TRIBUNE
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La Lettre du Sénologue - n° 23 - janvier/février/mars 2004
L
e cancer du sein est de loin le plus fréquent des cancers
de la femme, avec près de 42 000 nouveaux cas par
an en France (1). Pendant longtemps, ce cancer était
considéré comme une maladie loco-régionale mais les récentes
décennies en ont fait évoluer la prise en charge, et si le traite-
ment loco-régional demeure fondamental, l’émergence de trai-
tements systémiques efficaces a fait naître le concept de mala-
die systémique. L’hormonothérapie et la chimiothérapie ont
démontré, dans un premier temps, leur efficacité en phase méta-
statique. La maladie micrométastatique pouvait dès lors être
prise en charge par le traitement adjuvant. Le développement
des nouveaux anticancéreux en phase métastatique permet
d’évaluer leur efficacité et leur tolérance et de positionner les
plus intéressants au stade précoce ou adjuvant. Pendant très
longtemps, la chimiothérapie adjuvante, lorsqu’elle était indi-
quée, était administrée, selon les mêmes modalités et le même
protocole, chez toutes les femmes, quels que soient leurs fac-
teurs pronostiques et les caractéristiques biologiques de la
tumeur. Aujourd’hui, on sait que certaines femmes bénéficieront
plus du traitement que d’autres. Le profil génomique ou protéo-
mique de la tumeur pourrait même, dans l’avenir, nous indiquer
quel produit de chimiothérapie choisir. Alors, du traitement
identique pour toutes, nous arriverions au traitement sur mesure.
Déjà de nouvelles drogues sont disponibles. L’arrivée prochaine
des taxanes en phase adjuvante devrait nous permettre d’optimi-
ser le traitement systémique et en partie d’adapter celui-ci à
l’identité de la patiente.
CE QUE NOUS ONT ENSEIGNÉ LES MÉTA-ANALYSES
Les traitements adjuvants sont efficaces et permettent de réduire
significativement le risque de récidives et de décès des patientes
traitées. Ils comportent soit de la chimiothérapie, soit de l’hor-
monothérapie, soit les deux, en fonction des critères bio-patho-
logiques de la tumeur mais aussi de l’état général des patientes.
Le bénéfice de la chimiothérapie adjuvante a clairement été
démontré dans les méta-analyses de Richard Peto (2, 3).
Pour quelles malades ?
Les patientes qui bénéficient le plus de la chimiothérapie adju-
vante sont les femmes les plus jeunes : alors qu’avant 40 ans, la
réduction du risque annuel de mortalité est de 29 %, et qu’elle
est de 26 % entre 40 et 50 ans, la diminution du risque chute à
15 % chez les malades entre 50 à 60 ans et à 7 %, entre 60 à 70
ans. Cependant, ces résultats doivent être pondérés par le fait
que les chimiothérapies utilisées dans ces essais n’étaient pas
forcément les plus efficaces et que certaines chimiothérapies
étaient parfois sous-dosées chez les femmes âgées, de façon
volontaire ou non. D’autre part, ce bénéfice diffère si l’on consi-
dère l’âge et l’envahissement axillaire : ainsi, chez les femmes
N– avant la ménopause, le bénéfice absolu est de 5,4 % et de
11,2 % chez les malades N+. En revanche, chez les malades
entre 50 et 70 ans, ce bénéfice n’est que de 1,4 % pour les
malades N– et de 4 % chez les malades N+. Cela doit nous faire
réfléchir sur l’intérêt réel d’une chimiothérapie adjuvante chez
une patiente âgée avec récepteurs hormonaux positifs.
La connaissance du statut des récepteurs hormonaux (RH) pré-
sente un intérêt certain. Les RH négatifs apparaissent comme un
élément de chimiosensibilité, principalement chez les femmes
âgées. Chez les patientes très jeunes (moins de 35 ans), le béné-
fice de la chimiothérapie est moindre et la survie sans récidive
plus courte en cas de récepteurs hormonaux positifs comparés
aux RH– (4) (lié à l’effet hormonal de la chimiothérapie).
L’aménorrhée chimioinduite semble plus importante avec les
chimiothérapies plus modernes ; c’est le cas de l’association
adriamycine-docétaxel (5) qui remet en doute ce fait.
Par ailleurs, des différences biologiques existent entre les
femmes de moins de 35 ans et celles de plus de 50 ans (6). Ainsi,
les récepteurs hormonaux estrogéniques sont plus fréquemment
retrouvés chez les femmes âgées que chez les femmes jeunes et
ce, de façon significative (75 % versus 50 %). Il en est de même
pour les récepteurs hormonaux à la progestérone.
L’élément le plus intéressant, et qui pourrait être un indice de
choix thérapeutique en faveur de la chimiothérapie, est la ciné-
tique de prolifération tumorale mesurée par le KI 67, la phase S
ou le grade mitotique, qui est plus souvent élevé chez les femmes
jeunes (70 % avant 35 ans versus 40 % après 50 ans). Quant au
grade SBR, la différence est là encore majeure, puisque chez les
femmes de moins de 35 ans, le SBR est de grade III est retrouvé
dans 68 % des cas et seulement dans 37 % des cas chez les
femmes plus âgées.
Le consensus de Saint-Gallen (7), permet de définir une popu-
lation dont le risque de rechute est inférieur à 10 %, seuil accepté
par la majorité des oncologues pour ne pas traiter leurs patientes
par chimiothérapie ou donner du tamoxifène seul.
La chimiothérapie adjuvante des cancers du sein :
d’hier à aujourd’hui
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M. Spielmann*
* Institut Gustave-Roussy, Villejuif.