La Lettre de l’Infectiologue - Tome XX - n° 3 - mai-juin 2005
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RÉUNION
Le fait d’être étranger à un système de soins crée effectivement
pour un migrant des “incompréhensions”, ce “syndrome médi-
terranéen” n’étant donc que l’expression d’une incompréhen-
sion culturelle.
LA MÉDIATION
Pour pallier ces “incompréhensions”, plusieurs expériences de
médiation, dont évidemment l’interprétariat, mises en place
dans différents domaines à un niveau institutionnel ou non, ont
été rapportées.
Le travail avec les interprètes, ou “comment traduire sans trahir ?”
Cette question difficile a été abordée par une traductrice turque de
l’association Inter-Service Migrant (ISM : tél. : 01 53 26 52 62)
qui, depuis 30 ans, propose un service “non stop” d’interpré-
tariat professionnel soit immédiat par téléphone, soit sur ren-
dez-vous, dans un nombre étonnant de langues et de dialectes
du monde entier (environ 80). Ce service très performant est
malheureusement sous-utilisé par les soignants, alors qu’il
apporte une aide considérable et évite d’avoir recours à une tra-
duction par un membre de la famille qui, pour diverses raisons,
peut entraîner des “biais” (“certaines choses ne se disent pas”),
et donc des incompréhensions. Il a été rappelé, ce que beau-
coup ignorent, que cet interprétariat est gratuit dans le cadre de
l’infection à VIH/sida et des hépatites grâce à une convention
passée entre ISM et le ministère de la Santé. À titre d’exemple,
en 2004, l’hôpital Avicenne a eu recours 442 fois à Inter-Ser-
vice Migrant en sollicitant 13 langues (arabe, berbère, bam-
bara,soninké,malinké,pulaar, lingala,espagnol,polonais, turc,
penjabi, thaïlandais, mandarin).
Les interprètes sont généralement sollicités dans les situations
d’annonce de diagnostic, de décisions thérapeutiques et de prise
en charge psychothérapeutique. Les limites de l’interprétariat
ont cependant été évoquées (par exemple, absence de mots
concordants pour exprimer un concept médical) de même que
les questions d’ordre éthique, en lien notamment avec le “secret
médical”, qui se posent d’ailleurs beaucoup plus avec les inter-
prètes non professionnels. L’interprète a besoin lui-même de
comprendre la situation, de faire connaissance avec le patient
et de le mettre en confiance, ce qui explique que la durée de la
traduction soit souvent bien plus longue que la chose à traduire.
Comme le disait l’intervenante, l’interprète ne traduit pas que
des “mots” mais, souvent, “une vie”.
L’interprétariat professionnel va également, au-delà de la tra-
duction elle-même, être dans la situation de pouvoir prendre
en compte certains concepts culturels, différents d’une région
à l’autre, en lien avec la représentation de la maladie, qui vont
concourir grandement à la compréhension et à l’acceptation
de la maladie, et donc à une meilleure “alliance” thérapeutique.
Le rôle de facilitation évoqué ici est donc primordial dans la
prise en charge, notamment celle des maladies chroniques
comme le VIH/sida, les hépatites chroniques ou le diabète et
l’hypertension artérielle.
Le rôle de la médiation institutionnelle… et associative
Tous les intervenants ont abondé dans le même sens pour dire
que, pour la plupart des patients migrants, la parole du méde-
cin est “parole d’évangile”. Ainsi, le “migrant” n’osera pas
poser des questions, même s’il n’a rien compris de l’échange
avec celui-ci. Le médiateur interviendra donc pour faciliter la
compréhension entre patient et soignant. La représentante de
l’APA (African Positive Association), association qui intervient
dans la médiation en milieu hospitalier et notamment dans les
services de maladies infectieuses, a rappelé que tout patient
face au soignant devrait être pris dans sa globalité.
Le docteur Kémal Chèrabi, accompagné d’une médiatrice de
santé, nous a fait part d’un projet pilote mené par la Direction
générale de la Santé et l’IMEA (Fondation Internationale Léon-
Mba) de formation de médiateurs, dont l’objectif est de servir
d’interface entre soignants et soignés lorsqu’une difficulté
d’ordre culturel limite la qualité des soins.
Des exemples, forts en émotion, ont été cités, tel celui de
M. T…, d’origine malienne, sans papiers, qui, après une
consultation chez un médecin, s’est présenté à la pharmacie
avec une ordonnance dont le montant s’élevait à 650 euros.
Évidemment, il n’a pu la régler, et il est rentré chez lui sans
son traitement, sans en référer à quiconque. Quelque temps
après, il sera admis à l’hôpital via le SAMU.
La médiation, exemple non institutionnel, peut aussi être “aux
petits oignons… et aux épices” : c’est l’expérience de partage
d’un repas traditionnel entre médiateurs associatifs (Associa-
tion Femmes Médiatrices) et patients menée à l’hôpital Avi-
cenne dans le service des maladies infectieuses et tropicales.
Le menu est établi suivant le désir du patient lui-même, en
fonction des épices et produits “exotiques” disponibles sur les
marchés de Paris, le repas étant cuisiné dans les locaux de l’hô-
pital et donc soumis au respect de règles strictes d’hygiène.
Ce repas partagé est l’amorce d’une communication plus
sereine avec les soignants et renforce considérablement, là
aussi, l’alliance thérapeutique en montrant “symboliquement”
au patient, au-delà du bénéfice nutritionnel palliant des menus
“culturellement inadaptés”, qu’il est pris en compte dans sa
globalité.
C’est aussi le rôle d’une aumônerie pluriconfessionnelle d’of-
frir à chaque patient, en fonction de ses croyances, la “média-
tion spirituelle” dont il a besoin. À cet égard, l’intervenante,