téléchargeables Re pè res biologiques C i b l e • Sig n al • Pat ient 1 C. Massard*, B. Besse*, D. Planchard* n° 4 diapositives Nouvelle cible, nouvelle entité clinicobiologique et nouvelle thérapeutique : l’exemple d’ALK dans les cancers bronchiques non à petites cellules a découverte de certaines anomalies moléculaires peut radicalement modifier la stratégie thérapeutique d’un cancer ; elle peut aussi plus profondément modifier la stratégie de prise en charge et de diagnostic des patients ayant un cancer. Ainsi, les anomalies de KIT ont permis de faire émerger la pathologie des tumeurs stromales gastro-intestinales (GastroIntestinal Stromal Tumor [GIST]) comme une entité à part entière, et cette pathologie orpheline des années 1990 est devenue le symbole et le paradigme de la cancérologie du xxie siècle. Récemment, les progrès dans la compréhension de la biologie moléculaire des cancers bronchiques, en particulier de ceux non à petites cellules (CBNPC), ont permis d’identifier différentes altérations moléculaires, qui sont autant de cibles thérapeutiques potentielles, mais aussi potentiellement des outils pour mieux diagnostiquer les CBNPC, et permettre d’en changer la vision. Cette approche à la carte nous entraîne de plus en plus vers la possibilité d’individualiser le traitement * Département de médecine oncologique, service d’innovation thérapeutique et essais précoces (SITEP), institut de cancérologie Gustave-Roussy, Villejuif. selon le profil pathologique et moléculaire des patients. En effet, il n’existe probablement pas 1 entité homogène de CBNPC, mais plutôt une addition de maladies “rares”, avec des anomalies moléculaires particulières, des voies de signalisation activées distinctes, une évolution clinique singulière et des potentialités thérapeutiques différentes. Plusieurs tests moléculaires génomiques validés, réalisés à partir du tissu tumoral, font maintenant partie de la prise de décision thérapeutique pour le cancer du poumon. Cette individualisation moléculaire est récente et fait suite à l’individualisation de populations bénéficiant des inhibiteurs de tyrosine kinase (ITK) de l’EGFR (Epidermal Growth Factor Receptor), la première étant celle des sujets non fumeurs présentant un profil oncogénique particulier. Ce cancer apparaît donc comme une maladie du génome. Ainsi, la détection des mutations EGFR, KRAS, HER2 (Human Epidermal growth factor Receptor-2) ou des réarrangements comme ALK (Anaplastic Lymphoma Kinase) vont permettre dans les années à venir d’avoir une nouvelle classification des CBNPC : il ne sera bientôt plus possible de parler de “cancer du poumon”, en général, comme il n’est plus possible de parler de sarcome ou de cancer du sein ; il sera indispensable de déterminer ces anomalies moléculaires pour savoir de quelle maladie souffre un patient donné, et pour décider de la meilleure stratégie thérapeutique (tableaux I et II, p. II) [1]. 1 Fiche sous la responsabilité de ses auteurs. F i c h e à d é t a c h e r L La Lettre du Cancérologue • Vol. XX - n° 10 - décembre 2011 | I LK12-fiche.indd 1 09/12/11 15:18 (Echinoderm Microtubule-associated protein-Like 4) dans les CBNPC. Cette anomalie est due à une translocation au niveau du chromosome 2p (2). Différents variants sont décrits. La protéine de fusion “chimétique” EML4-ALK possède des propriétés oncogéniques dans des modèles in vivo et in vitro, avec une activation constitutionnelle de la voie de signalisation ALK passant par la voie des MAPK (Mitogen-Activated Protein Kinase) et PI3K (phosphoinositide 3-kinase)/AKT, aboutissant à un bénéfice en termes de survie et de prolifération. L’inhibition de l’activité kinase ALK par des inhibiteurs pharmacologiques entraîne l’apoptose des cellules tumorales EML4-ALK positives, et une diminution des tumeurs dans des modèles murins. Ces réarrangements génomiques du gène ALK sont détectés chez 3 à 7 % des patients porteurs d’un CBNPC. Comme pour les mutations EGFR, les réarrangements ALK sont plus fréquemment retrouvés chez les patients ayant un adéno­carcinome et chez les sujets non ou peu fumeurs. De plus, il semble, dans les premières études, que les réarrangements ALK soient un phénomène spécifique des mutations EGFR ou KRAS. Épidermoïde Adénocarcinome Mutation de KRAS (%) 5 10 à 30 Mutation de BRAF (%) 3 2 EGFR (%) Mutation de tyrosine kinase Amplification Mutation variant III 2à5 30 5 10 à 40 15 Rare HER2 (%) Mutation de tyrosine kinase Amplification Rare 2 2à4 6 Fusion d’ALK (%) Rare 4à7 MET (%) Mutation Amplification 5 < 10 5 < 10 20 1 10 à 20 30 à 40 ... mais aussi dans d’autres pathologies 2 33 2 6 Les réarrangements ALK sont aussi présents dans une pathologie tumorale mésenchymateuse rare, les tumeurs myofibroblastiques inflammatoires, qui concernent le plus souvent des patients jeunes. Ces tumeurs sont essentiellement de présentation pulmonaire ou ganglionnaire. La biopsie montre des cellules myofibroblastiques avec une réaction stromale importante. Le traitement de choix est chirurgical, sachant que ces tumeurs possèdent un faible potentiel métastatique. Dans plus de la moitié des cas, il est montré des altérations d’ALK et des réponses tumorales sont observées avec le crizotinib. Tableau II. Altérations moléculaires, cancer du poumon et opportunité thérapeutique. Molécules Fréquence (%) Erlotinib, géfitinib Nouveaux pan-HER 10 Crizotinib 3à5 Trastuzumab (mutation), PF-299804 (amplification) 2 2 GDC-0941, XL147 XL765, PX-866 BEZ235, BKM120 2 à 33 Amplification/mutation de MET XL184, ARQ 197, MetMAb 5 Mutation de RAS et RAF Sorafénib, GSK1120212 AS703026, AZD6244 3 à 30 Amplification de FGFR1 BJG398, AZD4547, TKI258 10 à 20 Une nouvelle cible : ALK dans les cancers du poumon... r e h c F i La protéine ALK est un récepteur à activité tyrosine kinase initialement identifié dans les lymphomes anaplasiques dans les années 1990. En 2007, une équipe japonaise a identifié pour la première fois une fusion des gènes ALK avec EML4 a Mutation de PI3K Étant donné que l’activité kinase est importante dans le processus de carcinogenèse, il était logique de tester des ITK ciblant la voie de signalisation ALK. Cependant, le crizotinib a été initialement développé comme un inhibiteur de MET. Il a démontré, dès la phase I, une activité clinique majeure et très impressionnante chez des patients porteurs d’un CBNPC qui présentaient un remaniement ALK. Après avoir étudié plus de 1 500 patients porteurs d’un CBNPC, E.L. Kwak et al. ont inclus 82 patients transloqués ALK dans cette étude d’extension de phase I, testant le crizotinib en monothérapie chez des sujets déjà polytraités (41 % avec au moins 3 lignes de traitements). Les résultats sont impressionnants, avec un taux de réponse partielle de 57 % (47 patients sur 82 avaient une réponse partielle et une réponse complète), un taux de survie sans progression à 6 mois de 72 % et une durée moyenne du traitement de 6,4 mois (données encore non matures). Le crizotinib a peu d’effets secondaires (principalement des toxicités digestives et des troubles visuels). Cette étude a été une étape majeure dans le développement de ce médicament, mais aussi en général en oncologie thoracique (3). Il est donc apparu très vite que cette activité antitumorale était restreinte aux patients ayant un CBNPC avec un réarrangement ALK, et qu’il était donc indispensable de mettre en place un diagnostic ­m oléculaire en parallèle de cette étude pour t Altération de HER2 Un nouveau traitement (figure 1) é Translocation d’EML4-ALK d Mutation de l’EGFR à PIK3CA (%) Mutation Amplification e Mutation de LKB1 (%) h Amplification de FGFR1 (%) c R e p è r e s b i o l o g i q u e s n° 4 Tableau I. Altérations moléculaires et cancer du poumon. II | La Lettre du Cancérologue • Vol. XX - n° 10 - décembre 2011 LK12-fiche.indd 2 09/12/11 15:18 Maladie progressive Maladie stable 40 Diminution de la taille tumorale (%) R e p è r e s b i o l o g i q u e s n° 4 60 Réponse partielle confirmée Réponse complète confirmée 20 0 – 20 – 30 % – 40 – 60 – 80 – 100 OR = 57 % identifier les patients présentant l’altération moléculaire (3, 4). La technique de référence pour la détection d’un remaniement ALK est actuellement la technique par hybridation in situ en fluorescence (FISH), sachant que d’autres méthodes existent et sont en cours de validation dans le CBNPC, telles que l’immuno­ histochimie ou le séquençage direct du gène après amplification. Deux grandes phases III d’enregistrement comparant le crizotinib à une chimiothérapie en première et en seconde ligne de traitement chez les patients ALK-positifs sont en cours. Compte tenu de l’activité antitumorale sans précédent du crizotinib chez ces patients, la FDA (Food and Drug Administration) a décidé récemment de ne pas attendre les résultats des études de phase III (qui se poursuivent en Europe) et d’approuver sa commercialisation, faisant du crizotinib l’un des médicaments anticancéreux dont le développement a été le plus rapide. Il est à noter, par ailleurs, que la présence d’un remaniement ALK est plutôt un facteur de mauvais pronostic comparativement aux patients sans anomalie ALK et à ceux porteurs d’une mutation EGFR (4). Compte tenu de l’activité du crizotinib, les oncologues thoraciques auront à faire face à différents défis dans les années à venir. Premièrement, il est aujourd’hui devenu nécessaire de pouvoir proposer la recherche de l’anomalie ALK chez des patients ayant un CBNPC. La technique de référence dans le CBNPC est actuellement la technique par FISH, mais d’autres techniques plus “exportables” devraient se mettre en place, comme notamment Enfin, comme la plupart des thérapies ciblées, le crizotinib ne permet pas de guérir les patients porteurs d’un CBNPC à un stade avancé. Il sera sans doute intéressant de tester ce médicament dans les stades moins avancés, en particulier en adjuvant. c a h e à d é t L’avenir F i c l’immunohistochimie. Le cancer bronchique, comme beaucoup d’autres cancers, est entré dans l’ère de la thérapie à la carte. Le blocage de la voie ALK chez les patients présentant une activation conduit à un bénéfice clinique majeur. Il paraît indispensable à ce jour que les patients porteurs d’un CBNPC puissent avoir accès à un diagnostic moléculaire comportant au minimum une recherche des mutations EGFR et des réarrangements ALK, compte tenu du fait que ces pathologies sont clairement des entités clinicobiologiques différentes, avec des stratégies thérapeutiques elles aussi radicalement différentes. Il sera cependant important de mettre en place des recommandations nationales et internationales pour le suivi et la stratégie diagnostique du CBNPC dans les années à venir. Deuxièmement, les patients qui répondent au crizotinib vont malheureusement développer des résistances secondaires à cette molécule, qui commencent à être en partie comprises. Ces mécanismes de résistance font intervenir des mutations secondaires de résistance ou des activations de voies de signalisation parallèles telles que la voie de l’EGFR. Un des défis majeurs sera de définir précisément quels mécanismes de résistance sont en jeu chez un patient donné, et de développer de nouvelles stratégies pharmacologiques avec des agents de nouvelles générations ou avec des combinaisons thérapeutiques (par exemple, crizotinib et inhibiteur de l’EGFR) [5-7]. h e r Figure 1. Taux de réponse des patients avec un cancer bronchique non à petites cellules traité par crizotinib. La Lettre du Cancérologue • Vol. XX - n° 10 - décembre 2011 | III LK12-fiche.indd 3 09/12/11 15:18 R e p è r e s b i o l o g i q u e s n° 4 Addiction oncogénique Non Oui Histologie EGFR : géfitinib/erlotinib ou ALK : crizotinib Non SCC SCC Doublet de platine + bévacizumab ou platine + pémétrexed Doublet de platine Maintenance : oui/non Figure 2. Stratégie thérapeutique en première ligne pour un patient avec un cancer bronchique non à petites cellules. Conclusion (figure 2) La découverte des réarrangements ALK en 2007 a permis l’identification d’un sous-type moléculaire de CBNPC. Les premiers essais ont démontré dès 2009 l’intérêt de cibler cette anomalie avec des ITK comme le crizotinib, qui a été approuvé cette année par la FDA. L’histoire du crizotinib est l’une des plus rapides, elle représente l’une des plus spectaculaires réussites dans le développement clinique d’une stratégie anticancéreuse et devient un exemple de la médecine personnalisée. ■ Téléchargez les figures de cette fiche sur notre site internet a c h e > La Lettre du Cancérologue > Sommaire de décembre 2011 r www.edimark.fr à 7. Shaw AT, Yeap BY, Solomon BJ et al. Effect of crizotinib on overall survival in patients with advanced non-smallcell lung cancer harbouring ALK gene rearrangement: a retrospective analysis. Lancet Oncol 2011;12(11):1004-12. e 5. Choi YL, Soda M, Yamashita Y et al; ALK Lung Cancer Study Group. EML4-ALK mutations in lung cancer that confer resistance to ALK inhibitors. N Engl J Med 2010; 363(18):1734-9. h 6. Sasaki T, Koivunen J, Ogino A et al. A novel ALK secondary mutation and EGFR signaling cause resistance to ALK kinase inhibitors. Cancer Res 2011;71(18): 6051-60. c 4. Shaw AT, Yeap BY, Mino-Kenudson M et al. Clinical features and outcome of patients with non-small-cell lung cancer who harbor EML4-ALK. J Clin Oncol 2009;27(26): 4247-53. F i 1. Sasaki T, Jänne PA. New strategies for treatment of ALK rearranged non-small-cell lung cancers. Clin Cancer Res 2011. [Epub ahead of print] 2. Soda M, Choi YL, Enomoto M et al. Identification of the transforming EML4-ALK fusion gene in non-small-cell lung cancer. Nature 2007;448(7153):561-6. 3. Kwak EL, Bang YJ, Camidge DR et al. Anaplastic lymphoma kinase inhibition in non-small-cell lung cancer. N Engl J Med 2010;363(18):1693-703. d é t Références bibliographiques IV | La Lettre du Cancérologue • Vol. XX - n° 10 - décembre 2011 LK12-fiche.indd 4 09/12/11 15:18