Le phéochromocytome en 2006 Pheochromocytoma 2006 L a revue Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition vous propose un dossier thématique consacré à une tumeur de la médullosurrénale bien connue des endocrinologues et des hypertensiologues, le phéochromocytome. Ce choix éditorial est justifié par les progrès réalisés par la recherche ces cinq dernières années, dans la compréhension des mécanismes génétiques en cause dans le déterminisme du phéochromocytome. Ces avancées ont rapidement fait l’objet d’un transfert de la recherche fondamentale vers la recherche clinique, puis ont été intégrées dans la stratégie diagnostique quotidienne du phéochromocytome. Comme souvent dans les maladies endocriniennes, la recherche en génétique, à travers l’étude d’une maladie rare, le paragangliome héréditaire, a livré de nouvelles clés qui ont significativement amélioré la prise en charge des patients atteints de phéochromocytome. Le paragangliome héréditaire est une forme de prédisposition génétique au cancer se manifestant par des tumeurs du glomus carotidien, auparavant appelées chémodectomes. Son mode particulier de transmission (autosomique dominant soumis à empreinte génomique maternelle) avait été décrit grâce à l’observation de grandes familles hollandaises dont quelques sujets présentaient aussi des phéochromocytomes. En février 2000, une publication dans la revue Science rapportait l’identification des premières mutations sur le gène SDHD, aboutissement d’une longue aventure d’analyse de liaison et de clonage positionnel menée par B. Baysal (1) au sein de familles américaines et hollandaises. De façon inattendue, le gène SDHD codait pour une des quatre sous-unités du complexe II mitochondrial, ou succinate déshydrogénase, enzyme clé du cycle de Krebs et de la chaîne respiratoire mitochondriale. Par une stratégie classique de gènes candidats, des mutations sur les gènes codant pour deux autres sous-unités protéiques du complexe II mitochondrial, SDHB et SDHC, ont ensuite été rapidement identifiées. L’identification des gènes du paragangliome héréditaire a eu des répercussions importantes pour les patients atteints de phéochromocytomes, car des mutations des gènes SDHD et SDHB ont ensuite été rapportées chez des patients présentant une forme familiale de phéochromocytome, mais aussi chez des patients atteints d’un phéochromocytome d’apparence sporadique. Cinq ans après l’identification des gènes du paragangliome héréditaire, les changements apportés par cette découverte dans la stratégie diagnostique du phéochromocytome ont été rapides et profonds. • La nomenclature a été modifiée puisque, désormais, on appelle l’ancien phéochromocytome “ectopique” classiquement développé en dehors de la glande surrénale aux dépens des ganglions sympathiques “paragangliome fonctionnel” ou “sécrétant”. Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition (X), n° 2, mars/avril 2006 47 • La classique règle des 10 % (10 % de phéochromocytomes héréditaires, 10 % de phéochromocytomes extrasurrénaux et 10 % de phéochromocytomes malins) a été révisée puisque, en fait, un quart (25 %) des phéochromocytomes sont génétiquement déterminés. • Il est maintenant établi que l’identification d’une mutation constitutionnelle SDHB est un facteur pronostique de récidive et de malignité, ce qui constitue une importante avancée pour cette tumeur dont le caractère malin ne pouvait jusqu’alors être diagnostiqué qu’à l’apparition de la première métastase. La recherche d’une mutation sur le gène SDHB est donc fondamentale pour le pronostic du phéochromocytome et la surveillance du patient atteint. • Il est désormais acquis que tout patient porteur d’un phéochromocytome, quels que soient son âge et son type de tumeur, doit bénéficier d’une enquête génétique au sein d’une consultation multidisciplinaire spécialisée et se voir proposer un test génétique. La prise en charge d’un patient atteint d’une forme héréditaire, et de sa famille, sera ensuite guidée par le type de pathologie (paragangliome héréditaire, néoplasie endocrinienne multiple de type II, maladie de von Hippel-Lindau, neurofibromatose de type I) dont il est atteint. Ce numéro de Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition, à travers deux articles écrits par les équipes de l’hôpital européen Georges-Pompidou qui développent les aspects actuels épidémiologiques, diagnostiques et génétiques du phéochromocytome, vous apportera, nous l’espérons, de nouveaux éléments utiles pour la prise en charge de vos patients. La prise en charge thérapeutique du phéochromocytome, dont vous lirez une description détaillée rédigée par Philippe Grise et Youssef Daoudi, reste chirurgicale. Il est possible que, dans les prochaines années, grâce aux efforts de recherche menés par de nombreuses équipes internationales pour, notamment, élucider les mécanismes moléculaires liant mitochondrie et tumorigenèse, de nouvelles voies thérapeutiques, voire préventives, apparaissent. Le transfert en routine du dosage de nouveaux marqueurs biologiques du phéochromocytome – comme l’EM66, dérivé des granines, développé par l’équipe rouennaise de Laurent Yon et Youssef Anouar – pourrait s’avérer extrêmement utile, notamment pour le suivi des patients à risque de récurrence et des sujets asymptomatiques mais reconnus comme étant à risque de développer la maladie par un test génétique familial présymptomatique positif. En conclusion, ce numéro de Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition, publié en 2006, est une étape résumant les connaissances sur cette tumeur, cause classique, rare et curable d’hypertension artérielle, qui nécessitera probablement une réactualisation dans les cinq prochaines années. A.P. Gimenez-Roqueplo Département de génétique, hôpital européen Georges-Pompidou ; université Paris-Descartes, faculté de médecine ; INSERM U772 ; Collège de France, Paris. Référence 1. Baysal BE, Ferrell RE. Sciences 2000;287:848-51. 48 Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition (X), n° 2, mars/avril 2006