Difficultés d une estimation du coût du traitement du cancer du sein

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Difficultés d’une estimation du coût du traitement
du cancer du sein
● J. Rouëssé*, J. Berlie*, C. Davesne*, E. Hirlimann*
RÉSUMÉ. Bien qu’il s’agisse d’un problème de santé publique de première importance, le coût du traitement du cancer du sein, qui
concerne tous les ans plus de 30 000 nouvelles femmes, est encore bien difficile à cerner, tout au moins en France. Les données épidémiologiques restent encore incomplètes. L’estimation du coût réel (et non facturé) à l’assurance maladie est difficile, quels que soient les différents temps thérapeutiques, qu’il s’agisse du bilan initial, de l’hospitalisation pour chirurgie, ou de la radiothérapie et des chimiothérapies
et des hormonothérapies adjuvantes. Cette estimation est encore plus complexe si l’on considère les formes dites “avancées”. Quoi qu’il
en soit, on peut donc penser que chaque année, en France, entre 4,2 et 7,4 milliards de francs sont consacrés au traitement de cette affection. Une telle estimation se base soit sur les données des budgets des centres de lutte contre le cancer, soit sur une estimation simplifiée du
coût du cancer du sein localisé ou “avancé”. De toute façon, de telles approches ne tiennent pas compte des critères de qualité qu’il paraît
indispensable de mieux définir.
MOTS-CLÉS. Cancer du sein - Coût - Économie de la santé.
e cancer du sein est indiscutablement un problème de
santé publique. C’est le premier cancer féminin pour ce
qui est de la fréquence, puisqu’il représente 32 % chez
la femme et, dans les deux sexes, 14 % des nouveaux cas annuels
de cancers. Son incidence (1), estimée à 19 250 nouveaux cas par
an en France en 1975, est en 1995 de 33 867, soit une augmentation de 60 %. Il est responsable, en 1995, d’une mortalité de
10 789 cas par an (+ 8 % en 20 ans), soit de 19 % des décès féminins par cancer, dont 40 % de décès prématurés avant 65 ans.
Comme l’écrit Jacques Oudin dans son rapport au Sénat 1999 (2) :
“Nul ne sait exactement quelle est la part des dépenses d’assurance maladie consacrée à la lutte contre le cancer, ni si ces
sommes sont efficacement employées.” C’est dire l’ignorance
dans laquelle nous sommes en ce qui concerne le cancer du sein,
d’autant que le “marché” est mal connu, les coûts de “production”
de la thérapeutique aussi, et que les critères de qualité de celle-ci
sont mal définis. Nous voudrions simplement voir ici s’il est possible actuellement, alors qu’il est question du coût par pathologie,
d’une part d’estimer le coût du traitement du cancer du sein
incluant le bilan initial et le suivi, avec les moyens dont dispose
une structure comme un centre de lutte contre le cancer, et, d’autre
part, d’avoir une idée même très approximative des sommes
consacrées chaque année en France au cancer du sein, sans aborder les problèmes très spécifiques du dépistage de masse.
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LE “MARCHÉ” EST MAL CONNU
Rappelons que si les données de mortalité reposent sur un enregistrement national de bonne qualité, celles de morbidité (1) proviennent de neuf registres départementaux du cancer (Bas-Rhin,
* Centre René-Huguenin, Saint-Cloud.
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Calvados, Côte-d’Or, Doubs, Hérault, Haute-Garonne, Isère,
Somme, Tarn), à partir desquels, et avec beaucoup de précautions,
ont été extrapolés les chiffres publiés par Ménégoz et coll. Aucun
de ces registres ne concerne des régions très urbanisées telle l’Ilede-France et, remarquent les auteurs, “les registres sont implantés dans des départements présentant des caractéristiques sociodémographiques variées et dans lesquels le poids du cancer parmi
les problèmes de santé de la population est variable”. Par ailleurs,
les extrapolations des départements au territoire national reposent,
toujours selon les mêmes auteurs, sur “l’hypothèse d’une relation
stable entre l’incidence et la mortalité (ce qui) suppose une survie identique dans toutes les régions, et donc un même degré
d’extension de la maladie au moment du diagnostic, et des pratiques diagnostiques et thérapeutiques comparables”. Il est un fait
que la répartition par stades de ces nouveaux cas est mal connue,
les taux estimés de formes métastatiques d’emblée variant selon
les données entre 2,3 à près de 9 % des cas (3, 4).
Quant au nombre de nouveaux cas annuels secondairement métastatiques, il est inconnu ; on peut cependant estimer qu’il est
l’équivalent du nombre des décès dus au cancer du sein, soit de
l’ordre de 10 000, puisque, même si l’on observe parfois de
longues survies, les guérisons des formes M+ sont exceptionnelles, de même que sont exceptionnels les décès par cancer du
sein liés à la seule évolution locorégionale. Or ces formes métastatiques représentent un coût très important, très vraisemblablement bien supérieur à celui des formes M0.
Du fait même de ces imprécisions, l’estimation de ce que peut
coûter chaque année le traitement du cancer du sein est un exercice difficile, d’autant qu’il faut considérer non seulement toutes
les dépenses directement liées aux diverses thérapeutiques, et nous
verrons que cela est loin d’être simple, mais aussi évaluer les coûts
indirects, ce qui devient vraisemblablement quasi impossible si
La Lettre du Cancérologue - Volume IX - no 1 - février 2000
l’on entre dans des considérations économiques prenant en compte,
par exemple, les arrêts de travail, le fait que les patients soient en
retraite ou non etc. ce qui ne saurait être ici notre propos.
LES COÛTS DE « PRODUCTION » (DU TRAITEMENT)
SONT DIFFICILES À ÉTABLIR
L’estimation des coûts directs est plus difficile qu’il n’y paraît à première vue. Envisageons une à une les différentes étapes de la
démarche diagnostique et thérapeutique. Tout d’abord le bilan
d’extension : il est fait le plus souvent en externe, et il semble a priori
facile d’en faire une estimation puisque la facturation (en l’occurrence le remboursement par l’assurance maladie) des différents actes
repose sur le système des lettres “clé” B, C, K, Z. Mais ce système
peut lui-même être sujet à caution, certains actes étant cotés de façon
inadaptée, et l’actualisation de la nomenclature ayant quelquefois du
retard. D’autre part, la nature même du bilan dépend, bien sûr, du
stade initial de la maladie, mais aussi et surtout, l’expérience quotidienne nous le montre, des habitudes de chacun.
La malade est ensuite le plus souvent adressée en chirurgie. La
facturation à l’assurance maladie du coût de l’hospitalisation se
fait de façons différentes selon le statut des établissements. Dans
les établissements privés à but lucratif, le remboursement repose
sur les lettres “clé” et les forfaits journaliers et de salle d’opération. Il n’en est pas de même pour les établissements publics ou
participant au service public hospitalier (PSPH) soumis à une dotation budgétaire globale. Dans ces établissements, la facturation
de l’hospitalisation repose sur la notion d’un prix de journée forfaitaire qui sert de base au calcul de la dotation budgétaire. Ce
prix de journée n’est qu’une fiction et ne s’applique qu’aux rares
malades non assurés sociaux (les étrangers), puisque l’assurance
maladie couvre les dépenses d’un établissement qui n’a pratiquement plus de recettes dans le cadre du traitement du cancer, affection prise en charge à 100 %. En aucun cas il ne s’agit d’un coût
réel, puisque le prix de journée couvre une très grande majorité
(autour de 95 %) des dépenses de l’établissement, que celles-ci
correspondent ou non réellement aux frais liés à l’hospitalisation.
D’autre part, le prix de journée d’un même établissement peut
considérablement varier non seulement d’une année sur l’autre,
mais aussi en cours d’année, en fonction de l’activité hospitalière,
mais surtout de décisions financières. Ainsi, le poids d’une décision modificative de l’allocation budgétaire, prise fin octobre,
concernant par exemple une augmentation salariale, s’appliquera
sur les deux mois restants et donc augmentera considérablement
le prix de journée, alors qu’il va s’étaler sur les douze mois de
l’année suivante, ce qui abaissera sensiblement ce même prix dès
janvier suivant.
En fait, pour estimer le coût réel d’une hospitalisation, il faut pour
chaque malade retrouver les coûts liés au temps passé par le personnel, médical (chirurgien, anesthésiste, radiodiagnosticien,
oncologiste médical, biologiste, anatomopathologiste...) ou non,
(infirmières, aides-soignantes, panseuses, manipulateurs, techniciens de laboratoire, secrétaires administratifs, agents hospitaliers...), aux consommables médicaux, aux dépenses hôtelières
et générales et aux amortissements du matériel et des immeubles.
C’est ainsi qu’au Centre René-Huguenin, 15 % des dépenses sont
La Lettre du Cancérologue - Volume IX - no 1 - février 2000
consacrées aux salaires et charges sociales des médecins, 51 %
à ceux du personnel non médical, 16 % aux consommables médicaux (produits pharmaceutiques, produits sanguins, fluides et gaz
médicaux, fournitures pour laboratoires, pour radiologie, isotopes
radioactifs), 9 % aux charges d’exploitation à caractère hôtelier
et général (administration, alimentation, blanchisserie, chauffage,
électricité, informatique, linge, etc.), 9 % aux amortissements et
aux charges financières.
Ces éléments sont pris en compte dans l’évaluation du PMSI
(Programme de Médicalisation des Systèmes d’Information) qui
s’impose maintenant à tous les établissements, qu’ils soient publics
ou privés, à but lucratif ou non, participant ou non au service public.
Ce système, qui pour l’instant prend en compte une bonne partie
des soins externes, quoique de façon insuffisante, évalue de façon
précise les dépenses médicales (personnel soignant, consommation
médicale, amortissement et maintenance des équipements médicaux, actes médico-techniques), ainsi que les coûts de logistique et
de structure, mais de façon plus grossière. La base nationale des
coûts des établissements pilotes, à laquelle participe le CRH avec
quelque 55 autres hôpitaux français (5), fournit, à partir des éléments des comptabilités analytiques, les dépenses affectées à chaque
séjour du patient et le coût de chacune des unités cliniques ou
médico-techniques impliquées pendant ce séjour. Malheureusement, le système ne prend pas en compte, pour l’instant, la qualité
médicale des soins prodigués et repose seulement sur les habitudes
des établissements concernés. Chaque séjour amène à un résumé
de sortie qui conduit à l’affectation de celui-ci dans un GHM
(Groupe Homogène de Malades) auquel est attribué, en fonction de
l’échelle établie dans la base nationale des coûts moyens redressés,
un certain de nombre de points. C’est ainsi qu’en 1996, le GHM
371 correspondant à “tumorectomie + curage axillaire chez une
patiente de moins de 70 ans” est affecté de 1 580 points (selon
l’échelle des point ISA 1996), et le Groupe 368 correspondant à
“mastectomie + curage axillaire chez une patiente de plus de 70 ans”
de 2 400 points (valeur moyenne de la base nationale : 30 783 FF).
Quelles que soient les quelques imperfections de ce système, il s’agit
d’une approche très intéressante, qui permet des comparaisons pertinentes et de savoir qui fait quoi (6).
La chirurgie est souvent complétée par la radiothérapie réalisée en
externe et l’on retrouve alors les lettres “clé”. La non-actualisation
de la nomenclature pose ici encore peut-être plus de problèmes
qu’ailleurs : selon les appareils utilisés ou les champs concernés
(aires ganglionnaires ou non), la cotation en Z peut varier dans un
rapport de 1 à 6. L’équipe du Centre Claudius-Regaud, à Toulouse,
(7) a montré que la valeur du Z de radiothérapie est d’autant plus
sous-évaluée que la technique utilisée est éloignée des approches
“standardisées” et qu’elle utilise des étapes médicales de préparation sophistiquées (permettant d’éviter au maximum les effets indésirables). À la radiothérapie s’ajoute le coût des transports, qui peut
être considérable, et qui dépend bien évidemment de la répartition
des appareils sur le territoire et des filières de soins existantes.
Le coût des thérapeutiques médicales adjuvantes (chimiothérapie
et hormonothérapie) pose, lui aussi, de nombreux problèmes. Le
prix de la chimiothérapie est facile à déterminer si l’on tient compte
des seuls produits allant (pour une femme dont la surface corporelle est de 1,7 m2) de 110 FF pour une cure de CMF à 1 955 FF
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pour une cure de FEC100 et autour de 9 000 FF pour une cure de
taxane, le coût des antiémétiques, quels qu’ils soient, étant relativement négligeable par rapport à celui des cytotoxiques. Rappelons cependant que pour une structure à but lucratif, les médicaments sont remboursés par l’assurance maladie avec une marge
bénéficiaire pour les établissements qui les rétrocèdent au patient,
alors que pour les établissements publics ou participant au service
public soumis à une dotation budgétaire, le coût du produit est
pris sur cette dotation. Pour l’instant, le PMSI ne connaît pour la
chimiothérapie que trois GHM : leucémies aiguës, chimiothérapie “avec complications” et “sans complications”, sans tenir
compte du coût des produits, ce qui devrait prochainement changer. Tout cela peut conduire bien évidemment à des comportements différents, sans compter que les indications, donc les coûts,
peuvent varier considérablement d’une équipe à l’autre pour une
tumeur classée de façon identique.
L’estimation du coût de l’hormonothérapie est plus simple
puisqu’elle relève de la médecine de ville et n’est basée que sur
le prix du médicament, allant de 8 000 FF pour l’administration
pendant cinq ans de tamoxifène (auxquels il faut ajouter 2 500 FF
pour la surveillance gynécologique) à 40 000 FF en cas de prescription d’agoniste de la LHRH pendant trois ans. La castration
radiothérapique revient à une somme de l’ordre de 3 000 FF.
L’assurance maladie remboursera aussi bien l’une que l’autre,
sans vérification, bien que les agonistes de la LHRH n’aient pas,
pour l’instant, leur AMM dans l’indication d’hormonothérapie
adjuvante. Notons donc au passage que, pour un même résultat,
la Sécurité sociale peut rembourser, en ce qui concerne les traitements adjuvants de la chirurgie, aussi bien 18 000 que 84 000 FF.
À ces soins il faut ajouter la surveillance dont les modalités, si elles
sont théoriquement assez bien codifiées, varient encore beaucoup
d’une équipe à l’autre, mais que l’on peut cependant estimer, pour
cinq ans, à 8 300 FF, sans compter les transports.
À partir des données comptables, il est possible d’estimer, certes
grossièrement, le montant théoriquement affecté au traitement du
cancer du sein localisé, le coût des formes avancées et des phases
terminales étant encore plus difficile à cerner. Pour l’évaluer très
approximativement, on peut procéder de deux façons : soit partir de
sommes affectées à des structures de soins, soit estimer le coût pour
un cancer donné (schématiquement localisé ou non) et le multiplier
par le nombre de cancers traités chaque année en France. Dans le
premier cas, on peut considérer que le budget annuel des vingt
Centres de lutte contre le cancer en France étant de l’ordre de 5,9 milliards de francs français et alors qu’ils traitent entre 11 et 20 % des
cancers, (selon les données 1997 du PMSI (6), ils réalisent 22 % des
interventions pour cancer du sein), entre 30 et 53 milliards sont consacrés à la prise en charge du cancer, chiffres qui rejoignent ceux de
l’UNHPC (43 milliards selon cet organisme, dont 30 à 40 pour le
secteur hospitalier) alors que la dépense médicale annuelle nationale
est estimée à 700 milliards de francs. Les cancers du sein représentent, en terme d’incidence, 14 % de l’ensemble des 239 700 nouveaux cancers estimés en France chaque année. En faisant l’hypothèse, très hasardeuse et éminemment critiquable, que le coût du
traitement des formes localisées, que la durée des formes métastatiques, que les soins que celles-ci impliquent, sont du même ordre
quelle que soit la localisation cancéreuse, on peut estimer qu’une
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Tableau I. Coût approximatif (dans le public) en France des traitements
des formes M0 opérables (les pourcentages des stades et des comportements thérapeutiques viennent des données du registre de la Côte-d’Or).
Nombre
de cas
Nouveaux cas
33 000
Cas M0 97,7 %
32 240
Opérables 89,9 % des M0
29 660
Tumorectomie + c.a. : 58%
9 140
Irradiation après tumorectomie : 55 %
Mastectomie : 29 %
Irradiation après mastectomie : 20 %
18 150
Coût
unitaire
20 132*
4 000**
9 570
27 000*
Estimation
nationale
385 MF
73 MF
258 MF
6 600
11 000**
72,5 MF
Chimiothérapie
13 200
10 500***
138,5 MF
Hormonothérapie
20 600
10 000****
206 MF
Surveillance
29 660
8 400**
250,5 MF
Transports
24 750
TOTAL
10 000§
247,5 MF
1 631 MF
* Données PMSI.
** Estimation “moyenne” à partir des lettres clé.
*** Estimation “moyenne” à partir du PMSI et des habitudes
(4 ou 6 cures de chimiothérapie).
**** Estimation “moyenne” : essentiellement le prix du tamoxifène adjuvant.
§ Estimation moyenne.
somme comprise entre 4 et 7 milliards de francs doit chaque année,
en France, être consacrée au traitement du cancer du sein.
On peut aussi partir des données fournies par un registre (nous avons
choisi celui de la Côte-d’Or [(5)], très précis dans ce domaine) et
des coûts que nous venons d’évoquer. Nous avons essayé d’estimer ainsi le coût, dans le service public (incluant les PSPH), du traitement des formes localisées (tableau I) et nous arrivons, en nous
appuyant sur les valorisations faites par l’étude nationale des coûts
dans le cadre du PMSI et en supposant que le praticien utilise des
protocoles classiques et largement validés, à un total de l’ordre de
1,6 milliard de francs, soit un coût de l’ordre de 55 000 FF par cas,
chiffre qui rejoint ceux d’une récente publication canadienne (8).
Quant au coût des formes métastatiques, il est estimé par
Artus et coll. (9), pour une durée de 5 ans à 84 200 FF, à 70 000 FF
par an par A. Livartowski (10) et à 73 000 FF par an par
R. Launois (11) (ces deux derniers chiffres nous paraissent plus
réalistes). La prévalence de ces formes devant être de l’ordre de
30 000 (la durée de survie moyenne de ces formes étant de l’ordre
de trois ans et le nombre de nouveaux cas métastatiques étant de
10 000 par an), on peut donc estimer qu’une somme de 2,4 milliards de francs est consacrée à ces soins.
Cela fait donc pour l’ensemble des formes, un total de 4 milliards
de francs.
On voit, par l’étendue de ces imprécisions, le flou complet dans
lequel nous sommes. On peut cependant raisonnablement penser
que les sommes en jeu se situent entre 3 et 8 milliards de francs,
ce qui peut paraître fort peu par rapport au budget annuel de
l’assurance maladie. Quelle entreprise pourrait se permettre une
telle approximation ?
La Lettre du Cancérologue - Volume IX - no 1 - février 2000
LES CRITÈRES DE QUALITÉ SONT MAL DÉFINIS
Mais une approche strictement comptable est bien évidemment
insuffisante et n’est pas sans danger, puisqu’elle pourrait avoir
une influence néfaste sur le comportement des thérapeutes. C’est
ainsi que des auteurs norvégiens (12) se sont posé la question de
savoir si la mastectomie n’avait pas un regain de faveur par rapport à un traitement conservateur du sein, non pour des raisons
strictement médicales mais pour des raisons économiques, le traitement “conservateur” par tumorectomie plus curage axillaire
revenant plus cher du fait de l’irradiation qu’il impose presque
systématiquement. Toutes ces estimations font en effet abstraction des critères de qualité des soins, qualité qui doit aller de soi,
mais dont la prise en compte n’a pas été, jusqu’à maintenant,
encouragée.
L’impact de cette qualité sur la morbidité et éventuellement la
mortalité est mal objectivé. Certaines études (trop rares) constatent en effet ce que l’on pouvait soupçonner, à savoir un lien en
termes de survie, dans le traitement des cancers du sein localisés, entre la qualité des soins et le fait que ceux-ci soient réalisés
par des équipes entraînées. Il en est ainsi du travail de Gillis et
coll. (13) comparant les taux de survie, à critères de pronostic
équivalents, obtenus par des chirurgiens spécialistes dans le traitement du cancer du sein à ceux obtenus par des non-spécialistes,
et qui montre un désavantage pour ces derniers. Peut-on considérer comme “entraîné” un établissement qui ne pratique qu’une
intervention par an pour cancer du sein, ce qui est le cas de 50 établissements, voire même 15 interventions par an, ce qui est le cas
de 50 % des 1 131 établissements privés ou publics ou PSPH
autorisés à disposer de lits de chirurgie en hospitalisation complète (6) ? Pour ce qui est des autres thérapeutiques (radiothérapie, chimiothérapie), de nombreuses publications ont montré
l’importance de la qualité de leur administration (14, 15).
À la notion d’allongement de la survie vient, d’autre part, s’ajouter celle de qualité de vie, avec la mise en place d’échelles d’appréciation, et celle de QALY (16) (année de vie ajustée sur la qualité),
sans compter le coût social et familial qu’impliquent non seulement la maladie mais aussi son traitement.
Ainsi, tant pour des raisons économiques (qui, étant donné les
contraintes actuelles, doivent être prises en grande considération,
d’autant qu’il est de plus en plus question de mettre en œuvre un
système de coût par pathologie) que pour le confort de leurs
patientes, les praticiens doivent se poser la question de l’intérêt
de leur geste. Dans le traitement du cancer du sein, certaines procédures doivent être encore validées scientifiquement. Il en est
ainsi du bilan d’extension initial des formes apparemment localisées, de la qualité de l’examen histologique, et en particulier
des ganglions du creux axillaire, des indications précises de la
radiothérapie après mastectomie, de la durée et de la qualité des
traitements médicaux adjuvants, de la nature et de la fréquence
de la surveillance, dans les formes à très haut risque de l’intérêt
des chimiothérapies intensives et, dans les formes avancées, des
troisième ou quatrième lignes de chimiothérapie. Enfin, le coût
considérable des transports doit amener à réfléchir sur une politique de soins de proximité et de qualité. La mise en place des
référentiels, qu’il s’agisse des Standards options recommandaLa Lettre du Cancérologue - Volume IX - no 1 - février 2000
tions mis en place sur l’initiative de la Fédération nationale des
centres de lutte contre le cancer (17) ou du travail de
l’ANAES (18), est donc un élément essentiel d’une politique de
qualité et de citoyenneté. La communauté cancérologique doit –
et elle est prête à le faire – accepter des comparaisons tant en
termes de santé qu’économiques, et se remettre en question. Reste
à savoir qui doit être le maître d’ouvrage de cette évaluation et
qui doit au besoin l’imposer : Direction générale de la santé,
ANAES, assurance maladie ? La réponse, à l’évidence, n’appartient pas au corps médical, qui peut cependant en être le maître
d’œuvre.
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