La Lettre du Cardiologue - n° 293 - avril 1998
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ÉDITORIAL
a démonstration de l’effet bénéfique des inhibiteurs de
l’enzyme de conversion sur l’insuffisance cardiaque à
fonction systolique altérée a été apportée par de très
nombreux essais de grande envergure portant sur l’insuffisance
cardiaque sévère (CONSENSUS I), l’insuffisance cardiaque
modérée à moyenne (études SOLVD et V-HEFT II), ainsi que sur
la dysfonction ventriculaire gauche post-infarctus (étude SAVE)
ou les infarctus compliqués de symptômes d’insuffi-
sance cardiaque (étude AIRE et TRACE). Ce
faisceau convergent de preuves fait que les
inhibiteurs de l’enzyme de conversion sont
considérés comme la pierre angulaire du
traitement de l’insuffisance cardiaque
à l’heure actuelle. Néanmoins, des
incertitudes persistent sur la posolo-
gie à utiliser dans ce syndrome.
Àune époque marquée par la méde-
cine fondée sur les preuves (evidence
based medicine), la logique voudrait
que l’on utilise les posologies qui ont
démontré leur efficacité dans les essais
thérapeutiques cités ci-dessus, et donc
de fortes doses, par exemple 20 mg/jour
d’énalapril dans l’étude SOLVD ou 150
mg/jour de captopril dans l’étude SAVE. Force
est de constater, lors d’enquêtes réalisées sur les
prescriptions de pratique clinique, que la posologie utili-
sée en routine est loin d’atteindre ces objectifs. La question est
donc posée de savoir si de faibles doses sont aussi bénéfiques en
termes de mortalité et de morbidité cardiovasculaires que les doses
utilisées dans les grands essais thérapeutiques.
Une seule étude a essayé de répondre à cette question, l’étude
NETWORK. Cette étude n’a pas montré de différences en termes
de décès et d’hospitalisations pour insuffisance cardiaque pour
des doses de 5, 10 et 20 mg d’énalapril, mais il est probable que
la durée d’observation (6 mois) n’était pas suffisante pour per-
mettre de conclure de façon définitive.
L’étude ATLAS, dont les résultats viennent d’être présentés à
l’American College of Cardiology à Atlanta le 30 mars 1998, a
eu pour objectif principal de comparer les effets d’une forte poso-
logie (32,5 à 35 mg) et d’une faible posologie (2,5 à 5 mg) de
lisinopril sur la survie de patients atteints d’insuffisance cardiaque
chronique congestive de classes II, III et IV selon la classifica-
tion NYHA et avec une fraction d’éjection inférieure ou égale à
30 %. Ces patients recevaient un traitement de base par
diurétiques, associés ou non à des digitaliques,
depuis au moins deux mois, et ont été suivis pen-
dant une durée d’observation de 3 à 4,5
années.
Après une phase de présélection et de
tolérance en ouvert, les patients ont été
randomisés pour la dose forte de lisino-
pril (30 mg sur un traitement de base de
2,5 à 5 mg), ou pour le placebo sur un
traitement de base de 2,5 à 5 mg. C’est
donc bien une dose faible et une dose
forte qui ont
été comparées. L’objectif
principal était la mortalité toutes causes
confondues. De nombreux objectifs secon-
daires avaient été prédéfinis, incluant la mor-
talité cardiovasculaire, la morbidité cardio-
vasculaire, la combinaison mortalité toutes causes
et morbidité cardiovasculaire ainsi que la combinai-
son mortalité et morbidité cardiovasculaires.
LES RÉSULTATS
L’étude ATLAS a randomisé 3 164 patients, en majorité des
hommes (79 %), de classes II, III et IV de la NYHA (16/77/7 %)
dont l’âge moyen était de 64 ans. Près des deux tiers des malades
étaient porteurs d’une cardiopathie ischémique. Environ 90 %
avaient reçu au préalable un inhibiteur de l’enzyme de conver-
sion. Environ 11 % des patients ont été exclus durant la période
ouverte de traitement par IEC, dont 5,2 % pour effets indésirables.
Au cours du suivi moyen de 46 mois, la posologie utilisée dans
l’étude, initialement 32,5 à 35 mg vs 2,5 à 5 mg de lisinopril, a
légèrement diminué dans le groupe “forte
dose” et était, à la fin
de l’essai, d’environ 28 mg/jour.
IEC et insuffisance cardiaque : quelle dose ?
Les leçons de l’étude ATLAS
M. Komajda*
L
* Service cardiologie, CHU Pitié-Salpêtrière, 47-83, bd de l’Hôpital, 75013
Paris.
Éditorial - M. Komajda 6/05/04 12:23 Page 3
Un nombre relativement impor-
tant de patients en outre a reçu
en ouvert un IEC au cours de
l’étude (19 % vs 17,2 % dans les
groupes forte et faible dose). Les
principaux résultats d’ATLAS
sont donnés dans le tableau I et
indiquent notamment une réduc-
tion significative du critère com-
biné décès et mortalité toutes
causes. Par ailleurs, il n’y a pas
eu de différence entre les deux
groupes pour la survenue d’in-
farctus du myocarde et d’hospi-
talisations pour angor instable.
Le nombre d’événements indé-
sirables survenus en cours
d’étude a été dans l’ensemble
voisin, avec davantage d’altéra-
tions de la fonction rénale et de
phénomènes d’hypotension arté-
rielle ou de malaises dans le
groupe “forte posologie”, mais
moins de toux et de poussées
d’insuffisance cardiaque. Le pour-
centage de ces événements secondaires requérant l’arrêt du trai-
tement a été faible, en particulier pour les problèmes tensionnels
(1,1 vs 0,6 %) et l’altération de la fonction rénale (1,3 vs 0,8 %).
La tolérance biologique à forte posologie a été bonne.
Dans les analyses en sous-groupes présentées, les patients les
plus jeunes (< 70 ans), de classe II NYHA, et non hyponatré-
miques semblent tirer le plus de bénéfice de la forte posologie,
alors qu’il n’y a pas de différence en fonction de la valeur de la
fraction d’éjection, du sexe, de l’étiologie de l’insuffisance car-
diaque. L’analyse en sous-groupes à ce stade préliminaire de la
présentation des résultats doit cependant être prudente et mérite
confirmation.
QUELLES CONCLUSIONS EN PRATIQUE ?
ATLAS a été conduit à son terme dans le contexte d’une utilisa-
tion croissante des IEC dans l’insuffisance cardiaque. La réduc-
tion modeste et non significative de mortalité observée entre les
deux doses est peut-être la conséquence de cet environnement
pharmacologique. L’étude montre, en revanche, une réduction
significative de la combinaison d’événements mortels et d’hos-
pitalisations (12 %), de décès ou d’hospitalisations pour insuffi-
sance cardiaque (14 %), et de la survenue d’hospitalisations pour
insuffisance cardiaque (24 %) sous forte posologie. Ces résultats
bénéfiques sont importants et démontrent qu’une forte posologie
de lisinopril améliore significativement la morbidité hospitalière
liée à la maladie par rapport à une faible dose. Il a été ainsi cal-
culé que le traitement de 1 000 patients pendant trois ans pré-
viendrait 395 hospitalisations, dont 234 liées à une insuffisance
cardiaque, permettant ainsi des gains importants en termes d’éco-
nomie de santé.
Il reste beaucoup de données à dépouiller à partir de l’étude
ATLAS, et de nombreuses questions demeurent posées : les
faibles doses sont-elles efficaces ? Les fortes doses sont-elles
supérieures aux doses moyennes ? L’effet observé est-il assimi-
lable aux autres inhibiteurs de l’enzyme de conversion ?
Malgré toutes ces incertitudes qui nécessiteront de nouvelles
études, il paraît raisonnable de conclure en 1998, à partir de l’étude
ATLAS, que les fortes doses de lisinopril sont bien tolérées et
améliorent significativement la morbidité cardiovasculaire, notam-
ment par insuffisance cardiaque évaluée en termes d’hospitalisa-
tions seules ou combinées au décès. C’est un résultat important,
que nous devons donc intégrer dans notre stratégie de prise en
charge de cette fréquente pathologie.
La Lettre du Cardiologue - n° 293 - mai 1998
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ÉDITORIAL
Tableau I.
Principaux
résultats
de l’étude
ATLAS.
Critères de jugement Groupe faible dose Groupe forte dose RR* p
n = 1 596 n = 1 568
Décès toutes causes 717 (44,9 %) 666 (42,5 %) 0,92 NS
Décès cardiovasculaires 641 (40,2 %) 583 (37,2 %) 0,90 NS
Décès ou hospitalisations 1 339 (83,9 %) 1 251 (79,8 %) 0,88 0,002
toutes causes (0,82-0,99)
Décès toutes causes 1 156 (70,1 %) 1 081 (66,9 %) 0,92 0,036
+ hospitalisations cardiovasculaires (0,84-0,90)
Décès toutes causes 964 (60,4 %) 864 (55,1 %) 0,86 0,001
+ hospitalisations pour IC (0,78-0,94)
(non préspécifié)
Hospitalisations pour IC 247 198 0,80 NC**
Fréquence des hospitalisations
Toutes causes 4 397 3 819 0,87 0,021
Cardiovasculaires 2 923 2 456 0,84 0,05
Insuffisance cardiaque 1 576 1 199 0,76 0,002
* RR = risque relatif (forte dose vs faible dose) ; ** NC = non calculé.
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