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Les groupes de parole :
expérience à Sainte-Anne
G. Demigneux*, I. Sokolow**
En alcoologie, le soin sera prolongé : le soignant
est un point d’appui précieux, mais transitoire.
La prise en charge est appuyée sur une démultiplication ouverte à l’environnement social.
Les associations d’anciens buveurs constituent
un relai construit par des anciens patients. Elles
animent des espaces de parole auronomes. Le
patient y expérimente sa propre expression. Il
maîtrise l’organisation et la durée de sa participation. Une façon d’être encore “dans le soin”
tout en étant sortis du “système de soins”.
L’intérêt de la thérapie de groupe en alcoologie
n’est plus à démontrer. Elle permet, entre autres,
l’identification, la déculpabilisation, l’échange
d’expériences, et apporte une aide à l’élaboration, à la projection, une solidarité qui va bien audelà du temps et du cadre de la réunion… La
communauté de parole fonctionne déjà comme
une “précurseure” de société. Elle ouvre les
portes à la déshinibition, et permet de recouvrer
une joie de vivre sans alcool. “Depuis que je
viens à ces groupes, je me sens libre. J’écoute, je
ne juge pas, je ne me sens pas jugé, et je peux
parler, ce que je n’osais pas faire depuis des
années… de mes peurs, mes émotions”, disait
récemment un patient.
Des bénéfices reconnus dont, pourtant, en pratique, seulement une faible proportion des
patients bénéficie (peut-être autour de 15 %,
voire moins aujourd’hui…). En effet, ces associations-là, comme tout le milieu associatif, traversent d’importantes difficultés de recrutement.
Aussi, beaucoup de structures de soins ont, dans
un premier temps, aménagé des ponts avec ces
associations, et, dans un second, prévu des
groupes de parole dans leurs propres projets thérapeutiques. Dans l’objectif d’autonomisation il
s’agit de mettre à la disposition du groupe les
moyens d’animation qui permettent une vraie
rencontre et non d’informer et convaincre les
participants par une “information” circonstanciée !
Ainsi, au SHU de l’hôpital Sainte-Anne, des
“groupes patients” se réunissent deux fois et des
* Praticien attaché consultant, service hospitalo universitaire du CH Sainte-Anne, Paris et
secteur 14. Courriel : [email protected]
** Praticien hospitalier, CH de Saint-Cloud.
Alcoologue en libéral, ancienne présidente
des Alcooliques Anonymes. Courriel : [email protected].
“groupes d’entourage” une fois par mois. Des
représentants des associations y participent.
Règles du jeux
Elles sont simples :
• Personne n’est exclu : le groupe reçoit des
patients qui ne sont pas forcément soignés dans
le service, mais on leur demande de se présenter
à l’animateur avant la réunion, de façon à ce que
ce dernier puisse les introduire et en tenir compte dans sa gestion de l’animation.
• Une alcoolisation la plus faible possible
(mais préférence pour l’abstinence, toutefois)
: les patients sont en soins. Certains ne sont pas
encore capables d’affronter un groupe sans
alcool, d’autres ont rechuté et ont d’autant plus
besoin de l’aide du groupe. Aussi, les patients du
groupe affirment, à chaque fois, la nécessité de
ne pas les rejeter.
• Confidentialité : en principe, tout ce qui
s’échange reste dans le groupe : “Ça ne sort pas
de la salle”.
• Écoute sans jugement : on n’interrompt pas,
on respecte ce qui est dit et celui qui le dit. Celuici ne doit être disqualifié ni en raison de ce qu’il
vient de dire, ni de ses caractéristiques sociales
ou de ses co-morbidités.
Selon nous, l’écoute est l’attitude la plus profitable en groupe de parole.
• C’est au groupe que l’on parle. L’animateur,
potentialisateur du groupe, anime et doit, autant
que faire se peut, être dégagé de son statut de
référent, de tuteur, auquel chaque participant a
trop vite fait de s’adresser plutôt qu’à ses pairs.
Certes, les moins assurés vont toujours rechercher sa caution. Il faut à chaque fois qu’il les
réoriente vers les autres participants.
• Faire circuler la parole. Pas de débat : toute
expression est digne d’intérêt et celui-ci risque
de conduire dans un cul-de-sac relationnel, de
“tomber” dans le dialogue en forme de double
monologue. Le risque en est de verrouiller les
échanges au sein du groupe.
• Parler à la première personne. Éviter les
affirmations abstraites, générales, et parler de
soi, car c’est, paradoxalement, l’une des conditions de la “productivité” de ces réunions de
groupe. C’est ainsi qu’on est sûr de “livrer” au
groupe une expérience intéressante, qui va lui
“parler”. Cette parole-là est toujours écoutée,
respectée . Elle peut être travaillée et le groupe se
l’approprier.
Le Courrier des addictions (7), n° 1, janvier-février-mars 2005
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Un vrai temps de recherche
commune...
Dans l’idéal, un animateur a pour seule fonction
de faire parler. Lui-même intervient le moins
possible. Son travail est surtout gestuel, corporel : attirer l’expression en se rapprochant, se
penchant, en tendant les mains, la freiner en lui
retirant son attention, se retournant. Il doit pouvoir se mouvoir au milieu du groupe.
Dans la mesure du possible, il permet l’évocation des questions mais c’est le groupe qui invente ses réponses.
S’il n’y parvient pas, un expert prend la parole
sous le contrôle de l’animateur.
Un co-animateur peut seconder l’animateur et
l’expert l’aider pour régler des aspects matériels,
assurer la vigilance sur le groupe et l’aide à la
restitution. Enfin, à l’issue de la réunion, les professionnels se réunissent pour faire le point pendant une vingtaine de minutes.
Chaque groupe dure une heure et demie. En fait
il commence bien avant en salle d’attente et finit
bien après sur le trottoir et au téléphone…
Le groupe de parole est précieux pour tous :
patients comme soignants. C’est un temps de
rencontre et de découverte. C’est aussi un vrai
temps de recherche commune. La dimension
festive peut être explicite : ainsi lors de notre
réunion du jeudi soir, le 23 décembre dernier, les
animateurs se sont trouvés face à une table, des
nappes, des boissons, des cadeaux ! Le groupe
de parole permet la transition à l’échange.
Quand elle est réussie, le plaisir est pour chacun.
Références bibliographiques
– Annuaire des structures de soins en alcoologie
2004 du Pr Paille. Laboratoire Merck.
– Aubin H-J. L’entretien motivationnel.
– Dally S. Faut-il curer les alcooliques.
– Orsel C. Le groupe d’entraide des malades
alcooliques : pour sortir du chaos. Le tout dans la
revue “Le Courrier des addictions” 2001;n°3.
– Craplet M. Passion alcool. Odile Jacob 2000.
– Demigneux G. Éducation pour la Santé et prévention. Encyl Med Chir (Elsevier, Paris) Encyclopédie
pratique de médecine 1998;7-1025, 7p.
– Descombey JP. Alcoolique, mon frère, toi.
L’Harmattan 85/1999 (voir l’entretien).
– Expertise collective INSERM. Alcool: dommages
sociaux et dépendance. Synthèse et recommandations.
– Gomez H. L’alcoolique, les proches, le soignant, pour une autre pratique de l’alcoologie.
Ed Dunod Sept 2003
– Kiritse-Topor P, Benard J-Y. Le malade alcoolique. Masson 2001
– Vachonfrance G. Psychothérapie du sevrage
alcoolique. Conférence de consensus. Alcoologie 1999;21,2 supp:101S-7S.
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