EVIDENCE-BASED MEDICINE Hépatologie Transplantation hépatique pour cirrhose alcoolique : quand l’EBM rejoint l’éthique Arnaud Pauwels, Gonesse. Ce qu’il faut retenir Les résultats à long terme de la transplantation hépatique (TH) pour cirrhose alcoolique sont bons, comparables à ceux obtenus pour les cirrhoses virales. L’indication d’une TH doit être évaluée chez tous les patients présentant une cirrhose alcoolique décompensée. Une prise en charge addictologique spécialisée est indispensable, avant et après la greffe, afin de prévenir le risque de rechute alcoolique sévère en postgreffe. niveau de preuve E 1 n France, chaque année, 8 à 10 000 personnes décèdent de cirrhose alcoolique, quand seulement 300 sont transplantées pour cette maladie. Bien que les mentalités aient beaucoup évolué depuis 30 ans, ces chiffrent suffisent pour comprendre qu’il existe toujours une réticence à adresser ces patients aux centres de transplantation. Les résultats de la TH sont pourtant excellents dans cette indication (1). Selon le Registre européen de transplantation hépatique, la survie des patients 100 86 83 80 80 Survie (%) 82 79 75 73 74 71 64 69 60 59 63 58 Cirrhose biliaire primitive Cirrhose alcoolique Cirrhose virale 40 0 0 1 2 3 4 5 Années 6 7 8 9 10 Figure. Survie après transplantation pour cirrhose (Registre européen de transplantation hépatique). 16 | La Lettre de l’Hépato-Gastroentérologue • Vol. XVII - n° 1 - janvier-février 2014 transplantés pour cirrhose alcoolique est de 84 % à 1 an, de 73 % à 5 ans, et de 58 % à 10 ans (2). Comparativement, elle est respectivement de 82 %, 69 % et 59 % pour les cirrhoses virales (figure). L’indication d’une TH doit donc être évaluée chez tous les patients présentant une cirrhose alcoolique décompensée. En effet, la survie à 5 ans de ces patients est inférieure à 20 % en l’absence de TH, alors qu’elle est supérieure à 70 % s’ils sont transplantés. A contrario, la TH est délétère en cas de cirrhose compensée, principalement en raison d’une augmentation du risque de cancer de novo. Chez certains patients, il existe une contre-indication manifeste : un âge physiologique avancé, une atteinte viscérale extra-hépatique grave, un antécédent récent de cancer, des troubles psychiatriques, un suivi erratique. Mais dans tous les autres cas, il convient d’adresser le patient dans un centre de transplantation où sera réalisé un bilan exhaustif prégreffe. Cependant, la question du sevrage alcoolique et celle de la pénurie de greffons se posent. Dans le contexte actuel, où il y a 1 donneur pour 2,3 receveurs théoriques, on considère généralement qu’il ne faut pas adresser un patient non sevré à un centre de transplantation, et ce d’autant plus que, s’il se sevrait, sa cirrhose pourrait s’atténuer et ne plus nécessiter de TH. Si nous n’en sommes plus à considérer la cirrhose alcoolique comme une maladie “auto-infligée”, prenons garde à ce qu’un tel raisonnement ne soit pas une nouvelle expression de notre réticence à offrir la possibilité d’une greffe aux patients alcooliques. La bonne attitude consiste à informer le patient de la gravité de son état ainsi que de la possibilité d’une greffe, mais aussi de celle d’une éventuelle amélioration avec le sevrage, et à lui proposer une prise en charge médicale et addictologique. C’est à la fois dire au patient l’intérêt qu’on lui porte et passer un contrat avec lui. Trois mois de sevrage suffisent pour évaluer le potentiel de récupération de la cirrhose et prendre la décision d’adresser un patient à un Hépatologie centre de transplantation en l’absence d’amélioration. Parallèlement, et de façon indépendante, une évaluation addictologique doit être réalisée par un médecin spécialiste. C’est dans le centre où le patient est régulièrement suivi qu’elle peut se faire au mieux. Seules les rechutes alcooliques sévères impactent la survie à long terme des patients transplantés (3, 4). On estime qu’elles concernent 10 à 20 % des patients transplantés pour maladie alcoolique du foie (1), et leur effet est désastreux, tant sur les acteurs de la transplantation que sur l’opinion publique. L’objectif de la prise en charge addictologique est donc d’offrir au patient une aide au sevrage, de lui éviter si possible une TH, ou sinon de mettre en place le suivi qui permettra de l’accompagner avant et après EVIDENCE-BASED MEDICINE la greffe, mais aussi de repérer une alcoolo-dépendance majeure qui restera réfractaire à tout projet ■ thérapeutique. Références bibliographiques 1. Lucey MR. Liver transplantation in patients with alcoholic liver disease. Liver Transpl 2011;17(7):751-9. 2. Burra P, Senzolo M, Adam R et al. Liver transplantation for alcoholic liver disease in Europe: a study from the ELTR (European Liver Transplantation Registry). Am J Transplant 2010;10(1):138-48. 3. Pfitzmann R, Schwenzer J, Rayes N et al. Long-term survival and predictors of relapse after orthotopic liver transplantation for alcoholic liver disease. Liver Transpl 2007;13(2):197-205. 4. Faure S, Herrero A, Jung B et al. Excessive alcohol consumption after liver transplantation impacts on long-term survival, whatever the primary indication. J Hepatol 2012;57(2):306-12. Questions non résolues » Comment mieux identifier les patients à haut risque de rechute alcoolique au décours de la greffe ? » Quel suivi addictologique optimal leur proposer ? Ponction d’ascite évacuatrice : la supériorité de l’albumine est confirmée Arnaud Pauwels, Gonesse. C Ce qu’il faut retenir L’albumine est largement prescrite chez le patient cirrhotique, mais son coût est élevé. Différents colloïdes de synthèse et vasoconstricteurs ont été testés comme alternatives moins onéreuses. Une méta-analyse portant sur 17 essais randomisés vient de conclure sans équivoque à la supériorité de l’albumine par rapport à ces thérapeutiques alternatives pour réduire la dysfonction circulatoire, l’hyponatrémie et la mortalité associées aux grandes ponctions évacuatrices. de prévenir la PCD. Cependant, le coût de l’albumine est élevé, et de nombreux essais ont comparé l’efficacité de thérapeutiques alternatives moins onéreuses – colloïdes de synthèse ou vasoconstricteurs – à celle de l’albumine. Une méta-analyse de ces études vient d’être publiée (2). Dans cette méta-analyse, M. Bernardi et al. ont inclus 17 essais randomisés (1 225 patients) publiés entre 1988 et 2010. Les critères de jugement retenus étaient la PCD, l’hyponatrémie et la mortalité. Comparativement aux thérapeutiques alternatives, l’albumine diminuait significativement l’incidence de niveau de preuve hez les patients atteints de cirrhose, la perfusion d’albumine a 3 indications validées : la ponction d’ascite évacuatrice, l’infection du liquide d’ascite (pour un sous-groupe de patients à haut risque) et le syndrome hépato-rénal de type 1. En termes de volumes de prescription, la ponction d’ascite est de loin prédominante. Dans cette indication, la perfusion d’albumine vise à prévenir la survenue d’une dysfonction circulatoire post-ponction (PCD). En effet, une ponction évacuatrice de grand volume (≥ 5 litres) s’accompagne souvent d’une baisse des résistances vasculaires périphériques et d’une activation des systèmes rénine-angiotensine-aldostérone et nerveux sympathique, alors même que les patients cirrhotiques avec ascite présentent déjà des altérations hémodynamiques marquées. Par convention, la PCD est définie par une augmentation de l’activité rénine plasmatique de 50 % ou plus. Cette complication serait associée à une récidive plus rapide de l’ascite, à une augmentation de l’incidence de l’hyponatrémie et de l’insuffisance rénale, et à une diminution de la survie (1). Il a été démontré qu’une perfusion d’albumine, à la dose de 7 ou 8 g par litre d’ascite soustrait, permet 1 La Lettre de l’Hépato-Gastroentérologue • Vol. XVII - n° 1 - janvier-février 2014 | 17