Introduction
La violence à l’école, les incendies de voitures dans les quartiers et la multiplication des actes
d’incivilité se conjuguent aujourd’hui pour donner naissance à " une peur des jeunes ", relayée par une
médiatisation spectaculaire de ces phénomènes. La société ne comprend plus ces jeunes qui, dit-on,
ont " la rage ", " la haine ", qui s’attaquent à n’importe qui et à n’importe quoi, qui, un jour, demandent
de l’attention et, le lendemain, se montrent menaçants.
Cette représentation négative de la jeunesse n’est cependant pas nouvelle, de même
que ne l’est pas l’inquiétude que fait naître la délinquance d’un enfant ou d’un adolescent.
Au 19ème siècle la jeunesse était déjà perçue comme un groupe social instable et
potentiellement dangereux. La description en 1867 des agissements de la " bande à Vitasse ", des
jeunes âgés de 13 à 16 ans, ne déparerait pas dans les comptes rendus de nos hebdomadaires.
Plus tard en 1922 Emile Garçon pouvait écrire : " Quoiqu’il en soit, le problème de l’enfance
coupable demeure l’un des problèmes les plus douloureux de l’heure présente. Les statistiques les
plus sûres comme les observations les plus faciles, prouvent, d’une part que la criminalité juvénile
s’accroît dans des proportions fort inquiétantes, et d’autre part, que l’âge moyen de la criminalité
s’abaisse selon une courbe très rapide ". Souvenons-nous également de la crainte
qu’inspiraient dans les années 50 les bandes de " blousons noirs " puis les " loubards ".
Quelles qu’en soient les causes, cette délinquance est le signe d’un échec de la socialisation.
Il faut toutefois être clair, cette crise de la socialisation n’atteint qu’une faible proportion de mineurs.
D’abord parce qu’il ne faut pas confondre délinquance des jeunes et délinquance des
mineurs. La catégorie des " jeunes " représente un groupe beaucoup plus large que celui des
mineurs. En termes de statut social, on reste un " jeune " jusqu’à 25 ou même parfois 30 ans. La
minorité, elle, est une catégorie juridique qui s’arrête à 18 ans, tant au plan civil qu’au plan pénal. En
réalité, la minorité correspond, dans le langage commun, à l’enfance puis à l’adolescence. A partir de
18 ans, on n’est plus mineur mais jeune adulte. Or c’est pendant cette période, de 18 à 25 voire 30
ans, que la délinquance est, de loin, la plus importante.
Ensuite, parce qu’en dépit de la difficulté et de la fragilité propres à la période de l’enfance et
surtout de l’adolescence, la plupart des mineurs ne souffrent pas de problèmes particuliers. Ainsi, les
enquêtes qui ont été réalisées par l’INSERM montrent que la majorité des adolescents dialoguent
normalement avec leurs parents, ont une scolarité sans heurts et jouissent d’une bonne santé
mentale. N’oublions pas les nombreux jeunes qui s’engagent dans la vie associative, la solidarité, le
refus du racisme.
Une minorité, toutefois, d’enfants et d’adolescents -15 à 20 %- connaît des difficultés
sérieuses. Toujours selon l’INSERM, un adolescent sur cinq déclare avoir été victime de violence, que
cette violence soit physique ou sexuelle. Un élève sur seize entre 11 et 18 ans déclare avoir fait une
tentative de suicide.
Or les jeunes qui ont été victimes de violences pendant leur minorité ont généralement plus de
mal à s’insérer dans la société et sont eux-mêmes plus enclins que les autres à développer des
comportements violents. Pour certains, la succession des échecs et leur progressive exclusion les
conduisent à " l’extrême de la souffrance, de la désespérance et de la délinquance [qui] n’est pas
loin ", pour reprendre les termes du rapport sur " La progression de la précarité en France et ses effets
sur la santé ", établi en février 1998 par le Haut comité de la santé publique.
Il ressort des différentes auditions auxquelles a procédées la commission que trois formes de
comportement délinquant peuvent être identifiés :
- la délinquance " initiatique ", celle des transgressions qui ont toujours été observées
lors du passage de l’adolescence à l’âge adulte ;
- la délinquance " pathologique ", qui tient à des troubles psychologiques fortement
individualisés ;
- la délinquance " d’exclusion ", qui est plus ou moins liée au chômage et à
l’aggravation des problèmes sociaux, et qui se manifeste surtout dans les quartiers difficiles. Les
adolescents y cumulent toutes sortes de handicaps : échec scolaire, précarité familiale, mauvaise
santé, troubles psychologiques, problèmes de logement, errance.
Cette analyse ne doit pas conduire à penser qu’il existe trois catégories étanches de mineurs
délinquants. Preuve en est la question des mineurs toxicomanes. Le simple usage peut parfaitement
relever de la délinquance initiatique, ou au contraire d’usage récréatif devenir toxicomanie et relever
alors d’une délinquance pathologique. Enfin la délinquance d’exclusion peut, elle aussi, générer des
conduites toxicomaniaques - sans parler naturellement du trafic lui-même. L’usage de stupéfiants est
en soi un problème très spécifique chez les mineurs ; c’est avant tout une question de santé publique.