peut-on prescrire hors amm ? le point de vue de l`expert

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PEUT-ON PRESCRIRE HORS AMM
PEUT-ON PRESCRIRE HORS AMM ?
LE POINT DE VUE DE L’EXPERT
A. Lienhart, Département d’Anesthésie-Réanimation - Hôpital Saint-Antoine,
75012 Paris.
INTRODUCTION
S’il fallait répondre de façon binaire à cette question, la réponse serait oui, sans
équivoque. En effet, l’Autorisation de Mise sur le Marché (AMM) d’un produit, avec la
fiche qui l’accompagne, résumant les caractéristiques du produit, ses indications, ses
contre-indications, sa posologie, ses précautions d’emploi, s’impose au fabricant, non
au médecin prescripteur.
Le fabricant, s’il communique en dehors de ces propositions validées par l’AMM,
encourt des peines, notamment financières : une commission de l’Agence Française de
Sécurité Sanitaire des Produits de Santé (AFSSaPS, reprenant cette activité de l’ancienne Agence du Médicament), est spécifiquement chargée de cette tâche, et analyse plaquettes
publicitaires, programmes des symposiums de l’industrie pharmaceutique, journaux
financés par les firmes pharmaceutiques, tirés à part distribués par les visiteurs médicaux, etc., pour s’assurer de l’absence de déviation.
En revanche, le médecin reste libre de ses prescriptions, ce qui ne doit pas s’interpréter comme l’indication qu’il peut faire n’importe quoi. Cette liberté doit s’exercer
en toute indépendance et dans l’intérêt du patient. L’indépendance à l’égard du laboratoire pharmaceutique est notamment exprimée par l’article L-365.1 du code de la santé
publique, qui réprime toute rémunération, même indirecte, des prescriptions. Le
Conseil de l’Ordre en est le garant ; chacun sait qu’il a des formalités à accomplir dans
ce domaine lors de ses relations financières avec l’industrie pharmaceutique.
L’intérêt du patient est bien évidemment une notion quelque peu subjective, donc
discutable. La fragilité de cette notion devient évidente si survient un effet indésirable,
l’intérêt supposé a priori s’étant transformé en inconvénient avéré a posteriori. Il est
donc important que la déviation à l’égard de l’AMM soit bien un acte volontaire, autrement dit, qu’il ne puisse pas apparaître comme une méconnaissance des règles de
prescription du produit reconnues par l’AMM. Le dossier médical doit en conséquence
porter la trace de cette volonté.
Il s’agit en quelque sorte de l’actualisation d’une règle ancienne qui recommandait,
lorsque la dose d’un produit était inhabituelle, de préciser sur l’ordonnance : «je dis
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bien…», pour que le pharmacien puisse délivrer le produit à la dose prescrite. L’évolution des pratiques va désormais au-delà, car il peut être recommandé que le dossier
médical porte la mention de la motivation de cette entorse faite à la règle générale, et
pas seulement la réaffirmation de cette exception. Même si n’est pas développée ici
l’éventualité d’un contentieux, avec l’arrière-pensée de pouvoir apporter la preuve que
la prescription ne résultait pas d’une méconnaissance des «données acquises de la
science» mais d’un souci particulier d’améliorer la santé du patient, cette mention dans
le dossier médical est indispensable pour que l’ensemble des médecins et du personnel
paramédical apportant ses soins au patient puisse prendre connaissance, à tout moment,
de la motivation de la prescription particulière.
Il est une autre limitation à cette prescription, qui est d’ordre pécuniaire. En effet,
lorsque la Caisse Nationale d’Assurance-Maladie accepte le remboursement d’un médicament, c’est sur la base d’un argumentaire scientifique, c’est-à-dire, en pratique, du
dossier d’AMM. Elle ne s’engage donc à rembourser que ce qui correspond à ce cadre,
sauf démarche particulière du praticien, motivant l’exception demandée, qui peut être
acceptée ou refusée. C’est la rançon de notre régime de protection sociale, mais des
limitations existent dans tous les pays, sous une forme ou sous une autre.
Dans les hôpitaux publics, le contexte budgétaire est différent. Toutefois, le passage
du système de budget global à celui d’allocations de moyens par l’ARH en fonction de
points ISA, en attendant d’autres réformes ou d’autres acronymes, ne change rien au
fait que, collègues, pharmaciens, représentants de l’administration, puissent souhaiter
exercer des pressions pour réduire des coûts, ce qui peut s’exprimer par une demande
de justification de prescriptions hors AMM. Un élément quantitatif intervient donc ici,
et il est normal de se préparer à de telles questions, de disposer d’un argumentaire,
documenté, rationnel, scientifique. Sinon, à qualité égale, c’est le produit le moins coûteux qui devra s’imposer.
Même si les aspects financiers sont mis de côté, le recours à un consensus au sein de
l’établissement est un processus nécessaire. L’homogénéisation des pratiques est en
effet un des éléments de la «Qualité» (au sens d’assurance de la qualité). A ce titre, elle
fait partie des éléments d’accréditation par l’Agence Nationale d’Accréditation et d’Évaluation en Santé (ANAES succédant à l’ANDEM). Dans ce contexte, la liberté du
prescripteur s’exprime, dans un premier temps, au travers de sa participation, personnelle ou par l’intermédiaire d’un représentant, à l’élaboration du consensus local, par
son apport à l’argumentation, avec son expérience, son analyse de la littérature.
Dans un deuxième temps, cette liberté peut avoir à s’exprimer pour un malade
particulier : s’il apparaît opportun de déroger au protocole établi, il convient, là encore,
que le dossier porte la trace de la justification de cette dérogation et que le prescripteur
soit à même de répondre aux questions qui pourraient en découler, quitte à demander la
reformulation du texte de consensus local s’il s’avère inadapté au regard de données
nouvelles pouvant provenir, soit d’une situation jusque là non envisagée, soit de la
littérature médicale récente.
Ces démarches posent immanquablement la question de la valeur des données scientifiques sur lesquelles on s’appuie, problème d’autant plus actuel que la rapidité de la
communication via Internet (parfois repris le jour même par la grande presse) peut
porter à la connaissance des praticiens, ou des patients, des résultats scientifiques avant
que l’article publié dans une revue scientifique puisse parvenir sur le bureau du médecin. De ce point de vue, le libellé de l’AMM, les textes de conférences de consensus ou
autres recommandations de bonne pratique clinique, restent une source difficilement
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contestable. Il faut bien accepter que du temps soit nécessaire avant que la communauté
médicale puisse statuer sur une nouvelle proposition thérapeutique, après d’indispensables vérifications. Pas plus qu’une hirondelle ne fait le printemps, un article, aussi
prestigieux soit-il, ne peut prétendre représenter à lui seul un état acquis de la science.
Ces nécessaires vérifications des innovations thérapeutiques posent la question des
prescriptions hors AMM dans le cadre d’essais cliniques. La réponse est alors simple,
puisque la loi dite Huriet, et d’une manière générale les lois de bioéthique, encadrent la
pratique avec, notamment, accord du CCPPRB, recueil par écrit du consentement du
patient, souscription d’une assurance particulière, renversement de la charge de la preuve
de la faute dans les soins.
Une dernière question peut porter sur l’irruption relativement récente dans les médias du «principe de précaution». Celui-ci a initialement été utilisé par des juristes pour
permettre la condamnation d’industriels à indemniser des victimes d’un produit ou d’une
pratique, alors même qu’il n’existait pas de données scientifiques démontrant leur nocivité au moment de leur mise en œuvre. Il porte donc plus sur la notion de risque pour
une collectivité que pour un individu et sort du cadre de l’exposé, mais il nous pousse à
réfléchir sur l’attitude à adopter en l’absence de données scientifiques établies.
Ainsi, lorsqu’on ignore les bénéfices et les risques d’une prescription, on ne dispose
pas de données scientifiques, et le principe en question inciterait à dire : «quand on ne
sait pas, on ne fait pas», variante moderne du : «primum non nocere». En tout cas, ce
n’est certainement pas à interpréter comme un frein au savoir, mais plutôt comme une
invitation à augmenter les connaissances, ce qui renvoie en la circonstance aux conditions autorisant les essais cliniques, précédemment rappelées.
A l’inverse, lorsque les données scientifiques sont abondantes et que seul manque le
temps nécessaire à la Commission d’AMM pour analyser en détail le dossier, un statut
temporaire peut être accordé par l’AFSSaPS lorsqu’il n’existe pas d’alternative raisonnable. C’est le rôle de l’ATU, qui ne sera pas développé ici, car la responsabilité de
cette décision revient à l’Agence. Pour le praticien, la situation n’est pas très différente
de celle de l’AMM, en dehors de formulaires à remplir.
Quelques exemples permettent de résumer le propos. Tel laboratoire a pu être sanctionné parce qu’il était accusé de pousser, dans un journal financé par lui, les anesthésistes
à utiliser leur produit de façon non conforme aux pratiques de sécurité anesthésique.
Une posologie d’antibiotiques supérieure à celle de l’AMM sera discutée dans le dossier médical, en fonction de la sévérité du tableau clinique, de l’antibiogramme, du
rapport bénéfice/risque pour le patient.
L’utilisation d’un produit coûteux dans une indication non validée nécessitera souvent de convaincre certaines personnes ayant des responsabilités financières. Une
prescription moins exceptionnelle fait l’objet d’un protocole du service ou de l’établissement, avec des arguments scientifiques, actualisés, prenant en compte le rapport
bénéfice/risque pour la population de patients visée et les arguments économiques. Si
les données manquent, un essai peut devenir nécessaire, dans le cadre légal adapté, et
généralement mieux vaut s’abstenir en dehors de cet essai. Lorsque les données sont au
contraire abondantes et que seul manque du temps avant l’AMM, une ATU peut être
demandée, comme ce fut le cas lorsqu’une interruption brutale de production a rendu
indispensable et urgent le remplacement d’une forme de curare dépolarisant par une
autre.
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CONCLUSION
Ainsi, il est évident que la prescription hors AMM, pour possible qu’elle soit, impose
de pouvoir être justifiée à tout moment, d’un point de vue scientifique comme d’un
point de vue économique. Ceci est logique car, bien souvent, l’efficacité d’un produit
n’est démontrée que dans le cadre de son AMM. La prescription hors AMM implique
une plus grande responsabilité du praticien, ce qui rend prudente la pratique de disposer
d’une trace écrite de cette justification, dans le dossier médical ou dans un protocole de
service ou d’établissement, ce qui s’accorde avec les bonnes pratiques actuelles.
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