ACTUALITÉ PSY MAI 2/09/02 15:15 Page 143 congrès congrès Écho des congrès Schizophrenia Research Davos 2000 P. Nuss* Il en va ainsi pour ce qui du développement du lanconcerne le traitement ersion européenne du congrès américain dédié à la gage (DLD). Un sujet n’ayant pas présenté de médicamenteux et psyrecherche sur la schizophrénie, le congrès de Davos DLD dans l’enfance serchologique des formes a proposé cette année des domaines de recherche, soit vait de témoin pour prodromales ou débutantes (premier épisode) nouveaux et polémiques pour certains, soit approfondis, chaque sujet DLD. Trois de schizophrénie, ainsi notamment grâce à l’apport de nouvelles technologies, types d’échelle ont été utilisés auprès de ces sujets que de l’eff icacité de pour d’autres. Les nouveautés ouvrent d’intéressantes adultes : questionnaire de l’adjonction d’acides perspectives que certains commentateurs considèrent schizotypie (SPQ), quesgras au traitement des tionnaire général de épisodes aigus de schinéanmoins comme déplorables ou anecdotiques. malaise et une SADS-L. zophrénie. Dans la même veine, le Pr Tim Crow a, Le diagnostic psychiaune fois de plus, fait sensation en déclitrique de chacun des patients était établi sur la CIM-10. Les sujets ayant présenté nant, lui-même ou ses inconditionnels, un DLD dans l’enfance avaient un score le concept d’atteinte de la latéralité significativement (p < 0,006) plus élevé hémisphérique chez le schizophrène. De sur le SPQ ; il n’existait pas de différence façon plus classique, mais à l’aide d’une entre les deux groupes concernant le technologie très sophistiquée, Mme L’existence de déficits cognitifs et com“malaise général”. L’analyse des diagnosCarol Tamminga nous a laissé entrevoir portementaux dans l’enfance, comme tics dans les deux groupes n’identifiait l’ampleur de ses travaux concernant le marqueurs de vulnérabilité à l’apparition aucun psychotique chez les contrôles ; en rôle du glutamate au niveau cérébral, ultérieure d’une schizophrénie, a déjà été revanche, dans le groupe DLD, on notait notamment sur les cellules hippocamfréquemment décrite. Un retard dans l’acdeux cas de schizophrénie, un cas de piques, zone cérébrale très impliquée quisition de la marche, de la propreté et trouble psychotique atypique et l’exisdans les troubles de la mémoire présents des compétences sociales (peu d’amis, isotence, dans les antécédents de trois sujets, chez le schizophrène. De même, des lement dans le jeu) sont des exemples de d’épisodes dépressifs majeurs avec caracmodèles expérimentaux de psychose difficultés plus fréquemment rencontrées téristiques psychotiques. Les auteurs sugaiguë chez l’homme, consécutifs à l’adchez le futur schizophrène. L’équipe de gèrent ainsi une association possible entre ministration de psycholeptique, font tourecherche en psychiatrie développemenle trouble du développement du langage, jours partie des communications. Nous tale de Nottingham (Hollis C., Clegg J. : la schizotypie et la schizophrénie. Ces citerons le modèle de psychose provoIs childhood developmental langage disorhypothèses développementales tentent quée par le THC (tétrahydrocanabinol), der a risk for adult schizotypy and psyde trouver une validation à l’aide de un des principes actifs du cannabis. Ce chosis ?) s’est intéressée aux troubles du l’imagerie cérébrale. S.M. Lawrie, d’Étype d’expérience semble poser moins de développement du langage chez l’enfant. dimbourg (Brain structure change and problèmes éthiques que les tests à la Un des problèmes soulignés par les cherpsychopathology in subjects at high risk kétamine et à la phencyclidine. cheurs réside dans le fait de savoir si ce of schizophrenia), a présenté des travaux trouble s’inscrit dans un processus déveà ce propos. Son étude portait sur trois loppemental général de la schizophrénie groupes de patients examinés à l’aide de ou s’il est aspécifique. Pour ce faire, cette l’IRM. Le premier groupe consistait en équipe a sélectionné vingt hommes dans sujets à haut risque (deux proposants famila trentaine, identifiés comme ayant préliaux proches, atteints de schizophrénie, * Service de psychiatrie n = 148) ; le deuxième était constitué de senté dans l’enfance un trouble spécifique hôpital Saint-Antoine, Paris. V Modèle neurodéveloppemental ou neurodégénératif : données récentes Act. Méd. Int. - Psychiatrie (17) n° 5, mai 2000 143 ACTUALITÉ PSY MAI 2/09/02 15:15 Page 144 congrès congrès Écho des congrès patients présentant un premier épisode psychotique (n = 38) ; et le troisième de sujets sains contrôles (n = 32). Deux années après cette imagerie, une autre était effectuée chez les sujets à risque (n = 66) et les témoins sains (n = 20). Si les atteintes des lobes temporaux sont classiquement décrites chez le schizophrène, on sait peu de chose concernant la chronologie de cette atteinte volumétrique. Les hypothèses proposées par l’équipe à laquelle un des volets de l’étude était présenté, consistaient à rechercher l’existence d’anomalies prémorbides, à déterminer si elles permettaient de prédire l’apparition des troubles au cours d’un premier épisode et si les modifications étaient plus rapides que chez les sujets normaux. Lors du premier examen, des différences significatives purent être mises en évidence, par rapport aux témoins, chez les sujets à risque. Il s’agissait d’une diminution, chez ces derniers, du volume moyen de l’amygdale, de l’hippocampe et du thalamus gauche. Ces éléments anatomiques constitueraient ainsi des marqueurs de traits pour la schizophrénie. En revanche, au sein du groupe à risque, on ne notait aucune différence volumétrique entre ceux qui présentaient des signes psychotiques a minima et ceux qui n’en présentaient pas. Lors du suivi sur deux ans des sujets à risque, on retrouvait une tendance à la poursuite de la diminution du volume de ces structures (et du lobe temporal), plus rapide chez les sujets à risque présentant des signes psychotiques (n = 19) que chez les autres (n = 47). Les auteurs concluent à l’existence de marqueurs de traits visibles en imagerie cérébrale et à l’existence d’un processus actif de réduction du volume cérébral de certaines zones au fil du temps, même chez les sujets à risque, dans la mesure où ils présentent des signes psychotiques. Ces résultats, issus de l’analyse IRM cérébrale de sujets ayant deux proposants proches atteints de schizophrénie, doivent être accueillis avec circonspection. Certains n’ont pas été retrouvés par Act. Méd. Int. - Psychiatrie (17) n° 5, mai 2000 d’autres équipes ; on notera qu’ils sont étonnamment sensibles sur une période aussi courte (deux ans). Ils indiquent toutefois l’intérêt d’analyser, possiblement comme deux processus différents, les cas sporadiques de schizophrénie (environ 80 % des premiers épisodes), des cas familiaux et pour lesquels il existerait davantage d’atteintes précoces du SNC. Certains auteurs signalent le fait que ces modifications cérébrales de volume seraient peut-être liées à des processus en partie aspécifiques, comme un trouble contemporain de l’accès aigu du métabolisme lipidique cérébral. La schizophrénie : une pathologie de la connexion interhémisphérique ? Un certain nombre de présentations et de posters se sont intéressés au problème de disconnexion interhémisphérique chez le schizophrène ; certains processus de latéralisation en seraient une des expressions. Tim Crow, enfant terrible de la psychiatrie anglaise, propose l’idée que “le prix que l’espèce humaine doit payer pour disposer du langage est sa vulnérabilité à la schizophrénie”. Il fournit, pour preuve à cette hypothèse, des données phylogénétiques. L’apparition du langage articulé (dans son aspect moteur) chez l’espèce humaine aurait correspondu à un changement fonctionnel cérébral faisant basculer les fonctions initialement dédiées à la pensée du cortex préfrontal dorsal droit vers le gauche. Cela expliquerait, pour lui, la vulnérabilité à la symptomatologie positive et participerait notamment aux troubles du cours de la pensée, au retrait et à la pauvreté affective exprimée par la parole. De même une transition sensorielle aurait-elle eu lieu, déplaçant les fonctions du cortex occipito-pariéto-temporal gauche vers le droit. Cela participerait à la possibilité d’accéder au délire 144 et aux hallucinations. Une “fragilité” apparaîtrait ainsi sous-tendue, en outre, par le rôle critique des connexions dans la coopération interhémisphérique. Les jumeaux monozygotes, discordants pour la schizophrénie, seraient différents en raison d’une atteinte dans leur processus de coopération interhémisphérique. Inutile de préciser le scepticisme de l’auditoire qui, toutefois, à demi blasé par habitude, à demi séduit par le charisme et la qualité de l’auteur, reste attentif à ce qu’il apporte de moderne au débat. Concernant encore la question des jumeaux monozygotes discordants pour la schizophrénie, un travail d’imagerie cérébrale de l’équipe de R. Murray (T. Sharma, Londres) met en évidence, chez le jumeau malade, l’existence d’un volume préfrontal et hippocampique (droit et gauche) inférieur par rapport aux contrôles, ainsi qu’un élargissement du troisième ventricule et des ventricules latéraux par rapport au jumeau non malade. En revanche, les jumeaux discordants étudiés (malades et non malades) présentent une diminution du volume cérébral, de la substance grise corticale et de l’amygdale par rapport aux jumeaux témoins non malades. Pour poursuivre le questionnement sur la latéralité chez le schizophrène, d’autres équipes (Morh B., à Constance) ont tenté d’explorer le processus de coopération interhémisphérique lors de procédures au cours desquelles des mots (ou des pseudo-mots ressemblant à des mots existants) sont présentés dans le champ visuel, droit ou gauche, ou dans les deux champs à la fois. Les sujets témoins et les schizophrènes présentent à cette tâche un avantage droit net (confirmant l’avantage de l’hémisphère gauche pour le langage). En revanche, les schizophrènes ont des performances moins bonnes que les témoins sains en ce qui concerne la reconnaissance, lors d’une présentation bilatérale, du même mot dans les deux ACTUALITÉ PSY MAI 2/09/02 15:15 Page 145 congrès congrès Écho des congrès champs. La disparition de cet “avantage bilatéral” chez le schizophrène a pu être attribuée à une diminution, chez ce dernier, de la coopération interhémisphérique. Vers un annoblissement des graisses Divers travaux ont évoqué, ces dernières années, l’existence d’anomalies du métabolisme lipidique (augmentation du turnover, anomalies membranaires) chez les sujets schizophrènes (mais aussi bipolaires), objectivables par spectroscopie et dosages de la phospholipase A2 (augmentation de l’activité de la PLA2 de 45 % dans le cortex frontal des schizophrènes). Les dosages sériques d’acides gras essentiels polyinsaturés à chaîne longue sont abaissés chez le schizophrène ; de même, les membranes des érythrocytes et les cultures de fibroblastes de schizophrènes mettent en évidence un trouble du métabolisme de ces acides gras. Une anomalie détectée est le déficit de transformation de l’acide eicosapentaenoic (EPA) en acide docosahexaenoic (DHA) ; elle serait due à une activité réduite de l’acide gras coenzyme A ligase (FACL). L’ajout d’EPA devrait donc théoriquement présenter un intérêt chez ces patients, dans la mesure où il inhibe la PLA2, active la FACL et constitue un substrat des membranes en luimême. Des données préliminaires sur de petits échantillons en ouvert ont montré l’intérêt de l’adjonction d’EPA (mais pas de DHA) pour le traitement des épisodes psychotiques. Une étude indienne, dirigée par une équipe britannique (Shah S. et Peet M., Baraoda et Sheffield), a proposé à trente patients schizophrènes (premier épisode ou rechute pour arrêt médicamenteux) un traitement par gélules comprenant de l’EPA (2 g/jour) ou du placebo (huile d’olive) comme seul traitement, prescrit en double aveugle. Le protocole permettait, afin de maintenir une dimension éthique à l’étude, d’associer si nécessaire un antipsychotique au cours des trois mois du protocole. L’état clinique était évalué grâce à la PANSS en début et fin de traitement. Il y eut trois sorties d’essai dans le groupe placebo et un dans le groupe EPA. Dans le groupe placebo (n = 12), tous eurent recours à l’adjonction d’un antipsychotique. En revanche, dans le groupe EPA (n = 14), seuls six eurent besoin de l’ajout d’un antipsychotique. Cette différence est significative (p = 0, 02). Elle suggère l’intérêt d’une prescription associée d’EPA dans le traitement de la schizophrénie, compte tenu de son absence d’effets latéraux négatifs. Glutamates et THC : des preuves mais beaucoup de mystère L’implication du glutamate dans la schizophrénie est actuellement un sujet intensif de recherche. On considère qu’il pourrait intervenir selon deux modalités : tout d’abord, via les récepteurs NMDA (Nméthyl D-aspartate) dont il est un des ligands et, par ce biais, sur la symptomatologie négative et cognitive ; mais aussi, et de façon aspécifique, on suspecte une action délétère cytotoxique du glutamate sur certaines structures cérébrales. Concernant le premier groupe de travaux, ceux s’intéressant aux aspects cognitifs s’attachent à déterminer l’activité (nombre, affinité) des récepteurs NMDA dans les régions cérébrales impliquées dans différentes formes de mémoire. Un test cognitif complexe appelé “mismatch negativity” fait intervenir un potentiel neurophysiologique précurseur d’un potentiel évoqué suscité par un stimulus auditif déviant et rare, au sein d’une succession de stimuli réguliers. Le cerveau “anticipe” en quelque sorte la survenue 145 du stimulus et présente une activité électrique préattentionnelle qui s’objective quand le stimulus ne suit plus la cadence préalable. Ce test implique donc la mémoire de travail (mémoire échoïque) au niveau du cortex sensoriel auditif. Différents travaux ont mis en évidence l’association entre un dysfonctionnement des récepteurs NMDA et ce test, qui implique un type de mémoire constamment altéré chez le schizophrène. Mme Tamminga, à la suite de nombreux travaux tant sur les modèles animaux qu’à la suite d’analyses de cerveaux de schizophrènes postmortem, propose l’étude de ces récepteurs au niveau de l’hippocampe et du cortex cingulaire antérieur. Elle a mis en évidence une composition anormale des récepteurs au NMDA au niveau hippocampique. Ce fait conduit à une diminution du transfert d’un signal glutamatergique de l’hippocampe vers ses cibles du système limbique. Ces données renforcent, selon elle, les résultats actuels concernant la physiopathologie de la schizophrénie. Les données concernant le THC (tétrahydrocannabinol) semblent d’une autre nature. Sans entrer dans le très polémique débat des liens existant entre schizophrénie et cannabis, on peut toutefois tenter de répondre à un certain nombre de questions. Le cannabis peutil provoquer des symptômes psychotiques chez le sujet normal lorsqu’il est administré en IV à fortes doses ? Existet-il une altération du système cannabinoïde dans la schizophrénie ? Pour tenter d’apporter une réponse à ces questions, D. De Souza, de l’université de Yale, dans le Connecticut, a présenté une étude au cours de laquelle il propose, dans un protocole randomisé en double aveugle, une administration intraveineuse de THC à des doses de 0, 25 et 5 mg (flash en deux minutes) sur un protocole d’une durée de trois jours. Les patients schizophrènes inclus étaient stables sur les plans clinique et thérapeutique (traitement antipsychotique) et n’avaient pas eu d’expo- ACTUALITÉ PSY MAI 2/09/02 15:15 Page 146 congrès congrès Écho des congrès sition préalable au cannabis. Une batterie de tests était passée immédiatement, puis au long cours, à un mois et à neuf mois. Les résultats répliquent en partie ceux déjà connus avec de tels protocoles : exacerbation des symptômes psychotiques chez le schizophrène et apparition de ces derniers chez les contrôles. Le THC induisait aussi plus d’effets négatifs et de troubles des perceptions dans les deux groupes. En outre, le THC induisait des atteintes cognitives (altération des tests de mémoire immédiate, de mémoire de rap- pel, de fluence verbale et d’attention sélective). Les scores de la PANSS sont significativement augmentés en fonction de la dose de THC administrée. Les souséchelles les plus touchées sont celles correspondant à la désorganisation conceptuelle et à la symptomatologie négative. Ces effets sont dose-dépendants et semblent impliquer en partie les récepteurs CB1. D’autres molécules, comme la kétamine, sont des antagonistes des récepteurs au glutamate (NMDA) et stimulent la libération de EFFEXOR cet acide aminé. Elles entraînent une augmentation des scores de la PANSS, des altérations des perceptions sensorielles et des atteintes cognitives. La présence de lamotrigine, qui est un antagoniste des canaux calciques voltage-dépendants, atténue cet effet. Cela plaide en faveur de l’implication du glutamate dans certains éléments psychopathologiques de la schizophrénie.