La Lettre du Sénologue ̐ n° 55 - janvier-février-mars 2012 | 27
Points forts Mots-clés
Aménorrhée chimio-
induite
Préservation de la
fertilité
Chimiothérapie
adjuvante
Cancer du sein
Hormonothérapie
»
L’aménorrhée chimio-induite est le paramètre le plus utilisé pour évaluer le risque d’infertilité après
traitement médical d’un cancer du sein.
»
L’âge, le type de chimiothérapie et les doses utilisées sont les facteurs déterminants du risque
d’aménorrhée chimio-induite.
»
Le cyclophosphamide et les anthracyclines sont à haut risque d’aménorrhée ; l’effet des taxanes et des
anticorps monoclonaux n’est actuellement pas bien défini.
»Le projet de grossesse doit être discuté dès la prise en charge initiale du cancer du sein, avant le début
du traitement, pour mettre en œuvre, le cas échéant, les démarches utiles à la préservation de la fertilité.
adaptée vont être fondamentales dès la consul-
tation d’annonce.
Chimiothérapie
et risque d’aménorrhée
Évaluation de la fertilité après
traitement
La chimiothérapie adjuvante induit fréquemment
une aménorrhée, dont le caractère réversible ou
non, dépend des réserves ovariennes initiales et des
effets délétères du traitement sur le tissu ovarien
(follicules ovariens et cellules de la granulosa). Il est
généralement admis que l’âge physiologique des
ovaires chez une patiente traitée pour un cancer
est de 10 ans supérieur à l’âge réel.
L’évaluation dans la littérature médicale du risque
d’aménorrhée chimio-induite (ACI) est difficile du
fait de l’hétérogénéité de sa définition dans les diffé-
rentes études. L’ACI peut être définie comme l’absence
de cycles plus de 3, 6 ou 12 mois par rapport au
début ou à la fin de la chimiothérapie. Pour un même
protocole, le pourcentage d’ACI peut donc différer
en fonction de la définition : avec le CMF, le pour-
centage d’aménorrhée est respectivement de 50 %,
70 % et 80 % à 3, 6 et 12 mois (5). Il semble que
la meilleure définition de l’ACI soit la persistance
d’une aménorrhée 12 mois après la fin de la chimio-
thérapie. La durée de suivi, les caractéristiques des
patientes étudiées et les traitements reçus (type de
chimiothérapie, hormonothérapie ou non) rendent
compte également de l’hétérogénéité des études
rapportées dans la littérature.
La reprise de cycles réguliers n’est pour autant pas
synonyme de fertilité optimale et les études qui
n’évaluent la réserve ovarienne qu’à travers les cycles
menstruels sous-estiment l’impact de la chimio-
thérapie sur la fertilité ultérieure.
De ce fait, d’autres marqueurs de fertilité sont en cours
d’évaluation. Des marqueurs biologiques tels que l’hor-
mone antimüllérienne (AMH), l’inhibine B, l’estradiol,
la FSH à J2 et à J5 du cycle ont été étudiés de même
que le compte des follicules antraux par échographie
transvaginale. Une diminution des réserves ovariennes
se manifeste par des taux bas d’estradiol, d’AMH, d’inhi-
bine B (produits par les cellules de la granulosa des
follicules ovariens) mais aussi par une diminution des
follicules antraux. Ces tests de réserve ovarienne chez
la femme en bonne santé ou hypofertile ne permettent
pas de prédire les chances de grossesse mais évaluent
le risque de ménopause précoce. La validité de ces tests
après chimiothérapie n’est actuellement pas établie.
Facteurs influençant le risque
d’aménorrhée chimio-induite
➤
L’âge est le facteur prédictif d’ACI le plus impor-
tant. Dans la plupart des études, la comparaison
a lieu entre les patientes de moins et de plus de
40 ans, même si, en réalité, il semble que le risque
diffère plutôt entre les patientes de moins ou de
plus de 30 ans. Après traitement par CMF, 61 % des
patientes de moins de 40 ans et 95 % des patientes
de plus de 40 ans ont une ACI. Avant 30 ans, après
6 cycles de CMF, le risque d’ACI est estimé à 3 % (6).
Dans l’étude française PACS 01, 72 % des femmes
traitées avant l’âge de 40 ans par 6 cycles de
5-fluorouracil, épirubicine, cyclophosphamide
(FEC) à 100 mg/m
2
récupèrent des cycles à 1 an
tandis qu’après 40 ans seules 10,5 % ont à nouveau
des cycles. Sous 3 FEC 100-3 docétaxel, 71,5 % des
patientes avant 40 ans et 20,5 % des patientes après
40 ans sont à nouveau réglées à 1 an (7).
➤
Les doses de chimiothérapie utilisées (en particu-
lier le nombre de cures) participent au risque d’ACI.
➤
Le type de protocole de chimiothérapie influence
le risque d’ACI. Les alkylants sont les molécules les
plus gonadotoxiques. Les produits de chimiothérapie
peuvent être classés selon leur risque de gonado-
toxicité en 4 groupes (tableau I).
Tableau I. Risque d’aménorrhée sous chimiothérapie (recommandations ESMO 2010).
Risque d’aménor-
rhée permanente
Haut risque
(> 80 %)
Risque intermé-
diaire (80 %-20 %)
Faible risque
(< 20 %)
Risque
inconnu
Mono-
chimiothérapie
Cyclophos-
phamide
Anthracyclines Méthotrexate
5-FU
Taxanes
Anticorps
monoclonaux
Poly-
chimiothérapie
CMF, FAC,
FEC x 6
> 40 ans
CMF, FAC, FEC x 6
entre 30 et 39 ans
AC, EC x 4 > 40 ans
CMF, FEC,
FAC x 6 < 30 ans
AC x 4 < 40 ans
AC : adriamycine-cyclophosphamide ; CMF : cyclophosphamide-méthotrexate-5-fluorouracil ; FAC : 5-fluorouracil-
adriamycine-cyclophosphamide ; FEC : 5-fluorouracil-épirubicine-cyclophosphamide.
1. Jemal A, Bray F, Center MM,
Ferlay J, Ward E, Forman D. Global
cancer statistics. CA Cancer J Clin
2011;61:69-90.
2. Guérin S, Hill C. L’épidémiologie
des cancers en France en 2010 :
comparaison aux États-Unis. Bull
Cancer 2010;97:47-54.
3. Azim HA Jr, Santoro L, Pavlidis N
et al. Safety of pregnancy following
breast cancer diagnosis: a meta-
analysis of 14 studies. Eur J Cancer
2011;94:142-6.
4. Dalberg K, Eriksson J, Holm-
berg L. Birth outcome in women
with previously treated breast
cancer-a population-based cohort
study from Sweden. PLoS Med
2006;3:e336.
5. Padmanabhan N, Wang DY,
Moore JW, Rubens RD. Ovarian
function and adjuvant chemothe-
rapy for early breast cancer. Eur J
Cancer Clin Oncol 1987;23:745-8.
6. Ludwig Breast Cancer Study
Group. A randomized trial of
adjuvant combination chemothe-
rapy with or without prednisone
in premenopausal breast cancer
patients with metastases in one to
three axillary lymph nodes. Cancer
Res 1985;45:4454-9.
7. Berliere M, Dalenc F, Malin-
gret N et al. Incidence of rever-
sible amenorrhea in women with
breast cancer undergoing adjuvant
anthracycline-based chemothe-
rapy with or without docetaxel.
BMC Cancer 2008;8:56.
8. Gadducci A, Cosio S, Genaz-
zani AR. Ovarian function and
childbearing issues in breast cancer
survivors. Gynecol Endocrinol
2007;23:625-31.
Références
bibliographiques