T R I B U N E Difficultés d’une estimation du coût du traitement du cancer du sein© ● J. Rouëssé*, J. Berlie*, C. Davesne*, E. Hirlimann* RÉSUMÉ. Bien qu’il s’agisse d’un problème de santé publique de première importance, le coût du traitement du cancer du sein, qui concerne tous les ans plus de 30 000 nouvelles femmes, est encore bien difficile à cerner, tout au moins en France. Les données épidémiologiques restent encore incomplètes. L’estimation du coût réel (et non facturé) à l’assurance maladie est difficile, quels que soient les différents temps thérapeutiques, qu’il s’agisse du bilan initial, de l’hospitalisation pour chirurgie, ou de la radiothérapie et des chimiothérapies et des hormonothérapies adjuvantes. Cette estimation est encore plus complexe si l’on considère les formes dites “avancées”. Quoi qu’il en soit, on peut donc penser que chaque année, en France, entre 4,2 et 7,4 milliards de francs sont consacrés au traitement de cette affection. Une telle estimation se base soit sur les données des budgets des centres de lutte contre le cancer, soit sur une estimation simplifiée du coût du cancer du sein localisé ou “avancé”. De toute façon, de telles approches ne tiennent pas compte des critères de qualité qu’il paraît indispensable de mieux définir. MOTS-CLÉS. Cancer du sein - Coût - Économie de la santé. L e cancer du sein est indiscutablement un problème de santé publique. C’est le premier cancer féminin pour ce qui est de la fréquence, puisqu’il représente 32 % chez la femme et, dans les deux sexes, 14 % des nouveaux cas annuels de cancers. Son incidence (1), estimée à 19 250 nouveaux cas par an en France en 1975, est en 1995 de 33 867, soit une augmentation de 60 %. Il est responsable, en 1995, d’une mortalité de 10 789 cas par an (+ 8 % en 20 ans), soit de 19 % des décès féminins par cancer, dont 40 % de décès prématurés avant 65 ans. Comme l’écrit Jacques Oudin dans son rapport au Sénat 1999 (2) : “Nul ne sait exactement quelle est la part des dépenses d’assurance maladie consacrée à la lutte contre le cancer, ni si ces sommes sont efficacement employées.” C’est dire l’ignorance dans laquelle nous sommes en ce qui concerne le cancer du sein, d’autant que le “marché” est mal connu, les coûts de “production” de la thérapeutique aussi, et que les critères de qualité de celle-ci sont mal définis. Nous voudrions simplement voir ici s’il est possible actuellement, alors qu’il est question du coût par pathologie, d’une part d’estimer le coût du traitement du cancer du sein incluant le bilan initial et le suivi, avec les moyens dont dispose une structure comme un centre de lutte contre le cancer, et, d’autre part, d’avoir une idée même très approximative des sommes consacrées chaque année en France au cancer du sein, sans aborder les problèmes très spécifiques du dépistage de masse. * Centre René-Huguenin, Saint-Cloud. © La Lettre du Cancérologue, 2000. La Lettre du Sénologue - n° 9 - juin 2000 LE “MARCHÉ” EST MAL CONNU Rappelons que si les données de mortalité reposent sur un enregistrement national de bonne qualité, celles de morbidité (1) proviennent de neuf registres départementaux du cancer (Bas-Rhin, Calvados, Côte-d’Or, Doubs, Hérault, HauteGaronne, Isère, Somme, Tarn), à partir desquels, et avec beaucoup de précautions, ont été extrapolés les chiffres publiés par Ménégoz et coll. Aucun de ces registres ne concerne des régions très urbanisées telle l’Ile-de-France et, remarquent les auteurs, “les registres sont implantés dans des départements présentant des caractéristiques sociodémographiques variées et dans lesquels le poids du cancer parmi les problèmes de santé de la population est variable”. Par ailleurs, les extrapolations des départements au territoire national reposent, toujours selon les mêmes auteurs, sur “l’hypothèse d’une relation stable entre l’incidence et la mortalité (ce qui) suppose une survie identique dans toutes les régions, et donc un même degré d’extension de la maladie au moment du diagnostic, et des pratiques diagnostiques et thérapeutiques comparables”. Il est un fait que la répartition par stades de ces nouveaux cas est mal connue, les taux estimés de formes métastatiques d’emblée variant selon les données entre 2,3 à près de 9 % des cas (3, 4). Quant au nombre de nouveaux cas annuels secondairement métastatiques (M+), il est inconnu ; on peut cependant estimer qu’il est l’équivalent du nombre des décès dus au cancer du sein, soit de l’ordre de 10 000, puisque, même si l’on observe parfois de longues survies, les guérisons des formes M+ sont exceptionnelles, de même que sont exceptionnels les décès par cancer du sein liés à la seule évolution locorégionale. Or ces formes métastatiques représentent un coût très important, très vraisemblablement bien supérieur à celui des formes non métastatiques. 31 T R I B U N Du fait même de ces imprécisions, l’estimation de ce que peut coûter chaque année le traitement du cancer du sein est un exercice difficile, d’autant qu’il faut considérer non seulement toutes les dépenses directement liées aux diverses thérapeutiques, et nous verrons que cela est loin d’être simple, mais aussi évaluer les coûts indirects, ce qui devient vraisemblablement quasi impossible si l’on entre dans des considérations économiques prenant en compte, par exemple, les arrêts de travail, le fait que les patients soient en retraite ou non etc. ce qui ne saurait être ici notre propos. LES COÛTS DE « PRODUCTION » (DU TRAITEMENT) SONT DIFFICILES À ÉTABLIR L’estimation des coûts directs est plus difficile qu’il n’y paraît à première vue. Envisageons une à une les différentes étapes de la démarche diagnostique et thérapeutique. Tout d’abord le bilan d’extension : il est fait le plus souvent en externe, et il semble a priori facile d’en faire une estimation puisque la facturation (en l’occurrence le remboursement par l’assurance maladie) des différents actes repose sur le système des lettres “clé” B, C, K, Z. Mais ce système peut lui-même être sujet à caution, certains actes étant cotés de façon inadaptée, et l’actualisation de la nomenclature ayant quelquefois du retard. D’autre part, la nature même du bilan dépend, bien sûr, du stade initial de la maladie, mais aussi et surtout, l’expérience quotidienne nous le montre, des habitudes de chacun. La malade est ensuite le plus souvent adressée en chirurgie. La facturation à l’assurance maladie du coût de l’hospitalisation se fait de façons différentes selon le statut des établissements. Dans les établissements privés à but lucratif, le remboursement repose sur les lettres “clé” et les forfaits journaliers et de salle d’opération. Il n’en est pas de même pour les établissements publics ou participant au service public hospitalier (PSPH) soumis à une dotation budgétaire globale. Dans ces établissements, la facturation de l’hospitalisation repose sur la notion d’un prix de journée forfaitaire qui sert de base au calcul de la dotation budgétaire. Ce prix de journée n’est qu’une fiction et ne s’applique qu’aux rares malades non assurés sociaux (les étrangers), puisque l’assurance maladie couvre les dépenses d’un établissement qui n’a pratiquement plus de recettes dans le cadre du traitement du cancer, affection prise en charge à 100 %. En aucun cas il ne s’agit d’un coût réel, puisque le prix de journée couvre une très grande majorité (autour de 95 %) des dépenses de l’établissement, que celles-ci correspondent ou non réellement aux frais liés à l’hospitalisation. D’autre part, le prix de journée d’un même établissement peut considérablement varier non seulement d’une année sur l’autre, mais aussi en cours d’année, en fonction de l’activité hospitalière, mais surtout de décisions financières. Ainsi, le poids d’une décision modificative de l’allocation budgétaire, prise fin octobre, concernant par exemple une augmentation salariale, s’appliquera sur les deux mois restants et donc augmentera considérablement le prix de journée, alors qu’il va s’étaler sur les douze mois de l’année suivante, ce qui abaissera sensiblement ce même prix dès janvier suivant. 32 E En fait, pour estimer le coût réel d’une hospitalisation, il faut pour chaque malade retrouver les coûts liés au temps passé par le personnel, médical (chirurgien, anesthésiste, radiodiagnosticien, oncologiste médical, biologiste, anatomopathologiste...) ou non, (infirmières, aides-soignantes, panseuses, manipulateurs, techniciens de laboratoire, secrétaires administratifs, agents hospitaliers...), aux consommables médicaux, aux dépenses hôtelières et générales et aux amortissements du matériel et des immeubles. C’est ainsi qu’au Centre René-Huguenin, 15 % des dépenses sont consacrées aux salaires et charges sociales des médecins, 51 % à ceux du personnel non médical, 16 % aux consommables médicaux (produits pharmaceutiques, produits sanguins, fluides et gaz médicaux, fournitures pour laboratoires, pour radiologie, isotopes radioactifs), 9 % aux charges d’exploitation à caractère hôtelier et général (administration, alimentation, blanchisserie, chauffage, électricité, informatique, linge, etc.), 9 % aux amortissements et aux charges financières. Ces éléments sont pris en compte dans l’évaluation du PMSI (Programme de Médicalisation des Systèmes d’Information) qui s’impose maintenant à tous les établissements, qu’ils soient publics ou privés, à but lucratif ou non, participant ou non au service public. Ce système, qui pour l’instant prend en compte une bonne partie des soins externes, quoique de façon insuffisante, évalue de façon précise les dépenses médicales (personnel soignant, consommation médicale, amortissement et maintenance des équipements médicaux, actes médico-techniques), ainsi que les coûts de logistique et de structure, mais de façon plus grossière. La base nationale des coûts des établissements pilotes, à laquelle participe le CRH avec quelque 55 autres hôpitaux français (5), fournit, à partir des éléments des comptabilités analytiques, les dépenses affectées à chaque séjour du patient et le coût de chacune des unités cliniques ou médicotechniques impliquées pendant ce séjour. Malheureusement, le système ne prend pas en compte, pour l’instant, la qualité médicale des soins prodigués et repose seulement sur les habitudes des établissements concernés. Chaque séjour amène à un résumé de sortie qui conduit à l’affectation de celui-ci dans un GHM (Groupe Homogène de Malades) auquel est attribué, en fonction de l’échelle établie dans la base nationale des coûts moyens redressés, un certain de nombre de points. C’est ainsi qu’en 1996, le GHM 371 correspondant à “tumorectomie + curage axillaire chez une patiente de moins de 70 ans” est affecté de 1 580 points (selon l’échelle des point ISA 1996), et le Groupe 368 correspondant à “mastectomie + curage axillaire chez une patiente de plus de 70 ans” de 2 400 points (valeur moyenne de la base nationale : 30 783 FF). Quelles que soient les quelques imperfections de ce système, il s’agit d’une approche très intéressante, qui permet des comparaisons pertinentes et de savoir qui fait quoi (6). La chirurgie est souvent complétée par la radiothérapie réalisée en externe et l’on retrouve alors les lettres “clé”. La nonactualisation de la nomenclature pose ici encore peut-être plus de problèmes qu’ailleurs : selon les appareils utilisés ou les champs concernés (aires ganglionnaires ou non), la cotation en Z peut varier dans un rapport de 1 à 6. L’équipe du Centre La Lettre du Sénologue - n° 9 - juin 2000 Claudius-Regaud, à Toulouse, (7) a montré que la valeur du Z de radiothérapie est d’autant plus sous-évaluée que la technique utilisée est éloignée des approches “standardisées” et qu’elle utilise des étapes médicales de préparation sophistiquées (permettant d’éviter au maximum les effets indésirables). À la radiothérapie s’ajoute le coût des transports, qui peut être considérable, et qui dépend bien évidemment de la répartition des appareils sur le territoire et des filières de soins existantes. Le coût des thérapeutiques médicales adjuvantes (chimiothérapie et hormonothérapie) pose, lui aussi, de nombreux problèmes. Le prix de la chimiothérapie est facile à déterminer si l’on tient compte des seuls produits allant (pour une femme dont la surface corporelle est de 1,7 m2) de 110 FF pour une cure de CMF à 1 955 FF pour une cure de FEC100 et autour de 9 000 FF pour une cure de taxane, le coût des antiémétiques, quels qu’ils soient, étant relativement négligeable par rapport à celui des cytotoxiques. Rappelons cependant que pour une structure à but lucratif, les médicaments sont remboursés par l’assurance maladie avec une marge bénéficiaire pour les établissements qui les rétrocèdent au patient, alors que pour les établissements publics ou participant au service public soumis à une dotation budgétaire, le coût du produit est pris sur cette dotation. Pour l’instant, le PMSI ne connaît pour la chimiothérapie que trois GHM : leucémies aiguës, chimiothérapie “avec complications” et “sans complications”, sans tenir compte du coût des produits, ce qui devrait prochainement changer. Tout cela peut conduire bien évidemment à des comportements différents, sans compter que les indications, donc les coûts, peuvent varier considérablement d’une équipe à l’autre pour une tumeur classée de façon identique. L’estimation du coût de l’hormonothérapie est plus simple puisqu’elle relève de la médecine de ville et n’est basée que sur le prix du médicament, allant de 8 000 FF pour l’administration pendant cinq ans de tamoxifène (auxquels il faut ajouter 2 500 FF pour la surveillance gynécologique) à 40 000 FF en cas de prescription d’agoniste de la LHRH pendant trois ans. La castration radiothérapique revient à une somme de l’ordre de 3 000 FF. L’assurance maladie remboursera aussi bien l’une que l’autre, sans vérification, bien que les agonistes de la LHRH n’aient pas, pour l’instant, leur AMM dans l’indication d’hormonothérapie adjuvante. Notons donc au passage que, pour un même résultat, la Sécurité sociale peut rembourser, en ce qui concerne les traitements adjuvants de la chirurgie, aussi bien 18 000 que 84 000 FF. À ces soins il faut ajouter la surveillance dont les modalités, si elles sont théoriquement assez bien codifiées, varient encore beaucoup d’une équipe à l’autre, mais que l’on peut cependant estimer, pour cinq ans, à 8 300 FF, sans compter les transports. À partir des données comptables, il est possible d’estimer, certes grossièrement, le montant théoriquement affecté au traitement du cancer du sein localisé, le coût des formes avancées et des phases terminales étant encore plus difficile à cerner. Pour l’évaluer très approximativement, on peut procéder de deux façons : soit partir de sommes affectées à des structures de soins, soit estimer le coût pour un cancer donné (schématiquement localisé ou non) et le multiplier par le nombre de canLa Lettre du Sénologue - n° 9 - juin 2000 cers traités chaque année en France. Dans le premier cas, on peut considérer que le budget annuel des vingt Centres de lutte contre le cancer en France étant de l’ordre de 5,9 milliards de francs français et alors qu’ils traitent entre 11 et 20 % des cancers, (selon les données 1997 du PMSI (6), ils réalisent 22 % des interventions pour cancer du sein), entre 30 et 53 milliards sont consacrés à la prise en charge du cancer, chiffres qui rejoignent ceux de l’UNHPC (43 milliards selon cet organisme, dont 30 à 40 pour le secteur hospitalier) alors que la dépense médicale annuelle nationale est estimée à 700 milliards de francs. Les cancers du sein représentent, en terme d’incidence, 14 % de l’ensemble des 239 700 nouveaux cancers estimés en France chaque année. En faisant l’hypothèse, très hasardeuse et éminemment critiquable, que le coût du traitement des formes localisées, que la durée des formes métastatiques, que les soins que celles-ci impliquent, sont du même ordre quelle que soit la localisation cancéreuse, on peut estimer qu’une somme comprise entre 4 et 7 milliards de francs doit chaque année, en France, être consacrée au traitement du cancer du sein. On peut aussi partir des données fournies par un registre (nous avons choisi celui de la Côte-d’Or [(3)], très précis dans ce domaine) et des coûts que nous venons d’évoquer. Nous avons essayé d’estimer ainsi le coût, dans le service public (incluant les PSPH), du traitement des formes localisées (tableau I) et nous arrivons, en nous appuyant sur les valorisations faites par l’étude nationale des coûts dans le cadre du PMSI et en supposant que le praticien utilise des protocoles classiques et largement validés, à un total de l’ordre de 1,6 milliard de francs, Tableau I. Coût approximatif (dans le public) en France des traitements des formes M0 opérables (les pourcentages des stades et des comportements thérapeutiques viennent des données du registre de la Côte-d’Or). Nombre de cas Coût unitaire Estimation nationale Nouveaux cas 33 000 Cas M0 97,7 % 32 240 Opérables 89,9 % des M0 29 660 Tumorectomie + c.a. : 58% 9 140 20 132* 385 MF 18 150 4 000** 73 MF Irradiation après tumorectomie : 95 % Mastectomie : 29 % 9 570 27 000* 258 MF Irradiation après mastectomie : 20 % 6 600 11 000** 72,5 MF Chimiothérapie 13 200 10 500*** 138,5 MF Hormonothérapie 20 600 10 000**** 206 MF Surveillance 29 660 8 400** 250,5 MF Transports 24 750 10 000§ 247,5 MF TOTAL 1 631 MF * Données PMSI. ** Estimation “moyenne” à partir des lettres clé. *** Estimation “moyenne” à partir du PMSI et des habitudes (4 ou 6 cures de chimiothérapie). **** Estimation “moyenne” : essentiellement le prix du tamoxifène adjuvant. § Estimation moyenne. 33 T R I B U N soit un coût de l’ordre de 55 000 FF par cas, chiffre qui rejoint ceux d’une récente publication canadienne (8). Quant au coût des formes métastatiques, il est estimé par Artus et coll. (9), pour une durée de 5 ans à 84 200 FF, à 70 000 FF par an par A. Livartowski (10) et à 73 000 FF par an par R. Launois (11) (ces deux derniers chiffres nous paraissent plus réalistes). La prévalence de ces formes devant être de l’ordre de 30 000 (la durée de survie moyenne de ces patientes étant de l’ordre de trois ans et le nombre de nouveaux cas métastatiques étant de 10 000 par an), on peut donc estimer qu’une somme de 2,4 milliards de francs est consacrée à ces soins. Cela fait donc pour l’ensemble des formes, un total de 4 milliards de francs. On voit, par l’étendue de ces imprécisions, le flou complet dans lequel nous sommes. On peut cependant raisonnablement penser que les sommes en jeu se situent entre 3 et 8 milliards de francs, ce qui peut paraître fort peu par rapport au budget annuel de l’assurance maladie. Quelle entreprise pourrait se permettre une telle approximation ? LES CRITÈRES DE QUALITÉ SONT MAL DÉFINIS Mais une approche strictement comptable est bien évidemment insuffisante et n’est pas sans danger, puisqu’elle pourrait avoir une influence néfaste sur le comportement des thérapeutes. C’est ainsi que des auteurs norvégiens (12) se sont posé la question de savoir si la mastectomie n’avait pas un regain de faveur par rapport à un traitement conservateur du sein, non pour des raisons strictement médicales mais pour des raisons économiques, le traitement “conservateur” par tumorectomie plus curage axillaire revenant plus cher du fait de l’irradiation qu’il impose presque systématiquement. Toutes ces estimations font en effet abstraction des critères de qualité des soins, qualité qui doit aller de soi, mais dont la prise en compte n’a pas été, jusqu’à maintenant, encouragée. L’impact de cette qualité sur la morbidité et éventuellement la mortalité est mal objectivé. Certaines études (trop rares) constatent en effet ce que l’on pouvait soupçonner, à savoir un lien en termes de survie, dans le traitement des cancers du sein localisés, entre la qualité des soins et le fait que ceux-ci soient réalisés par des équipes entraînées. Il en est ainsi du travail de Gillis et coll. (13) comparant les taux de survie, à critères de pronostic équivalents, obtenus par des chirurgiens spécialistes dans le traitement du cancer du sein à ceux obtenus par des non-spécialistes, et qui montre un désavantage pour ces derniers. Peut-on considérer comme “entraîné” un établissement qui ne pratique qu’une intervention par an pour cancer du sein, ce qui est le cas de 50 établissements, voire même 15 interventions par an, ce qui est le cas de 50 % des 1 131 établissements privés ou publics ou PSPH autorisés à disposer de lits de chirurgie en hospitalisation complète (6) ? Pour ce qui est des autres thérapeutiques (radiothérapie, chimiothérapie), de nombreuses publications ont montré l’importance de la qualité de leur administration (14, 15). À la notion d’allongement de la survie vient, d’autre part, s’ajouter celle de qualité de vie, avec la mise en place d’échelles d’appréciation, et celle de QALY (16) (année de vie ajustée sur 34 E la qualité), sans compter le coût social et familial qu’impliquent non seulement la maladie mais aussi son traitement. Ainsi, tant pour des raisons économiques (qui, étant donné les contraintes actuelles, doivent être prises en grande considération, d’autant qu’il est de plus en plus question de mettre en œuvre un système de coût par pathologie) que pour le confort de leurs patientes, les praticiens doivent se poser la question de l’intérêt de leur geste. Dans le traitement du cancer du sein, certaines procédures doivent être encore validées scientifiquement. Il en est ainsi du bilan d’extension initial des formes apparemment localisées, de la qualité de l’examen histologique, et en particulier par les ganglions du creux axillaire, des indications précises de la radiothérapie après mastectomie, de la durée et de la qualité des traitements médicaux adjuvants, de la nature et de la fréquence de la surveillance, dans les formes à très haut risque de l’intérêt des chimiothérapies intensives et, dans les formes avancées, des troisième ou quatrième lignes de chimiothérapie. Enfin, le coût considérable des transports doit amener à réfléchir sur une politique de soins de proximité et de qualité. La mise en place des référentiels, qu’il s’agisse des Standards options recommandations mis en place sur l’initiative de la Fédération nationale des centres de lutte contre le cancer (17) ou du travail de l’ANAES (18), est donc un élément essentiel d’une politique de qualité et de citoyenneté. La communauté cancérologique doit – et elle est prête à le faire – accepter des comparaisons tant en termes de santé qu’économiques, et se remettre en question. Reste à savoir qui doit être le maître d’ouvrage de cette évaluation et qui doit au besoin l’imposer : Direction générale de la santé, ANAES, assurance maladie ? La réponse, à l’évidence, n’appartient pas au corps médical, qui peut cependant en être le maître d’œuvre. ■ R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S 1. Menegoz F., Cherie-Challine L. et coll. Le cancer en France : incidence et mortalité, situation en 1995, évolution entre 1975 et 1995. La Documentation Française, ministère de l’Emploi et de la Solidarité, Réseau Francim éd. 1998. 2. Oudin J. Le financement et l’organisation de la politique de lutte contre le cancer. Les rapports du Sénat n°31, 1998-1999. 3. Chaplain G., Barillot I., Cuisenier J. et coll. Facteurs ayant déterminé le choix entre mammectomie et traitement conservateur pour le cancer du sein entre 1982 et 1990 dans le département de la Côte-d’Or. Registre des cancers gynécologiques de la Côte-d’Or. Bull Cancer 1994 ; 81 : 303-10. 4. Enquête permanente cancer 1975-1981. Résultats et analyse de la survie. Doin ed., 1986. 5. Ministère du Travail et des Affaires sociales. L’échelle nationale de coûts relatifs par groupes homogènes de malades. Bulletin officiel - Affaire Sociales, n° 97/7bis, 1997. 6. Cong H.Q., Bourdillon F., Nadal J.M. et coll. Les actes chirurgicaux liés au cancer du sein en 1997 à travers le PMSI DREES (Direction de la recherche des études de l’évaluation statistique, n° 18 juin 1999. Ministère de l’Emploi et de la Solidarité ed. 7. Daly-Schveiter N., Demas S., Bonhomme C. et coll. Étude comparative des coûts réels des actes de radiothérapie et de leur valorisation par lettre clé. Cancer/Radiother 1997 ; 1 : 314-22. 8. Will C., Le Petit C., Berthelot J.M. et coll. Diagnostic and therapeutic approaches for non metastatic breast cancer in Canada, and their associated costs. Br J Cancer 1999 ; 79 : 1428-36. 9. Artus C., Delande G., Dubois J.B. et coll. Évaluation du coût réel du traitement du cancer du sein métastasé. J. Le Sein, 1995 ; 5 (3) : 225-32. 10. Livartowski A. Une analyse coût-avantage de la chimiothérapie adjuvante dans le traitement du cancer du sein. Le Quotidien du Médecin mars 1992 ; 4934-41. La Lettre du Sénologue - n° 9 - juin 2000 sity as determinants of outcome in the adjuvant treatment of breast cancer. J Nat Cancer Inst 1998 ; 90 : 1205-11. 15. Overgaard M., Hansen P.S., Overgaard J. et coll. Postoperative radiotherapy in high-risk premenopausal women with breast cancer who receive chemotherapy. N Engl J Med, 1997 ; 337 : 956-92. 16. Moati J.P., Auquier P., Le Coroller A.G. et coll. QALYs or not QALYs : that is the question ? Rev Epidemiol Santé Publique 1995 ; 43 : 573-83. 17. Fédération nationale des centres de lutte contre le cancer. Standards, options et recommandations. In : cancers du sein non métastatiques, vol. 3, Arnette Blackwell ed. 1996. 18. ANAES Le cancer du sein 1999. ANAES ed. 11. Launois R.J., Reboul-Marty J., Bonneterre J. et coll. Évaluation médicoéconomique de la chimiothérapie de deuxième ligne dans le cancer du sein métastatique : comparaison du docétaxel, du paclitaxel et de la vinorelbine. Bull Cancer 1997 ; 84 (7) : 709-21. 12. Norum J., Olsen J.A., Wist E.A. Lumpectomy or mastectomy ? Is breast conserving surgery too expensive ? Breast Cancer Research and Treatment 1997 ; 45 : 7-14. 13. Gillis C.R., Hole D.J. Survival outcome of care by specialist surgeons in breast cancer : a study of 3786 patients in the west of Scotland. BMJ 1996 ; 312 : 145-8. 14. Budman D.R., Berry D.A., Cirrincione C.T. et coll. Dose and dose inten- Revue disponible sur papier et sur le Net exclusivement sur abonnement A B O N N E Z - V O U ✁ S ! À découper ou à photocopier Tarif 2000 Merci d’écrire nom et adresse en lettres majuscules ❏ Collectivité ................................................................................. à l’attention de .............................................................................. ❏ Particulier ou étudiant Dr, M., Mme, Mlle ........................................................................... Prénom .......................................................................................... Pratique : ❏ hospitalière ❏ libérale ❏ autre........................... 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