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de cure miracle. Aussi, rien n’est perdu
lorsque l’on doit négocier pour lui de nou-
velles indications thérapeutiques : il peut faire,
avec profit, plusieurs cures, sans que cela soit
qualifié “d’échec”. Et, en réalité, la qualité des
résultats, au final, dépendra beaucoup de celle
du relais passé “entre deux”…
• Accompagner les professionnels : en même
temps que le patient prend confiance, le pro-
fessionnel qui participe à une telle prise en
charge s’investit. Ses réticences s’estompent,
d’autant plus s’il se sent, lui aussi, accompagné
par l’alcoologue. Celui-ci propose des straté-
gies, met en lumière des ressources, favorise
les contacts. Une telle confiance, précieuse,
s’installe progressivement, que le référent en
alcoologie s’efforcera d’entretenir.
•Travailler avec les rechutes. Et viendra
peut-être le temps de la rechute, un vrai stress
pour tous, soignants et patients. Autant se dire
: non, ce n’est pas un retour à la case départ,
oui, tout reste possible, tant que la relation du
soignant avec le patient reste de qualité. Si le
patient peut parler rapidement de sa re-alcoo-
lisation, celle-ci ne sera peut-être, dans son
parcours, qu’un simple accroc. S’il tarde à en
parler, c’est alors la culpabilité… et, en défi-
nitive, l’alcool reprendra le pouvoir. L’arrêt en
sera d’autant plus douloureux. La rechute est
toujours l’occasion de lui chercher ensemble
des explications, de faire de nouveau le point,
de proposer un nouveau sevrage. Ainsi, peut-
elle devenir une étape constructive et, pour
certains, elle sera même une nécessité.
Du colloque singulier
à l’approche communautaire
Le soin mobilisera de multiples soutiens et
compétences, si possible en proximité.
•La disponibilité de l’entourage. Nous
l’avons vu, l’entourage participe au “nœud
pathologique”. Sa prise en compte permet
d’envisager des stratégies adaptées et de
dénouer des situations apparemment blo-
quées. Il aura besoin d’un soutien particulier
pour accompagner l’évolution du patient. Il le
trouvera dans une prise en charge individuel-
le, mais aussi en groupe. L’association la plus
expérimentée est une émanation des
Alcooliques Anonymes : les Al-Anon.
•L’invention avec d’autres soignants : le
contact sera pris avec d’autres soignants, qui
ne sont pas forcément des prescripteurs,
comme le médecin du travail (avec l’accord
du patient) en vue de sécuriser ou d’adapter le
poste de travail. Ou encore avec le médecin
conseil de la Sécurité sociale pour faciliter une
déclinaison des prises en charge adaptées.
On peut aussi trouver et proposer des straté-
gies de soins très différenciées : perfusions ou
“piqûres chauffantes” faites par une infir-
mière ; entretiens avec les infirmiers et l’as-
sistante sociale ; massages faits par le kinési-
thérapeute ; relaxation conduite par ce dernier
ou par la psycho-motricienne, en cabinet ou
au centre socio-culturel local…
On peut négocier la collaboration d’autres ser-
vices, selon les cas, même si ce n’est pas for-
cément de gaieté de cœur : avec la PMI, mais
aussi avec la Commission du permis de
conduire… L’important est de savoir trouver
des aides diversifiées, proches et personnali-
sées, avec, toujours, la conviction que le temps
joue en faveur du patient.
•Les groupes de parole : ils sont, pour les
patients et leur entourage, une ressource majeu-
re, car ils leur offrent la possibilité de rencontrer
d’autres personnes qui vivent les mêmes pro-
blèmes, dans un cadre structuré, contrôlé et
sans alcool (voir article suivant p. 40). Chacun
pourra entendre des histoires vécues, à la fois si
proches des leurs car façonnées en standard par
l’alcool, et si différentes dans leur singularité.
En même temps, chacun y trouvera une
confrontation avec ses stades d’évolution, diffé-
rents de celui des autres, et des possibilités
d’identification. “Il est passé par là, moi
aussi…”, “il a réussi, grâce à. Et moi ?…”
L’ e xpression est libre, sans jugement, les émo-
tions peuvent s’exprimer, dans un cadre qui
leur appartient. Le patient s’y sent reconnu.
Les informations qui s’y échangent sont
vécues et crédibles. Elles ont une légitimité à
ses yeux que ne pourrait pas avoir le discours
du scientifique. C’est dans les groupes que
s’est construit une grande partie de la praxis
alcoologique, et ce sont les patients qui ont
formé les scientifiques en leur transmettant
leur expérience. Ils peuvent être gérés par des
associations d’anciens malades, mais peuvent
aussi se réunir autour d’une consultation
spécialisée. Des relations solides s’y construi-
sent. Elles permettent des soutiens de proxi-
mité, avec un dévouement toujours impres-
sionnant.
•L’entraide entre patients. Autour du
groupe se construit un autre groupe
d’échange, quasi permanent. Il réunit de
manière informelle les patients qui se rencon-
trent dans les réunions et continuent de se sou-
tenir dans les aléas de la vie quotidienne… et
de la maladie. L’entraide entre patients est
aussi possible à partir du “gisement” qu’est la
salle d’attente. Madame X s’interroge sur les
effets de tel traitement ou l’intérêt de tel centre
de cure ? “Demandons à Madame Y qui en a
l’expérience”. Elle n’imagine pas qu’une abs-
tinence prolongée soit possible ? “Monsieur
Z, qu’en pensez-vous ?”. Aussi, un accueil
bien géré permet des attentes longues en salle
d’attente !
•Les anciens buveurs sont des alliés : les
anciens buveurs constituent des alliés de
poids. Mais chacun à sa place : ils sont des
patients dont il faut reconnaître la qualité du
travail en bénévolat et les en remercier, mais
ils ne peuvent remplacer les soignants. Ceux-
ci peuvent et ont tout intérêt à s’appuyer sur
eux, mais non à se décharger sur eux de la part
qui leur revient. En particulier, ils devront tou-
jours veiller à protéger le secret médical (voir
l’entretien avec Jean-Paul Descombey dans
ce numéro).
L’alcoologie dépasse le soin
La clé d’entrée dans le traitement est toujours
le sevrage. Hors urgence ou contrainte légale,
cela suppose l’accord du patient. Au-delà de
cette courte période… C’est le vide. Le rem-
plir sans alcool passe par une élaboration dont
le malade est l’acteur principal. Cette évolu-
tion exige le maintien de l’abstinence, mais
aussi des stratégies différenciées d’accompa-
gnement et de soins. Du fait de la variété des
problématiques et des ressources mobili-
sables, le soignant et le patient devront faire
œuvre commune de créativité.
• L’entourage est partie prenante. La com-
posante médicale du soin pourra impliquer
plusieurs spécialités. Toutefois, nécessaire,
elle n’est pas suffisante et il faut rechercher de
nombreuses autres compétences (sociales,
psychologiques, juridiques). C’est, en effet,
toute une équipe qui accepte d’être au service
du patient qu’il s’agit d’inventer à chaque fois.
Dans son dénuement, l’alcoologie a donc une
chance énorme : elle peut remettre en selle des
gens (trop souvent) disponibles, souvent
encore insérés, et disposant d’une santé
renouvelée. Ils sont devenus des “experts” du
vécu alcoolique et savent comment ils ont
recouvré un équilibre, le leur. Et, comme ils
ont besoin d’être utiles pour se “renarcissiser”,
ils sont ravis d’aider à leur tour les malades en
cours de soin. Avec eux, le monde non médi-
cal accueille et accompagne des patients :
voilà comment l’alcoologie dépasse le soin.