D OSSIER thématique Thérapeutiques alternatives dans le domaine de la transplantation cardiaque Coordinateur : J.C. Chachques, hôpital Européen Georges-Pompidou, 75015 Paris. ! Assistance biologique de l’insuffisance cardiaque par cardiomyoplastie (tissulaire et cellulaire) et aortomyoplastie J.C. Chachques, B. Cattadori, A. Berrebi, M.C. Iliou, P. Meimoun, A. Carpentier " Chirurgie valvulaire mitrale chez les patients atteints de cardiomyopathie dilatée - J.P. Couetil " Resynchronisation atrio-biventriculaire - C. Alonso,T. Lavergne, J. Ollitrault, J.Y. Le Heuzey, M. Aitsaid, J.M. Darondel, L. Guize " Reduction ventriculoplasty - R.J.V. Batista " Ventricular containment (Acorn Wrap) - M. Acker " Left ventricular assist device as a bridge to heart transplantation: the Cleveland Clinic experience J.L. Navia, P.R.Vega, C. Faber, N.G. Smedira, P.M. McCarthy Assistance biologique de l’insuffisance cardiaque par cardiomyoplastie (tissulaire et cellulaire) et aortomyoplastie " J.C. Chachques*, B. Cattadori*, A. Berrebi*, M.C. Iliou*, P. Meimoun*, A. Carpentier* Résumé Résumé Le traitement des patients insuffisants cardiaques est un défi permanent. En effet, le traitement médical, la transplantation cardiaque et l’assistance ventriculaire ne permettent pas d’apporter une solution thérapeutique à tous les patients. En 1985 et après cinq années de recherche, la première cardiomyoplastie tissulaire (utilisant le muscle grand dorsal) est réalisée à l’hôpital Broussais (Paris). Depuis cette date, plus de 1 500 malades ont été opérés dans le monde. L’expérience chirurgicale de notre équipe comporte 188 cas, 113 cardiomyoplasties réalisées à l’hôpital Broussais-HEGP et 75 faisant partie d’un programme de coopération scientifique internationale. La technique chirurgicale consiste à disséquer et transposer le muscle grand dorsal gauche à l’intérieur du thorax, puis à l’enrouler autour du cœur. Un système d’électrostimulation musculaire développé dans notre laboratoire (électrodes et myostimulateur implantables) permet une contraction chronique du muscle, afin de renforcer la systole ventriculaire. Les indications concernent les malades atteints d’insuffisance cardiaque chronique due à des cardiomyopathies ischémiques ou idiopathiques, réfractaires au traitement médical. Les résultats à long terme montrent une augmentation de la fonction systolique ventriculaire, une limitation de la dilatation des ventricules, ainsi qu’une réduction de la tension pariétale ventriculaire. L’aortomyoplastie consiste à envelopper le muscle grand dorsal droit autour de l’aorte ascendante ou le grand dorsal gauche autour de l’aorte descendante. Une contraction musculaire diastolique induite par électrostimulation provoque une contrepulsion biologique. Le concept de cardiomyoplastie cellulaire repose sur un apport de cellules exogènes myogéniques dans le myocarde pour suppléer aux cardiomyocytes disparus ou altérés. Le but recherché est la restitution d’une masse myocardique fonctionnelle et une amélioration des fonctions systolique et diastolique. À partir de 1989, les principes de la cardiomyoplastie tissulaire sont appliqués à la thérapie cellulaire. En 2001, les premières applications cliniques débutent en France, aux États-Unis et au Japon. La technique consiste à utiliser des cellules musculaires indifférenciées (myoblastes) du malade, prélevées par biopsie, ou à utiliser des cellules souches pluripotentes de la moelle osseuse, cultivées pendant trois semaines et implantées dans le myocarde pathologique. Mots-clés : Insuffisance cardiaque - Cardiomyoplastie - Aortomyoplastie - Thérapie cellulaire Cardiomyoplastie cellulaire. * Hôpital Européen Georges-Pompidou, 75015 Paris. 56 Le Courrier de la Transplantation - Volume II - n o 2 - avril-mai-juin 2002 D OSSIER thématique PROBLÉMATIQUE Le traitement médical, la transplantation cardiaque et l’assistance ventriculaire ne permettent pas d’apporter une solution thérapeutique à tous les patients présentant une insuffisance cardiaque sévère, d’où l’intérêt des recherches sur les techniques reconstructrices en chirurgie cardiovasculaire. C’est ainsi qu’à partir de l’année 1981, dans le laboratoire d’études des greffes et prothèses cardiaques de l’hôpital Broussais, de nouvelles techniques d’assistance circulatoire biologique ont été développées (1, 2). Le travail de recherche effectué concerne l’étude du rôle des muscles squelettiques électrostimulés, placés autour du cœur et de l’aorte dans le but d’offrir une assistance circulatoire biologique, totalement implantable. Deux systèmes ont été développés à partir du principe selon lequel un muscle squelettique électrostimulé à long terme devient résistant à la fatigue par transformation de ses caractéristiques métaboliques et électrophysiologiques, tout en conservant une force de contraction appropriée capable de fournir un travail comparable à celui du myocarde. Ces systèmes d’assistance autologues sont la cardiomyoplastie et l’aortomyoplastie. Le but de ces systèmes biomécaniques, combinant chirurgie cardiaque et plastique au génie biomédical, est de prolonger et d’améliorer la qualité de vie des patients atteints d’insuffisance cardiaque chronique sévère, réfractaire au traitement médical (figure 1). # La cardiomyoplastie a été conçue pour assister le cœur défaillant en l’enveloppant du muscle grand dorsal du patient, électrostimulé de façon synchrone à la systole ventriculaire. Son but est de restituer ou d’augmenter la contractilité myocardique (effet comparable au massage cardiaque) et de limiter la dilatation ventriculaire. La cardiomyoplastie est indiquée chez les patients en insuffisance cardiaque d’origine ischémique (malades ayant présenté des infarctus successifs ou d’une grande extension), ainsi que dans les cardiomyopathies dilatées (généralement d’origine indéterminée) (3). Après quatre années de recherche dans notre laboratoire, le premier cas mondial de cardiomyoplastie a été réalisé par notre équipe en 1985. Cette technique a été utilisée mondialement sur plus de 1 500 malades (4-7). # L’aortomyoplastie consiste à envelopper le muscle grand dorsal droit pédiculé autour de l’aorte ascendante ou le muscle grand dorsal gauche autour de l’aorte descendante. La stimulation musculaire est réalisée pendant la diastole. Le but de l’aortomyoplastie est de transformer l’aorte en une nouvelle cavité (néoventricule) qui soit contractile et hémocompatible, reproduisant ainsi chroniquement les effets d’une contrepulsion par ballon intra-aortique. À ce jour, l’expérience mondiale comporte 36 patients. Les résultats encourageants des études expérimentales ont été confirmés par les premiers résultats cliniques (8, 9). Nos recherches ont porté non seulement sur la mise au point de nouvelles techniques chirurgicales, mais aussi sur la création du matériel électronique nécessaire à ces interventions. Ainsi, l’expérimentation a abouti à la conception de nouvelles électrodes de stimulation musculaire et de détection du signal ventriculaire, d’un cardiomyostimulateur (pacemaker spécifique), et d’un protocole d’électrostimulation progressive et séquentielle du muscle grand dorsal afin d’entraîner le muscle squelettique pour une nouvelle fonction contractile, similaire à celle du myocarde. C A B E D Figure 1. Différentes techniques d’assistance biologique de l’insuffisance cardiaque, développées dans le laboratoire d’études des greffes et prothèses cardiaques de l’hôpital Broussais : A. cardiomyoplastie ; B. aortomyoplastie ; C. néoventricule musculaire ; D. atriomyoplastie ; E. cardiomyoplastie cellulaire. 57 Le Courrier de la Transplantation - Volume II - n o 2 - avril-mai-juin 2002 D OSSIER thématique INDICATIONS La cardiomyoplastie est indiquée chez les patients en insuffisance cardiaque chronique sévère. Les défaillances myocardiques ischémiques (malades ayant présenté des infarctus successifs ou d’une grande extension) ainsi que les cardiomyopathies dilatées (généralement d’origine indéterminée) sont concernées. Les cardiomyopathies hypertrophiques ou obstructives et les cardiomyopathies restrictives ne sont pas des indications à la cardiomyoplastie. Le choix du moment de la cardiomyoplastie intervient dans les résultats postopératoires. Le bénéfice hémodynamique de la cardiomyoplastie n’étant acquis qu’après un délai de quelques semaines correspondant à la période d’adaptation du muscle grand dorsal à sa nouvelle fonction d’assistance cardiaque, la sélection des patients doit tenir compte de leur fonction myocardique résiduelle. TECHNIQUE CHIRURGICALE Cardiomyoplastie du ventricule gauche La technique consiste à disséquer la totalité du muscle grand dorsal (MGD), son pédicule vasculonerveux devant être soigneusement préservé. Deux électrodes intramusculaires de stimulation sont implantées au niveau de la division du nerf du grand dorsal, afin de réaliser une électrostimulation bipolaire spécifique à ce muscle. Le MGD est ensuite transposé à l’intérieur du thorax à travers une fenêtre réalisée dans le “gril costal”, par résection partielle de la deuxième côte. Le MGD sera alors fixé autour des ventricules sans nécessité de circulation extracorporelle (figure 2). Deux électrodes seront implantées dans la paroi ventriculaire, afin de synchroniser la contraction musculaire et la systole ventriculaire (3, 10). Électrostimulation Les électrodes sont reliées ensuite à un générateur d’impulsions implantable (cardiomyostimulateur), placé dans une poche sous-cutanée. La stimulation du muscle grand dorsal commence deux semaines après la cardiomyoplastie. Ce délai est nécessaire à une cicatrisation musculaire, au développement d’une circulation collatérale du grand dorsal et à la formation d’adhérences entre le cœur, le muscle et le péricarde. La stimulation séquentielle et progressive du muscle squelettique commence par des impulsions uniques suivies deux semaines après par des trains d’impulsions. En effet, une impulsion unique entraîne une contraction modérée du muscle. Une contraction forte et prolongée, mimant la systole ventriculaire, est possible en utilisant des trains d’impulsions électriques de 30 hertz, fréquence proche de la décharge physiologique du motoneurone de fibres musculaires lentes. Ce train d’impulsions permet une sommation temporelle, avec recrutement de toutes les fibres Figure 2. Technique chirurgicale de la cardiomyoplastie : le muscle grand dorsal gauche est fixé autour des ventricules et électrostimulé chroniquement pendant la systole, à l’aide d’un cardiomyostimulateur (pacemaker spécifique). 58 Le Courrier de la Transplantation - Volume II - n o 2 - avril-mai-juin 2002 D OSSIER thématique musculaires. Sa durée est physiologiquement adaptée à la systole ventriculaire. Substitution de la paroi ventriculaire Dans la technique de cardiomyoplastie, le muscle grand dorsal peut servir à remplacer une partie du myocarde après résection d’un volumineux anévrysme ou d’une tumeur extensive. Cette reconstruction est réalisée sous circulation extracorporelle et comporte la fermeture de la partie réséquée avec une pièce de péricarde autologue comme néo-endocarde, et la couverture par le lambeau de muscle grand dorsal comme néomyocarde. Cette pièce de péricarde utilisée comme interface permet d’éviter les risques de thrombose ou d’hématome qu’entraînerait un contact direct du sang avec le muscle (11). Cardiomyoplastie du ventricule droit Il est possible de réaliser une cardiomyoplastie sélective du ventricule droit, en cas de dysplasie arythmogénique, tumeur, ou infarctus important du ventricule droit. On utilise aussi le muscle grand dorsal gauche que l’on enroule sur la face antérieure et latérale du ventricule droit. La partie distale du muscle est fixée au diaphragme (12). Atriomyoplastie Cette technique a été créée pour assister la fonction atriale dans certaines cardiopathies congénitales (figure 1D). L’intervention de Fontan (dérivation atriopulmonaire) est une option thérapeutique valable dans la chirurgie des malformations cardiaques congénitales chez des patients nés avec une absence de ventricule droit fonctionnel (cas d’atrésie tricuspidienne ou de ventricule unique). Si l’intervention de Fontan a permis d’améliorer de manière considérable le statut clinique de ces malades, les résultats à long terme sont moins favorables. Une fonction ventriculaire droite absente pourrait être à l’origine de ces résultats décevants. Le but d’une cardiomyoplastie sur l’oreillette droite est de restaurer une fonction ventriculaire droite après dérivation atriopulmonaire, et d’augmenter ainsi le débit cardiaque chez les patients bénéficiant de ce type d’inter- vention. La technique opératoire consiste à fixer le lambeau du muscle grand dorsal gauche sur l’oreillette droite et à électrostimuler le muscle pendant la systole ventriculaire (13). MÉCANISMES D’ACTION DE LA CARDIOMYOPLASTIE La cardiomyoplastie améliore la performance cardiaque par plusieurs mécanismes (14, 15) : # augmentation de l’éjection systolique ventriculaire (effet comparable au massage cardiaque) ; # limitation de la dilatation cardiaque ; # réduction de la tension de la paroi des ventricules ; # inversion du remodelage postischémique des cavités cardiaques. CARDIOMYOPLASTIE : RÉSULTATS À LONG TERME La cardiomyoplastie a été utilisée dans notre institution comme traitement de l’insuffisance cardiaque. L’expérience de notre équipe comporte 188 malades, dont 113 opérés à l’hôpital Broussais et 75 dans d’autres centres faisant partie d’un programme de coopération international. Méthodes Cent treize patients âgés en moyenne de 51 ans (15-72) ont été opérés à l’hôpital Broussais. Quatre-vingt-sept étaient en NYHA classe III et 26 en classe IV. La fraction d’éjection moyenne était de 17 %, et le volume télédiastolique du VG était de 178 ± 31 ml/m2. L’étiologie de l’insuffisance cardiaque était ischémique chez 59 patients, une cardiomyopathie dilatée chez 47 et une tumeur ventriculaire chez 7. La voie d’abord était initialement double (voie postérieure pour dissection du grand dorsal puis sternotomie médiane verticale pour le temps cardiaque). Elle est actuellement unique (minithoracotomie et vidéoassistance). Treize patients ont été traités selon ce protocole. Résultats La mortalité hospitalière est actuellement de moins de 5 %. La survie actuarielle à 59 10 ans est de 70 % pour les patients opérés en classe III de la NYHA et de 28 % pour ceux de la classe IV. La classe fonctionnelle NYHA moyenne était en préopératoire de 3,3 et en postopératoire de 1,4. Les explorations chez les survivants ont montré une amélioration de la fraction d’éjection (17 ± 4 % passant à 28 ± 6 %) et de l’index cardiaque (1,9 passant à 2,8 l/mn/m2). Dix patients ont reçu une transplantation cardiaque entre 2 et 5 années après la cardiomyoplastie, sans difficulté technique particulière et sans mortalité périopératoire. L’indication de la transplantation cardiaque a été la progression importante de la cardiopathie initiale, associée généralement à une fibrillation auriculaire et à des troubles sévères du rythme ventriculaire. Conclusion Les résultats de la cardiomyoplastie se sont améliorés avec le temps en raison d’une meilleure connaissance des facteurs de risque, d’indications plus précises et des améliorations techniques apportées, notamment, par l’utilisation de stratégies moins invasives. Ces résultats devraient inciter à relancer l’utilisation de cette technique où la seule alternative, la transplantation cardiaque, souffre d’un manque critique de donneurs (16-18). Deux nouveaux pacemakers sont actuellement disponibles pour cette intervention : “Myos”, distribué par Biotronik (Berlin, Allemagne), et “LD-Pace II”, distribué par Illini Group (Chicago, ÉtatsUnis) (19), ainsi que des nouveaux protocoles d’électrostimulation postopératoire, développés pour éviter la surstimulation musculaire et le risque de fibrose du muscle grand dorsal (20, 21). ASSOCIATION DE LA CARDIOMYOPLASTIE AUX TRAITEMENTS ÉLECTROPHYSIOLOGIQUES Les patients ayant fait l’objet d’une cardiomyoplastie, porteurs des cardiomyopathies ischémiques ou idiopathiques sévères, présentent un risque important d’arythmies ventriculaires potentiellement responsables de la survenue d’une mort subite. En même temps, on observe Le Courrier de la Transplantation - Volume II - n o 2 - avril-mai-juin 2002 D OSSIER thématique fréquemment chez ces malades des asynchronismes électriques et mécaniques du cœur gauche et droit. Dans des cas cliniques récents, la cardiomyoplastie a été associée à la mise en place d’un défibrillateur implantable ou à une stimulation biventriculaire (stimulation multisite). Les résultats obtenus, très positifs, permettent de prévoir une expansion importante de cette association thérapeutique. AORTOMYOPLASTIE L’aortomyoplastie consiste à envelopper le muscle grand dorsal droit autour de l’aorte ascendante ou le muscle grand dorsal gauche autour de l’aorte descendante, en réalisant une contraction musculaire pendant la diastole (figure 1B). Le but de l’aortomyoplastie est de transformer l’aorte ascendante ou descendante en une nouvelle cavité qui soit contractile et hémocompatible. Cette technique produit une contrepulsion diastolique biologique sans endommager la paroi aortique. Le but de l’aortomyoplastie est de reproduire chroniquement les effets d’une contrepulsion par ballon intraaortique, à savoir : # diminution de la postcharge du ventricule gauche ; # augmentation de la pression de perfusion coronaire, avec augmentation de l’apport en oxygène au myocarde. Lorsque l’aorte est de petit diamètre, il est possible de l’élargir avec une pièce de péricarde autologue, et d’augmenter ainsi le volume de ce néoventricule. La dissection, la mobilisation du muscle grand dorsal, l’implantation d’électrodes de stimulation et son transfert à l’intérieur de la cavité thoracique sont réalisés selon le même protocole que celui de la cardiomyoplastie. En revanche, la programmation du cardiomyostimulateur est particulière, de manière à assurer une électrostimulation du muscle grand dorsal permettant la compression diastolique de l’aorte. Cette programmation permet également une inhibition transitoire de la stimulation musculaire en présence d’extrasystoles ventriculaires (8, 9). Expérience clinique internationale Trente-neuf patients, d’âge moyen 54 ± 7 ans, ont fait l’objet d’une aortomyoplastie élective : quatre patients à l’hôpital Broussais, quatre à Marseille (hôpital La Timone), trois à Londres, seize à Djedda (Arabie saoudite), dix à Buenos Aires (Argentine), un à La Corogne (Espagne) et un au Caire (Égypte). Après un suivi moyen de 19 mois, l’évaluation de la classe fonctionnelle (NYHA) montre une amélioration significative, passant de 3,6 en préopératoire à 2,2 en postopératoire (p < 0,05). Des questionnaires concernant la qualité de vie ont montré, pour la plupart des patients, une amélioration de l’activité physique, de la performance au travail et des activités sociales. Parallèlement, des études hémodynamiques, ainsi que l’échographie doppler, ont mis en évidence la compression diastolique de l’aorte et une augmentation de la pression diastolique lors de l’électrostimulation du muscle grand dorsal. Une expérience clinique à plus long terme ainsi qu’un nombre plus important de malades semblent nécessaires afin de définir la place de l’aortomyoplastie dans le traitement de l’insuffisance cardiaque sévère. Un des avantages de l’aortomyoplastie dynamique réside dans le fait qu’elle est réalisée sans manipulation du cœur, sans clampage aortique total et sans circulation extracorporelle, situation d’extrême importance chez des malades en insuffisance cardiaque sévère, souvent très instables. NÉOVENTRICULE MUSCULAIRE Une autre approche consiste à construire des ventricules biologiques en associant une poche en silicone ou en péricarde, recouverte par le muscle grand dorsal pédiculé. Ce néoventricule est anastomosé à l’aorte et électrostimulé en contrepulsion (figure 1C). Plusieurs études expérimentales utilisant ce dispositif d’assistance circulatoire biologique ont été réalisées (22). 60 CARDIOMYOPLASTIE CELLULAIRE Le développement de la biologie cellulaire et moléculaire permet d’envisager de nouvelles stratégies thérapeutiques des maladies du myocarde. L’objectif de la cardiomyoplastie cellulaire est d’obtenir une réparation du myocarde lésé par l’injection de cellules myogéniques issues du même malade (autologues), afin de restaurer la contractilité ventriculaire (23). Il faut tenir compte de ce que les cardiomyocytes, passé les stades fœtaux du développement, perdent leur faculté de prolifération. Une lésion d’infarctus myocardique ne peut donc se réparer par la prolifération des cardiomyocytes adultes, car le nombre de cellules souches myocardiques est très limité (24). Le concept de cardiomyoplastie cellulaire repose ainsi sur un apport de cellules exogènes myogéniques dans le myocarde pour suppléer aux cardiomyocytes disparus ou altérés. Les différentes voies de thérapie cellulaire comme traitement de l’insuffisance cardiaque consistent en l’implantation à l’intérieur du muscle cardiaque de différents types cellulaires cultivés in vitro pendant trois semaines : myoblastes squelettiques autologues, cardiomyocytes fœtaux, cellules musculaires lisses ou cellules souches de moelle osseuse (25-31). Notre équipe travaille depuis 1996 dans la cardiomyoplastie cellulaire. Sous le patronage de l’Union européenne, des études expérimentales sont en cours de réalisation, avec des résultats très prometteurs (contrat de la Commission européenne [ERBFM]). Des myoblastes prélevés des muscles squelettiques sont cultivés et ensuite injectés dans le myocarde pathologique du même individu. Ce traitement entraîne un processus de régénération capable de rendre réversible la fibrose myocardique survenue lors d’un infarctus du myocarde, réduisant ainsi la taille de la cicatrice post-infarctus. L’élasticité myocardique, la compliance et la contractilité régionale du ventricule sont améliorées. Le Courrier de la Transplantation - Volume II - n o 2 - avril-mai-juin 2002 D OSSIER thématique ÉTUDES EXPÉRIMENTALES RÉALISÉES DANS NOTRE LABORATOIRE $ Évaluation fonctionnelle du ventricule gauche après cardiomyoplastie cellulaire. L’objectif de ce travail a été d’évaluer l’intérêt de l’échocardiographie avec Color Kinesis (CK) dans l’étude de la fonction ventriculaire segmentaire après thérapie cellulaire. Color Kinesis est une technique basée sur la quantification acoustique, permettant de mesurer, dans une lésion myocardique segmentaire traitée par des cellules, les variations des fractions de raccourcissement régional (32). % Implantation de myoblastes dans le myocarde par voie intraventriculaire. Nous avons réalisé une implantation de cellules par voie percutanée transfémorale dans un modèle d’infarctus du myocarde, en utilisant un cathéter intraventriculaire ayant une aiguille d’injection à son extrémité. Le système d’injection type Biosense Noga a permis de délivrer des cellules dans des infarctus du myocarde en utilisant une méthode de cardiologie interventionnelle. La viabilité cellulaire est préservée lors de l’injection. Le système de cartographie électromécanique utilisé a permis une localisation du cathéter et une navigation en temps réel, en trois dimensions et sans fluoroscopie. Cette voie d’injection permettrait de traiter les lésions post-infarctus en réalisant plusieurs séances d’injection de cellules et/ou en l’associant aux facteurs de croissance angiogéniques (33). & Association d’une électrostimulation biventriculaire à la cardiomyoplastie cellulaire. Le couplage électromécanique des myoblastes transplantés avec les cardiomyocytes n’est pas systématique. Nous avons donc envisagé d’électrostimuler les myoblastes transplantés et les cardiomyocytes de manière synchrone en utilisant une électrostimulation ventriculaire de haut voltage (5 volts). Dans un modèle d’infarctus du myocarde, associé à une stimulation biventriculaire chez le mouton, des myoblastes ont été transplantés. L’adjonction d’une stimulation cardiaque a entraîné une transformation des myoblastes issus des muscles squelettiques, en modifiant la myosine rapide en myosine lente, mieux adaptée à la fonction contractile du cœur. Par ailleurs, l’électrostimulation atriobiventriculaire permet une resynchronisation de la contractilité des chambres cardiaques, nécessaire chez un grand nombre de patients en insuffisance cardiaque sévère (34). ' Association de facteurs angiogéniques à l’implantation cellulaire. Malgré les résultats encourageants de la transplantation cellulaire sur des lésions cardiaques postischémiques, il semble qu’il y ait une mortalité importante des cellules implantées, due à l’absence d’irrigation des zones infarcies, d’où l’intérêt d’associer des facteurs angiogéniques en vue d’améliorer l’apport d’oxygène aux cellules greffées. Cette étude a exploré les effets de l’adjonction de facteurs de croissance (VEGF) à l’implantation de myoblastes en vue d’améliorer l’irrigation myocardique et la fonction ventriculaire. Les études histologiques ont montré une augmentation de la circulation collatérale dans les zones infarcies chez le groupe traité par facteurs angiogéniques. Une amélioration de la contractilité segmentaire ventriculaire et une inversion du remodelage postischémique ont été observées chez les groupes traités par implantation intramyocardique de myoblastes (35). ( Utilisation de la thérapie cellulaire dans un modèle de cardiomyopathie dilatée chronique. La cardiomyopathie dilatée non ischémique est responsable de 50 % des transplantations cardiaques. Le principe de cette étude est d’évaluer les effets hémodynamiques de la transplantation de myoblastes sur un modèle de cardiomyopathie dilatée non ischémique induite par électrostimulation ventriculaire rapide. Le nombre de cellules survivantes après greffe intramyocardique devrait être plus important, car l’irrigation du myocarde est préservée dans cette pathologie. 61 PERSPECTIVES L’implantation cellulaire a permis une récupération de la contractilité myocardique dans des modèles expérimentaux d’akinésie ventriculaire. Des cellules viables ont été observées plusieurs mois après implantation intramyocardique. Des applications cliniques sont en cours (36-38). Les résultats attendus à long terme sont une amélioration clinique et une amélioration de la fonction ventriculaire, une augmentation significative de la masse myocardique contractile par l’incorporation de cellules greffées et, finalement, une prolifération avec différenciation en cellules aux caractéristiques proches des cardiomyocytes. Des questions restent posées quant aux mécanismes d’action de cette thérapie cellulaire et, en particulier, sur l’existence d’un couplage électromécanique avec le tissu myocardique environnant, car les myoblastes squelettiques ne se contractent pas spontanément. Par ailleurs, l’avenir de cellules souches originaires de la moelle osseuse et implantées au sein du myocarde infarci est incertain, car elles peuvent se différencier soit en angioblastes, soit en fibroblastes, et parfois en cellules ) musculaires. 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