L Imagerie des complications cardiaques des traitements anticancéreux (médecine

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DOSSIER THÉMATIQUE
Toxicité cardiovasculaire
des traitements anticancéreux
Imagerie des complications
cardiaques des traitements
anticancéreux (médecine
nucléaire, IRM)
Imaging of chemotherapy-induced cardiotoxicity
(nuclear medicine, cardiac MRI)
Alain Manrique*, Denis Agostini**
L
* Service commun des investigations
humaines, GIP Cyceron, Caen.
** Service de médecine nucléaire,
CHU de Caen.
es anthracyclines constituent une classe
thérapeutique essentielle dans la prise en
charge initiale des lymphomes et du cancer
du sein. Une autre molécule, le trastuzumab, s’est
récemment imposée comme un élément indispensable dans l’arsenal thérapeutique du cancer
du sein.
La cardiotoxicité reste un effet indésirable sérieux
des anthracyclines comme du trastuzumab, lequel
peut être à l’origine d’une myocardiopathie
présentant les mêmes caractéristiques cliniques
que celle induite par les anthracyclines. Cette
toxicité conduit parfois à limiter, voire à interrompre, le traitement malgré son efficacité sur le
plan carcinologique. Des données suggèrent que,
lors du traitement des lymphomes, la prévalence
de la cardiotoxicité est élevée et que les doses
seuils au-delà desquelles elle apparaît sont probablement sous-estimées. Ainsi, la prévalence des
complications cardiaques dans l’année suivant une
chimiothérapie par CHOP a été estimée rétrospectivement à 20 % dans une série de 135 patients
atteints de lymphome non hodgkinien (1). Une
dose cumulée supérieure à 200 mg/m2 et un âge
supérieur à 50 ans sont des facteurs de risque
importants (1). Une diminution précoce de la fraction d’éjection évaluée par mesure isotopique est
détectable dès le seuil de 200 mg/m2, et semble
prédictive d’une toxicité cardiaque tardive (2). La
surveillance en cours de traitement fait donc très
couramment appel aux méthodes d’imagerie pour
l’évaluation de la fraction d’éjection du ventricule
gauche (FEVG).
14 | La Lettre du Cardiologue • n° 421 - janvier 2009 Scintigraphie des cavités
cardiaques
La ventriculographie isotopique, ou scintigraphie des
cavités cardiaques, est un examen de réalisation simple
qui constitue depuis plus de 20 ans une méthode de
référence pour calculer la FEVG. L’examen est réalisé en
respiration libre, en oblique antérieur gauche à 45°, après
marquage des globules rouges in vivo au 99mTc. L’acquisition dure entre 6 et 10 minutes et ne nécessite aucune
préparation particulière. La synchronisation à l’électrocardiogramme nécessite en principe que le patient
soit en rythme sinusal, mais l’examen reste possible en
cas de fibrillation auriculaire si le rythme n’est pas trop
irrégulier. Le traitement informatique des données dure
moins d’une minute, et les outils automatisés, largement
disponibles, assurent une excellente reproductibilité
interexamen de la technique (< 5 %).
La réalisation d’un dépistage précoce, avant que n’apparaissent les signes cliniques d’insuffisance cardiaque, est
de la plus haute importance. Chez les patients traités par
anthracyclines, l’attitude couramment admise consiste
à surveiller de façon régulière la FEVG, dont la diminution précède et annonce la survenue retardée des signes
cliniques (3, 4). Il est proposé un arrêt du traitement lors
de l’apparition d’une dysfonction ventriculaire gauche
attestée par la combinaison d’une FEVG inférieure à
50 % et d’une diminution d’au moins 10 % de la FEVG
par rapport à la valeur initiale. Cette attitude repose
sur l’algorithme, proposé en 1987 par R.G. Schwartz
et al. (5) : l’utilisation de cet algorithme évalué sur
1 500 patients traités par anthracyclines et suivis durant
7 ans, avait entraîné une diminution d’un facteur 4 de
Résumé
Les techniques scintigraphiques de surveillance des chimiothérapies restent dominées par l’angiographie isotopique. La place de l’IRM reste encore à définir.
Mots-clés
Angiographie
isotopique
Résonance
magnétique
l’incidence d’insuffisance cardiaque cliniquement avérée.
Une nouvelle évaluation de la FEVG est recommandée
après des doses cumulatives de 240-300 mg/m2 et de
400-450 mg/m2 de doxorubicine, puis après chaque
dose supplémentaire. Une surveillance plus rapprochée est recommandée chez les patients présentant
une dysfonction ventriculaire gauche à l’état de base ou
une maladie cardiaque connue, et en cas de radiothérapie
concomitante ou antérieure ou d’exposition simultanée
à tout autre agent cardiotoxique (6). Concernant le
suivi des patients sous trastuzumab, un algorithme de
surveillance rapprochée de la fraction d’éjection toutes
les 12 semaines a été récemment proposé par l’équipe
de la Mayo Clinic (7), fondé sur la cinétique d’apparition
des complications cardiaques rapportées dans les essais
thérapeutiques, mais son efficacité pour prévenir des
complications tardives reste encore à déterminer.
L’évaluation de la fraction d’éjection à l’effort par
méthode isotopique a été proposée avec un certain
succès, mais reste très limitée en pratique en raison
de l’état clinique de ces patients, souvent altéré sous
les effet conjugués de la maladie, de la chimiothérapie et des pathologies associées (anémie, etc.).
Autres techniques
scintigraphiques
Par le passé, la scintigraphie myocardique aux anticorps antimyosine marqués avait permis de différencier une lyse myocytaire authentique d’une
diminution transitoire et réversible de la FEVG après
chimiothérapie par anthracyclines (8, 9). En effet, il
avait été rapporté qu’une action inotrope négative
pouvait être responsable d’une altération transitoire
de la fonction contractile après une cure d’anthracyclines, ce qui justifiait de ne mesurer la FEVG qu’à
distance de la dernière cure, avant la réalisation de
la cure suivante. Les anticorps antimyosine marqués
à l’indium, ne se fixant au niveau du myocarde qu’en
cas d’externalisation de la myosine intracellulaire
consécutivement à la lyse cellulaire, permettaient de
mettre en évidence de façon non invasive les lésions
myocardiques secondaires à la toxicité des anthracyclines. Cette technique, pourtant prometteuse, a été
abandonnée après le retrait des anticorps antimyosine
marqués, dont le marché a été jugé trop étroit.
IRM
Summary
L’IRM cardiaque permet une analyse morphologique
des cavités cardiaques et le calcul des fractions d’éjection des deux ventricules. Sa complexité d’utilisation au
regard de la simplicité des méthodes échographiques
ou encore scintigraphiques n’en fait cependant qu’un
examen de seconde intention dans cette indication.
En revanche, l’IRM offre des possibilités originales
de caractérisation tissulaire. Il a été montré que, en
cas de lésion myocardique secondaire à un infarctus
ou à une myocardite, une augmentation importante
du signal survient 15 à 20 minutes après l’injection
d’un produit de contraste paramagnétique (sels de
gadolinium), augmentation qui permet de mettre en
évidence les lésions à un stade initial.
Dans une étude récente (10), une IRM cardiaque a été
effectuée chez 10 patientes présentant une toxicité
avérée au trastuzumab, dont le diagnostic reposait sur
une diminution de FEVG inférieure à 40 % en scintigraphie ou en échographie. Les 10 patientes de cette
étude présentaient toutes un hypersignal tardif en IRM
après injection de gadolinium, prédominant au niveau
de la paroi latérale, et de siège sous-épicardique dans
tous les cas. Ce type de lésions est très similaire à ce
qui est observé dans les cas de myocardite. Cela est
cohérent avec la récupération fréquente d’une fonction ventriculaire gauche normale après interruption
du traitement chez ses patientes, rendant parfois
possible la reprise du traitement dans un second
temps. Dans cette dernière étude, 6 des 10 patientes
ont vu leur fonction ventriculaire gauche se normaliser
après interruption du trastuzumab. Cependant, les
4 autres patientes présentaient des signes de dysfonction persistante à 6 mois, et ce malgré un traitement
approprié de l’insuffisance cardiaque, incluant IEC et
bêtabloquants.
Conclusion
L’imagerie des complications cardiaques des chimiothérapies reste très largement fondée sur l’utilisation
de la fraction d’éjection isotopique. L’IRM cardiaque
avec injection est une technique prometteuse, particulièrement pour l’évaluation des complications
liées à l’utilisation du trastuzumab chez les patientes
suivies pour un cancer du sein.
■
Among isotopic technics to
detect cardiac side-effects of
anticancer drugs, radionuclide
angiography remains in first
line. Although MR imaging
is also helpful, its indications
remain to be more acurately
defined.
Keywords
Radionuclide angiography
Magnetic resonance
Références
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