M I S E A U P O I N T Prescription hors AMM en rhumatologie ! Ph. Bertin* P o i n t s f o r t s " Il est toujours préférable de prescrire selon l’AMM. " Il est possible de prescrire hors AMM lorsque la situation clinique l’impose et que les données de la science le justifient. " Prescrire hors AMM impose en théorie de mentionner “NR” sur l’ordonnance, mais cette règle n’est jamais appliquée en pratique. Mots-clés : AMM - Prescriptions. ‘ C est surtout depuis la loi de la Sécurité sociale (art. 162-4 du Code de la Sécurité sociale) faisant obligation au médecin de mentionner sur son ordonnance “NR” (non remboursable) lorsqu’il prescrit “une spécialité pharmaceutique en dehors des indications thérapeutiques ouvrant droit au remboursement” que le débat sur la prescription hors AMM est devenu source de controverses souvent passionnées. Le but de ces quelques lignes est d’approcher la réglementation actuelle de la prescription à laquelle le rhumatologue, comme tout médecin, est soumis, et de l’illustrer ensuite par quelques exemples de situations pratiques spécifiques à la rhumatologie. LE CADRE RÉGLEMENTAIRE DE LA PRESCRIPTION S’il est vrai, comme l’a écrit récemment J.P. Gribeauval (1), que “AMM (Autorisation de Mise sur le Marché) et ses corollaires, RCP (Résumé des Caractéristiques du Produit) et RM * Service de rhumatologie, CHRU, 2, av. Martin-Luther-King, 87042 Limoges Cedex. 28 (Références Médicales), ne se confondent pas avec les données actuelles de la science ou les règles de l’art et que, de ce fait, leur inobservation ne signifie pas automatiquement faute civile ou professionnelle”, il n’en reste pas moins vrai que prescrire hors AMM expose le médecin (et son patient) à des difficultés éventuelles. La liberté de prescription reste souveraine : elle est consacrée par différents articles du Code de la Sécurité sociale, du Code de Déontologie médicale et celui de Santé publique. Selon la jurisprudence (arrêt du 20 mai 1936, Cour de cassation, 1re Chambre civile), le médecin “a l’obligation sinon bien évidemment de guérir le malade, du moins de lui donner des soins, non pas quelconques mais consciencieux, attentifs et, réserve faite des circonstances exceptionnelles, conformes aux données actuelles de la science”. Le médecin se doit donc de prescrire à son patient la thérapeutique la plus appropriée à la situation clinique, en fonction des données récentes de la littérature scientifique. L’AMM est une décision de l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé [AFSSAPS] (ancienne “Agence du Médicament”) fondée sur les données pharmaceutiques, expérimentales et cliniques qui lui sont fournies par un laboratoire en vue d’obtenir des indications précises pour le produit. Ainsi, prescrire en accord avec l’AMM est la garantie de répondre au mieux aux exigences du contrat “médecinmalade” (2). Néanmoins, l’AMM n’est délivrée que sur demande de la firme pharmaceutique produisant le médicament (3). Ainsi, même si ce médicament est reconnu efficace par les données de la littérature dans une situation clinique rare, il n’aura pas l’AMM dans cette indication si le laboratoire n’en a pas déposé le dossier. La prescription hors AMM est possible chaque fois qu’elle est justifiée. Elle ne peut alors être opposée comme une faute au médecin prescripteur. Au contraire, ne pas prescrire un médicament à un patient chez qui cela serait le seul remède efficace, sous prétexte de l’absence d’AMM, pourrait être considéré comme une perte de chance de guérison, faute opposable au médecin. Ces données réglementaires et scientifiques, somme toute assez explicites, sont compliquées par des notions économiques. Deux articles du Code de la Sécurité sociale sont à considérer. L’un (162-2-1) dit que “les médecins sont tenus La Lettre du Rhumatologue - n° 285 - octobre 2002 M (...) à observer la plus stricte économie compatible avec la qualité, la sécurité et l’efficacité des soins” ; l’autre (162-4) stipule que lorsque les médecins prescrivent “une spécialité pharmaceutique en dehors des indications thérapeutiques ouvrant droit au remboursement ou à la prise en charge par l’Assurance maladie, ils sont tenus de le signaler sur l’ordonnance, support de la prescription”. De ces deux articles naissent deux paradoxes : une prescription respectant l’AMM est quelquefois plus onéreuse qu’une ne la respectant pas (exemple du Novatrex®, plus coûteux que le Méthotrexate Bellon®) ; le fait de devoir mentionner “NR” sur l’ordonnance légalise clairement le droit à la prescription hors AMM. Malheureusement, la réglementation ainsi faite est hypocrite : le médecin mentionnant “NR” expose son patient au risque de ne pouvoir s’acheter lui-même le produit trop onéreux. À l’inverse, le Code de la Sécurité sociale prévoit des sanctions financières pour le médecin qui omet de mentionner “NR”. Ainsi, une prescription hors AMM dûment réfléchie et consacrée par la littérature est un acte médical justifié, mais peut devenir une faute du médecin eu égard aux caisses d’Assurances maladie s’il omet de noter “NR”. S’il est aisé d’accepter la volonté des caisses d’Assurances maladie de limiter les éventuels abus de prescription non justifiée (par exemple, de bisphosphonates à la simple lecture d’un compte-rendu de radiologie faisant état d’une “ostéoporose” – en fait, une simple hypertransparence de la trame osseuse), il n’est pas possible d’accepter l’idée de priver un patient d’une thérapeutique réputée efficace sur des données scientifiques (cas des patients ayant des maladies rares pour lesquelles, dans la plupart des cas, les médicaments efficaces n’ont pas d’AMM ; ou cas plus fréquents des patients souffrant d’un rhumatisme psoriasique et nécessitant le recours à la Salazopyrine® ou au Méthotrexate). LES SITUATIONS DE PRESCRIPTION HORS AMM ET LEURS IMPLICATIONS La prescription hors AMM par ignorance Le rhumatologue peut être dans une situation de prescription hors AMM à son insu. C’est alors une erreur qu’il est difficile de défendre. Le fait qu’un médecin puisse prescrire un médicament sans être sûr qu’il est (ou n’est pas) indiqué (selon l’AMM) dans une situation clinique donnée ne pourra choquer que les non-médecins ou les médecins non prescripteurs. Tout médecin peut être pris au piège de l’AMM du fait de la complexité croissante et anormale de notre système. Par exemple, proposer du méloxicam à un patient ayant une sciatique est hors AMM, lui proposer un autre oxicam ne l’est pas. Cet exemple paraît caricatural et sans importance. Néanmoins, dans l’étau du contexte médico-légal actuel, la prescription hors AMM est un facteur de risque aggravé (2). Dans cet exemple, si un effet indésirable grave survenait sous méloxicam, peut-être serait-il plus facilement opposé au prescripteur que s’il était survenu dans le strict respect de l’AMM. La Lettre du Rhumatologue - n° 285 - octobre 2002 I S E A U P O I N T Le prescripteur du XXIe siècle se doit de connaître les AMM des médicaments qu’il utilise : il y est ou y sera probablement aidé par l’informatisation du cabinet médical. Certains penseront qu’il pourrait l’être aussi par une simplification objective et scientifique de la liste des médicaments disponibles motivée par le souci d’une optimisation permanente de la prise en charge thérapeutique des patients. Par ailleurs, le changement régulier des AMM peut être source de prescription hors AMM par ignorance ; citons l’exemple des modifications récentes des indications de la calcitonine, du Plaquénil®, etc. La prescription hors AMM en connaissance de cause Pour se convaincre de la nécessité de prescrire hors AMM, plusieurs réflexions sont nécessaires. Le rhumatologue doit se demander si toutes les thérapeutiques ayant l’AMM, dans l’indication à laquelle il est confronté, ont été utilisées de façon correcte et ont échoué. Il est en effet illogique de prescrire hors AMM si l’on peut prescrire dans le respect de l’AMM d’un autre médicament, à efficacité identique. Il doit aussi apprécier le rapport “bénéfice-risque” attendu, et surtout s’assurer que les données de la littérature scientifique consacrent l’usage du médicament en question dans cette indication. La force des données scientifiques est toujours à mettre en adéquation avec la fréquence de la pathologie. Par exemple, l’efficacité démontrée de la salazopyrine dans le rhumatisme psoriasique à forme périphérique (4) permet cette prescription hors AMM ; l’efficacité supputée des immunoglobulines intraveineuses dans le stiffman-syndrome (5) autorise à les proposer au patient si son état le requiert. La prescription hors AMM ne peut être réalisée qu’après une analyse rigoureuse de la part du rhumatologue. Elle doit obligatoirement être précédée d’une information claire et exhaustive du patient. Il faut lui expliquer la nécessité de cette thérapeutique, le fait qu’elle est hors AMM, ses avantages et ses risques. En théorie, il faut aussi l’informer du non-remboursement, et de l’obligation du médecin de mentionner “NR” sur l’ordonnance (1). Certains pourront penser qu’ils ne se résoudront pas à écrire “NR”, synonyme de perte de chance de guérison par non-remboursement. C’est en fait le cas pour l’immense majorité des situations cliniques que nous rencontrons. QUELQUES EXEMPLES APPLIQUÉS À LA RHUMATOLOGIE Les antidépresseurs et la douleur L’imipramine (Tofranil®), premier antidépresseur commercialisé en 1959, a été proposé dans le traitement de la douleur peu de temps après que l’on ait admis son grand intérêt dans le traitement de la dépression. 29 M I S E A U P O I N T Ce sont surtout les antidépresseurs tricycliques (ADT) qui ont été empiriquement d’abord, puis scientifiquement ensuite proposés dans le contrôle des douleurs chroniques bénignes et malignes. Eschalier (6) a établi, il y a quelques années, l’inventaire de cette utilisation. Les indications des ADT sont résumées dans le tableau ci-dessous. Douleurs neurologiques Douleurs de désafférentation (diabète, zona, membre fantôme) Douleurs rhumatologiques Divers Douleurs articulaires Douleurs néoplasiques Fibromyalgie Douleurs digestives (ulcères G-D) L’efficacité de la sulfasalazine est démontrée dans le rhumatisme psoriasique (4), mais cette molécule n’a pas pour autant d’AMM dans cette indication. Nombreux sont les rhumatologues qui prescrivent de la sulfasalazine dans le rhumatisme psoriasique, se mettant aussi en situation hors AMM. Bien évidemment, ils “omettent” de mentionner “NR”. Les bisphosphonates et l’ostéoporose masculine Rachialgies Céphalées Algies faciales Dans les douleurs de désafférentation, les ADT apportent 75 % d’amélioration contre placebo et méritent, à ce titre, d’être utilisés. De tous les ADT, c’est particulièrement l’amitriptyline (Laroxyl®), la clomipramine (Anafranil®), l’imipramine (Tofranil®) et la doxépine (Quitaxon®) qui sont utilisées le plus communément. Les liens entre la douleur chronique et la dépression sont intriqués. On admet que, en moyenne, plus d’un malade sur deux ressent une dépression associée. À la vérification de l’AMM accordée dans la douleur, l’imipramine et l’amitriptyline sont les seuls ADT à être autorisés (7). Fait encore plus étonnant, l’amitriptyline a l’AMM lorsqu’il s’agit du Laroxyl® et ne l’a pas lorsqu’il s’agit de l’Élavil® (même molécule !). Ainsi, le rhumatologue, face à une lombosciatique chronique postopératoire ne répondant pas aux antalgiques classiques, peut prescrire un antidépresseur tricyclique. S’il choisit l’amitriptyline, il est dans le respect de l’AMM ; s’il préfère la clomipramine, il ne respecte pas l’AMM. Dans les deux cas, si un syndrome dépressif est associé à la lombosciatique, alors l’AMM sera respectée. Les anticomitiaux et les douleurs neurogènes Il est prouvé que la carbamazépine (Tégrétol ) est efficace dans les neuropathies diabétiques et la névralgie faciale. Sa seule AMM (dans la douleur) est la névralgie faciale. Le clonazépam (Rivotril®) n’a pas d’AMM dans la douleur, et le gabapentin (Neurontin®) a l’AMM uniquement pour les douleurs post-zoostériennes. Le rhumatologue prescripteur de Tégrétol®, Rivotril® ou Neurontin® dans le cadre d’une douleur neurogène n’ayant pas répondu aux antalgiques classiques se met dans une situation hors AMM. ® 30 La sulfasalazine et le rhumatisme psoriasique Aucun bisphosphonate n’avait l’AMM pour l’ostéoporose masculine. Il existait dans la littérature des études suggérant l’efficacité des bisphosphonates dans cette indication (8). Jusqu’à l’an dernier, le rhumatologue n’avait qu’une alternative face à un homme ostéoporotique : prescrire un bisphosphonate hors AMM, donc non remboursable, ou ne proposer qu’un traitement vitamino-calcique. Depuis peu, une décision inhabituelle est venue modifier cet état de fait : il est devenu possible dans un premier temps de prescrire de l’alendronate, qui n’avait toujours pas d’AMM dans cette indication mais était devenu remboursable... et ce n’est que secondairement que l’AMM lui a été attribuée. Les exemples pourraient être multiples. La prescription hors AMM est possible : le rhumatologue doit la faire en connaissant la réglementation encadrant cet acte, en ayant le consentement éclairé de son patient, en s’assurant que l’efficacité de cette prescription est confirmée par les données de la littérature, et qu’elle constitue la seule possibilité. " Bibliographie 1. Gribeauval JP. Réglementation AMM, RCP, RMO et liberté de prescription. Revue Prescrire 1999 ; 19, 191 : 64-5. 2. Massol J. Prescriptions NR (non remboursables) et hors AMM : un débat qui dépasse le cadre du remboursement. Thérapeutiques 1999 ; 38, 1 : 1-2. 3. Bergmann JF. Savoir lire le Vidal ® (à quoi sert l’AMM ?). Thérapeutiques 1999 ; 38, 1 : 20-1. 4. Farr R, Kitas GD, Waterhouse P et al. Sulfasalazine in psoriatic arthritis ; a double-blind placebo-controlled study. J Rheumatol 1999 ; 29 : 46-9. 5. Karlson E, Sudarsky L, Ruderman E et al. Treatment of stiff-man syndrome with intravenous immune globulin. Arthritis Rheum 1994 ; 37, 6 : 915-8. 6. Eschalier A, Fialip J, Marty H. Utilisation des antidépresseurs dans le syndrome douloureux. Doul et Analg 1988 ; 1 : 111-20. 7. Trèves R., Molécules antalgiques prescrites hors AMM. Rev Rhum 1998 ; 65 (5 bis) : 1035-45. 8. Geusens P, Vanhoof J, Raus J. Treatment with etidronate for men with idiopathic osteoporosis. Ann Rheum Dis 1997 ; 56, 4 : 280. La Lettre du Rhumatologue - n° 285 - octobre 2002 M AUTOQUESTIONNAIRE I S E A U P O I N T C FM 1. Il est possible de prescrire un médicament hors AMM dans une situation clinique donnée si : a. il n’est pas possible de prescrire un médicament ayant l’AMM b. le médicament n’a pas l’AMM mais a une efficacité explicitée par les données scientifiques c. la CPAM en donne l’autorisation d. le patient en est clairement informé e. le pharmacien accepte de délivrer le produit 2. L’absence d’AMM d’un médicament pour une pathologie donnée signifie que : a. ce médicament n’est pas efficace pour traiter cette pathologie b. il est interdit de le prescrire même si les données de la littérature scientifique lui confèrent une efficacité c. l’AFSSAPS a obligatoirement refusé l’AMM d. sa prescription ne peut être discutée qu’en cas d’échec des traitements habituels RÉPONSES FMC 1. a, b, d ; 2. d. Abonnez-vous... Abonnez-vous... Abonnez-vous... Abonnez-vous... vous... Abonnez-vous... Abonnez-vous... Abonnez-vous... AbonnezAbonnez-vous... Abonnez-vous... Abonnez-vous... Abonnez-vous... vous... Abonnez-vous... Abonnez-vous... Abonnez-vous... AbonnezAbonnez-vous... Abonnez-vous... Abonnez-vous... Abonnez-vous... vous... Abonnez-vous... Abonnez-vous... Abonnez-vous... AbonnezAbonnez-vous... Abonnez-vous... Abonnez-vous... Abonnez-vous... vous... Abonnez-vous... Abonnez-vous... Abonnez-vous... AbonnezAbonnez-vous... Abonnez-vous... Abonnez-vous... Abonnez-vous... vous... Abonnez-vous... Abonnez-vous... Abonnez-vous... AbonnezAbonnez-vous... Abonnez-vous... Abonnez-vous... Abonnez-vous... vous... Abonnez-vous... Abonnez-vous... Abonnez-vous... AbonnezAbonnez-vous... Abonnez-vous... Abonnez-vous... Abonnez-vous... vous... Abonnez-vous... Abonnez-vous... Abonnez-vous... AbonnezLes articles publiés dans “La Lettre du Rhumatologue” le sont sous la seule responsabilité de leurs auteurs. Tous droits de reproduction, d'adaptation et de traduction par tous procédés réservés pour tous pays. © mai 1983 - EDIMARK S.A· Imprimé en France - Differdange S.A. - 95110 Sannois Dépôt légal : à parution Est routé avec ce numéro : # un dépliant 2 volets “e-journal ACR 2002” (laboratoires Abbott). La Lettre du Rhumatologue - n° 285 - octobre 2002 31