L Journée “Communication et migrants” Mieux communiquer pour mieux soigner R

La Lettre de l’Infectiologue - Tome XX - n° 3 - mai-juin 2005
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RÉUNION
L
e Groupe de réflexion sur la prise en charge des migrants
de l’hôpital Avicenne a organisé sa troisième journée
annuelle d’échanges et de rencontres le 21 avril 2005,
à l’hôpital Avicenne de Bobigny. Les deux premières journées
avaient abordé les thèmes de la valeur symbolique du sang et
de ses implications dans le soin (“Symbolique du sang chez les
migrants”, 2003) et du vieillissement des migrants en France
(“Vieillir ici quand on vient d’ailleurs
[1]
”, 2004).
Le thème de cette année a été choisi pour essayer de répondre
à la préoccupation des soignants confrontés à des difficultés de
communication avec leurs patients d’ordre purement linguis-
tique, mais aussi culturel.
Les différentes interventions ont essayé d’équilibrer la réflexion
entre d’une part les témoignages de patients migrants venus
raconter leurs difficultés et ceux de soignants, mais aussi de
personnes impliquées par leur activité dans l’accueil ainsi que,
d’autre part, les intervenants institutionnels venus nous appor-
ter leur éclairage dans ce domaine. L’intérêt intellectuel, les
“recettes” pratiques et l’émotion se sont côtoyés, mélangés et
renforcés réciproquement pour aboutir en fin de journée à la
sensation d’avoir “avancé” un peu. Merci à Fantani Touré, la
grande chanteuse malienne, d’avoir accepté cette année encore
de venir bénévolement nous aider dans ces réflexions avec ses
musiciens.
Nous avons ainsi mieux compris, via un traducteur profes-
sionnel contacté par téléphone “en direct”, les difficultés d’un
patient pakistanais qui a exprimé son profond sentiment d’an-
goisse, généré par la crainte qu’il avait de ne pouvoir arriver à
expliquer son problème de santé.
Un des baumes à cette angoisse peut être l’attitude d’ouverture
verbalisée par Françoise …, responsable du Relais point H
de l’hôpital Avicenne, qui nous a rappelé que “la difficulté
d’expression n’est pas une difficulté de communication”, les
mots pouvant être remplacés par des gestes et un regard pour
mettre en confiance. C’est cette même “écoute ouverte” qui a
été soulignée par une permanente du SAMU, confrontée au
quotidien à des difficultés d’expression rendues encore plus
difficiles à gérer par “l’invisibilité” téléphonique.
LE “SYNDROME MÉDITERRANÉEN” ET APRÈS…
Ce serait une sorte de fourre-tout regroupant les éléments qui
font apparaître les autres personnes comme différents. Cette
notion, selon Anne Véga et Catherine Le Grand Sébille (uni-
versité Lille-2), est construite à partir de toute une série de
signes extérieurs “exotiques”, folkloriques ou choquants, dont
on ne saisit ni la signification profonde ni la cohérence.
Ainsi, en fonction de l’attitude des patients vis-à-vis des soi-
gnants, ces derniers ont tendance à classer les patients en “bons
ou mauvais malades”, en fonction de leurs propres représenta-
tions et d’une différence culturelle non prise en compte.
Le “bon malade”, ainsi défini, correspond à “notre” façon d’ap-
préhender et d’exprimer la douleur, de se protéger de la mala-
die, mais aussi de manger ou de se laver, sans parler des codes
de savoir-vivre et de politesse.
Le “mauvais malade”, quant à lui, souvent d’origine étrangère,
est vu en milieu hospitalier comme le patient excessif dans ses
plaintes, forte tête, désobéissant, arrêtant ses traitements dès
que les symptômes disparaissent.
Ce phénomène n’est pas rare et peut être considéré comme uni-
versel. Dans nos sociétés européennes, les malades cessent tout
autant leur traitement dès que les symptômes disparaissent,
l’exemple classique étant la “pharyngite” traitée par une anti-
biothérapie que le patient mène rarement à son terme. Dans
toutes les cultures, la maladie est essentiellement représentée
par l’expression d’une symptomatologie clinique. La dispari-
tion des symptômes est donc vécue comme la guérison.
Journée “Communication et migrants
Mieux communiquer pour mieux soigner
[1]
La Lettre de l’Infectiologue - Tome XIX - n° 3, mai-juin 2004 (pages 100-101).
La Lettre de l’Infectiologue - Tome XX - n° 3 - mai-juin 2005
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Le fait d’être étranger à un système de soins crée effectivement
pour un migrant des “incompréhensions”, ce “syndrome médi-
terranéen” n’étant donc que l’expression d’une incompréhen-
sion culturelle.
LA MÉDIATION
Pour pallier ces “incompréhensions”, plusieurs expériences de
médiation, dont évidemment l’interprétariat, mises en place
dans différents domaines à un niveau institutionnel ou non, ont
été rapportées.
Le travail avec les interprètes, ou “comment traduire sans trahir ?”
Cette question difficile a été abordée par une traductrice turque de
l’association Inter-Service Migrant (ISM : tél. : 01 53 26 52 62)
qui, depuis 30 ans, propose un service “non stop” d’interpré-
tariat professionnel soit immédiat par téléphone, soit sur ren-
dez-vous, dans un nombre étonnant de langues et de dialectes
du monde entier (environ 80). Ce service très performant est
malheureusement sous-utilisé par les soignants, alors qu’il
apporte une aide considérable et évite d’avoir recours à une tra-
duction par un membre de la famille qui, pour diverses raisons,
peut entraîner des “biais” (“certaines choses ne se disent pas”),
et donc des incompréhensions. Il a été rappelé, ce que beau-
coup ignorent, que cet interprétariat est gratuit dans le cadre de
l’infection à VIH/sida et des hépatites grâce à une convention
passée entre ISM et le ministère de la Santé. À titre d’exemple,
en 2004, l’hôpital Avicenne a eu recours 442 fois à Inter-Ser-
vice Migrant en sollicitant 13 langues (arabe, berbère, bam-
bara,soninké,malinké,pulaar, lingala,espagnol,polonais, turc,
penjabi, thaïlandais, mandarin).
Les interprètes sont généralement sollicités dans les situations
d’annonce de diagnostic, de décisions thérapeutiques et de prise
en charge psychothérapeutique. Les limites de l’interprétariat
ont cependant été évoquées (par exemple, absence de mots
concordants pour exprimer un concept médical) de même que
les questions d’ordre éthique, en lien notamment avec le “secret
médical”, qui se posent d’ailleurs beaucoup plus avec les inter-
prètes non professionnels. L’interprète a besoin lui-même de
comprendre la situation, de faire connaissance avec le patient
et de le mettre en confiance, ce qui explique que la durée de la
traduction soit souvent bien plus longue que la chose à traduire.
Comme le disait l’intervenante, l’interprète ne traduit pas que
des “mots” mais, souvent, “une vie”.
L’interprétariat professionnel va également, au-delà de la tra-
duction elle-même, être dans la situation de pouvoir prendre
en compte certains concepts culturels, différents d’une région
à l’autre, en lien avec la représentation de la maladie, qui vont
concourir grandement à la compréhension et à l’acceptation
de la maladie, et donc à une meilleure “alliance” thérapeutique.
Le rôle de facilitation évoqué ici est donc primordial dans la
prise en charge, notamment celle des maladies chroniques
comme le VIH/sida, les hépatites chroniques ou le diabète et
l’hypertension artérielle.
Le rôle de la médiation institutionnelle… et associative
Tous les intervenants ont abondé dans le même sens pour dire
que, pour la plupart des patients migrants, la parole du méde-
cin est “parole d’évangile”. Ainsi, le “migrant” n’osera pas
poser des questions, même s’il n’a rien compris de l’échange
avec celui-ci. Le médiateur interviendra donc pour faciliter la
compréhension entre patient et soignant. La représentante de
l’APA (African Positive Association), association qui intervient
dans la médiation en milieu hospitalier et notamment dans les
services de maladies infectieuses, a rappelé que tout patient
face au soignant devrait être pris dans sa globalité.
Le docteur Kémal Chèrabi, accompagné d’une médiatrice de
santé, nous a fait part d’un projet pilote mené par la Direction
générale de la Santé et l’IMEA (Fondation Internationale Léon-
Mba) de formation de médiateurs, dont l’objectif est de servir
d’interface entre soignants et soignés lorsqu’une difficulté
d’ordre culturel limite la qualité des soins.
Des exemples, forts en émotion, ont été cités, tel celui de
M. T…, d’origine malienne, sans papiers, qui, après une
consultation chez un médecin, s’est présenté à la pharmacie
avec une ordonnance dont le montant s’élevait à 650 euros.
Évidemment, il n’a pu la régler, et il est rentré chez lui sans
son traitement, sans en référer à quiconque. Quelque temps
après, il sera admis à l’hôpital via le SAMU.
La médiation, exemple non institutionnel, peut aussi être “aux
petits oignons… et aux épices” : c’est l’expérience de partage
d’un repas traditionnel entre médiateurs associatifs (Associa-
tion Femmes Médiatrices) et patients menée à l’hôpital Avi-
cenne dans le service des maladies infectieuses et tropicales.
Le menu est établi suivant le désir du patient lui-même, en
fonction des épices et produits “exotiques” disponibles sur les
marchés de Paris, le repas étant cuisiné dans les locaux de l’hô-
pital et donc soumis au respect de règles strictes d’hygiène.
Ce repas partagé est l’amorce d’une communication plus
sereine avec les soignants et renforce considérablement, là
aussi, l’alliance thérapeutique en montrant “symboliquement”
au patient, au-delà du bénéfice nutritionnel palliant des menus
“culturellement inadaptés”, qu’il est pris en compte dans sa
globalité.
C’est aussi le rôle d’une aumônerie pluriconfessionnelle d’of-
frir à chaque patient, en fonction de ses croyances, la “média-
tion spirituelle” dont il a besoin. À cet égard, l’intervenante,
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pasteur protestant, nous a raconté cette très belle histoire d’un
patient bouddhiste qui, au seuil de la mort, ne parlant pas fran-
çais et ne pouvant pas avoir recours à un représentant de son
culte, a demandé sa présence pour qu’ils prient ensemble, cha-
cun le faisant dans sa langue et selon son rite.
COMMENT PARLER DE SANTÉ DANS LES FAMILLES ?
Nous avons vu plus haut que l’idéal était de faire appel à des
interprètes professionnels plutôt qu’à des membres de la famille
en raison des “biais” de traduction que cela peut induire. Plu-
sieurs intervenants issus de cultures différentes (africaines
musulmanes, indiennes et chinoises) nous ont montré les par-
ticularités des règles socioculturelles régissant la parole autour
de la santé au sein des communautés familiales. À l’issue de
cette session à trois “voix”, il était frappant de voir combien
ces spécificités culturelles se recoupaient étonnamment sur les
points essentiels comme, par exemple, le tabou de la sexualité.
Dans les familles musulmanes africaines, nous avons appris de
Saïd Ali Koussay que toutes les maladies n’ont pas le même
statut, certaines, comme le VIH/sida ou la lèpre, étant consi-
dérées comme “impures”, avec une connotation très péjorative,
d’autres, comme la tuberculose ou les troubles psychologiques,
étant socialement acceptées : la famille se résigne à la fatalité,
au destin maktub (c’était écrit), mais n’a pas “d’interdit” pour
en parler, à l’inverse de l’autre catégorie. Au sein des familles
indiennes, cette catégorisation se retrouve également : le doc-
teur Chanemougame, généraliste à Aubervilliers, précisait qu’il
est très important de cibler la personne qui détient le “pouvoir”
familial (soit le patriarche, soit la maîtresse de maison) pour
aider à diffuser les informations. L’intervenante chinoise a
insisté sur le statut du médecin dans sa culture, personne très
importante à qui on ne dit jamais “non”. Il faut donc prendre
le temps, être patient et s’assurer que le malade est en adéqua-
tion avec le message que l’on veut faire passer.
COMMENT DIRE LA MALADIE…
La dernière partie de cette journée était consacrée à l’impor-
tante question du transfert d’informations de soignants à soi-
gnés et de soignés à soignants. Des infirmières de nuit ont fait
part des difficultés particulières rencontrées dans ce moment
bien spécifique où les angoisses montent plus facilement vis-
à-vis de la maladie, de la mort parfois, ou tout simplement d’un
examen prévu le lendemain et qui inquiète. Ces angoisses
“naturelles”, souvent conséquence d’un défaut de parole et d’un
déficit d’explications, ne sont certes pas spécifiques aux
patients migrants, mais elle sont considérablement renforcées
par l’isolement culturel et linguistique, voire affectif, comme
dans certaines maladies “impures” et stigmatisantes, et peu-
vent parfois conduire le patient soit à un comportement agres-
sif, soit à une “fugue”, cette fuite étant souvent interprétée
comme une trahison ou un comportement irresponsable de la
part du patient, alors qu’il correspond le plus souvent à un élan
de panique. Seule la parole et l’écoute, même maladroite ou
essentiellement gestuelle lorsque la langue est un obstacle, peu-
vent alors apaiser cette angoisse. Et, comme nous l’a rappelé
le docteur Félicia Heidenreich, spécialiste de psychiatrie trans-
culturelle, il n’est pas nécessaire d’être un grand connaisseur
de l’anthropologie des maladies pour s’asseoir au bord du lit,
écouter et parler…
CONCLUSION
Cette journée tient en quelques idées force. Si la barrière lin-
guistique peut constituer un réel handicap dans la prise en
charge de certains migrants, elle est un mauvais alibi au défi-
cit de communication, dont les conséquences en termes de souf-
france sont très sous-estimées. Ce déficit de communication
ne devrait pas non plus prendre comme argument le décalage
culturel, qui n’est qu’une des formes de la diversité que repré-
sente “l’Autre”. L’interprétariat professionnel ou les différentes
formes de médiation, outils importants et trop souvent mécon-
nus, ne sont cependant que des renforts, et en aucun cas un sub-
stitut à l’alliance entre le soigné et le soignant, laquelle se
construit sur l’acceptation réciproque de l’altérité dans sa diver-
sité. À propos de différences, le voyage culturel que nous a
apporté cette journée, en nous emmenant aux quatre coins du
monde, nous a montré de façon éclatante que plus on s’inté-
resse aux différences et plus on se rend compte qu’elles ne sont
en fait que ressemblances. L’homme est, assurément, profon-
dément universel…
N. Lélé, O. Bouchaud, Bobigny
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