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médecin. Celle-ci, ainsi que la vérifica-
tion de son ingestion sont assurées par un
infirmier dans les locaux de l’institution.
Pour les week-ends et jours fériés, les fla-
cons correspondants sont remis au patient.
Pour les jours de prise “hors centre”, une
attestation de bonne prise de méthadone
“hors centre” est établie. Une copie de
cette attestation est remise au patient en
vue de “légaliser” le transport des flacons
qu’il doit, par la suite, rapporter vides.
Finalement, le bon respect de la procédure
est contrôlé à partir des prélèvements
d’urine. Le moment de ce contrôle est fixé
au gré du médecin traitant. En général, il
a lieu une fois par semaine. Si les analyses
découvrent la présence d’un produit
incompatible avec le protocole, le traite-
ment peut s’arrêter immédiatement.
Comme on peut le constater, le traitement
de substitution à la méthadone ne se limite
pas à la prescription d’un médicament à
la suite d’un examen (comme pour le
Subutex®ou une autre médication). Ici le
traitement est constitué non seulement par
l’ingestion d’un remède, mais aussi, de
façon simultanée, par le respect minutieux
d’un protocole. Pas de traitement par
méthadone sans respect du protocole de
distribution que nous venons de décrire.
C’est justement ce protocole, comme
modalité de délivrance et de contrôle de
la procédure, en plus de la substance chi-
mique indiquée, qui fait l’objet de notre
réflexion.
C’est justement sur ce modèle d’expéri-
mentation, standardisé et invariable pour
la totalité des malades concernés, que
repose notre questionnement.
C’est justement sur cette notation quasi
quotidienne, qui a valeur de test de l’état
de la maladie au travers d’un regard suivi
sur l’intérieur de l’organisme, que s’ap-
puie notre thèse selon laquelle un traite-
ment de substitution à la méthadone est
un exemple de la mise en place d’une
technique.
Le protocole méthadone
en tant que technique moderne
Un traitement de substitution à la métha-
done est un exemple d’application technique
des avancées scientifiques. Il n’est pas une
technique, parce qu’il utilise des “outils”
pour arriver à des fins, ni en fonction des
résultats ou de l’efficacité que ces outils
peuvent obtenir.
La méthadone, dans la totalité de son pro-
tocole – c’est-à-dire la prescription, l’ab-
sorption du produit, la notation presque
bureaucratique des différents moments de
la médicalisation, plus la vérification du
respect du protocole à partir des analyses
d’urine –, est un exemple de la technique
moderne en tant qu’elle considère le corps
du malade comme une masse quantifiable
pouvant être objectivée.
De la même manière que la particularité
de la technique moderne, à la différence
de la technique artisanale, réside dans le
fait qu’elle s’appuie sur la science exacte
de la nature ; la technique médicale d’un
protocole de substitution est l’exemple
d’effet des avancées scientifiques en tant
que concevant le corps malade du patient
toxicomane comme un objet mathéma-
tique analysable.
Pour la science moderne, la nature n’est
plus désormais le recours obligé pour
obtenir de la nourriture, ni objet de
contemplation ou de respect. Ainsi, pour
la technique moderne fondée sur la révo-
lution scientifique, un fleuve n’est plus
une réserve de vie, un paysage, une source
d’inspiration pour le poète ; le fleuve,
canalisé dans une centrale, est devenu
fournisseur d’énergie électrique. Face à un
protocole de substitution, le corps du
patient n’est plus le résultat du compromis
entre la question sexuelle et sa réponse à
partir de la mise en fonction d’une signi-
fication qui détermine chaque modalité de
jouissance. Pour un protocole méthadone,
le patient est représenté par son organisme
en tant que masse pure ou impure suscep-
tible de fournir des informations (positives
ou négatives, symboles présents ou
absents) au travers de signes concrets. La
science moderne traite le corps comme un
fonds, comme un objet scrutable, calcu-
lable, comme un “stock” fondamentale-
ment muet. Et le protocole de substitution,
qu’on le veuille ou pas, le sache ou pas,
traite l’organisme du malade, dépourvu de
toute dimension subjective, comme une
masse sommée de donner des informa-
tions spécifiques.
Les incidences
Ici, un fossé entre le traitement de la mala-
die et la clinique du malade s’est creusé.
C’est justement le risque de l’expérimen-
tation technologique : la forclusion de la
dimension de la subjectivité de l’être,
(dimension à laquelle la notion du corps
est intrinsèque) comme conséquence de la
guerre contre la maladie au nom de la
santé (santé dont la notion d’organisme est
indissociable(2)).
L’utilisation d’une technique moderne
véhicule de façon imperceptible, même
pour elle, ce passage. Un protocole métha-
done dans sa totalité, de par son mode
d’appréhension du corps, redéfinit celui-
ci en le ramenant à la catégorie d’orga-
nisme. La mise en place du protocole, son
droit de regard à partir d’une formalisa-
tion scientifique préalable, qui rend pos-
sible postérieurement une conclusion
indiscutable, font que la dimension du cor-
porel est résorbée dans celle d’organisme.
Et par cette prédominance organique, la
subjectivité s’évapore.
Voici l’involontaire irrespect de la tech-
nique moderne envers son objet, qui tout
en le traitant, le modifie radicalement. Et,
si paradoxal que cela puisse paraître, la spé-
mise au point
Mise au point
(2) On se rappelle la définition de Bichat : “La
santé est le silence des organes.”