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P O I N T
Récidives ganglionnaires exclusives
de tumeurs épithéliales de l’ovaire : caractéristiques,
prise en charge thérapeutique et pronostic
Outcomes after combined therapy including surgical resection in patients
with epithelial ovarian cancer recurrence(s) exclusively in lymph nodes
● C. Uzan1, P. Morice1, A. Rey2, A. Thoury1, P. Pautier3, S. Camatte6, C. Lhommé3, C. Haie-Meder4, P. Duvillard5, D. Castaigne1
L
e rôle de la chirurgie de réduction tumorale dans les
tumeurs épithéliales malignes de l’ovaire (TEMO)
est bien établi (1, 2). Une méta-analyse, récemment
publiée par Bristow, montrait qu’une chirurgie maximaliste de
réduction était le facteur de bon pronostic le plus puissant sur
la survie des patientes atteintes de TEMO stades III ou IV (2).
Toutefois, la place des curages pelviens et lombo-aortiques,
lors de la chirurgie initiale, est encore actuellement débattue.
Chez les patientes à un stade apparemment précoce (“stade I”
de la classification de FIGO), le taux d’atteinte ganglionnaire
varie de 2 à 20 % (3, 4). Les patientes pN+ bénéficient alors
d’un traitement adjuvant qu’elles n’auraient pas eu si le curage
n’avait pas été réalisé. Chez les patientes à un stade avancé, la
taille du résidu tumoral après debulking est le facteur pronostique le plus important ( 2 ). Comme les TEMO sont l’une des
tumeurs pelviennes les plus lymphophiles, les curages pelviens
et lombo-aortiques devraient, en théorie, être réalisés pour que
la résection soit la plus complète possible. Cependant, aucune
étude randomisée n’a démontré la valeur thérapeutique de la
résection chirurgicale des ganglions atteints chez ces patientes.
Une étude randomisée encore non publiée, mais récemment
présentée en congrès, suggère que la survie sans récidive est
significativement améliorée chez les patientes stades III et IV
qui ont eu des curages complets, par rapport à celles à qui on a
juste réséqué les ganglions atteints fixés (83 versus 63% à 3 ans)
( 5 ). De tels résultats seraient en faveur de curages pelviens et
lombo-aortiques systématiques dans les cas où l’on peut réaliser une résection optimale (obtention d’un résidu tumoral inférieur à 1 cm dans la cavité abdomino-pelvienne). Toutefois, les
taux de survie globale étaient identiques dans les deux groupes
de cette étude (5).
Si de nombreux auteurs se sont interrogés sur la place des
curages dans le traitement initial des TEMO, aucun article n’a
étudié le pronostic des patientes présentant une récidive ganglionnaire traitée chirurgicalement. Le but de cette étude est
1
Services de chirurgie gynécologique, 2 de biostatistique, 3 d’oncologie, 4 de
radiothérapie, 5 d’anatomie-pathologique, Institut Gustave-Roussy, 39, rue
Camille-Desmoulins, 94805 Villejuif, 6 de chirurgie gynécologique, hôpital
européen Georges-Pompidou, 75908 Paris Cedex 15.
La Lettre du Gynécologue - n° 293 - juin 2004
d’évaluer le pronostic et la place de la chirurgie dans les récidives ganglionnaires a priori isolées.
MATÉRIEL ET MÉTHODES
Il s’agit d’une étude rétrospective sur les TEMO traitées entre
juin 1987 et novembre 2000 présentant une rechute ganglionnaire a priori exclusive, prouvée histologiquement, et avec un
intervalle sans récidive d’au moins 6 mois après la fin du traitement initial. Les critères d’exclusion étaient les suivants :
– tumeur non épithéliale ou frontière ;
– progression de la maladie ou récidive dans une autre localisation avant la récidive ganglionnaire ;
– absence de preuve histologique de la récidive ;
– présence de ganglions atteints lors de la chirurgie de second
look ou lors d’une chirurgie de réduction tumorale pour récidive intra-abdominale ;
– existence d’autres métastases concomitantes (péritonéale,
épanchement pleural, parenchymateuses) diagnostiquées cliniquement ou à l’imagerie (radiographie pulmonaire et/ou échographie abdominopelvienne et/ou TDM).
Toutes les patientes ont été traitées chirurgicalement. Les
modalités du traitement postopératoire dépendaient des différents protocoles appliqués au cours de la période couverte par
l’étude, des caractéristiques des métastases ganglionnaires
(nombre, localisation, existence d’une rupture capsulaire), des
traitements antérieurs administrés et de l’état général des
patientes.
Les caractéristiques des patientes lors du traitement initial ont
été notées (âge, stade FIGO, traitements chirurgical et adjuvant
initiaux, taille du résidu tumoral). De même, ont été étudiés la
durée de rémission initiale (définie comme le temps séparant
la fin du traitement initial du diagnostic de la récidive ganglionnaire), le mode de diagnostic de la récidive et sa localisation, le traitement adjuvant administré et la survie des
patientes.
La survie globale et la survie après la première récidive ont été
calculées selon la méthode de Kaplan-Meier.
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RÉSULTATS
Durant la période de l’étude, douze patientes ont présenté une
récidive ganglionnaire a priori exclusive de TEMO. Huit
avaient initialement été traitées en dehors de notre institut et
étaient adressées pour récidive. L’âge médian des patientes
était de 51 ans (extrêmes : 42-71).
Les caractéristiques des patientes sont détaillées dans le
t a b l e a u. Le stade FIGO initial était : IA chez 5 patientes, IIA
chez une patiente et IIIC dans six cas (sans atteinte péritonéale
dans deux de ces six cas). Toutes les patientes avaient au moins
eu une hystérectomie avec annexectomie bilatérale, omentectomie, biopsies péritonéales multiples et cytologie péritonéale.
Neuf patientes n’ont pas eu de curage lors du traitement initial
(huit d’entre elles avaient initialement été traitées hors institut et
la dernière avait été traitée à l’institut, son âge avait fait contreindiquer une lymphadénectomie). Une patiente avait eu des
curages pelviens seuls sans curage lombo-aortique initialement.
La taille du résidu tumoral était non détectable dans sept cas,
inférieure à 2 cm dans quatre cas et supérieure à 2 cm dans un
cas. Neuf pa-tientes ont reçu un traitement adjuvant par chimiothérapie (à base
de sel de platine). Le type
histologique de
la tumeur initiale était séreux
dans huit cas et
endo-métrioïde
dans quatre
cas.
La médiane de
rémission initiale était de 21
mois (extrêmes :
6-72). La topographie des ré-
Figure.
cidives était intra-abdominale dans dix cas (pelvienne n = 5,
lombo-aortique n = 4, les deux n = 1) dont un cas avec une lésion
de carcinose centimétrique découverte lors de la chirurgie qui a pu
être réséquée, inguinale dans un cas et, lombo-aortique et susclaviculaire dans un cas. Le diagnostic de récidive a été réalisé devant
des signes cliniques et une élévation du CA125 chez deux
patientes, une élévation du marqueur et des signes à l’imagerie
secondairement réalisée (dont deux PET scan) chez neuf patientes
et sur une élévation du marqueur seul chez une patiente.
Le traitement chirurgical, réalisé lors de la récidive ganglionnaire, a été une laparotomie dans dix cas et une adénectomie
sélective dans deux cas (un inguinale et un susclaviculaire). La
cytologie péritonéale était positive dans deux cas (dont un avec
lésion macroscopique centrimétrique visible) et négative dans
huit cas. Il n’a pas été relevé de complication chirurgicale
sévère. Une chimiothérapie complémentaire a été réalisée dans
dix cas et une radiothérapie dans deux cas.
La médiane de suivi a été de 50 mois (extrêmes : 13-158). Huit
patientes ont présenté une seconde récidive dont quatre avec une
nouvelle récidive ganglionnaire exclusive. Sur ces dernières
patientes, trois ont eu une nouvelle chirurgie. La survie à 5 ans après
traitement de la récidive était de 71% (IC : 41-90%) (figure). La
médiane de survie sans seconde récidive était de 44 mois (extrêmes :
8-158), celle de survie globale de 114 mois (extrêmes : 43-172).
DISCUSSION
Dans les séries de la littérature, les localisations précises des
récidives de TEMO sont souvent non spécifiées ou, quand
elles sont spécifiées, les récidives ganglionnaires sont incluses
dans de larges séries regroupant tous types de récidives. Il
s’agit donc, à notre connaissance, de la première série sur les
localisations ganglionnaires exclusives.
Il est important d’insister sur l’impact de la chirurgie initiale sur le
risque de récidive ganglionnaire. Dans une série précédemment
publiée, colligeant 276 curages lombo-aortiques réalisés dans
notre centre, trois récidives ganglionnaires exclusives seulement
Tableau. Caratéristiques des patientes.
Cas n°
Âge Chimiothérapie
initiale
Stade*
initial
Taille du
résidu
tumoral
Durée de
rémission
(mois)
Localisation de
la récidive
1
2
49
47
3
4
5
Nombre de
Traitement
Localisation de
ganglions + postopératoire
la seconde
**
récidive
non
oui
IA
IIIC
R0
< 2 cm
60
18
50
56
42
oui
oui
non
IIA
IIIC
IA
R0
R0
R0
60
24
24
9
3 avec RC
****
2 avec RC
1 avec RC
1 avec RC
CT
CT+RT
CT
6
7
8
52
51
51
oui
oui
oui
IA
IIIC
IIIC
R0
< 2 cm
< 2 cm
32
6
62
1
1 avec RC
15
none
CT
CT
9
10
71
52
oui
oui
IIIC
IIIC
> 2 cm
< 2 cm
11
13
lombo-aortique
lombo-aortique
+péritonéale (cm)
pelvienne
pelvienne
lombo-aortique
+sus-claviculaire
lombo-aortique
lombo-aortique
lombo-aortique
+ pelvienne
inguinale
pelvienne gauche
1 avec RC
3
RT
CT
11
12
48
60
oui
oui
IA
IA
R0
R0
15
12
pelvienne
lombo-aortique
1 avec RC
1 avec RC
CT
CT
CT
CT
pleurale
peritonéale
Traitement de
la seconde
récidive
Devenir
***
CT
CT
décedée
VAR
VSR
VSR
lombolymphadénecVAR
aortique
tomie + CT
VSR
hile splénique splenectomie+ ct
VSR
pelvienne
lymphadenectomie décédée
+ CT
péritonéale
CT
VAR
pelvien droit lymphadenectomie
VSr
+ CT
rate
splénectomie
décédée
VSR
* Stade de la maladie selon la classification FIGO, 1987. ** CT : chimiothérapie ; RT : radiothérapie. *** VAR : vivante avec récidive ; VSR : vivante sans récidive.
**** RC : rupture capsulaire.
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ont été retrouvées ( 4 ). Dans cette série, huit des onze récidives
intra-abdominales n’avaient pas eu de curages lors de la chirurgie
initiale. Ces éléments sont en faveur d’un rôle thérapeutique probable de la lymphadénectomie.
Le site de métastase ganglionnaire le plus fréquent des TEO
est en lombo-aortique. Dans la littérature, on retrouve 13 à
40 % de N+ en pelvien et 15 à 40 % de N+ en lombo-aortique
(6-8). Dans l’étude réalisée dans notre centre, le taux de N+
pelvien exclusif était de 8 % et de 33 % pour les atteintes
lombo-aortiques exclusives. Au total, 92 % des N+ étaient
localisés en lombo-aortique plus ou moins associés à des localisations pelviennes (4).
La survie des récidives ganglionnaires exclusives paraît plus
élevée que dans les récidives globales (9-11).
On peut s’interroger sur la survie des patientes ayant eu
recours à la chirurgie seule dans le traitement global. En effet,
la plupart des patientes de notre étude ont eu un traitement
adjuvant. Il n’existe pas de données dans la littérature sur le
traitement par chimiothérapie exclusive des récidives ganglionnaires. Toutefois, certaines données sont en faveur d’une
chimiorésistance des métastases ganglionnaires (12, 13). De
plus, dans les cas de récidives globales, Kuhn retrouvait une
meilleure survie en cas de chirurgie d’exérèse associée à une
chimiothérapie par rapport à une chimiothérapie seule (38 versus 12 mois, p < 0,01) (14). De même, on peut envisager la
chirurgie des secondes récidives ganglionnaires exclusives
(dans notre série, deux patientes vivantes sans récidive sur
trois nouvelles reprises chirurgicales).
Pour ce qui est du type de chirurgie d’exérèse à réaliser, il
semble recommandé de faire une lymphadénectomie complète
s’il n’y a pas eu de curages initiaux, et une adénectomie sélective dans le cas contraire.
De nouvelles techniques d’imagerie comme le TEP scan peuvent
aider à sélectionner les localisations ganglionnaires exclusives.
Cette série, certes très limitée, montre que la survie, après
résection de la récidive ganglionnaire, semble indépendante du
stade FIGO initial. On ne retrouve pas non plus d’influence de
la durée de rémission après la fin du traitement initial. Dans la
littérature, ces deux critères modifient la survie dans les cas de
récidives globales, avec notamment un seuil de 12 mois de
rémission en dessous duquel les auteurs ne recommandent pas
de traitement chirurgical des récidives (15, 16).
CONCLUSION
On semble observer un relatif bon pronostic de ces patientes
avec récidive ganglionnaire exclusive de TEMO. Ces cas sont
rares d’autant plus si on a réalisé une lymphadénectomie complète lors du traitement. La durée de rémission et le stade ini-
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tial ne semblent pas influencer le devenir de ces patientes. Une
résection chirurgicale de ces récidives isolées paraît donc
licite, même en cas de récidive ganglionnaire itérative.
Néanmoins, l’interprétation des résultats de cette série est limitée par le nombre faible de patientes étudiées (les indications
d’une chirurgie ganglionnaire de rattrapage dans les TEMO
étant rares) et par la présence de biais de sélection (patientes
présentant une récidive a priori unique et donc de meilleur pronostic que les patientes ayant des récidives multifocales). Une
étude multicentrique française soutenue par la SFOG est en
cours afin d’analyser l’intérêt de cette chirurgie ganglionnaire
de rattrapage.
■
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É F É R E N C E S
B I B L I O G R A P H I Q U E S
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24-26 février 2005 – Kursaal – Dunkerque – 2e congrès de la Société de chirurgie gynécologique
et pelvienne.
Inscription et renseignements : Office du tourisme de Dunkerque. E-mail : [email protected].
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La Lettre du Gynécologue - n° 293 - juin 2004
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