21
à l’ancienneté et à la régularité des consom-
mations, mais aussi au retentissement intellec-
tuel, généralement déficitaire. Il s’agit d’une
atrophie du cortex, d’une dilatation des
espaces ventriculaires et d’un élargissement
des sillons corticaux, ou des scissures
(Sylvius, inter-hémisphérique) (1). Et ces
modifications anatomiques semblent partiel-
lement réversibles au cours du sevrage.
Le degré d’atrophie peut être lié à une toxi-
cité directe de l’alcool sur les neurones, sur les
cellules gliales ou sur les lipides qui soutien-
nent l’architecture neuronale, ou serait lié à un
trouble de l’hydratation. Cette question reste
discutée. La prise aiguë d’alcool induit des
changements dans les débits cérébraux avec
notamment une diminution dans le cervelet et
une augmentation dans les régions temporales
et préfrontales (2). Dans les cas de consom-
mation régulière, la réduction du métabolisme
régional semble correspondre aux zones de
forte densité en récepteurs aux benzodiazé-
pines. Cela peut être rapproché de l’action de
l’alcool sur des récepteurs comprenant des
sous-unités spécifiques pour le GABA et les
benzodiazépines, et pourrait être en rapport
avec le rôle anxiolytique majeur de l’alcool.
Des données plus récentes suggèrent une alté-
ration relativement précoce et focale du fonc-
tionnement des régions médio-frontales et
cingulaire antérieure en cas de consommation
chronique d’alcool. En effet, l’étude du méta-
bolisme cérébral régional du glucose chez 17
sujets alcooliques chroniques, sans complica-
tion neurologique ni psychiatrique patente, a
montré des anomalies fonctionnelles focali-
sées dans les cortex médio-frontal et pré-
frontal dorso-latéral gauche (3). L’hypométa-
bolisme médio-frontal était corrélé avec la
réduction de la fluence verbale (un test de
mémoire verbale) et avec le temps nécessaire
pour réaliser l’épreuve d’interférence du test
de Stroop (un test évaluant la dégradation des
capacités d’attention sélective). L’hypométa-
bolisme préfrontal dorso-latéral gauche était
corrélé, pour sa part, avec le nombre d’erreurs
au test de Stroop. Ces résultats indiquent que
des dysfonctionnements frontaux circonscrits
peuvent apparaître chez les sujets alcooliques
chroniques sans complication neurologique,
et peuvent rendre compte des altérations
neuropsychologiques liées à l’intoxication
alcoolique chronique.
Des études en tomographie par émission de
positons, avec des radio-ligands spécifiques
des récepteurs de la dopamine, ont montré
chez l’alcoolique des anomalies de fixation
(4). Chez des alcooliques violents, les sys-
tèmes de transport à dopamine des noyaux
gris centraux du cerveau (striata) semblent
augmentés (5). Ce dernier type d’approche
pourrait peut-être permettre de mieux distin-
guer quelques mécanismes biologiques en
rapport avec des sous-types cliniques d’al-
coolisme.
Cocaïne
Puissant psychostimulant, elle entraîne une
sensation immédiate d’euphorie, d’éveil
intense. Lorsque l’effet du produit s’estompe,
peut lui succéder un état anxieux et dépressif
très marqué et parfois compliqué d’éléments
paranoïaques, de conduites violentes et de
confusion. Les consommations répétées de
cocaïne entraînent souvent des conduites
compulsives de recherche immédiate du
produit. Elles peuvent être soumises à distan-
ce à des sensations très intenses de besoin
impérieux de consommer qu’aucun effort
mental ne parvient à raisonner et qui peut
émerger de façon inopinée (craving). Les
périodes d’abus sont souvent suivies de
périodes de ralentissement, de fatigue, de
troubles de la concentration et d’affects
dépressifs.
La cocaïne est sans doute, parmi les subs-
tances toxicomanogènes, celle qui suscite
le plus grand degré d’appétence. La dépen-
dance à la cocaïne est caractérisée par un
besoin irrépressible de consommer (craving)
associé à des consommations compulsives.
C’est ce besoin impérieux d’obtenir à nou-
veau le produit, parfois simplement pour évi-
ter la “descente” pénible des premières prises,
et sans nécessairement la recherche d’un plai-
sir intense, qui peut aboutir à une perte de
contrôle comportemental et à ses consé-
quences sociales ou médicolégales. Il peut
même contribuer aux rechutes lorsque ce
besoin se manifeste en période d’abstinence
quelques semaines après les phases d’abus.
Ces phases d’appétence pour le produit sont
aussi liées aux états psychologiques que tra-
versent le toxicomane, notamment des états
dysphoriques, l’ennui, un état de détresse psy-
cho-sociale, sensations pénibles en face de
situations stressantes, une impulsivité mal
contrôlée, des troubles de la personnalité.
Mais elles sont aussi liées à des situations ou
à des contextes qui réactivent le souvenir des
utilisations précédentes du produit.
Les premières études réalisées en PET-
scanner ont montré une diminution du niveau
de perfusion cérébrale, prédominant dans le
cortex frontal et l’hémisphère gauche parmi
des cocaïnomanes actifs, mais à distance des
épisodes d’abus. Une augmentation des débits
des noyaux gris centraux dans les premières
semaines d’abstinence était suivie, pendant
quelques mois, d’une réduction de l’activité
métabolique frontale prédominante à gauche
et corrélée aux états dépressifs, cela pouvant
persister quelques mois.
La cocaïne marquée par un isotope se fixe sur-
tout dans le striatum. L’évolution dans le
temps de cette fixation est apparue directe-
ment corrélée aux sensations de “montée” et
de plaisir induites par le produit (2, 6).
Les prises de cocaïne sont souvent asso-
ciées à des prises concomitantes d’alcool.
La désinhibition provoquée par l’ivresse
peut favoriser les conduites de prises de
produits illicites, mais l’ivresse atténue
aussi les éléments dysphoriques lors de la
“descente” de cocaïne. Sur le plan pharma-
cologique, la formation d’un composé
toxique, la coca-éthylène, peut rendre plus
complexe l’interprétation clinique des
prises de cocaïne. L’imagerie chez des
volontaires sains a montré la fixation de ce
composé sur des zones cérébrales distinctes
de celles où se fixe la cocaïne, notamment
le thalamus, le cervelet, et une fixation dif-
fuse peu spécifique. Toutefois, l’adminis-
tration d’alcool concomitante de la prise de
cocaïne marquée ne révélait pas de diffé-
rence sur les paramètres de fixation phar-
macocinétique. Cela suggère que les effets
majorés de l’alcool et de la cocaïne peuvent
être simplement liés à leur action directe et
simultanée plutôt qu’à leur interaction
pharmacocinétique ou à la formation du
composé hybride qu’est la cocaéthylène
(7).
La cocaïne bloque la recapture de la dopamine,
neurotransmetteur qui joue un rôle important
dans le circuit de la récompense, du plaisir,
mais aussi dans les processus plus complexes
(moteurs, cognitifs, motivationnels). Elle aug-
mente la concentration de dopamine dans la
synapse, notamment dans le noyau accum-
bens. En dehors de cet effet direct, la dépen-
dance à la cocaïne implique d’autres effets
comme l’appétence, les conduites compul-
sives, la perte de contrôle comportemental.
En utilisant des radiotraceurs spécifiques de
récepteurs cérébraux, Volkow a pu montrer
qu’en période d’abstinence, les cocaïno-
manes présentaient une réduction des capaci-