L Brisons les images, ne parlons plus É

publicité
É
D I T O R I A L
Brisons les images, ne parlons plus
de fibrose rachidienne à nos patients
Let’s be iconoclast, stop talking about epidural fibrosis to our patients
! S.
L
es lombosciatiques postopératoires représentent un réel
problème thérapeutique pour les chirurgiens, les rhumatologues, voire les médecins du travail. Si certains facteurs pronostiques péjoratifs sont connus et peuvent être repérés en préopératoire, il n’en reste pas moins que la prévalence
des lombosciatiques postopératoires varie entre 10 et 30 %
selon les séries (Pappas [1], Davis [2]). Le taux de réintervention varie entre 5 et 18 % des patients opérés, les réinterventions étant en général peu efficaces (Waddell [3], Weir et
Jacobs [4]). Les lombosciatiques postopératoires touchant fréquemment des sujets jeunes, le plus souvent des travailleurs
manuels, elles posent un véritable problème où se mêlent des
difficultés socio-économiques, professionnelles et médicales.
La fibrose observée sur l’imagerie postopératoire a conduit
certains médecins et chirurgiens à établir un lien avec la symptomatologie clinique pour tenter de résoudre cette situation,
mais, à ce jour, l’hypothèse de la fibrose a entraîné plus de
problèmes qu’elle n’en a résolu.
L’IMAGERIE : L’ALIBI DU CHIRURGIEN ?
L’imagerie effectuée en postopératoire devant un tableau douloureux persistant révèle le plus souvent la présence d’une
image cicatricielle de fibrose. Les comptes-rendus radiologiques sont souvent nuisibles, tant ils insistent sur ces images,
parfois, il est vrai, impressionnantes. Les patients et leurs
médecins, voire leurs chirurgiens, sont alors enclins à relier la
persistance de la douleur à cette fibrose épidurale qui enserrerait progressivement et définitivement les racines.
LA FIBROSE : UNE IMAGE POUR FAVORISER
LA CHRONICITÉ ?
L’intrication avec des facteurs socio-professionnels est souvent importante, selon le terrain professionnel et les circons* Consultation de la douleur, hôpital Cochin-Tarnier, Paris.
La Lettre du Rhumatologue - n° 293 - juin 2003
Perrot*
tances (Waddell [3]). Les effets que peuvent tirer les patients
de l’imagerie ne sont pas négligeables, puisque ces derniers
pourront voir ainsi précisément la cause de leurs maux, en une
vision oppressante, définitive, mais dont il leur sera souvent
impossible de se dégager.
COMMENT EXPLIQUER AUTANT
DE FIBROSES CHEZ LES PATIENTS
EN POSTOPÉRATOIRE ?
La plupart des études prospectives en IRM et en TDM ont
montré que l’intensité de la fibrose cicatricielle n’était corrélée ni à des tableaux cliniques particuliers, ni à la persistance
de douleurs (Coskun [5]), qu’elles soient radiculaires ou non
(Vogelsang [6]). La fibrose est une image résiduelle, cicatricielle, qui va combler un vide et qui va persister sans modifications lors d’un suivi pendant plus d’un an après la chirurgie
(Ross [7], Annertz [8]). Par ailleurs, les hypothèses évoquées
de troubles de la coagulation qui pourraient favoriser des
hémorragies épidurales peropératoires évoluant vers la fibrose
ne se sont pas confirmées.
LA DOULEUR POSTOPÉRATOIRE
EST UNE DOULEUR NEUROPATHIQUE,
NON COMPRESSIVE
La douleur radiculaire postopératoire est une douleur neuropathique liée à la dégénérescence wallérienne des fibres myéliniques radiculaires. Cette dégénérescence est due en partie
à une atteinte des vasa nervorum, vascularisant la gaine de
myéline des racines. La compression prolongée de la racine
par le disque, associée à l’agression chimique par les substances libérées par ce même disque, fragilise la racine qui va
alors subir un traumatisme chirurgical, qui précipite le phénomène. Les torts sont donc partagés, et la chirurgie n’est probablement délétère que sur des racines très fragilisées ; elle
3
É
D I T O R I A L
n’est parfois probablement pas en cause du tout. Le retard
d’apparition de la douleur après chirurgie rachidienne est, en
fait, lié au phénomène de dégénérescence de la gaine de myéline, progressif et lent, après cette triple agression vasculaire,
physique et chimique.
n’a pas été prouvée, de savoir laisser les images de côté. L’utilisation du terme de “fibrose rachidienne postopératoire”, délétère et irréversible, n’est utile ni au patient, ni à son chirurgien
ou à son médecin. Ne pas s’en détourner risquerait de mener
directement à la iatrogénie, avec ses graves conséquences. "
LE TRAITEMENT DE LA DOULEUR
RADICULAIRE POSTOPÉRATOIRE EST CELUI
DES DOULEURS NEUROPATHIQUES
Bibliographie
Les tentatives de chirurgie itérative de la fibrose ont montré
l’inutilité, voire le risque iatrogène de cette chirurgie, en particulier chez des travailleurs manuels ou dans le cas d’un litige
socio-professionnel (Waddell [3], Weir et Jacobs [4]). Le traitement doit donc viser à prendre en charge la racine nerveuse,
en la respectant, comme toute douleur neuropathique. L’approche associe des traitements médicamenteux (en premier
lieu antidépresseurs et antiépileptiques) et des traitements physiques (stimulation électrique transcutanée). Dans des cas difficiles, une stimulation médullaire pourra être proposée, avec
prudence et après consultation multidisciplinaire. La prise en
charge globale, notamment socio-professionnelle, est également fondamentale (Elkayam [9]).
1. Pappas CTE, Harrington T, Sonntag VKH. Outcome analysis of 654 surgically
treated lumbar disc herniations. Neurosurgery 1992 ; 30 : 862-6.
2. Davis RA. A long-term outcome analysis of 984 surgically treated herniated
lumbar discs. J Neurosurg 1994 ; 80 : 415-21.
3. Waddell G, Kummel EG, Lotto WN, Graham JD, Hall H, McCulloch JA. Failed
lumbar disc surgery and repeated surgery following industrial injuries. J Bone
Joint Surg 1979 ; 61-A : 201-7.
4. Weir
BKA, Jacobs GA. Reoperative rate following lumbar discectomy : an
analysis of 622 lumbar discectomies. Spine 1980 ; 5 : 366-77.
5. Coskun E, Suzer T, Topuz O, Zencir M, Pakdemirli E, Tahta K. Relationships
between epidural fibrosis, pain, disability, and psychological factors after lumbar
disc surgery. Eur Spine J 2000 ; 9 (3) : 218-23.
6. Vogelsang JP, Finkenstaedt M, Vogelsang M, Markakis E. Recurrent pain after
lumbar discectomy : the diagnostic value of peridural scar on MRI. Eur Spine J
1999 ; 8 : 475-9.
7. Ross JS, Obuchowski N, Zepp R. The postoperative lumbar spine : evaluation
of epidural scar over a 1-year period. Am J Neuroradiol 1998 ; 19 : 183-6.
8. Annertz M, Jonsson B, Stromqvist B, Holtas S. No relationship between epidu-
CONCLUSION
ral fibrosis and sciatica in the lumbar postdiscectomy syndrome. A study with
contrast-enhanced magnetic resonance imaging in symptomatic and asymptomatic patients. Spine 1995 ; 20 : 449-53.
Si le rhumatologue a besoin d’une évaluation ou d’une quantification, notamment par des images, il paraît important,
lorsque la pertinence de cette évaluation à visée pronostique
9. Elkayam O, Ben Itzhak S, Avrahami E et al. Multidisciplinary approach to
chronic back pain : prognostic elements of the outcome. Clin Exp Rheumatol
1996 ; 281-8.
À tous nos lecteurs, à tous nos abonnés !
L a L e t t r e du R h u m a t o l o g u e
vous souhaite un bel été et vous remercie
de la fidélité de votre engagement.
Bonnes lectures ensoleillées
et rendez-vous dès la rentrée
Le prochain numéro paraîtra en septembre 2003
4
La Lettre du Rhumatologue - n° 293 - juin 2003
Téléchargement