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Conduites addictives et imagerie cérébrale
J. Bouchez*, M.-H. Dao-Castellana**, J.-l. Martinot***
Les représentations des phénomènes de dépendance utilisées par les
cliniciens et les neurobiologistes ont évolué. Les cliniciens ont réuni
dans une catégorie unique l’ensemble des conduites addictives, car
leurs profils comportementaux ont de nombreux points communs,
même si leurs origines peuvent rester distinctes selon les substances
psycho-actives. On l’a vu notamment dans les rapprochements nosographiques des classifications internationales des maladies mentales et
dans la définition de critères comportementaux de dépendance. La
neurobiologie a pu mettre en avant, grâce à des modèles animaux ou
cellulaires, le rôle central de la dopamine et de son transporteur dans
les phénomènes d’addiction aux produits, avec notamment une
augmentation de la dopamine dans le noyau accumbens après prise
de morphine, de cocaïne, d’alcool ou de nicotine. Les modèles
animaux d’auto-administration des drogues avaient, dès les années
1950, décrit un “circuit de la récompense” comprenant l’aire tegmentale ventrale dont les neurones se projettent dans le noyau accumbens
(voie mésolimbique) ou vers le cortex préfrontal (voie méso-corticale),
l’usage de produit pouvant amener par son action sur ce circuit un
renforcement des conduites, et des phénomènes de tolérance et de
dépendance. Les expériences chez le rongeur ont montré que la
sensibilisation à une drogue touchait l’aire tegmentale ventrale, alors
que le noyau accumbens serait plutôt impliqué dans l’effet “de plaisir”.
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Selon cette évolution récente, les cliniciens
parlent d’addiction plutôt que de pharmacodépendance, alors que les neuroscientifiques
évoquent des utilisations de produits ayant des
actions sur certains circuits neuronaux en
entraînant des effets de renforcement de
conduites, plus ou moins durables. En effet,
pendant longtemps le modèle de la dépendance aux substances psycho-actives était fondé
sur des aspects plutôt pharmacologiques et
* Département addiction, hôpital PaulGuiraud, Villejuif. Clinique Liberté, 10, rue de
la Liberté, 92220 Bagneux.
** Hôpital de Villeneuve-Saint-Georges.
*** Unité INSERM, CEA ERM 02-05 : “Neuroimagerie en psychiatrie”, service hospitalier,
Frédéric Joliot, Orsay.
comportementaux (l’héroïnomanie par
exemple). Elle semblait soutenue par une
alternance d’états dysphoriques et de syndromes de manque avec comme élément
organisateur la tolérance (le fait de devoir augmenter les doses pour continuer à ressentir le
même effet) et la dépendance physique et psychique (l’absence de produit entraînant des
états de manque qui renforcent le besoin de
consommer en constituant ainsi un cercle
vicieux). De même, l’alcoolisme chronique
aboutissait aussi à un stade d’auto-entraînement des consommations liées aux phénomènes de manque en l’absence du produit.
Avec le développement de la toxicomanie à la
cocaïne, les cliniciens ont été confrontés à un
produit provoquant un besoin irrépressible
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d’en reprendre, sans véritable phénomène de
dépendance physique, ajoutant au modèle de
pharmacodépendance une note supplémentaire de “besoin”, “d’envie incontrôlable”.
Cela a permis d’entrevoir, dans l’émergence
du processus addictif, d’autres mécanismes
que le déterminisme du syndrome de manque.
Enfin, le développement récent de drogues de
synthèse, sans que des phénomènes de dépendance soient au premier plan, réactive paradoxalement la question de la neurotoxicité des
produits.
Ces évolutions relativement parallèles des
champs cliniques et neurobiologiques soulignent le besoin d’établir des liens plus précis
entre ces domaines. L’étude des spécificités du
fonctionement cérébral, modifié par l’action
des substances addictives, est une façon nouvelle de rapprocher les modèles neurobiologiques et clinico-comportementaux. L’imagerie
cérébrale apprécie les phénomènes de sevrage, en tentant de discerner des zones électives
de fonctionnement cérébral au cours de la
“montée” des produits ou de l’envie irrépressible de s’en procurer. Elle observe aussi les
conséquences fonctionnelles, voire les
séquelles, de ces consommations.
Les techniques d’imagerie, tomographie par
émission de positron (PET), tomographie par
émission de photon (SPECT), imagerie par
résonance magnétique fonctionnelle (IRMF)
permettent tout à la fois d’observer des dysfonctionnements cérébraux assez globaux qui
peuvent être communs à plusieurs produits,
mais aussi de distinguer des anomalies selon
les substances, tout en laissant entrevoir des
modalités de régulation des conduites addictives plus complexes. Sans prétendre à une
revue exhaustive des travaux d’imagerie cérébrale réalisés dans le domaine des addictions,
nous avons rassemblé quelques exemples
montrant que ces techniques apportent des
éléments originaux de compréhension des
addictions à la cocaïne, à l’héroïne, à l’ecstasy
ou à l’alcool.
Alcool
L’imagerie médicale a commencé par repérer
les altérations de la morphologie du cerveau
de sujets alcooliques puis, plus récemment,
elle s’est intéressée aux dysfonctionnements
cérébraux.
Les examens en tomodensitométrie ont pu
objectiver des modifications anatomiques
chez l’alcoolodépendant assez bien corrélées
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à l’ancienneté et à la régularité des consommations, mais aussi au retentissement intellectuel, généralement déficitaire. Il s’agit d’une
atrophie du cortex, d’une dilatation des
espaces ventriculaires et d’un élargissement
des sillons corticaux, ou des scissures
(Sylvius, inter-hémisphérique) (1). Et ces
modifications anatomiques semblent partiellement réversibles au cours du sevrage.
Le degré d’atrophie peut être lié à une toxicité directe de l’alcool sur les neurones, sur les
cellules gliales ou sur les lipides qui soutiennent l’architecture neuronale, ou serait lié à un
trouble de l’hydratation. Cette question reste
discutée. La prise aiguë d’alcool induit des
changements dans les débits cérébraux avec
notamment une diminution dans le cervelet et
une augmentation dans les régions temporales
et préfrontales (2). Dans les cas de consommation régulière, la réduction du métabolisme
régional semble correspondre aux zones de
forte densité en récepteurs aux benzodiazépines. Cela peut être rapproché de l’action de
l’alcool sur des récepteurs comprenant des
sous-unités spécifiques pour le GABA et les
benzodiazépines, et pourrait être en rapport
avec le rôle anxiolytique majeur de l’alcool.
Des données plus récentes suggèrent une altération relativement précoce et focale du fonctionnement des régions médio-frontales et
cingulaire antérieure en cas de consommation
chronique d’alcool. En effet, l’étude du métabolisme cérébral régional du glucose chez 17
sujets alcooliques chroniques, sans complication neurologique ni psychiatrique patente, a
montré des anomalies fonctionnelles focalisées dans les cortex médio-frontal et préfrontal dorso-latéral gauche (3). L’hypométabolisme médio-frontal était corrélé avec la
réduction de la fluence verbale (un test de
mémoire verbale) et avec le temps nécessaire
pour réaliser l’épreuve d’interférence du test
de Stroop (un test évaluant la dégradation des
capacités d’attention sélective). L’hypométabolisme préfrontal dorso-latéral gauche était
corrélé, pour sa part, avec le nombre d’erreurs
au test de Stroop. Ces résultats indiquent que
des dysfonctionnements frontaux circonscrits
peuvent apparaître chez les sujets alcooliques
chroniques sans complication neurologique,
et peuvent rendre compte des altérations
neuropsychologiques liées à l’intoxication
alcoolique chronique.
Des études en tomographie par émission de
positons, avec des radio-ligands spécifiques
des récepteurs de la dopamine, ont montré
chez l’alcoolique des anomalies de fixation
(4). Chez des alcooliques violents, les systèmes de transport à dopamine des noyaux
gris centraux du cerveau (striata) semblent
augmentés (5). Ce dernier type d’approche
pourrait peut-être permettre de mieux distinguer quelques mécanismes biologiques en
rapport avec des sous-types cliniques d’alcoolisme.
Cocaïne
Puissant psychostimulant, elle entraîne une
sensation immédiate d’euphorie, d’éveil
intense. Lorsque l’effet du produit s’estompe,
peut lui succéder un état anxieux et dépressif
très marqué et parfois compliqué d’éléments
paranoïaques, de conduites violentes et de
confusion. Les consommations répétées de
cocaïne entraînent souvent des conduites
compulsives de recherche immédiate du
produit. Elles peuvent être soumises à distance à des sensations très intenses de besoin
impérieux de consommer qu’aucun effort
mental ne parvient à raisonner et qui peut
émerger de façon inopinée (craving). Les
périodes d’abus sont souvent suivies de
périodes de ralentissement, de fatigue, de
troubles de la concentration et d’affects
dépressifs.
La cocaïne est sans doute, parmi les substances toxicomanogènes, celle qui suscite
le plus grand degré d’appétence. La dépendance à la cocaïne est caractérisée par un
besoin irrépressible de consommer (craving)
associé à des consommations compulsives.
C’est ce besoin impérieux d’obtenir à nouveau le produit, parfois simplement pour éviter la “descente” pénible des premières prises,
et sans nécessairement la recherche d’un plaisir intense, qui peut aboutir à une perte de
contrôle comportemental et à ses conséquences sociales ou médicolégales. Il peut
même contribuer aux rechutes lorsque ce
besoin se manifeste en période d’abstinence
quelques semaines après les phases d’abus.
Ces phases d’appétence pour le produit sont
aussi liées aux états psychologiques que traversent le toxicomane, notamment des états
dysphoriques, l’ennui, un état de détresse psycho-sociale, sensations pénibles en face de
situations stressantes, une impulsivité mal
contrôlée, des troubles de la personnalité.
Mais elles sont aussi liées à des situations ou
à des contextes qui réactivent le souvenir des
utilisations précédentes du produit.
Les premières études réalisées en PET-
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scanner ont montré une diminution du niveau
de perfusion cérébrale, prédominant dans le
cortex frontal et l’hémisphère gauche parmi
des cocaïnomanes actifs, mais à distance des
épisodes d’abus. Une augmentation des débits
des noyaux gris centraux dans les premières
semaines d’abstinence était suivie, pendant
quelques mois, d’une réduction de l’activité
métabolique frontale prédominante à gauche
et corrélée aux états dépressifs, cela pouvant
persister quelques mois.
La cocaïne marquée par un isotope se fixe surtout dans le striatum. L’évolution dans le
temps de cette fixation est apparue directement corrélée aux sensations de “montée” et
de plaisir induites par le produit (2, 6).
Les prises de cocaïne sont souvent associées à des prises concomitantes d’alcool.
La désinhibition provoquée par l’ivresse
peut favoriser les conduites de prises de
produits illicites, mais l’ivresse atténue
aussi les éléments dysphoriques lors de la
“descente” de cocaïne. Sur le plan pharmacologique, la formation d’un composé
toxique, la coca-éthylène, peut rendre plus
complexe l’interprétation clinique des
prises de cocaïne. L’imagerie chez des
volontaires sains a montré la fixation de ce
composé sur des zones cérébrales distinctes
de celles où se fixe la cocaïne, notamment
le thalamus, le cervelet, et une fixation diffuse peu spécifique. Toutefois, l’administration d’alcool concomitante de la prise de
cocaïne marquée ne révélait pas de différence sur les paramètres de fixation pharmacocinétique. Cela suggère que les effets
majorés de l’alcool et de la cocaïne peuvent
être simplement liés à leur action directe et
simultanée plutôt qu’à leur interaction
pharmacocinétique ou à la formation du
composé hybride qu’est la cocaéthylène
(7).
La cocaïne bloque la recapture de la dopamine,
neurotransmetteur qui joue un rôle important
dans le circuit de la récompense, du plaisir,
mais aussi dans les processus plus complexes
(moteurs, cognitifs, motivationnels). Elle augmente la concentration de dopamine dans la
synapse, notamment dans le noyau accumbens. En dehors de cet effet direct, la dépendance à la cocaïne implique d’autres effets
comme l’appétence, les conduites compulsives, la perte de contrôle comportemental.
En utilisant des radiotraceurs spécifiques de
récepteurs cérébraux, Volkow a pu montrer
qu’en période d’abstinence, les cocaïnomanes présentaient une réduction des capaci-
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tés des récepteurs à dopamine D2 corrélée à
la réduction du métabolisme du glucose dans
les régions préfrontales, et sans doute liée à
l’hyperstimulation induite par les prises répétées de cocaïne pendant les périodes de grande consommation (6).
Après avoir donné du méthylphénidate (qui
stimule la libération de dopamine) à des
cocaïnomanes et à des témoins et mesuré
l’activité cérébrale par tomographie d’émission de positons, on a constaté que les toxicomanes avaient moins de réponse dopaminergique que les témoins dans le striatum (région
comprenant le noyau accumbens), mais une
réponse amplifiée dans le thalamus (2).
On a étudié les réactivations de l’envie du produit par des stimuli extérieurs en laboratoire :
• Wang a réalisé une analyse en tomographie
par émission de positons, avant et après un
entretien par lequel le patient devait décrire sa
façon d’utiliser et de préparer la cocaïne. On
lui présentait ensuite le matériel d’utilisation.
Des activations d’un ensemble de régions
cérébrales ont été mesurées, mais leur interprétation paraît spéculative, car les activités
mentales au moment des mesures n’étaient
pas assez déterminées par une tâche expérimentale (8).
• Les cocaïnomanes peuvent faire l’expérience d’une réactivation de leur désir de produit lorsqu’ils rencontrent des indices
(“cues”) associées à leur consommation
(endroits, gens…). Le craving peut même
s’accompagner de signes physiques évoquant
la prise de produits (sensation d’éveil, palpitations, euphorie, goût dans l’arrière gorge).
Childress a émis l’hypothèse que les zones
du cerveau activées dans ces états pourraient
s’apparenter aux zones activées par le produit
lui-même. Cette équipe a donc mesuré le
débit sanguin cérébral parmi des sujets
cocaïnodépendants avant et après stimulation
par une séquence vidéo montrant la préparation et l’utilisation de crack, et une vidéo
neutre des images de voyage. Ils ont détecté
une activation dans les régions limbiques
(amygdales) impliquées dans des processus
émotionels et dans le gyrus cingulaire antérieur (une région très souvent activée dans les
tâches cognitives d’attention sélective. Ces
deux régions sont liées au noyau accumbens
impliqué dans les propriétés renforçantes de
la cocaïne et le “circuit de la récompense”.
D’autres aires limbiques ne semblaient pas
activées (notamment pas d’activation de la
zone hippocampique), suggérant la prédominance de l’état émotionnel régi par l’amygdale,
sur la “mémoire”. Cela pourrait correspondre,
selon ces auteurs, à la situation clinique du
sujet dépendant soumis à un état émotionnel
profond et à une nécessité impérieuse d’agir,
sans mémorisation intense des conséquences
négatives des prises de produit) (9).
Héroïne
Les effets des opiacés sont connus et recherchés depuis des siècles pour leur effets apaisants, pour l’euphorie qu’ils peuvent entraîner ou la sédation. Leur pouvoir anxiolytique
et antidépresseur en firent des traitements
psychotropes au XIXe siècle dans des cas de
troubles de l’humeur. L’héroïne peut produire
une “montée” dans un état euphorique, avec
un sentiment de capacité accrue, mais s’accompagne assez vite d’une sédation avec un
sentiment de rêve éveillé. Les premières
prises de produits sont rarement plaisantes et
s’accompagnent de nausées, d’ébriété.
Les dépendances à l’héroïne sont bien plus
anciennes que les addictions à la cocaïne,
mais ont suscité paradoxalement bien moins
d’intérêt pour ce qui est des techniques exploratrices d’imagerie. En dehors des arguments
épidémiologiques ou d’enjeux sanitaires
devant l’explosion des consommations de
psychostimulants des années 1980 aux ÉtatsUnis, on peut aussi penser au manque d’intérêt relatif d’exploration souvent complexe
pour une dépendance qui pourrait paraître
plus simple sur le plan physiopathologique.
L’héroïne se fixe sur des récepteurs spécifiques et entraîne des phénomènes d’adaptations pharmacologiques de tolérance (nécessitant une augmentation des doses pour obtenir un même effet), et des signes de sevrage à
l’arrêt brutal du produit. La prise répétée
d’héroïne peut aboutir à une dépendance physique et psychique. Les traitements substitutifs par la méthadone confortent certains
auteurs dans un modèle de dépendance réduit
à des altérations pharmacologiques que
corrige un traitement substitutif. Cela en
ferait oublier tout le poids de phénomène de
conditionnement complexe que l’on peut
décrire avec la cocaïne.
Les régions cérébrales dont l’activité est
modifiée par des opiacés ont pu être approchées chez l’homme par les techniques
d’imagerie : l’administration d’opiacés se
liant préférentiellement aux récepteurs µ
(responsable de l’effet euphorisant, de l’action antalgique ou de la dépression respiratoire) a provoqué chez des volontaires sains
une augmentation des flux cérébraux régionaux dans le thalamus, les amygdales et le
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gyrus cingulaire (figure ci-dessus tirée de
la réf. 13). À l’inverse, une épreuve de
sevrage a induit, par un antagoniste des opiacés, une réduction du flux sanguin dans la
région du gyrus cingulaire.
Les études réalisées chez des patients recevant de la méthadone comme traitement de
leur dépendance à l’héroïne, sont plus discutables sur le plan méthodologique. Elles ont
retrouvé des anomalies du métabolisme assez
diffuses, mais elles suggèrent qu’un traitement au long cours peut permettre d’obtenir
une régulation des troubles fonctionnels (11).
Schématiquement, certains auteurs séparent
le modèle neurobiologique de l’addiction à
l’héroïne en deux systèmes :
• Le système de renforcement négatif, comprenant le locus coeruleus et la substance
grise péri-aqueducale, impliqué dans les phénomènes de manque et de sevrage avec des
manifestations cliniques liées à un excès de
noradrénaline.
• Le système de renforcement positif des
conduites, le circuit de la récompense comprenant l’aire tegmentale ventrale ainsi que
ses zones de projection, comme le striatum ou
le cortex frontal, les régions limbiques ou cingulaires. Les théories comportementales
accordent beaucoup d’importance à ce système de renforcement des conduites dans la
motivation ou l’initiation de la conduite de
recherche de produit.
Dans un laboratoire d’imagerie, des héroïnomanes ont regardé des séquences vidéo comprenant de l’héroïne ou non et d’autres
images rappelant l’univers de la toxicomanie
comme le matériel d’injection, des lieux de
deal… mais sans représentation directe du
produit (12). Les zones stimulées et observées en PET-scanner étaient superposables
dans ces deux conditions (cortex préfrontal,
aire cingulaire antérieure). Ces zones sont
d’autant plus intéressantes qu’elles représentent une interface entre les systèmes impliqués dans les manifestations de sevrage et
ceux qui font intervenir des voies de contrôles
plus complexes des conduites ou des condi-
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tionnements et des renforcements positifs.
Les épreuves de stimulation cérébrale par des
indices évoquant des produits semblent néanmoins laisser une catégorie de sujets (30 %)
insensibles, sans que l’on puisse analyser ce
défaut de réceptivité : s’agit-il de rétrocontrôle négatif sur les zones activées, de limites
méthodologiques, de biais, ou d’autres voies
de consommation échappant à une certaine
forme de mémorisation de conditionnement
opérant ? Autant d’interrogations qui doivent
inciter à appliquer des méthodologies rigoureuses, et à prendre en compte les facteurs
individuels.
Ecstasy
L’utilisation très répandue de l’ecstasy est
apparue dans les années 1990 en même temps
que se développait un mouvement culturel
centré sur la musique techno avec des rassemblements de masse, plus ou moins clandestins, dans des raves ou des free parties. Le
MDMA, 3-4-méthylènedioxyméthamphétamine, ou ecstasy, est largement utilisé de
façon récréationnelle au cours de ces soirées,
les usagers cherchant à atteindre un état de
stimulation et de désinhibition. À la dimension de plaisir et d’excitation s’ajoute un sentiment de liberté, de bien-être, de douce
euphorie facilitant les contacts avec les autres.
Peut lui succéder un état anxieux avec des éléments dépressifs ou à distance, au troisième
jour, un ralentissement psychomoteur, une
asthénie marquée, des affects dépressifs. Le
MDMA a longtemps été utilisé en biologie
chez l’animal pour détruire, sur des préparations neuronales, les terminaisons nerveuses
à sérotonine.
Ainsi le potentiel toxique du MDMA a été
vite soulevé chez l’homme. L’équipe de Mac
Cann à Baltimore s’est beaucoup intéressé à
la neurotoxicité de l’ecstasy (13), en étudiant
notamment les transporteurs de la sérotonine
avec un radioligand spécifique parmi des usagers réguliers de MDMA en tomographie par
émission de positons. Ces études retrouvaient une réduction régionale et globale
des systèmes de transport de la sérotonine
et de façon plus intense pour des consommations plus régulières et plus longues. Cette
neurotoxicité reste discutée par certains cliniciens au vu de l’incidence réduite des complications dans un contexte d’usage récréationnel très répandu (14).
Chang et Grob (15) ont étudié les modifications du débit sanguin cérébral parmi des usa-
gers occasionnels d’ecstasy en les comparant
à des témoins appariés par le sexe et l’âge, en
ne notant aucune différence dans ces deux
populations. Un sous-groupe de sujets a reçu
expérimentalement des doses de MDMA et a
été réévalué après deux et trois semaines : des
réductions du flux sanguin prédominant dans
les régions du noyau caudé, du cortex pariétal
supérieur, et du cortex frontal dorsolatéral
droit ont été détectées. Un autre sous-groupe
de sujets a été évalué après deux mois avec
une augmentation des débits régionaux. Ces
données suggèrent un effet aigu de l’ecstasy
sur les terminaisons sérotoninergiques qui
peuvent influencer les activités cérébrales
régionales, mais qui pourrait n’être que transitoire. La question de la neurotoxicité de
l’ecstasy chez l’homme reste débattue et
nécessiterait des études de suivi plus conséquentes.
Conclusion
Malgré les grandes difficultés méthodologiques rencontrées lors de l’étude des sujets
dépendants dans un cadre expérimental et
technique, les résultats obtenus rapportés dans
la littérature scientifique permettent d’envisager les explorations par imagerie comme
nécessaires et fiables pour mieux comprendre
les phénomènes liés aux effets des produits et
leurs retentissements comportementaux. De
nombreux aspects ne sont pas étudiés, tels que
les modifications par les produits toxicomanogènes des activations cérébrales de régions
engagées dans des activités mentales, ou bien
les conséquences à long terme de l’intoxication à plusieurs drogues sur le fonctionnement
cérébral ou sur la morphologie cérébrale
déterminée statistiquement. De même, l’exploration in vivo des aspects pharmacologiques et les modifications massives des systèmes de neurotransmission induites par ces
produits peuvent dorénavant être abordés plus
directement chez l’homme. Parmi les nombreux déterminants des toxicomanies, les
techniques d’imagerie sont donc susceptibles
d’apporter des informations originales et
innovantes sur l’implication du cerveau
humain dans leur déterminisme, car il s’agit
de l’organe cible des produits utilisés.
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