Cet exemple, nous a été relaté par une médiatrice non professionnelle (et non rémunérée)
qu’un centre d’accueil du Jura bernois appelle lorsqu’il y a des requérants issus de pays
arabophones. Cette médiatrice, d’origine algérienne et vivant en Suisse depuis vingt-six ans,
a dû aider une requérante palestinienne arrivée depuis peu en Suisse avec sa famille (à
l’exception de son fils aîné resté au pays). Enceinte de quelques mois, cette jeune femme
devait se faire ausculter par un gynécologue. Or, dans la région du Jura bernois il y a peu de
gynécologues femmes et elles sont surchargées. Non parce qu’il y aurait pléthore de
musulmanes dans cette région mais parce que les femmes suisses également préfèrent
parfois avoir recours à une gynécologue féminine. Cette Palestinienne avait le choix entre
devoir se déplacer en Suisse alémanique ou accepter de se faire ausculter par un homme.
La médiatrice a tenté dans un premier temps de la convaincre en lui disant qu’ici en Suisse
c’est une pratique courante qu’un homme ausculte une femme. Elle lui résuma d’ailleurs sa
compréhension de la déontologie médicale en terme simples : «de toute façon, le médecin il
va pas te manger». Mais cette seule affirmation n’a pas suffit à rassurer son interlocutrice. La
médiatrice a eu l’idée et la clairvoyance d’avoir recours à son réseau de connaissances.
Elles sont donc parties les deux sur Bienne pour y rencontrer une femme musulmane
pratiquante, ayant fait le pèlerinage à la Mecque ce qui lui conférait une légitimité
supplémentaire et ancrait la sûreté de son jugement. Cette femme a fait part de sa propre
expérience d’avoir dû accoucher ici en Suisse avec un médecin homme et lui a donné en
quelque sorte l’autorisation de «faire une transgression» de ses valeurs culturelles
concernant le corps et la nudité.
De cet exemple nous pouvons retenir au moins deux aspects:
• D’une part, en ayant recours aux bonnes personnes, susceptibles de rassurer la
migrante, il est possible de renégocier des pratiques culturelles pourtant importantes
puisqu’elles agissent dans l’ordre de l’intime. Cette Palestinienne a pu s’appuyer sur
la solidarité de femmes de sa communauté. Le fait que la transgression ait déjà eu
lieu pour d’autres femmes de même religion lui a probablement permis non
seulement de se décharger d’une part de la culpabilité de « mal faire », mais encore
elle a pu créer une sorte de connivence avec d’autres femmes la sortant
momentanément de la solitude touchant bon nombre de requérants lors de leur
arrivée en Suisse.
• D’autre part, un médiateur, aussi bien formé soit-il, n’est pas à lui tout seul porteur de
l’ensemble de la culture à laquelle il appartient d’où l’importance, parfois, de recourir
aux réseaux constitués par des migrants de plus longue date. Dans toute culture ou
communauté, il y a des rôles sociaux distincts et donc des personnes plus habilitées
que d’autres à donner un avis reconnu.
Au travers de cette situation, on découvre à quel point une valeur peut être réinterprétée par
les acteurs eux-mêmes pour autant que les personnes ressources existent. Le parcours
migratoire oblige tous les migrants à de sérieuses réélaborations culturelles qui seront
d’autant moins traumatisantes qu’elles s’ancrent dans une expérience partagée. Si l’on
s’accorde à penser que l’identité culturelle est en reconstruction constante au gré des
interactions sociales, on découvre un espace de créativité très large qui peut orienter les
choix de manière quasi infinie. Toutefois, un autre élément est venu contribuer à la bonne