Risques organiques Partie I dossier thématique Complications✓neurologiques✓centrales✓ des✓chimiothérapies✓chez✓des✓patients✓ souffrant✓d’hémopathies✓malignes y Central nervous system complications in patients undergoing chemotherapy for hematologic malignancy F. Bompaire*, D. Psimaras1**, H. Taillia*, J.V. Malfuson***, J.L. Renard*, D. Ricard1* neurologiques aiguës et tardives. Certains tableaux comme les encéphalopathies aiguës et l’encéphalopathie postérieure réversible sont de mieux en mieux décrits, et des hypothèses physiopathologiques se développent. Ces toxicités sont également décrites chez les patients greffés, mais l’imputabilité des produits est difficile à mettre en évidence chez ces patients du fait des polychimiothérapies intensives qui leur sont administrées. Il est cependant démontré que le méthotrexate et l’ifosfamide sont le plus souvent à l’origine d’encéphalopathies aiguës. De même, le méthotrexate et la L-asparaginase sont les principaux agents à l’origine de complications vasculaires. Avec l’augmentation de l’espérance de vie des patients et l’utilisation de protocoles de plus en plus intensifs, de nouveaux profils de toxicité sur le mode d’atteinte cognitive parfois insidieuse apparaissent. Le diagnostic, la prévention et le traitement (lorsqu’il existe) de ces pathologies sont un enjeu important à l’heure actuelle, dans une optique de qualité de vie du patient et de reprise d’une vie sociale et professionnelle à l’issue du traitement du cancer. Mots-clés✓:✓Chimiothérapie✓–✓Encéphalopathie✓postérieure✓réversible✓ –✓Leucopathie✓–✓Méthotrexate. Summary RÉSUMÉ » Les chimiothérapies sont des pourvoyeuses connues de toxicités Chemotherapies are known to induce early and delayed neurological toxicities. Acute encephalopathies and posterior reversible encephalopathy are better known and described, physiopathological hypothesis are beginning to develop. In patient treated with allogenic stem cell transplantation, it is difficult to understand what drug is causing the symptoms. Methotrexate and ifosfamide are responsible for acute encephalopathies. L-asparaginase and methotrexate induce cerebrovascular complications. As life expectancy increases and more and more aggressive protocols are used, new toxicity profiles are emerging with insidious cognitive impairment. Diagnosis, prevention, and treatment (when existing) of these pathologies are expected at this time in order to allow a good quality-of-life with social and professional life after their cancer is cured. Keywords: Chemotherapy – Posterior reversible encephalopathy – Leukopathy – Methotrexate. Coordinateurs du groupe OncoNeuroTox (oncologieneurologie-toxicité@psl. aphp.fr) * Service de neurologie, hôpital d’instruction des armées du Val-de-Grâce, Paris. ** Service de neurologie Mazarin, hôpital de la PitiéSalpêtrière, Paris. *** Service d’hématologie, hôpital d’instruction des armées Percy, Clamart. 1 L es complications neurologiques des chimiothérapies sont fréquentes et connues des hématologues, pour les protocoles intensifs et avec chimiothérapies à haute dose. Elles existent aussi pour les doses moindres, posant alors le problème de la sensibilité interindividuelle. Schématiquement, on distingue les complications aiguës survenant pendant la chimiothérapie ou dans les 3 mois qui suivent le traitement, et les complications retardées, qui surviennent au-delà de 6 mois après la fin du traitement. Complications aiguës Les complications aiguës les plus fréquentes sont les encéphalopathies (EP) aiguës, l’encéphalopathie postérieure réversible (EPR), les atteintes cérébelleuses, les accidents vasculaires cérébraux (AVC) et les myélites. Encéphalopathies✓aiguës✓diff✓uses Définie par des troubles de la conscience de sévérité variable, souvent fluctuants, et pouvant s’associer à des Correspondances en Onco-hématologie - Vol. V - n° 4 - octobre-novembre-décembre 2010 191 Risques organiques Partie I dossier thématique signes neurologiques focaux (déficit sensitif ou moteur) ou à des épisodes convulsifs et une céphalée, l’EP aiguë a été principalement décrite chez des patients recevant du méthotrexate (MTX) et de l’ifosfamide, mais aussi chez des sujets traités par fludarabine, vincristine ou aracytine liposomale, ou encore chez des patients greffés. Cette EP survient généralement dans les heures ou les jours qui suivent la perfusion du produit incriminé. Elle peut engager le pronostic vital mais peut aussi régresser en quelques jours, après éviction de l’agent causal. Encéphalopathies associées au méthotrexate Le MTX est responsable d’EP aiguës diffuses, décrites principalement chez des enfants (1), soit 0,8 à 3 % des patients (1-3), et apparaissant dès l’administration de faibles doses, mais avec cependant un caractère dosedépendant. L’EP aiguë au MTX survient dans les 6 heures à 14 jours après la dernière injection (3, 4). Elle peut aussi survenir après injection de MTX par voie veineuse (i.v.) ou intrathécale (IT). La toxicité IT survient surtout en association : ✓✓ soit avec du MTX par voie i.v. à fortes doses (injection IT trop proche de l’injection i.v. ou sauvetage à l’acide folinique inadapté, contexte d’insuffisance rénale) [5] ; ✓✓ soit avec des injections IT d’aracytine (5). L’IRM, réalisée précocement, est le plus souvent normale, mais peut montrer des modifications de signal aspécifiques (6), uni- ou bilatérales, dans la substance blanche (centres semi-ovales et corona radiata), dans les noyaux gris centraux et dans le tronc cérébral (1). Si la première IRM est normale, un contrôle ultérieur n’apparaît utile qu’en cas d’aggravation clinique. Il n’y a pas de réhaussement au gadolinium (1). L’IRM peut se normaliser à distance, entre 5 jours et 3 mois après l’apparition des signes cliniques (7, 8), ce qui distingue ces lésions des lésions ischémiques. Dans certains cas, des hypersignaux T2 FLAIR persistent cependant 6 mois après l’épisode (1, 3). La physiopathologie n’est pas connue. La toxicité du MTX serait favorisée par des mutations de la méthylène-tétrahydrofolate réductase (MTHFR) [9] et par des variations du taux de folates et l’élévation du taux d’homocystéine plasmatique au moment du traitement (10). Néanmoins, ce point reste débattu ; la plupart des accidents sont décrits chez des patients sans polymorphisme connu et, à ce jour, aucun groupe coopératif ne prévoit d’adapter la prescription du MTX aux polymorphismes de MTHFR. L’évolution fluctuante et la disparition progressive des symptômes pourraient évoquer une dépolarisation neuronale. Des taux élevés d’adénosine, qui entraînent une vasodilatation cérébrale et la modification de la libération de neurotransmetteurs 192 ont été mesurés dans le liquide céphalo-rachidien (LCR) de patients traités par MTX. L’évolution de l’EP liée au MTX peut être spontanément favorable dès 2 à 5 jours. Divers traitements ont été essayés (aminophylline, immunoglobulines i.v., acide folinique…), mais le caractère généralement spontanément résolutif de cette EP aiguë ne permet pas de conclure à leur efficacité (3). Des séquelles sont possibles, y compris chez l’enfant (2, 5), ce qui incite à la prudence quant à une éventuelle réadministration. Afin d’éviter l’EP lors de l’utilisation de fortes doses de MTX, il est conseillé d’assurer : le suivi de la méthotrexatémie, le sauvetage à l’aide de l’acide folinique, l’hyperhydratation alcaline pendant les injections, et une surveillance rapprochée du pH urinaire jusqu’à la clairance de la molécule (11). Le taux de récidive d’EP aiguë au MTX est évalué entre 10 et 56 % (1). Il est recommandé d’interrompre définitivement le traitement afin d’éviter tout déficit neurologique constitué (3). L’introduction du MTX, en particulier en IT, peut parfois se compliquer de symptômes neurologiques focaux de survenue brutale (3). L’IRM cérébrale montre des images pathologiques de la substance blanche avec une diminution importante du coefficient apparent de diffusion. Le caractère brutal de la symptomatologie et les caractéristiques IRM ont inspiré son nom à cette entité de leucoencéphalopathie de présentation pseudovasculaire : delayed leucoencephalopathy with stroke-like presentation (DLEPS). Ce syndrome a aussi été décrit après administration de 5-fluorouracile (5-FU) et de ses dérivés. La récupération clinique est généralement complète (3). Dans la publication princeps, 2 patients sur 18 ont récidivé après réintroduction du MTX (3). Encéphalopathies associées à l’ifosfamide L’ifosfamide peut induire des EP dans 5 à 10 % des cas (12). Des facteurs de risque ont été identifiés : l’âge élevé, une radiothérapie du système nerveux central (SNC), la dose cumulée d’ifosfamide, l’administration antérieure de cisplatine, l’utilisation en polychimiothérapie, l’hypoalbuminémie. Cette EP se manifeste par un syndrome confusionnel qui peut parfois évoluer vers un coma associé à des crises d’épilepsie. Ce tableau d’EP est parfois accompagné d’autres défaillances d’organes comme une insuffisance rénale et une acidose métabolique (13). L’IRM cérébrale est normale. L’EP survient dans les 2 jours après le début des injections. Elle est le plus souvent réversible en moins de 15 jours. Sa prévention repose sur le fractionnement de la dose d’ifosfamide sur 5 jours et son adaptation à la fonction rénale et à l’albuminémie. Correspondances en Onco-hématologie - Vol. V - n° 4 - octobre-novembre-décembre 2010 Complications neurologiques centrales des chimiothérapies chez des patients souff rant d’hémopathies malignes Le traitement de référence consiste à arrêter l’ifosfamide dès le diagnostic clinique d’EP et à injecter du bleu de méthylène (50 mg toutes les 4 heures) ou de la thiamine par voie i.v. (14) jusqu’à régression de la symptomatologie. La réintroduction de l’ifosfamide n’est pas contreindiquée et doit être réalisée en injection plus lente et sous traitement prophylactique par injection i.v. de bleu de méthylène à la posologie de 50 mg toutes les 6 heures (15). Il s’agit d’une conduite à tenir empirique, car aucune donnée de physiopathologie ne permet de connaître le mécanisme d’action du bleu de méthylène. L’évolution est extrêmement variable : de la guérison complète et sans séquelles au décès du patient (16). (SIADH) associé et des facteurs favorisants : défaut des émonctoires ou potentialisation par les antifongiques azolés. Des injections accidentelles de vincristine par voie IT et par voie intra-ventriculaire ont entraîné des EP aiguës suivies du décès des patients (23). Ces accidents dramatiques ont été favorisés par le conditionnement des chimiothérapies par vincristine et leur association fréquente à des injections IT de chimiothérapie dans les protocoles de lymphomes et de LAL. Malgré toutes les recommandations, ces accidents répétés ont conduit les agences de santé européennes à demander que les injections i.v. de vincristine et les injections IT soient planifiées à des jours différents. Encéphalopathies associées aux analogues des purines • Fludarabine Dès 1986, un tableau associant cécité corticale et EP était constaté après traitement par fludarabine, même à dose conventionnelle (17). On connaît peu l’incidence des complications neurologiques avec la fludarabine. Dans le contexte d’une allogreffe, la fréquence de survenue d’EP après traitement par fludarabine est de 2,4 % (18). Cette EP serait de mauvais pronostic (survie moyenne de 66 jours). Dans le cadre des EP aiguës, l’IRM montre des anomalies de la substance blanche diffuse (17, 18). • Aracytine liposomale L’aracytine liposomale est administrée par voie IT. Son conditionnement permet un contact prolongé du produit avec le SNC (14 jours). Des céphalées, des crises d’épilepsie et des états confusionnels post-injection ont été rapportés (16 % des patients). L’association à la dexaméthasone en prévention de l’arachnoïdite médullaire doit être systématique. Une ponction lombaire traumatique pourrait favoriser cette toxicité neurologique (24). • Nélarabine La nélarabine, utilisée dans les leucémies aiguës lymphoblastiques (LAL) T réfractaires ou en deuxième rechute, peut entraîner des symptômes neurologiques centraux (convulsions, troubles de la vigilance et céphalées) ou périphériques fréquents (jusqu’à 38 % des cas), avec une toxicité neurologique dose-limitante (19). Il n’y a pas d’anomalie spécifique en imagerie. • Clofarabine La clofarabine ne semble pas avoir de toxicité neurologique centrale (20). • Busulfan Cet alkylant, lipophile, est utilisé à forte dose dans le conditionnement de greffe et est à l’origine de crises convulsives. En prévention, tous les patients recevant du busulfan sont mis sous benzodiazépines (clonazépam) pendant le conditionnement (21). • Vincristine La vincristine administrée par voie i.v. peut entraîner des EP aiguës (22). Il faut alors rechercher un syndrome de sécrétion inappropriée d’hormone antidiurétique Encéphalopathies et allogreffe Chez les patients immunodéprimés et conditionnés par de nombreuses molécules, il est délicat, d’après la littérature actuelle, de mettre en cause un produit précis ou même une association (plus souvent retrouvée). Selon la littérature (25), la transplantation de cellules souches ou de moelle osseuse, après un conditionnement associant des drogues neurotoxiques et une importante immunosuppression, entraîne une toxicité neurologique centrale chez 39 % des patients. Les troubles neurologiques décrits sont très nombreux (EP, crises d’épilepsie, troubles psychiatriques, hémorragies cérébrales) et leur évolution est variable. Cependant, ces complications surviennent principalement chez des patients ayant une atteinte initiale d’un organe noble (poumons le plus souvent). La conduite à tenir en cas d’apparition de symptômes neurologiques centraux chez un patient greffé médullaire doit permettre d’écarter les diagnostics différentiels curables (EPR ou infectieux ++) et consiste à interrompre les produits les plus neurotoxiques ou ceux dont l’imputabilité paraît la plus forte. Encéphalopathie✓postérieure✓aiguë✓réversible L’EPR est une forme d’EP aiguë hypertensive, qui peut être observée lors de pics tensionnels, lors d’une éclampsie ou lors de l’utilisation de certains immunosuppresseurs ou antimitotiques. Elle peut cependant Correspondances en Onco-hématologie - Vol. V - n° 4 - octobre-novembre-décembre 2010 193 Risques organiques Partie I dossier thématique Figure. Encéphalopathie postérieure réversible chimio-induite. Patiente âgée de 20 ans ayant présenté une crise convulsive dans les jours qui ont suivi une cure de ciclosporine pour une aplasie médullaire idiopathique. Il existe un hypersignal FLAIR dans la partie postérieure du cerveau associé à une prise de contraste dans la même région à l’IRM cérébrale. Régression complète des symptômes et des anomalies IRM après arrêt de la ciclosporine. apparaître en dehors d’une hypertension artérielle constatée. Sa définition est clinico-radiologique. La symptomatologie associe : céphalées, troubles visuels (parfois cécité corticale, en règle générale réversible), crises d’épilepsie ou confusion. La présence de signes neurologiques en foyer doit faire rechercher d’autres diagnostics (en priorité vasculaires). L’EPR survient dans le mois suivant le traitement incriminé. La liste des produits en cause s’allonge régulièrement (26). En dehors des corticothérapies prolongées et à fortes doses (LAL), pendant lesquelles ces accidents sont décrits régulièrement, les polychimiothérapies de type CHOP (doxorubicine + cyclophosphamide + prednisone + vincristine), l’aracytine, le MTX ou les thérapies ciblées (anticorps monoclonaux ou inhibiteurs de tyrosine kinase) sont régulièrement incriminés. L’IRM cérébrale retrouve des anomalies de signal dès les 72 premières heures (figure) [27], bilatérales et non nécessairement symétriques (28). Le plus souvent, on observe un hypersignal T2 FLAIR dans les régions pariétooccipitales avec prise de contraste nodulaire en T1 injecté. L’hyposignal en diffusion et l’élévation du coefficient apparent de diffusion (ADC) traduisent l’œdème vasogénique. Parfois, les lésions peuvent être étendues dans tous les lobes, dans le tronc cérébral et dans les ganglions de la base (thalamus et noyau caudé). La physiopathologie de cette affection est inconnue ; il existe trois hypothèses principales (29) : ✓✓ une hypertension artérielle sévère qui dépasse les limites d’autorégulation cérébrale avec constitution 194 d’un œdème vasogénique dans le cadre d’une hyperperfusion cérébrale ; ✓✓ une vasoconstriction cérébrale avec hypoperfusion cérébrale et œdème cérébral secondaire (vasogénique et cytotoxique) secondaire à une hypertension artérielle ; ✓✓ une augmentation de la perméabilité de la barrière hémato-encéphalique. Des observations récentes décrivent l’association possible avec une hypomagnésémie (29), qui serait le facteur déclenchant de l’EPR, notamment lorsque cette dernière est associée à l’éclampsie ou aux immunosuppresseurs. La prise en charge repose sur l’arrêt du produit incriminé et le contrôle rapide et efficace de l’hypertension artérielle. En cas d’activité épileptique, les antiépileptiques doivent être rapidement introduits. La durée totale du traitement antiépileptique n’est pas bien définie ; elle est discutée au cas par cas. L’évolution est le plus souvent favorable après arrêt de l’agent causal, avec récupération clinique complète en quelques jours (7 jours en moyenne). L’IRM se normalise dans 72 % des cas (41 jours en moyenne) [30]. Chez les patients ayant présenté des crises d’épilepsie, la normalisation de l’imagerie n’entraîne pas toujours la disparition concomitante des crises (27). En théorie, la réintroduction, en injection lente, du produit incriminé peut être envisagée si celui-ci ne peut pas être remplacé du fait de son efficacité hématologique. Il faut alors assurer un contrôle tensionnel optimal. Il s’agit d’une affection survenant le plus souvent avec les polychimiothérapies. On conseille alors de favoriser la monothérapie pour éviter la récidive. On observe quelques récidives (entre 3,8 % et 8 %), même après plusieurs années, de pronostic non défavorable (31). Syndromes✓cérébelleux Des atteintes cérébelleuses toxiques ont été décrites en début d’utilisation de l’aracytine à haute dose, utilisée en induction et en consolidation de leucémies aiguës myéloblastiques (32). Ce syndrome cérébelleux peut être statique ou cinétique. Il associe ataxie, nystagmus, dysarthrie, troubles de la coordination, vision floue, dysmétrie. Il peut apparaître jusqu’à 1 mois après la cure. On le retrouve plus rarement chez les patients traités par aracytine à dose standard. L’IRM cérébrale est le plus souvent normale ; quelques rares hypersignaux T2 cérébelleux diffus et des hyposignaux T1 sont décrits, mais il n’y a pas de rehaussement au gadolinium. L’apparition d’un syndrome cérébelleux doit fair e éliminer de principe une pathologie vasculaire, une localisation secondaire, ou un syndrome Correspondances en Onco-hématologie - Vol. V - n° 4 - octobre-novembre-décembre 2010 Complications neurologiques centrales des chimiothérapies chez des patients souff rant d’hémopathies malignes paranéoplasique s’intégrant dans le cadre d’une dégénérescence cérébelleuse ou d’une encéphalomyélonévrite (anticorps anti-Yo, anti-Hu, anti-amphiphysine, anti-CV2) [33], mais la concordance de temps permet généralement de rattacher les symptômes à la chimiothérapie. D’autres diagnostics différentiels comme le syndrome de Gayet-Wernicke ou une invasion tumorale de la fosse postérieure peuvent être discutés. À ce jour, aucune donnée ne permet d’envisager de mécanisme physiopathologique. Certains facteurs de risque sont connus et leur maîtrise permet de diminuer la fréquence de ces accidents sévères : âge supérieur à 60 ans, insuffisance rénale, cholestase. L’adaptation des doses est nécessaire chez ces patients à risque. On ne dépasse généralement pas 1 g/m² par injection chez les patients de plus de 60 ans. Le débit de perfusion est également incriminé ; la plupart des groupes coopératifs utilisent un temps de passage de 3 heures pour les bolus (1 à 3 g/m²) d’aracytine. La récupération n’est pas systématique ; elle peut comporter une phase de plateau de quelques mois avec récupération lente. Parmi les traitements essayés, les techniques de fl ushing-out semblent être efficaces dans des observations de cas isolés (34, 35). En cas de traitement à haute dose, le syndrome cérébelleux peut être régressif en diminuant la dose à 2 g/m². AVC✓et✓pseudo-AVC Le principal pourvoyeur d’AVC est la L-asparaginase (environ 0,2 % à 5 % des patients) [36, 37]. Cette molécule est responsable d’accidents thrombotiques (essentiellement veineux) et d’hémorragies, en particulier dans les territoires cérébraux. La présentation la plus classique est celle de la thrombophlébite du sinus longitudinal supérieur. Après une période durant laquelle le patient se plaint de céphalées (typiquement céphalées maximales au réveil, à distinguer des céphalées liées à un éventuel syndrome post-ponction lombaire), un accident aigu à type de convulsion (état de mal convulsif possible) ou d’AVC survient. Le traitement repose sur une anticoagulation efficace, difficile à obtenir compte tenu du fréquent déficit en antithrombine III induit par l’asparaginase. L’association héparine et antithrombine humaine (Aclotine®) est néanmoins contre-indiquée. Une anticoagulation insuffisante peut s’associer à une extension de la thrombose et augmenter le risque hémorragique (hyperpression). Ces accidents sont secondaires à la réduction de synthèse des facteurs de coagulation corrélée à l’efficacité de la déplétion en asparagine et sont donc le pendant de son efficacité (38). Les principaux facteurs favorisants sont : des injections répétées pendant plus de 9 jours, l’association aux corticoïdes et aux anthracyclines, l’existence d’une thrombophilie (37) et probablement les chimiothérapies IT. L’IRM cérébrale est, par définition, anormale (hypersignal en diffusion avec baisse du coefficient apparent de diffusion en cas d’accident artériel à la phase initiale, suivi d’un hypersignal T2 FLAIR). Leur prévention repose sur des mesures imparfaitement validées et encore débattues (39). Chez deux tiers des patients sous L-asparaginase, la récupération est rapide et spontanée, avec cependant une mortalité pouvant atteindre 10 % (plus élevée dans les lésions hémorragiques) [36]. La reprise de la L-asparaginase n’est pas formellement contre-indiquée ; l’importance majeure de cet agent dans le traitement de certaines hémopathies (LAL en particulier) doit en effet faire rediscuter sa réintroduction, d’autant plus que ces accidents sont surtout décrits à l’induction, cure pendant laquelle s’associent une thrombophilie maximale (liée à la maladie elle-même) et les schémas les plus intensifs. Un traitement préventif par héparine de bas poids moléculaire (HBPM) sera alors discuté. Les autres produits incriminés sont le MTX, la cisplatine, la bléomycine, la vincristine et l’adriamycine (36). L’association L-asparaginase et MTX semblerait potentialiser le risque de complications ischémiques artérielles (incidence atteignant 10 %) [36]. Les anti-VEGF peuvent aussi entraîner des événements ischémiques et hémorragiques cérébraux (40). Dans la pratique, les patients sont souvent asymptomatiques sur le plan neurologique et il n’est pas nécessaire d’interrompre le traitement. Dans tous les cas, cette complication nécessite une exploration cardio-vasculaire complète en milieu spécialisé. Aucun facteur de susceptibilité n’a été mis en évidence à ce jour. Myélites Les produits le plus régulièrement incriminés dans les myélites sont le MTX et la cytarabine (41) injectés par voie IT. Le risque est majoré lorsqu’ils sont associés, notamment lors des ponctions lombaires triples avec corticoïdes (42). La prise en charge de cette atteinte est traitée dans l’article rédigé par P. Landrieu dans ce même numéro (p. 180). Complications retardées Ces complications, rares en l’absence de radiothérapie associée, surviennent à distance de la chimiothérapie, au-delà de 6 mois. Elles sont redoutables, car souvent irréversibles. Correspondances en Onco-hématologie - Vol. V - n° 4 - octobre-novembre-décembre 2010 >>> 195 Risques organiques Partie I dossier thématique >>> Troubles✓cognitifs Des cas de démence sous-cortico-frontale ont été rapportés chez jusqu’à 10 % des patients traités pour lymphome cérébral non hodgkinien (détérioration de l’attention, des fonctions exécutives, de la mémoire, des fluences verbales, et de la vitesse psychomotrice). Le risque est considérablement accru lorsque la chimiothérapie est combinée à la radiothérapie cérébrale, comme c’est le cas dans le traitement des lymphomes cérébraux (43). Cependant, la méthodologie utilisée dans la plupart des études ne permet pas de discriminer l’atteinte cognitive liée à la chimiothérapie et l’atteinte cognitive liée à la tumeur. L’incidence des troubles cognitifs chimio-induits reste non déterminée (44). De plus, les anomalies IRM comme la dilatation ventriculaire, l’atrophie corticale ou les anomalies de la substance blanche ne sont pas toujours corrélées à l’atteinte cognitive. Il n’existe pas de traitement pour les troubles cognitifs chimio-induits et, à ce jour, aucune étude n’a testé les molécules à visée prophylactique. La thérapie cognitivo-comportementale pourrait apporter une amélioration ; des essais sont en cours avec le modafinil et le methylphénidate (26). Les anticholinestérasiques pourraient présenter un intérêt. La mise à disposition de traitements préventifs ou curatifs permettra à terme d’améliorer la qualité de vie des patients. Leucoencéphalopathie La leucoencéphalopathie désigne une atteinte de la substance blanche de l’encéphale caractérisée par un hypersignal T2 FLAIR à l’IRM. Elle débute généralement en regard des cornes frontales et temporales des ventricules latéraux. Elle se développe sur tout leur pourtour et s’étend le long du système ventriculaire jusque dans le tronc cérébral. La leucoencéphalopathie diffuse évolue à terme vers l’atrophie cérébrale avec dilatation ventriculaire. Les patients présentent des signes d’atteinte sous-corticale évoluant à terme vers une démence sous-corticale. Dans les formes les plus évoluées, ils peuvent présenter des troubles sphinctériens et des troubles de la marche (26). Parfois, les symptômes apparaissent tardivement (plusieurs mois) après l’installation de la leucoencéphalopathie. Certains patients présentent une atteinte cognitive évoluée en rapport avec une atteinte très modérée de la substance blanche. C’est pourquoi la leucoencéphalopathie doit être distinguée de l’atteinte cognitive. Traditionnellement imputée à l’irradiation encéphalique, cette complication conduit à développer des protocoles de traitement à base de chimiothérapie incluant du MTX à haute dose chez les patients traités 198 pour un lymphome cérébral primitif. Cependant, le MTX administré par voie i.v. et/ou IT peut entraîner, après 6 mois, une leucoencéphalopathie diffuse d’installation progressive. La leucoencéphalopathie aura la même présentation, que le patient ait reçu l’association radio-chimiothérapie ou un seul des deux traitements. Cependant, l’incidence et la sévérité augmentent si les deux traitements sont associés (26). L’administration de MTX à haute dose après une irradiation cérébrale doit être très prudente, car la pharmacocinétique intracérébrale du MTX est modifiée par l’irradiation. Chez les patients atteints d’un lymphome primitif du SNC et traités par radio-chimiothérapie, la leucoencéphalopathie surviendrait davantage chez les sujets de plus de 60 ans (62 %) [45]. Son incidence est plus faible si l’on considère la population tous âges confondus (13 %) [26]. Une leucoencéphalopathie nécrosante associant démence sous-corticale, ataxie, syndrome pyramidal et syndrome extrapyramidal a été rapportée chez 24 % des patients traités par MTX à haute dose et irradiation panencéphalique pour un lymphome primitif du SNC. Le scanner cérébral montre des calcifications et l’IRM, des anomalies de la substance blanche qui évoluent en plages confluentes, pouvant mimer une progression tumorale (46). L’évolution est souvent fatale. Aujourd’hui, la radiothérapie est abandonnée chez les sujets âgés en raison de sa trop grande toxicité ; certains auteurs proposent de diminuer la dose de radiothérapie ou de la décaler pour les patients de plus de 60 ans. Chez le sujet jeune, des essais de chimiothérapie à haute dose pénétrant le SNC sont en cours, dans l’objectif de se passer à terme de la radiothérapie. Chez les patients qui ont déjà eu une radiothérapie encéphalique, le MTX à haute dose doit être considéré comme contre-indiqué. Chez les patients en rémission complète après chimiothérapie seule, la réduction des doses de radiothérapie panencéphalique permettrait un profil de neurotoxicité correct (47). Conclusion Les complications du SNC dans les chimiothérapies utilisées en hématologie restent généralement peu fréquentes, en dehors des protocoles à base de radiothérapie et/ou de MTX. Leurs expressions sont variées, le plus souvent aspécifiques. Quelques tableaux spécifiques décrits récemment sont associés à certaines molécules. Ces complications engagent toujours le pronostic fonctionnel cérébral et, parfois, le pronostic vital ; elles peuvent par Correspondances en Onco-hématologie - Vol. V - n° 4 - octobre-novembre-décembre 2010 Complications neurologiques centrales des chimiothérapies chez des patients souff rant d’hémopathies malignes ailleurs compromettre les chances de guérison de la maladie maligne sous-jacente en faisant exclure certains médicaments ou approches thérapeutiques. En pratique, un examen neurologique rapide permet de localiser l’atteinte neurologique à la moelle épinière, au tronc cérébral ou à l’encéphale. Une IRM de la zone présumée lésée est alors nécessaire et apporte généralement l’explication du trouble. L’intérêt de l’étude du LCR et des examens biologiques se limite à écarter les diagnostics différentiels. La compréhension des mécanismes reste nécessaire pour le développement de thérapeutiques étiologiques et pour la mise en place de mesures préventives. La réintroduction de l’agent causal est toujours très délicate mais reste envisageable, en particulier dans les EPR. Une meilleure prise en compte de la toxicité des traitements des hémopathies malignes sur le SNC va permettre la mise en place de protocoles plus sûrs. ■ Références 1. Inaba H, Khan RB, Laningham FH et al. Clinical and radiological characteristics of methotrexate-induced acute encephalopathy in pediatric patients with cancer. Ann Oncol 2008;19:178-84. 2. Rubnitz JE, Relling MV. Transient encephalopathy following high-dose methotrexate treatment in childhood acute lymphoblastic leukemia. Leukemia 1998;12:1176-81. 3. Baehring JM, Fulbright RK. Delayed leukoencephalopathy with stroke-like presentation in chemotherapy recipients. J Neurol Neurosurg Psychiatry 2008;79:535-9. 4. Yim YS, Mahoney DH, Oshman DG. Hemiparesis and ischemic changes of the white matter after intrathecal therapy for children with acute lymphocytic leukemia. Cancer 1991;67:2058-61. 5. 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