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La Lettre du Sénologue - n° 18 - octobre/novembre/décembre 2002
e nos jours, chacun s’accorde à considérer le cancer
comme une maladie encore létale, pathologie inti-
mement associée à des thérapeutiques lourdes
telles que la chimiothérapie, la radiothérapie, la chirurgie, la
curiethérapie, etc.
De manière inattendue et radicale, le cancer apparaît ainsi
comme la marque du réel ou encore comme traumatisme singulier
renvoyant le sujet à la question de sa propre mort et prenant de
court ses possibilités d’élaboration et de symbolisation.
LE CANCER OU L’OBJET D’UN IMPOSSIBLE À DIRE…
Faisant brutalement irruption dans la vie du sujet, le cancer
opère une véritable coupure (Lehmann, 1995) lui rappelant
soudainement qu’il est mortel.
La maladie s’apparente ainsi à l’objet d’une mauvaise rencontre
par laquelle le patient est projeté dans un hors-sens où nulle
parole ne parvient à rendre compte d’un réel inassimilable et
innommable (Lacan, 1955).
Nous parlerons d’expérience indicible, où le mot manque à dire,
ou encore de sidération, avec saturation des capacités d’élabo-
ration du sujet.
Pour illustrer l’état de sidération, nous évoquerons l’histoire
d’une patiente que nous nommerons Madame C., adressée pour
métastases multiples d’un adénocarcinome mammaire. Les pre-
mières semaines qui suivirent le diagnostic ont été dominées par
un sentiment d’effroi et de sidération manifeste avec une impos-
sibilité à entendre le protocole thérapeutique, à nommer la maladie
et à la faire partager à l’entourage. Un manque à dire, comme
protection à l’égard d’une réalité encore difficile à assimiler.
Seules les algies croissantes en intensité ont invité Madame C.
à se faire hospitaliser et accepter progressivement le protocole
thérapeutique évoqué le mois précédent.
Cet état de sidération, relevant d’une absence quasi totale d’éla-
boration comme mesure de protection narcissique, a progressi-
vement laissé place à un discours revendicatif (“pourquoi moi ?
“pourquoi le sein droit ?”), évocation de la maladie en termes de
recherche de phénomènes explicatifs, discours à entendre comme
début de réponse face à l’insupportable.
Cette illustration clinique pour montrer comment un patient, aux
prises avec le réel, va devoir se débattre avec ses peurs tout en
tentant de trouver pas à pas une réponse face à cet insymboli-
sable et ce, en ayant recours à des mécanismes défensifs afin de
maîtriser les affects éveillés par la maladie.
Parallèlement à la sidération, l’effondrement émotionnel ou
l’état de détresse véhiculé par les pleurs surgit quand la parole
vient à manquer. Cet instant se doit d’être respecté et cet échap-
pement à tout contrôle est à préserver même si la situation est
parfois troublante.
Si nous lui donnons la possibilité “d’être”, le patient s’autorisera
à “se dire”.
UNE PARADE CONTRE LE RÉEL INDICIBLE…
Les mécanismes de défense mobilisés par les patients sont
extrêmement nombreux et la liste serait bien trop longue s’il fallait
tous les énumérer.
Voici cependant les principaux processus rencontrés dans le
cadre oncologique : la dénégation, le déni de la réalité psychique,
la régression, les réactions d’agressivité, l’isolation, la négation
par le fantasme, les modes de pensées magiques, la sublimation,
le refoulement…
L’ensemble de ces processus défensifs vise à supporter le réel
de la maladie qui menace l’existence du sujet et par là même à
protéger l’intégrité psychique de ce dernier. Nous pouvons avancer
les termes d’autoconservation et de protection de la vie psychique.
En se défendant de l’angoisse d’anéantissement et de mort, le
sujet élabore ainsi une parade contre ce réel, contournant la terreur
du non-sens.
Ces processus défensifs permettent donc de rendre tolérables les
menaces existentielles occasionnées par la maladie.
Il paraît très important d’insister sur le fait que ces processus res-
tent des mécanismes adaptatifs, il serait donc préjudiciable de
vouloir faire “taire” ces manifestations paraissant parfois incon-
grues, voire dérangeantes.
LE DÉNI…
Il est fréquent de rencontrer des patients en fin de vie qui nous
font part de leurs projets de “construction de maison”, de leurs
“prochaines vacances estivales”... Des patients qui, face à la
faillite de leur propre corps, mettent tout en œuvre pour annuler
de la conscience une réalité trop pénible, impossible à gérer et
mettant en jeu le pronostic vital.
Le déni est la défense la plus archaïque mais il est également
objet de nombreuses controverses. Nous resterons sur le caractère
d’une défense adaptative à différencier d’une décompensation
psychotique.
Les mécanismes de défense en cancérologie
●S. Puy-Pernias*
* Psychologue, Institut Sainte-Catherine, Avignon.
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