143
Act. Méd. Int. - Psychiatrie (17) n° 5, mai 2000
Il en va ainsi pour ce qui
concerne le traitement
médicamenteux et psy-
chologique des formes
prodromales ou débu-
tantes (premier épisode)
de schizophrénie, ainsi
que de l’efficacité de
l’adjonction d’acides
gras au traitement des
épisodes aigus de schi-
zophrénie. Dans la même
veine, le Pr Tim Crow a,
une fois de plus, fait sensation en décli-
nant, lui-même ou ses inconditionnels,
le concept d’atteinte de la latéralité
hémisphérique chez le schizophrène. De
façon plus classique, mais à l’aide d’une
technologie très sophistiquée, Mme
Carol Tamminga nous a laissé entrevoir
l’ampleur de ses travaux concernant le
rôle du glutamate au niveau cérébral,
notamment sur les cellules hippocam-
piques, zone cérébrale très impliquée
dans les troubles de la mémoire présents
chez le schizophrène. De même, des
modèles expérimentaux de psychose
aiguë chez l’homme, consécutifs à l’ad-
ministration de psycholeptique, font tou-
jours partie des communications. Nous
citerons le modèle de psychose provo-
quée par le THC (tétrahydrocanabinol),
un des principes actifs du cannabis. Ce
type d’expérience semble poser moins de
problèmes éthiques que les tests à la
kétamine et à la phencyclidine.
Modèle neurodéveloppemental
ou neurodégénératif :
données récentes
L’ e xistence de déficits cognitifs et com-
portementaux dans l’enfance, comme
marqueurs de vulnérabilité à l’apparition
ultérieure d’une schizophrénie, a déjà été
fréquemment décrite. Un retard dans l’ac-
quisition de la marche, de la propreté et
des compétences sociales (peu d’amis, iso-
lement dans le jeu) sont des exemples de
difficultés plus fréquemment rencontrées
chez le futur schizophrène. L’équipe de
recherche en psychiatrie développemen-
tale de Nottingham (Hollis C., Clegg J. :
Is childhood developmental langage disor-
der a risk for adult schizotypy and psy-
chosis ?) s’est intéressée aux troubles du
développement du langage chez l’enfant.
Un des problèmes soulignés par les cher-
cheurs réside dans le fait de savoir si ce
trouble s’inscrit dans un processus déve-
loppemental général de la schizophrénie
ou s’il est aspécifique. Pour ce faire, cette
équipe a sélectionné vingt hommes dans
la trentaine, identifiés comme ayant pré-
senté dans l’enfance un trouble spécifique
du développement du lan-
gage (DLD). Un sujet
n’ayant pas présenté de
DLD dans l’enfance ser-
vait de témoin pour
chaque sujet DLD. Trois
types d’échelle ont été uti-
lisés auprès de ces sujets
adultes : questionnaire de
schizotypie (SPQ), ques-
tionnaire général de
malaise et une SADS-L.
Le diagnostic psychia-
trique de chacun des patients était établi
sur la CIM-10. Les sujets ayant présenté
un DLD dans l’enfance avaient un score
significativement (p < 0,006) plus éle
sur le SPQ ; il n’existait pas de différence
entre les deux groupes concernant le
“malaise général”. L’analyse des diagnos-
tics dans les deux groupes n’identifiait
aucun psychotique chez les contrôles ; en
revanche, dans le groupe DLD, on notait
deux cas de schizophrénie, un cas de
trouble psychotique atypique et l’exis-
tence, dans les antécédents de trois sujets,
d’épisodes dépressifs majeurs avec carac-
téristiques psychotiques. Les auteurs sug-
gèrent ainsi une association possible entre
le trouble du développement du langage,
la schizotypie et la schizophrénie. Ces
hypothèses développementales tentent
de trouver une validation à l’aide de
l’imagerie cérébrale. S.M. Lawrie, d’É-
dimbourg (Brain structure change and
psychopathology in subjects at high risk
of schizophrenia), a présenté des travaux
à ce propos. Son étude portait sur trois
groupes de patients examinés à l’aide de
l’IRM. Le premier groupe consistait en
sujets à haut risque (deux proposants fami-
liaux proches, atteints de schizophrénie,
n=148) ; le deuxième était constitué de
congrès congrès
Schizophrenia Research
Davos 2000
P. Nuss*
Version européenne du congrès américain dédié à la
recherche sur la schizophrénie, le congrès de Davos
a proposé cette année des domaines de recherche, soit
nouveaux et polémiques pour certains, soit approfondis,
notamment grâce à l’apport de nouvelles technologies,
pour d’autres. Les nouveautés ouvrent d’intéressantes
perspectives que certains commentateurs considèrent
néanmoins comme déplorables ou anecdotiques.
* Service de psychiatrie
hôpital Saint-Antoine, Paris.
Écho des congrès
ACTUALITÉ PSY MAI 2/09/02 15:15 Page 143
144
Act. Méd. Int. - Psychiatrie (17) n° 5, mai 2000
congrès congrès
patients présentant un premier épisode
psychotique (n = 38) ; et le troisième de
sujets sains contrôles (n = 32). Deux
années après cette imagerie, une autre était
effectuée chez les sujets à risque (n = 66)
et les témoins sains (n = 20). Si les
atteintes des lobes temporaux sont classi-
quement décrites chez le schizophrène, on
sait peu de chose concernant la chronolo-
gie de cette atteinte volumétrique. Les
hypothèses proposées par l’équipe à
laquelle un des volets de l’étude était pré-
senté, consistaient à rechercher l’existence
d’anomalies prémorbides, à déterminer si
elles permettaient de prédire l’apparition
des troubles au cours d’un premier épisode
et si les modifications étaient plus rapides
que chez les sujets normaux.
Lors du premier examen, des différences
significatives purent être mises en évi-
dence, par rapport aux témoins, chez les
sujets à risque. Il s’agissait d’une diminu-
tion, chez ces derniers, du volume moyen
de l’amygdale, de l’hippocampe et du tha-
lamus gauche. Ces éléments anatomiques
constitueraient ainsi des marqueurs de
traits pour la schizophrénie. En revanche,
au sein du groupe à risque, on ne notait
aucune différence volumétrique entre ceux
qui présentaient des signes psychotiques a
minima et ceux qui n’en présentaient pas.
Lors du suivi sur deux ans des sujets à
risque, on retrouvait une tendance à la
poursuite de la diminution du volume de
ces structures (et du lobe temporal), plus
rapide chez les sujets à risque présentant
des signes psychotiques (n = 19) que chez
les autres (n = 47). Les auteurs concluent
à l’existence de marqueurs de traits visibles
en imagerie cérébrale et à l’existence d’un
processus actif de réduction du volume
cérébral de certaines zones au fil du temps,
même chez les sujets à risque, dans la
mesure où ils présentent des signes psy-
chotiques. Ces résultats, issus de l’analyse
IRM cérébrale de sujets ayant deux pro-
posants proches atteints de schizophrénie,
doivent être accueillis avec circonspection.
Certains n’ont pas été retrouvés par
d’autres équipes ; on notera qu’ils sont
étonnamment sensibles sur une période
aussi courte (deux ans). Ils indiquent tou-
tefois l’intérêt d’analyser, possiblement
comme deux processus différents, les cas
sporadiques de schizophrénie (environ
80 % des premiers épisodes), des cas fami-
liaux et pour lesquels il existerait davan-
tage d’atteintes précoces du SNC. Certains
auteurs signalent le fait que ces modifica-
tions cérébrales de volume seraient
peut-être liées à des processus en partie
aspécifiques, comme un trouble contem-
porain de l’accès aigu du métabolisme
lipidique cérébral.
La schizophrénie :
une pathologie de la
connexion interhémisphérique ?
Un certain nombre de présentations et de
posters se sont intéressés au problème de
disconnexion interhémisphérique chez le
schizophrène ; certains processus de laté-
ralisation en seraient une des expressions.
Tim Crow, enfant terrible de la psychia-
trie anglaise, propose l’idée que “le prix
que l’espèce humaine doit payer pour dis-
poser du langage est sa vulnérabilité à la
schizophrénie”. Il fournit, pour preuve à
cette hypothèse, des données phylogéné-
tiques. L’apparition du langage articulé
(dans son aspect moteur) chez l’espèce
humaine aurait correspondu à un chan-
gement fonctionnel cérébral faisant bas-
culer les fonctions initialement dédiées à
la pensée du cortex préfrontal dorsal droit
vers le gauche. Cela expliquerait, pour
lui, la vulnérabilité à la symptomatologie
positive et participerait notamment aux
troubles du cours de la pensée, au retrait
et à la pauvreté affective exprimée par la
parole. De même une transition senso-
rielle aurait-elle eu lieu, déplaçant les
fonctions du cortex occipito-pariéto-tem-
poral gauche vers le droit. Cela partici-
perait à la possibilité d’accéder au délire
et aux hallucinations. Une “fragilité”
apparaîtrait ainsi sous-tendue, en outre,
par le rôle critique des connexions dans
la coopération interhémisphérique. Les
jumeaux monozygotes, discordants pour
la schizophrénie, seraient différents en
raison d’une atteinte dans leur processus
de coopération interhémisphérique.
Inutile de préciser le scepticisme de l’au-
ditoire qui, toutefois, à demi blasé par
habitude, à demi séduit par le charisme
et la qualité de l’auteur, reste attentif à ce
qu’il apporte de moderne au débat.
Concernant encore la question des
jumeaux monozygotes discordants pour
la schizophrénie, un travail d’imagerie
cérébrale de l’équipe de R. Murray (T.
Sharma, Londres) met en évidence, chez
le jumeau malade, l’existence d’un
volume préfrontal et hippocampique
(droit et gauche) inférieur par rapport aux
contrôles, ainsi qu’un élargissement du
troisième ventricule et des ventricules
latéraux par rapport au jumeau non
malade.
En revanche, les jumeaux discordants
étudiés (malades et non malades) pré-
sentent une diminution du volume céré-
bral, de la substance grise corticale et de
l’amygdale par rapport aux jumeaux
témoins non malades. Pour poursuivre le
questionnement sur la latéralité chez le
schizophrène, d’autres équipes (Morh B.,
à Constance) ont tenté d’explorer le pro-
cessus de coopération interhémisphé-
rique lors de procédures au cours des-
quelles des mots (ou des pseudo-mots
ressemblant à des mots existants) sont
présentés dans le champ visuel, droit ou
gauche, ou dans les deux champs à la
fois. Les sujets témoins et les schizo-
phrènes présentent à cette tâche un avan-
tage droit net (confirmant l’avantage de
l’hémisphère gauche pour le langage).
En revanche, les schizophrènes ont des
performances moins bonnes que les
témoins sains en ce qui concerne la
reconnaissance, lors d’une présentation
bilatérale, du même mot dans les deux
Écho des congrès
ACTUALITÉ PSY MAI 2/09/02 15:15 Page 144
145
champs. La disparition de cet “avantage
bilatéral” chez le schizophrène a pu être
attribuée à une diminution, chez ce der-
nier, de la coopération interhémisphé-
rique.
Vers un annoblissement
des graisses
Divers travaux ont évoqué, ces dernières
années, l’existence d’anomalies du méta-
bolisme lipidique (augmentation du turn-
over, anomalies membranaires) chez les
sujets schizophrènes (mais aussi bipo-
laires), objectivables par spectroscopie et
dosages de la phospholipase A2 (aug-
mentation de l’activité de la PLA2 de
45 % dans le cortex frontal des schizo-
phrènes). Les dosages sériques d’acides
gras essentiels polyinsaturés à chaîne
longue sont abaissés chez le schizo-
phrène ; de même, les membranes des
érythrocytes et les cultures de fibro-
blastes de schizophrènes mettent en évi-
dence un trouble du métabolisme de ces
acides gras. Une anomalie détectée est le
déficit de transformation de l’acide eico-
sapentaenoic (EPA) en acide docosa-
hexaenoic (DHA) ; elle serait due à une
activité réduite de l’acide gras coenzyme
A ligase (FACL). L’ajout d’EPA devrait
donc théoriquement présenter un intérêt
chez ces patients, dans la mesure où il
inhibe la PLA2, active la FACL et consti-
tue un substrat des membranes en lui-
même. Des données préliminaires sur de
petits échantillons en ouvert ont montré
l’intérêt de l’adjonction d’EPA (mais pas
de DHA) pour le traitement des épisodes
psychotiques. Une étude indienne, diri-
gée par une équipe britannique (Shah S.
et Peet M., Baraoda et Sheffield), a pro-
posé à trente patients schizophrènes (pre-
mier épisode ou rechute pour arrêt médi-
camenteux) un traitement par gélules
comprenant de l’EPA (2 g/jour) ou du
placebo (huile d’olive) comme seul trai-
tement, prescrit en double aveugle. Le
protocole permettait, afin de maintenir
une dimension éthique à l’étude, d’asso-
cier si nécessaire un antipsychotique au
cours des trois mois du protocole. L’état
clinique était évalué grâce à la PANSS en
début et fin de traitement. Il y eut trois
sorties d’essai dans le groupe placebo et
un dans le groupe EPA. Dans le groupe
placebo (n = 12), tous eurent recours à
l’adjonction d’un antipsychotique. En
revanche, dans le groupe EPA (n = 14),
seuls six eurent besoin de l’ajout d’un
antipsychotique. Cette différence est
significative (p = 0, 02). Elle suggère l’in-
térêt d’une prescription associée d’EPA
dans le traitement de la schizophrénie,
compte tenu de son absence d’effets laté-
raux négatifs.
Glutamates et THC :
des preuves
mais beaucoup de mystère
L’implication du glutamate dans la schi-
zophrénie est actuellement un sujet inten-
sif de recherche. On considère qu’il pour-
rait intervenir selon deux modalités : tout
d’abord, via les récepteurs NMDA (N-
méthyl D-aspartate) dont il est un des
ligands et, par ce biais, sur la symptoma-
tologie négative et cognitive ; mais aussi,
et de façon aspécifique, on suspecte une
action délétère cytotoxique du glutamate
sur certaines structures cérébrales.
Concernant le premier groupe de travaux,
ceux s’intéressant aux aspects cognitifs
s’attachent à déterminer l’activité
(nombre, affinité) des récepteurs NMDA
dans les régions cérébrales impliquées
dans différentes formes de mémoire. Un
test cognitif complexe appelé “mismatch
negativity” fait intervenir un potentiel
neurophysiologique précurseur d’un
potentiel évoqué suscité par un stimulus
auditif déviant et rare, au sein d’une suc-
cession de stimuli réguliers. Le cerveau
“anticipe” en quelque sorte la survenue
du stimulus et présente une activité élec-
trique préattentionnelle qui s’objective
quand le stimulus ne suit plus la cadence
préalable. Ce test implique donc la
mémoire de travail (mémoire échoïque)
au niveau du cortex sensoriel auditif. Dif-
férents travaux ont mis en évidence l’as-
sociation entre un dysfonctionnement des
récepteurs NMDA et ce test, qui implique
un type de mémoire constamment altéré
chez le schizophrène. Mme Tamminga, à
la suite de nombreux travaux tant sur les
modèles animaux qu’à la suite d’ana-
lyses de cerveaux de schizophrènes post-
mortem, propose l’étude de ces récep-
teurs au niveau de l’hippocampe et du
cortex cingulaire antérieur. Elle a mis en
évidence une composition anormale des
récepteurs au NMDA au niveau hippo-
campique. Ce fait conduit à une diminu-
tion du transfert d’un signal glutamater-
gique de l’hippocampe vers ses cibles du
système limbique. Ces données renfor-
cent, selon elle, les résultats actuels
concernant la physiopathologie de la
schizophrénie. Les données concernant
le THC (tétrahydrocannabinol) semblent
d’une autre nature. Sans entrer dans le
très polémique débat des liens existant
entre schizophrénie et cannabis, on peut
toutefois tenter de répondre à un certain
nombre de questions. Le cannabis peut-
il provoquer des symptômes psycho-
tiques chez le sujet normal lorsqu’il est
administré en IV à fortes doses ? Existe-
t-il une altération du système cannabi-
noïde dans la schizophrénie ? Pour tenter
d’apporter une réponse à ces questions,
D. De Souza, de l’université de Yale, dans
le Connecticut, a présenté une étude au
cours de laquelle il propose, dans un pro-
tocole randomisé en double aveugle, une
administration intraveineuse de THC à
des doses de 0, 25 et 5 mg (flash en deux
minutes) sur un protocole d’une durée de
trois jours. Les patients schizophrènes
inclus étaient stables sur les plans cli-
nique et thérapeutique (traitement anti-
psychotique) et n’avaient pas eu d’expo-
congrès congrès
Écho des congrès
ACTUALITÉ PSY MAI 2/09/02 15:15 Page 145
congrès congrès
Écho des congrès
sition préalable au cannabis. Une batte-
rie de tests était passée immédiatement,
puis au long cours, à un mois et à neuf
mois. Les résultats répliquent en partie
ceux déjà connus avec de tels protocoles :
exacerbation des symptômes psychotiques
chez le schizophrène et apparition de ces
derniers chez les contrôles. Le THC indui-
sait aussi plus d’effets négatifs et de
troubles des perceptions dans les deux
groupes. En outre, le THC induisait des
atteintes cognitives (altération des tests de
mémoire immédiate, de mémoire de rap-
pel, de fluence verbale et d’attention sélec-
tive). Les scores de la PANSS sont signi-
ficativement augmentés en fonction de la
dose de THC administrée. Les sous-
échelles les plus touchées sont celles cor-
respondant à la désorganisation concep-
tuelle et à la symptomatologie négative.
Ces effets sont dose-dépendants et sem-
blent impliquer en partie les récep-
teurs CB1. D’autres molécules,
comme la kétamine, sont des antago-
nistes des récepteurs au glutamate
(NMDA) et stimulent la libération de
cet acide aminé. Elles entraînent une
augmentation des scores de la PANSS,
des altérations des perceptions senso-
rielles et des atteintes cognitives. La
présence de lamotrigine, qui est un
antagoniste des canaux calciques vol-
tage-dépendants, atténue cet effet. Cela
plaide en faveur de l’implication du
glutamate dans certains éléments psy-
chopathologiques de la schizophrénie.
EFFEXOR
ACTUALITÉ PSY MAI 2/09/02 15:15 Page 146
1 / 4 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !