Le crack, c'est de la cocaïne trafiquée. On transforme le chlorhydrate (la poudre blanche) en
carbonate (les cailloux), que l'on fume le plus souvent dans des pipes en verre. La dose coûte
environ 5 dollars à New York. Plus simple et encore meilleur marché : fumer directement la «
pasta », c'est-à-dire le produit du premier stade d'extraction de la cocaïne à partir des feuilles
de Erythroxylum coca.
Prisée, la cocaïne parvient relativement lentement et surtout progressivement jusqu'au
cerveau. Injectée, son effet est accru et beaucoup plus rapide. Fumée sous forme de crack, il
est foudroyant : en quelques secondes, le « flash » est maximal : ivresse euphorique,
sentiment de puissance, exacerbation des sensations (c'est un aphrodisiaque puissant),
stimulation de l'activité motrice et impression inégalable d'être au « top » de ses capacités
intellectuelles. La fatigue s'évanouit comme par enchantement. On est gai, invulnérable,
brillant, créatif, moins qu'on ne l'imagine toutefois. « Les conditions optimales sont vite
dépassées et la précision diminue » explique Gabriel Nahas, de l'hôpital Fernand-Vidal à
Paris. Le drame est que l'euphorie ne dure que quelques minutes, un quart d'heure tout au plus
et que la descente ressemble à l'Enfer. L'angoisse est insupportable et la vie se résume vite à la
recherche compulsive de nouvelles doses. On ne mange plus, on ne dort plus. D'atroces
fourmillements donnent l'impression d'être dévoré par des millions d'insectes. A chaque «
high », l'organisme délabré est soumis à rude épreuve : la tension artérielle monte, le cœur bat
trop vite... Assez rapidement apparaissent des comportements schizophréniques et de
véritables délires paranoïaques avec à la clef, des tendances suicidaires ou des crises de
violence incontrôlées. On meurt épuisé, d'overdose.
La cocaïne, comme toute drogue psychotrope, perturbe le fragile équilibre qui permet aux
quelques dizaines de milliards de neurones de notre cerveau de fonctionner. La très fine
régulation de l'ordinateur que cache notre crâne est assurée par des neuromédiateurs, les
substances chimiques chargées de transmettre les signaux d'un neurone à l'autre. Or la cocaïne
modifie la production, la libération et la dégradation de certaines de ces molécules : les
catécholamines, et parmi elles, l'adrénaline, la noradrénaline et surtout la dopamine. Dans le
cerveau, la cible privilégiée de la cocaïne sont les neurones dopaminergiques du
mésencéphale. Ils innervent particulièrement le système limbique, le cerveau archaïque, siège
du plaisir.
Normalement, en effet, les substances neurotransmettrices sont libérées par un neurone et
passent dans la fente synaptique pour se fixer sur les récepteurs du neurone suivant. Certaines
sont recaptées par une sorte de pompe spécifique pour être ensuite relarguées au fur et à
mesure des besoins. Or la cocaïne bloque cette pompe pour la dopamine. Conséquence : les
neurotransmetteurs stimulent en permanence les neurones voisins. Pour corser le tout, « la
cocaïne induit une augmentation de la production de catécholamines par les neurones »,
affirme Gabriel Nahas. On assiste à une véritable flambée de l'excitation, qui se propage de
neurone en neurone.
C'est l'emballement quasi incontrôlable d'un processus normal : de lui-même, le système
passe ainsi à la vitesse supérieure lorsque l'organisme doit fournir un effort particulier :
monter un escalier, écrire un texte. Mais là, il doit « rouler en sur-régime ». La concentration
de catécholamines est telle qu'elle peut endommager les cellules. Finalement, on peut dire que
le drogué s'intoxique avec ses propres neurotransmetteurs.
« Mais, reprend Gabriel Nahas, sous les effets répétées de la cocaïne, les neurones s'adaptent à
une concentration synaptique anormalement élevée de ces substances. Pour fonctionner, le
cerveau est alors contraint de maintenir une production accrue de neurotransmetteurs. Une
production entretenue par l'apport fréquent de drogue. » D'où, dans cette hypothèse, le
comportement compulsif du cocaïnomane sans cesse à la recherche de sa poudre ou, mieux,
de ses cailloux. De toutes les drogues, la cocaïne est de loin celle qui possède le plus grand