Difficultés d’une estimation du coût du traitement du cancer du sein T ©

TRIBUNE
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La Lettre du Sénologue - n° 9 - juin 2000
e cancer du sein est indiscutablement un problème de
santé publique. C’est le premier cancer féminin pour
ce qui est de la fréquence, puisqu’il représente 32 %
chez la femme et, dans les deux sexes, 14 % des nouveaux cas
annuels de cancers. Son incidence (1), estimée à 19 250 nou-
veaux cas par an en France en 1975, est en 1995 de 33 867,
soit une augmentation de 60 %. Il est responsable, en 1995,
d’une mortalité de 10 789 cas par an (+ 8 % en 20 ans), soit de
19 % des décès féminins par cancer, dont 40 % de décès pré-
maturés avant 65 ans.
Comme l’écrit Jacques Oudin dans son rapport au Sénat
1999 (2) : “Nul ne sait exactement quelle est la part des
dépenses d’assurance maladie consacrée à la lutte contre le
cancer, ni si ces sommes sont efficacement employées.” C’est
dire l’ignorance dans laquelle nous sommes en ce qui concerne
le cancer du sein, d’autant que le “marché” est mal connu, les
coûts de “production” de la thérapeutique aussi, et que les cri-
tères de qualité de celle-ci sont mal définis. Nous voudrions
simplement voir ici s’il est possible actuellement, alors qu’il
est question du coût par pathologie, d’une part d’estimer le
coût du traitement du cancer du sein incluant le bilan initial et
le suivi, avec les moyens dont dispose une structure comme un
centre de lutte contre le cancer, et, d’autre part, d’avoir une
idée même très approximative des sommes consacrées chaque
année en France au cancer du sein, sans aborder les problèmes
très spécifiques du dépistage de masse.
LE “MARCHÉ” EST MAL CONNU
Rappelons que si les données de mortalité reposent sur un
enregistrement national de bonne qualité, celles de morbidité
(1) proviennent de neuf registres départementaux du cancer
(Bas-Rhin, Calvados, Côte-d’Or, Doubs, Hérault, Haute-
Garonne, Isère, Somme, Tarn), à partir desquels, et avec beau-
coup de précautions, ont été extrapolés les chiffres publiés par
Ménégoz et coll. Aucun de ces registres ne concerne des
régions très urbanisées telle l’Ile-de-France et, remarquent les
auteurs, “les registres sont implantés dans des départements
présentant des caractéristiques sociodémographiques variées et
dans lesquels le poids du cancer parmi les problèmes de santé
de la population est variable”. Par ailleurs, les extrapolations
des départements au territoire national reposent, toujours selon
les mêmes auteurs, sur “l’hypothèse d’une relation stable entre
l’incidence et la mortalité (ce qui) suppose une survie iden-
tique dans toutes les régions, et donc un même degré d’exten-
sion de la maladie au moment du diagnostic, et des pratiques
diagnostiques et thérapeutiques comparables”. Il est un fait que
la répartition par stades de ces nouveaux cas est mal connue,
les taux estimés de formes métastatiques d’emblée variant
selon les données entre 2,3 à près de 9 % des cas (3, 4).
Quant au nombre de nouveaux cas annuels secondairement
métastatiques (M+), il est inconnu ; on peut cependant estimer
qu’il est l’équivalent du nombre des décès dus au cancer du sein,
soit de l’ordre de 10 000, puisque, même si l’on observe parfois
de longues survies, les guérisons des formes M+sont exception-
nelles, de même que sont exceptionnels les décès par cancer du
sein liés à la seule évolution locorégionale. Or ces formes méta-
statiques représentent un coût très important, très vraisemblable-
ment bien supérieur à celui des formes non métastatiques.
Difficultés d’une estimation du coût du traitement
du cancer du sein©
J. Rouëssé*, J. Berlie*, C. Davesne*, E. Hirlimann*
RÉSUMÉ. Bien qu’il s’agisse d’un problème de santé publique de première importance, le coût du traitement du cancer du sein,
qui concerne tous les ans plus de 30 000 nouvelles femmes, est encore bien difficile à cerner, tout au moins en France. Les don-
nées épidémiologiques restent encore incomplètes. L’estimation du coût réel (et non facturé) à l’assurance maladie est difficile,
quels que soient les différents temps thérapeutiques, qu’il s’agisse du bilan initial, de l’hospitalisation pour chirurgie, ou de la
radiothérapie et des chimiothérapies et des hormonothérapies adjuvantes. Cette estimation est encore plus complexe si l’on consi-
dère les formes dites “avancées”. Quoi qu’il en soit, on peut donc penser que chaque année, en France, entre 4,2 et 7,4 milliards
de francs sont consacrés au traitement de cette affection. Une telle estimation se base soit sur les données des budgets des centres
de lutte contre le cancer, soit sur une estimation simplifiée du coût du cancer du sein localisé ou “avancé”. De toute façon, de
telles approches ne tiennent pas compte des critères de qualité qu’il paraît indispensable de mieux définir.
MOTS-CLÉS. Cancer du sein - Coût - Économie de la santé.
L
* Centre René-Huguenin, Saint-Cloud.
© La Lettre du Cancérologue, 2000.
Du fait même de ces imprécisions, l’estimation de ce que peut
coûter chaque année le traitement du cancer du sein est un
exercice difficile, d’autant qu’il faut considérer non seulement
toutes les dépenses directement liées aux diverses thérapeu-
tiques, et nous verrons que cela est loin d’être simple, mais
aussi évaluer les coûts indirects, ce qui devient vraisemblable-
ment quasi impossible si l’on entre dans des considérations
économiques prenant en compte, par exemple, les arrêts de tra-
vail, le fait que les patients soient en retraite ou non etc. ce qui
ne saurait être ici notre propos.
LES COÛTS DE « PRODUCTION » (DU TRAITEMENT)
SONT DIFFICILES À ÉTABLIR
L’estimation des coûts directs est plus difficile qu’il n’y paraît
à première vue. Envisageons une à une les différentes étapes
de la démarche diagnostique et thérapeutique. Tout d’abord le
bilan d’extension : il est fait le plus souvent en externe, et il
semble a priori facile d’en faire une estimation puisque la fac-
turation (en l’occurrence le remboursement par l’assurance
maladie) des différents actes repose sur le système des lettres
“clé” B, C, K, Z. Mais ce système peut lui-même être sujet à
caution, certains actes étant cotés de façon inadaptée, et
l’actualisation de la nomenclature ayant quelquefois du retard.
D’autre part, la nature même du bilan dépend, bien sûr, du
stade initial de la maladie, mais aussi et surtout, l’expérience
quotidienne nous le montre, des habitudes de chacun.
La malade est ensuite le plus souvent adressée en chirurgie. La
facturation à l’assurance maladie du coût de l’hospitalisation
se fait de façons différentes selon le statut des établissements.
Dans les établissements privés à but lucratif, le remboursement
repose sur les lettres “clé” et les forfaits journaliers et de salle
d’opération. Il n’en est pas de même pour les établissements
publics ou participant au service public hospitalier (PSPH)
soumis à une dotation budgétaire globale. Dans ces établisse-
ments, la facturation de l’hospitalisation repose sur la notion
d’un prix de journée forfaitaire qui sert de base au calcul de la
dotation budgétaire. Ce prix de journée n’est qu’une fiction et
ne s’applique qu’aux rares malades non assurés sociaux (les
étrangers), puisque l’assurance maladie couvre les dépenses
d’un établissement qui n’a pratiquement plus de recettes dans
le cadre du traitement du cancer, affection prise en charge à
100 %. En aucun cas il ne s’agit d’un coût réel, puisque le prix
de journée couvre une très grande majorité (autour de 95 %)
des dépenses de l’établissement, que celles-ci correspondent
ou non réellement aux frais liés à l’hospitalisation. D’autre
part, le prix de journée d’un même établissement peut considé-
rablement varier non seulement d’une année sur l’autre, mais
aussi en cours d’année, en fonction de l’activité hospitalière,
mais surtout de décisions financières. Ainsi, le poids d’une
décision modificative de l’allocation budgétaire, prise fin
octobre, concernant par exemple une augmentation salariale,
s’appliquera sur les deux mois restants et donc augmentera
considérablement le prix de journée, alors qu’il va s’étaler sur
les douze mois de l’année suivante, ce qui abaissera sensible-
ment ce même prix dès janvier suivant.
En fait, pour estimer le coût réel d’une hospitalisation, il faut
pour chaque malade retrouver les coûts liés au temps passé par
le personnel, médical (chirurgien, anesthésiste, radiodiagnosti-
cien, oncologiste médical, biologiste, anatomopathologiste...)
ou non, (infirmières, aides-soignantes, panseuses, manipula-
teurs, techniciens de laboratoire, secrétaires administratifs,
agents hospitaliers...), aux consommables médicaux, aux
dépenses hôtelières et générales et aux amortissements du
matériel et des immeubles.
C’est ainsi qu’au Centre René-Huguenin, 15 % des dépenses
sont consacrées aux salaires et charges sociales des médecins,
51 % à ceux du personnel non médical, 16 % aux consom-
mables médicaux (produits pharmaceutiques, produits san-
guins, fluides et gaz médicaux, fournitures pour laboratoires,
pour radiologie, isotopes radioactifs), 9 % aux charges
d’exploitation à caractère hôtelier et général (administration,
alimentation, blanchisserie, chauffage, électricité, informa-
tique, linge, etc.), 9 % aux amortissements et aux charges
financières.
Ces éléments sont pris en compte dans l’évaluation du PMSI
(Programme de Médicalisation des Systèmes d’Information)
qui s’impose maintenant à tous les établissements, qu’ils soient
publics ou privés, à but lucratif ou non, participant ou non au
service public. Ce système, qui pour l’instant prend en compte
une bonne partie des soins externes, quoique de façon insuffi-
sante, évalue de façon précise les dépenses médicales (person-
nel soignant, consommation médicale, amortissement et main-
tenance des équipements médicaux, actes médico-techniques),
ainsi que les coûts de logistique et de structure, mais de façon
plus grossière. La base nationale des coûts des établissements
pilotes, à laquelle participe le CRH avec quelque 55 autres
hôpitaux français (5), fournit, à partir des éléments des comp-
tabilités analytiques, les dépenses affectées à chaque séjour du
patient et le coût de chacune des unités cliniques ou médico-
techniques impliquées pendant ce séjour. Malheureusement, le
système ne prend pas en compte, pour l’instant, la qualité
médicale des soins prodigués et repose seulement sur les habi-
tudes des établissements concernés. Chaque séjour amène à un
résumé de sortie qui conduit à l’affectation de celui-ci dans un
GHM (Groupe Homogène de Malades) auquel est attribué, en
fonction de l’échelle établie dans la base nationale des coûts
moyens redressés, un certain de nombre de points. C’est ainsi
qu’en 1996, le GHM 371 correspondant à “tumorectomie +
curage axillaire chez une patiente de moins de 70 ans” est
affecté de 1 580 points (selon l’échelle des point ISA 1996), et
le Groupe 368 correspondant à “mastectomie + curage axil-
laire chez une patiente de plus de 70 ans” de 2 400 points
(valeur moyenne de la base nationale : 30 783 FF). Quelles
que soient les quelques imperfections de ce système, il s’agit
d’une approche très intéressante, qui permet des comparaisons
pertinentes et de savoir qui fait quoi (6).
La chirurgie est souvent complétée par la radiothérapie réali-
sée en externe et l’on retrouve alors les lettres “clé”. La non-
actualisation de la nomenclature pose ici encore peut-être plus
de problèmes qu’ailleurs : selon les appareils utilisés ou les
champs concernés (aires ganglionnaires ou non), la cotation en
Z peut varier dans un rapport de 1 à 6. L’équipe du Centre
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Claudius-Regaud, à Toulouse, (7) a montré que la valeur du Z
de radiothérapie est d’autant plus sous-évaluée que la tech-
nique utilisée est éloignée des approches “standardisées” et
qu’elle utilise des étapes médicales de préparation sophisti-
quées (permettant d’éviter au maximum les effets indési-
rables). À la radiothérapie s’ajoute le coût des transports, qui
peut être considérable, et qui dépend bien évidemment de la
répartition des appareils sur le territoire et des filières de soins
existantes.
Le coût des thérapeutiques médicales adjuvantes (chimiothéra-
pie et hormonothérapie) pose, lui aussi, de nombreux pro-
blèmes. Le prix de la chimiothérapie est facile à déterminer si
l’on tient compte des seuls produits allant (pour une femme
dont la surface corporelle est de 1,7 m2) de 110 FF pour une
cure de CMF à 1 955 FF pour une cure de FEC100 et autour
de 9 000 FF pour une cure de taxane, le coût des antiémé-
tiques, quels qu’ils soient, étant relativement négligeable par
rapport à celui des cytotoxiques. Rappelons cependant que
pour une structure à but lucratif, les médicaments sont rem-
boursés par l’assurance maladie avec une marge bénéficiaire
pour les établissements qui les rétrocèdent au patient, alors que
pour les établissements publics ou participant au service public
soumis à une dotation budgétaire, le coût du produit est pris
sur cette dotation. Pour l’instant, le PMSI ne connaît pour la
chimiothérapie que trois GHM : leucémies aiguës, chimiothé-
rapie “avec complications” et “sans complications”, sans tenir
compte du coût des produits, ce qui devrait prochainement
changer. Tout cela peut conduire bien évidemment à des com-
portements différents, sans compter que les indications, donc
les coûts, peuvent varier considérablement d’une équipe à
l’autre pour une tumeur classée de façon identique.
L’estimation du coût de l’hormonothérapie est plus simple
puisqu’elle relève de la médecine de ville et n’est basée que
sur le prix du médicament, allant de 8 000 FF pour l’adminis-
tration pendant cinq ans de tamoxifène (auxquels il faut ajouter
2500 FF pour la surveillance gynécologique) à 40 000 FF en
cas de prescription d’agoniste de la LHRH pendant trois ans.
La castration radiothérapique revient à une somme de l’ordre
de 3 000 FF. L’assurance maladie remboursera aussi bien
l’une que l’autre, sans vérification, bien que les agonistes de la
LHRH n’aient pas, pour l’instant, leur AMM dans l’indication
d’hormonothérapie adjuvante. Notons donc au passage que,
pour un même résultat, la Sécurité sociale peut rembourser, en
ce qui concerne les traitements adjuvants de la chirurgie, aussi
bien 18 000 que 84 000 FF.
À ces soins il faut ajouter la surveillance dont les modalités, si
elles sont théoriquement assez bien codifiées, varient encore
beaucoup d’une équipe à l’autre, mais que l’on peut cependant
estimer, pour cinq ans, à 8 300 FF, sans compter les transports.
À partir des données comptables, il est possible d’estimer,
certes grossièrement, le montant théoriquement affecté au trai-
tement du cancer du sein localisé, le coût des formes avancées
et des phases terminales étant encore plus difficile à cerner.
Pour l’évaluer très approximativement, on peut procéder de
deux façons : soit partir de sommes affectées à des structures
de soins, soit estimer le coût pour un cancer donné (schémati-
quement localisé ou non) et le multiplier par le nombre de can-
cers traités chaque année en France. Dans le premier cas, on
peut considérer que le budget annuel des vingt Centres de lutte
contre le cancer en France étant de l’ordre de 5,9 milliards de
francs français et alors qu’ils traitent entre 11 et 20 % des can-
cers, (selon les données 1997 du PMSI (6), ils réalisent 22 %
des interventions pour cancer du sein), entre 30 et 53 milliards
sont consacrés à la prise en charge du cancer, chiffres qui
rejoignent ceux de l’UNHPC (43 milliards selon cet orga-
nisme, dont 30 à 40 pour le secteur hospitalier) alors que la
dépense médicale annuelle nationale est estimée à 700 mil-
liards de francs. Les cancers du sein représentent, en terme
d’incidence, 14 % de l’ensemble des 239 700 nouveaux can-
cers estimés en France chaque année. En faisant l’hypothèse,
très hasardeuse et éminemment critiquable, que le coût du trai-
tement des formes localisées, que la durée des formes métasta-
tiques, que les soins que celles-ci impliquent, sont du même
ordre quelle que soit la localisation cancéreuse, on peut esti-
mer qu’une somme comprise entre 4 et 7 milliards de francs
doit chaque année, en France, être consacrée au traitement du
cancer du sein.
On peut aussi partir des données fournies par un registre (nous
avons choisi celui de la Côte-d’Or [(3)], très précis dans ce
domaine) et des coûts que nous venons d’évoquer. Nous avons
essayé d’estimer ainsi le coût, dans le service public (incluant
les PSPH), du traitement des formes localisées (tableau I) et
nous arrivons, en nous appuyant sur les valorisations faites par
l’étude nationale des coûts dans le cadre du PMSI et en suppo-
sant que le praticien utilise des protocoles classiques et large-
ment validés, à un total de l’ordre de 1,6 milliard de francs,
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Tableau I. Coût approximatif (dans le public) en France des traite-
ments des formes M0 opérables (les pourcentages des stades et des
comportements thérapeutiques viennent des données du registre de
la Côte-d’Or).
Nombre Coût Estimation
de cas unitaire nationale
Nouveaux cas 33 000
Cas M0 97,7 % 32 240
Opérables 89,9 % des M0 29 660
Tumorectomie + c.a. : 58% 9 140 20 132* 385 MF
Irradiation après tumorectomie : 95 % 18 150 4 000** 73 MF
Mastectomie : 29 % 9 570 27 000* 258 MF
Irradiation après mastectomie : 20 % 6 600 11 000** 72,5 MF
Chimiothérapie 13 200 10 500*** 138,5 MF
Hormonothérapie 20 600 10 000**** 206 MF
Surveillance 29 660 8 400** 250,5 MF
Transports 24 750 10 000§ 247,5 MF
TOTAL 1 631 MF
* Données PMSI.
** Estimation “moyenne” à partir des lettres clé.
*** Estimation “moyenne” à partir du PMSI et des habitudes
(4 ou 6 cures de chimiothérapie).
**** Estimation “moyenne” : essentiellement le prix du tamoxifène adjuvant.
§ Estimation moyenne.
soit un coût de l’ordre de 55 000 FF par cas, chiffre qui rejoint
ceux d’une récente publication canadienne (8).
Quant au coût des formes métastatiques, il est estimé par
Artus et coll. (9), pour une durée de 5 ans à 84 200 FF, à
70 000 FF par an par A. Livartowski (10) et à 73 000 FF par an
par R. Launois (11) (ces deux derniers chiffres nous paraissent
plus réalistes). La prévalence de ces formes devant être de
l’ordre de 30 000 (la durée de survie moyenne de ces patientes
étant de l’ordre de trois ans et le nombre de nouveaux cas méta-
statiques étant de 10 000 par an), on peut donc estimer qu’une
somme de 2,4 milliards de francs est consacrée à ces soins.
Cela fait donc pour l’ensemble des formes, un total de 4 mil-
liards de francs.
On voit, par l’étendue de ces imprécisions, le flou complet
dans lequel nous sommes. On peut cependant raisonnablement
penser que les sommes en jeu se situent entre 3 et 8 milliards
de francs, ce qui peut paraître fort peu par rapport au budget
annuel de l’assurance maladie. Quelle entreprise pourrait se
permettre une telle approximation ?
LES CRITÈRES DE QUALITÉ SONT MAL DÉFINIS
Mais une approche strictement comptable est bien évidemment
insuffisante et n’est pas sans danger, puisqu’elle pourrait avoir
une influence néfaste sur le comportement des thérapeutes.
C’est ainsi que des auteurs norvégiens (12) se sont posé la
question de savoir si la mastectomie n’avait pas un regain de
faveur par rapport à un traitement conservateur du sein, non
pour des raisons strictement médicales mais pour des raisons
économiques, le traitement “conservateur” par tumorectomie
plus curage axillaire revenant plus cher du fait de l’irradiation
qu’il impose presque systématiquement. Toutes ces estima-
tions font en effet abstraction des critères de qualité des soins,
qualité qui doit aller de soi, mais dont la prise en compte n’a
pas été, jusqu’à maintenant, encouragée.
L’impact de cette qualité sur la morbidité et éventuellement la
mortalité est mal objectivé. Certaines études (trop rares)
constatent en effet ce que l’on pouvait soupçonner, à savoir un
lien en termes de survie, dans le traitement des cancers du sein
localisés, entre la qualité des soins et le fait que ceux-ci soient
réalisés par des équipes entraînées. Il en est ainsi du travail de
Gillis et coll. (13) comparant les taux de survie, à critères de
pronostic équivalents, obtenus par des chirurgiens spécialistes
dans le traitement du cancer du sein à ceux obtenus par des
non-spécialistes, et qui montre un désavantage pour ces der-
niers. Peut-on considérer comme “entraîné” un établissement
qui ne pratique qu’une intervention par an pour cancer du sein,
ce qui est le cas de 50 établissements, voire même 15 interven-
tions par an, ce qui est le cas de 50 % des 1 131 établissements
privés ou publics ou PSPH autorisés à disposer de lits de chi-
rurgie en hospitalisation complète (6) ? Pour ce qui est des
autres thérapeutiques (radiothérapie, chimiothérapie), de nom-
breuses publications ont montré l’importance de la qualité de
leur administration (14, 15).
À la notion d’allongement de la survie vient, d’autre part,
s’ajouter celle de qualité de vie, avec la mise en place d’échelles
d’appréciation, et celle de QALY (16) (année de vie ajustée sur
la qualité), sans compter le coût social et familial qu’impliquent
non seulement la maladie mais aussi son traitement.
Ainsi, tant pour des raisons économiques (qui, étant donné les
contraintes actuelles, doivent être prises en grande considéra-
tion, d’autant qu’il est de plus en plus question de mettre en
œuvre un système de coût par pathologie) que pour le confort
de leurs patientes, les praticiens doivent se poser la question de
l’intérêt de leur geste. Dans le traitement du cancer du sein,
certaines procédures doivent être encore validées scientifique-
ment. Il en est ainsi du bilan d’extension initial des formes
apparemment localisées, de la qualité de l’examen histolo-
gique, et en particulier par les ganglions du creux axillaire, des
indications précises de la radiothérapie après mastectomie, de
la durée et de la qualité des traitements médicaux adjuvants, de
la nature et de la fréquence de la surveillance, dans les formes
à très haut risque de l’intérêt des chimiothérapies intensives et,
dans les formes avancées, des troisième ou quatrième lignes de
chimiothérapie. Enfin, le coût considérable des transports doit
amener à réfléchir sur une politique de soins de proximité et de
qualité. La mise en place des référentiels, qu’il s’agisse des
Standards options recommandations mis en place sur l’initia-
tive de la Fédération nationale des centres de lutte contre le
cancer (17) ou du travail de l’ANAES (18), est donc un élé-
ment essentiel d’une politique de qualité et de citoyenneté. La
communauté cancérologique doit – et elle est prête à le faire –
accepter des comparaisons tant en termes de santé qu’écono-
miques, et se remettre en question. Reste à savoir qui doit être
le maître d’ouvrage de cette évaluation et qui doit au besoin
l’imposer : Direction générale de la santé, ANAES, assurance
maladie ? La réponse, à l’évidence, n’appartient pas au corps
médical, qui peut cependant en être le maître d’œuvre.
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