survenus sur
gastrite antrale prédominante, tous les
autres cancers l’étant sur gastrite diffuse
ou fundique prédominante. La gastrite
antrale s’accompagne d’une hypersé-
crétion acide responsable de la maladie
ulcéreuse duodénale. À l’inverse, la
gastrite diffuse ou fundique prédomi-
nante s’accompagne d’une hypochlor-
hydrie qui permettrait la colonisation
gastrique par des entérobactéries avec
production de nitrosamines carcino-
gènes. L’inhibition sécrétoire dans le
fundus serait due à la libération de cyto-
kines telles que le TNFαet l’interleu-
kine Iβ, conséquence de la gastrite chro-
nique. L’intensité de l’inhibition de la
sécrétion acide serait donc corrélée à
l’intensité de la réponse inflammatoire.
Des travaux récents de El Omar ont
montré que certains génotypes de l’in-
terleukine Iβ, correspondant à une aug-
mentation de la libération d’interleu-
kine, sont associés à une augmentation
du risque relatif d’hypochlorhydrie et
de cancer gastrique (7). Ces constata-
tions, faites dans une population de
patients polonais et de patients améri-
cains porteurs de cancer gastrique, ont
été confirmées récemment dans une
étude de patients portugais (8).
Nous avons maintenant tous les élé-
ments pour être convaincus du rôle car-
cinogène de H. pylori :
1. Nous disposons d’études épidémio-
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logiques convaincantes, convergentes
pour attribuer à l’infection à H. pylori
un risque relatif de cancer supérieur à
20 en cas de gastrite fundique prédo-
minante.
2. Nous avons un modèle animal de
cancer gastrique induit par l’infection
à H. pylori.
3. Des facteurs de susceptibilité indivi-
duels commencent à être connus, tels
que des génotypes associés à l’hyper-
production d’interleukine Iβ.
4. L’effet des facteurs de virulence bac-
térienne comme l’îlot de pathogénicité
cagA sur le contrôle du cycle cellulaire
commence à être analysé.
Au terme de ces deux années de résul-
tats, certains proposeront de réserver
l’éradication bactérienne aux sujets à
risque, c’est-à-dire ayant une pangas-
trite ou une gastrite fundique prédomi-
nante, ayant un génotype pro-inflam-
matoire… et cela au prix d’une
endoscopie pour préciser la topogra-
phie de la gastrite, d’un génotypage des
cytokines de l’inflammation et peut-
être une étude des facteurs de virulence
bactériens. Pour les autres, il est temps
de dire qu’il n’y a pas de bon H. pylori
et qu’il serait raisonnable de recom-
mander une éradication systématique
de la bactérie chez les sujets jeunes
comme prévention du cancer gastrique
survenant 30 ou 40 ans plus tard. En
France, la prophylaxie antibiotique
concernerait, d’après les études de séro-
prévalences récentes, environ 10 à 20 %
des jeunes adultes.
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