J. Chim. Phys.
(1998) 95, 755-762
© EDP Sciences. Les Ulis
Intensité thérapeutique optimale :
comment mesurer l'intensité d'une association
radiothérapie-chimiothérapie ?
G. Ganem1
*
et B. Dubray2
' Centre Jean Bernard, 9 rue Beauverger. 72000 Le Mans. France
2 Département d'Oncologie - Radiothérapie, Institut Curie,
26 rue
d'Ulm.
75248 Paris cedex 05, France
* Correspondance et tirés à part.
RÉSUMÉ
L'intensification thérapeutique est une nécessité face à l'efficacité insuffisante des
traitements anticancéreux utilisés séparément. La conception, la comparaison, et
l'optimisation des modalités possibles d'association de radiothérapie et de chimio-
thérapie est considérablement gênée par l'absence d'un outil permettant de mesurer
l'efficacité résultante de la combinaison d'agents thérapeutiques différents. Cette
difficulté provient essentiellement de l'usage de la chimiothérapie (nombreuses dro-
gues,
pharmacocinétique mal connue), mais aussi de la multiplicité des critères de
jugement (action anti-tumorale, lésions des tissus sains) et de la complexité de la
biologie tumorale.
Mots-clefs - cancer, radiothérapie, chimiothérapie, intensité de traitement
ABSTRACT
Treatment intensification is needed to overcome the disappointing efficacy of anti-
cancer treatments used as a single modality. The conception, comparison and optimi-
sation of radiotherapy - chemotherapy combinations is hampered by the lack of a
common tool enabling the clinicians to quantify the effects of the association of
dif-
ferent treatment modalities. Such a difficulty is mainly due to chemotherapy (large
array of drugs, pharmacological uncertainties), but is also the consequence of end-
point multiplicity (tumour control, normal tissue injury) and tumour biology com-
plexity.
Key-words - cancer, radiation therapy, chemotherapy, treatment intensity
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G.
Ganem
et
B.
Dubray
INTRODUCTION
L'intensité thérapeutique est
un
enjeu important en matière de traitement anti-
cancéreux. Confrontés
à
des résultats qui restent médiocres, les cliniciens ont recours
à
des associations de traitements (chirurgie, radiothérapie, chimiothérapie) insuffi-
samment efficaces lorsqu'ils sont appliqués seuls. En matière d'associations radio-
thérapie
-
chimiothérapie, nos connaissances de la biologie des tumeurs et des tissus
sains permettent de guider l'intensification des traitements. La définition d'une
échelle de mesure de l'intensité thérapeutique, commune aux différentes modalités
de traitement, faciliterait la comparaison des nombreux schémas d'intensification
envisageables.
MESURE
DE
L'INTENSITE THERAPEUTIQUE
L'intensité de traitement correspond
à
la
((
vitesse
»
ou au
(<
débit
D
de traitement,
c'est-à-dire
à
la
«
dose de traitement délivrée par unité de temps. La mesure de la
dose est aisée en radiothérapie, mais très aléatoire en chimiothérapie.
La
dose
-
La mesure de la dose physique délivrée au cours d'une irradiation théra-
peutique est précise et fiable (mesure in vivo ou calcul par ordinateur). L'unité est le
Gray correspondant
a
1
Joule par kilogramme de tissu. La dose physique totale est
un élément essentiel de l'efficacité anti-tumorale et de la toxicité sur les tissus sains,
bien que l'effet biologique dépende aussi fortement des modalités d'irradiation
(fractionnement, étalement)
[l].
L'imprécision de la mesure de la dose en chimiothérapie provient du fait que les
drogues ne sont pas directement administrées dans les cellules cibles,
a
la différence
de la radiothérapie. Le patient reçoit le médicament par voie orale, intramusculaire,
intraveineuse, ou intracavitaire, mais celui-ci doit se répartir dans son volume de dif-
fusion, atteindre et pénétrer les cellules cibles, tout étant soumis des altérations mé-
taboliques qui en modifient l'activité. Malgré les limites de cette approche
[2],
les
doses de chimiothérapie administrées sont habituellement rapportées
à
la surface
corporelle. Certaines alternatives ont été proposées
(<(
PMT dosing
»
:
<<
Prime dose,
Modified dose, Toxicity adjusted dose
»;
TDM
»
:
Therapeutic Drug Monito-
ring
»),
mais l'idéal serait bien sûr
de
pouvoir obtenir une pharmaco-cinétique intra-
cellulaire pour chaque patient,'pour chaque cycle et pour chaque drogue. En prati-
Intensité thérapeutique optimale
757
que, la quantité de drogue active présente dans les cellules
à
un moment donné est
très mal connue, surtout lorsque plusieurs produits sont administrés simultanément.
Le
temps
-
Les choses sont relativement claires en radiothérapie puisque dose ad-
ministrée et durée du traitement (étalement) sont connues. L'intensité thérapeutique
peut, moyennant certaines restrictions, être évaluée en terme de
«
dose biologique
équivalente
»
grâce
à
des modèles biomathématiques que nous ne détaillerons pas ici
[il.
En chimiothérapie et depuis les années
80,
I'intensité de dose est mesurée en
mg/m2/semaine
13-51.
Se basant sur la dose administrée
à
chaque cycle et le délai
entre les cycles, cette approche permet d'évaluer l'effet de l'observance thérapeuti-
que (en rapportant l'intensité du traitement effectivement reçu
a
celle prévue par le
protocole théorique) et de comparer différents régimes de chimiothérapie dans la
même indication. Cette méthodologie est réductrice car elle méconnaît la dose totale
[6]
et ne rend pas compte de la complexité de la pharmacologie de plusieurs médi-
caments administrés en association (Tableau
1).
Tableau
1
:
Limites du calcul de I'intensité de dose d'une polychimiothérapie
Les hypothèses sont contesrables
toutes les drogues ont la même importance
I'intensité relative moyenne ne peut être calculée pour les drogues
à
dose plafonnée
une équivalence arbitraire
(lm
=
40kg) est fixée pour les drogues prescrites en fonction du
poids
les équivalences entre certaines drogues ont
été
fixées arbitrairement
l'intensité du dernier cycle n'est pas prise en compte pour le calcul de l'intensité globale
I'intensité varie selon le protocole de référence choisi
Certains éléments ne sont pas pris en compte
la dose
par
administration
les modalités d'administration
la séquence d'administration des drogues
les protocoles alternés
la durée de I'intercycle
la durée et la dose totales du traitement
Par ailleurs, les variations de sensibilités entre
la
tumeur et les tissus sains
à
ré-
ponse précoce ou
à
réponse tardive ne sont pas prises en compte, alors que les radio-
thérapeutes calculent des doses biologiques différentes pour ces trois types de tissus.
Une tentative, fondée sur la notion d'iso-effet et visant
à
définir un concept de dose
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Chtm.
Phys.
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Ganem
et
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Dubray
équivalente valable pour tous les médicaments utilisables dans une indication don-
née, n'a pas eu de suite en raison des approximations nécessaires aux calculs [6].
De fait, la dose administrée par unité de surface corporelle et de temps reste la le
critère de référence pour mesurer l'intensité thérapeutique en chimiothérapie, et no-
tamment la vitesse d'administration des drogues. Bien que plusieurs études cliniques
17-91
aient souligné l'intérêt d'augmenter les doses totales de médicaments, la ré-
duction de la durée totale de traitement reste la seule façon rigoureusement quanti-
fiable d'intensifier une chimiothérapie.
BIOLOGIE TUMORALE
ET
INTENSITE THERAPEUTIQUE
Actuellement, le choix d'un traitement repose sur l'histoire naturelle de la mala-
die, les résultats escomptés en terme d'efficacité anti-tumorale et de toxicité (selon
l'expérience antérieure des praticiens et les données de la littérature), les préférences
du patient, et les contraintes socio-économiques déterminant la conduite pratique du
traitement.
La biologie tumorale est remarquablement complexe, mais nos connaissances ont
déjà inspiré
de
nombreux protocoles et suggèrent des évolutions intéressantes. Plu-
sieurs modèles
-
simplificateurs par nature
-
ont été élaborés dans un but
d'illustration et de réflexion (voir par exemple [6,
10-131).
Sans en sous-estimer
l'intérêt,
il
faut insister sur le fait que ces modèles ne s'appliquent qu'aux tumeurs
-
sans prendre en compte les tissus sains
-,
et ignorent les modifications induites par
les traitements, ainsi que l'hétérogénéité biologique des cellules tumorales. Nous in-
sistons ici sur quelques aspects de
la
biologie tumorale
-
et plus brièvement, des
tissus sains -qui semblent prometteurs en terme d'intensification thérapeutique.
Cinétique
tumorale
-
La cinétique de prolifération des cellules conditionne
1
effet
du débit de traitement sur le contrôle tumoral. Cette cinétique varie entre les tumeurs
et au sein d'une même tumeur. Logiquement, la durée du traitement devrait être rac-
courcie pour les tumeurs dont les cellules se multiplient rapidement. Ceci est main-
tenant acquis pour la radiothérapie
ou
le rôle de l'étalement
dose totale égale) a
été observé dans de nombreuses études rétrospectives (voir références dans
[14]).
De
plus, les premiers résultats d'essais randomisés de radiothérapie accélérée semblent
confirmer que la réduction de la durée du traitement permet d'améliorer le contrôle
tumoral [l5,
161.
Intensité thérapeutique optimale
759
Il semble donc logique de proposer de réduire la durée d'administration de la
chimiothérapie et de délivrer la radiothérapie plus précocement
[17].
L'inconvénient
de cette approche est de provoquer une augmentation des dommages causés aux tis-
sus sains proliférant rapidement (toxicité précoce).
Il
n'est malheureusement pas en-
core possible de reconnaître avant traitement les tumeurs
à
cinétique de prolifération
élevée, ce qui permettrait d'évaluer l'efficacité de l'accélération des traitements sur
les patients les plus susceptibles d'en retirer un bénéfice
[18].
Vascularisation tumorale
-
La vascularisation tumorale est en généra! médiocre,
hétérogène et variable au cours du temps (alternance de phases de constriction et de
dilatation des capillaires tumoraux). Ceci constitue un obstacle évident
à
l'activité de
la chimiothérapie qui ne peut parvenir aux cellules tumorales. Autre conséquence de
la mauvaise vascularisation, I'hypoxie est un facteur important de radio-résistance
[
11-
Le fractionnement de l'irradiation est une manière élégante de limiter les effets de
I'hypoxie, la réduction tumorale entre les séances favorisant la reperfusion des cellu-
les résiduelles. L'association d'agents sensibilisant les ceIlules hypoxiques
à
l'action
des rayonnements ionisants n'a pas fait la preuve de son efficacité. Plus prometteuse
semble être l'administration simultanée de la radiothérapie et d'un agent sélective-
ment toxique pour les cellules hypoxiques (mitomycine C, tirapazamine).
Un
effet
différentiel bénéfique entre tissus tumoraux et sains est probable car les tissus sains
sont bien vascularisés. Certaines drogues (dont la nicotinamide) entraînent une dila-
tation des capillaires sanguins et sont en cours d'évaluation en association avec la
radiothérapie.
Résistances cellulaires et instabilité génomique
-
La mise en œuvre des mécanis-
mes de réparation des lésions de l'ADN est
à
l'origine de la résistance des cellules
à
l'action des rayonnements ionisants. Les cellules sont aussi capables de se protéger
des produits cytotoxiques par des mécanismes multiples [19],.parfois communs avec
ceux de la résistance
a
la radiothérapie. Plusieurs stratégies ont été envisagées pour
prévenir la survenue de résistance (association précoce de drogues sans résistance
croisée
[13],
accélération du traitement) ou
pour
saturer des résistances préexistantes
(augmentation de la dose totale, modulation
par
d'autres drogues). Ces approches re-
présentent autant de modalités d'intensification thérapeutique.
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