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Ingestion de caustiques
Caustic ingestion
● P. Cattan*
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■ Le délai de prise en charge après ingestion d’une substance
caustique est le principal facteur pronostique.
■ L’endoscopie digestive est l’examen décisionnel central.
Elle doit être réalisée sans délai et systématiquement, quelle
que soit la gravité supposée de l’ingestion.
■ Le but de l’exérèse en urgence des organes nécrosés est
de limiter l’extension de la brûlure aux organes de voisinage,
qui assombrit considérablement le pronostic.
armi les malades qui ont ingéré une substance caustique, 75 % guérissent sans séquelles. L’importance
de la brûlure conduit à réaliser une exérèse digestive
dans 10 % des cas. Chez les autres malades, l’évolution se fait vers
la constitution de sténoses digestives qui nécessitent secondairement
des dilatations endoscopiques ou une chirurgie réparatrice.
Dans l’urgence, la prise en charge de ces patients ne doit plus être
l’apanage de centres spécialisés. En effet, dans les formes graves
qui requièrent une exérèse viscérale, le principal facteur pronostique est le délai écoulé entre l’ingestion et l’intervention chirurgicale (1-3). C’est dire l’importance de la connaissance de cette pathologie par le plus grand nombre d’unités de soins possible. Dans
l’urgence, le problème est celui de l’indication opératoire. Le traitement des séquelles peut, quant à lui, nécessiter des reconstructions
complexes, notamment pharyngées, et doit être réalisé dans des
centres spécialisés.
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psychiatriques distincts : le premier est celui des psychoses graves
(psychose maniaco-dépressive ou schizophrénie). L’ingestion fait
suite à de nombreuses tentatives de suicide et le pronostic à long
terme est grevé par cette maladie. Le second tableau est représenté
par des adultes jeunes, souvent impulsifs, qui passent à l’acte sans
réel désir de mort, la gravité du geste étant sous-estimée. Cependant,
chez certains, ce geste marque l’entrée dans une maladie psychiatrique grave.
Chez l’adulte, les ingestions accidentelles sont rares. La méprise
vient du fait que le produit est souvent transféré dans une bouteille
banale, pour en faciliter l’utilisation. Il est exceptionnel que les
ingestions accidentelles donnent lieu à des brûlures sévères. Si tel
est le cas, il faut mettre en doute ce diagnostic et rechercher une
tentative de suicide masquée.
Les ingestions chez l’enfant, toujours accidentelles – et de plus en
plus rares grâce aux précautions prises dans la présentation de ces
produits (étiquetage, système de verrouillage sécurisé) –, ne seront
pas abordées ici.
PROCESSUS LÉSIONNELS
La plupart des produits caustiques concentrés entraînent une
réaction exothermique en milieu aqueux. Les acides concentrés
induisent une dénaturation protéique responsable d’une nécrose de
coagulation, ce coagulum tendant à limiter la pénétration vers les
plans profonds. Les bases fortes provoquent une nécrose liquéfiante
avec saponification des lipides et des protéines de la paroi, ce qui
majore leur diffusion en profondeur. Les lésions maximales s’installent en 3 à 6 heures. Les lésions occasionnées par l’ingestion
d’eau de Javel sont dues à une réaction d’oxydation et de chloration avec dénaturation protéique (4). Elles peuvent continuer à
évoluer pendant les 24 heures suivant l’ingestion.
CIRCONSTANCES DE SURVENUE
ÉVOLUTIONS SPONTANÉES, SANS TRAITEMENT
Chez l’adulte, 90 % des ingestions de produits caustiques ont lieu
dans un but suicidaire. Schématiquement, il existe deux tableaux
* Service de chirurgie générale, endocrinienne et digestive, hôpital Saint-Louis,
Paris.
164
En cas d’ingestion massive de produit de forte causticité, la brûlure
s’étend par contiguïté aux organes de voisinage dans le médiastin
et l’abdomen. La queue du pancréas, la rate, le lobe gauche du foie
et le mésocôlon transverse sont alors préférentiellement atteints.
La lettre de l’hépato-gastroentérologue - n° 4 - vol. VIII - juillet-août 2005
Des lésions duodénales et de l’intestin grêle surviennent quand le
pylore a été rendu béant par la brûlure (5-7). Les lésions caustiques
trachéobronchiques résultent d’une brûlure par médiastinite caustique ou par inhalation caustique (8). Elles évoluent vers la perforation de la membraneuse trachéale ou bronchique ou vers la constitution secondaire d’une fistule trachéo- ou broncho-œsophagienne,
d’une sténose ou d’une bronchomalacie. En cas d’inhalation, il
s’y associe une atteinte parenchymateuse. L’obstruction bronchique,
secondaire à la nécrose muqueuse étendue, est source d’atélectasie
et de surinfection, entraînant fréquemment le décès.
En cas de brûlure moins sévère, des complications à type d’hémorragie, de perforation bouchée, de fistule gastrocolique et de fistule
aorto-œsophagienne peuvent survenir jusqu’au 21e jour. En dehors
de ces complications, l’évolution se fait vers la cicatrisation, avec
une prolifération fibroblastique qui débute dès la 24e heure (9). Cette
néoformation de tissu conjonctif sert de support à la réépithélialisation endoluminale. La régénération muqueuse conduit souvent
à des aspects dysplasiques. Les phénomènes inflammatoires
régressent et une sclérose rétractile s’installe, demeurant évolutive
jusqu’au 3e mois (10, 11), ou parfois davantage pour les lésions
pharyngées (12, 13). Le risque de dégénérescence néoplasique de
l’œsophage cicatriciel est inférieur à 5 % (14). S’il est presque
inexistant sur les œsophages exclus (15), il est maximal lorsque
l’œsophage a été soumis à des dilatations répétées (16).
Enfin, en cas de brûlure superficielle, la guérison a lieu sans
séquelles.
CARACTÉRISTIQUES LÉSIONNELLES
SELON LES PRODUITS INGÉRÉS
Elles dépendent de la quantité de la substance ingérée et de sa nature.
Mais toute ingestion massive de produit de forte causticité provoque
une nécrose œsogastrique diffuse. Les produits les plus fréquemment en cause peuvent être schématiquement classés en quatre
groupes :
– Les bases fortes (pH = 14) : Destop®,Yplon®, Ouragan®, soude
caustique. Ces substances induisent les brûlures les plus graves et
sont la cause de la plupart des décès. Initialement, leur forte viscosité et leur commercialisation sous forme de paillettes ou de granulés, parfois associés à un agent mouillant, expliquaient le tropisme essentiellement oropharyngé et œsophagien de ces produits.
Actuellement, ces produits sont commercialisés sous forme liquide
et induisent des lésions œsogastriques diffuses.
– Les acides forts (pH < 1) : acide chlorhydrique, acide sulfurique,
acide nitrique. Leur concentration est variable selon les produits
commercialisés. Les formes concentrées ont une causticité semblable à celle des bases fortes. L’émission de vapeur lors de l’ingestion peut induire des lésions trachéobronchiques. La brûlure est
œsogastrique, prédominant fréquemment sur l’estomac (17).
Pour les bases fortes et les acides forts, le délai d’installation de
la brûlure maximale est de 3 à 6 heures.
– L’eau de Javel : la plupart du temps, il s’agit d’ingestions sous
forme diluée qui n’induisent qu’exceptionnellement des lésions
graves. Dans les ingestion sous forme concentrée, les lésions
maximales sont essentiellement gastriques et peuvent se révéler
La lettre de l’hépato-gastroentérologue - n° 4 - vol. VIII - juillet-août 2005
après un intervalle libre de 24 heures. En l’absence d’exérèse
gastrique, la survenue d’une fistule gastrocolique secondaire n’est
pas rare.
– Autres produits : ces produits sont moins fréquemment en
cause, mais ont des toxicités particulières importantes à connaître.
La Rubigine® est un acide faible, puissant chélateur du calcium,
et a une toxicité myocardique. Les vapeurs du formol et de l’ammoniac induisent des lésions trachéobronchiques. La causticité digestive du formol peut être longtemps évolutive. Les lésions causées
par l’ammoniac peuvent être hémorragiques et nécessiter une gastrectomie d’hémostase. La potasse et le permanganate de potassium
ont un tropisme gastrique. L’exérèse de ces comprimés par endoscopie permet d’en limiter la causticité.
CONDUITE À TENIR
La prise en charge initiale consiste à assurer l’homéostasie du malade
pour la réalisation de l’endoscopie digestive. Elle a pour but de
détecter et de corriger une éventuelle défaillance cardiocirculatoire,
une dyspnée laryngée par œdème ou destruction du carrefour aérodigestif, des troubles métaboliques, notamment une acidose métabolique en cas d’ingestion d’acide fort, et une intoxication médicamenteuse associée. L’appel d’un centre antipoison est nécessaire
en cas d’ingestion d’un produit de causticité inconnue. En cas de
détresse respiratoire, le malade est intubé. L’indication d’une trachéotomie n’est posée que secondairement après endoscopie ORL
et face à une destruction du carrefour aérodigestif. Il faut proscrire,
avant la fibroscopie, toute manœuvre tendant à évacuer ou à neutraliser le produit caustique (aspiration par sonde gastrique, lavage
gastrique, etc.), en raison des risques de perforation, d’aggravation
des lésions et d’inhalation.
L’ENDOSCOPIE DIGESTIVE
C’est l’examen clé qui détermine le pronostic et la prise en charge
ultérieure (1, 3).
Conditions de réalisation
Elle doit être réalisée systématiquement, quelle que soit la gravité
supposée de l’ingestion, surtout en raison de l’absence de parallélisme anatomoclinique (douleur spontanée, lésions oropharyngées) (16), mais aussi face à l’impossibilité de se fier aux dires
d’un patient suicidaire. L’examen doit être réalisé en présence du
chirurgien, car c’est lui qui pose l’indication opératoire (16). La
présence d’un œdème pharyngé et l’agitation du malade rendent
l’examen difficile. On peut être amené, dans ces conditions, à le
réaliser après sédation et intubation trachéale. Le délai optimal entre
l’ingestion et la réalisation de l’examen est de 3 à 6 heures en cas
d’ingestion de base et d’acide fort. Il doit être respecté, au risque
de sous-estimer la gravité des lésions s’il est réalisé trop tôt et de
retarder l’intervention chirurgicale s’il est réalisé trop tard. Ce délai
peut être plus long en cas d’ingestion d’eau de Javel ou de formol.
Après ingestion de ces produits, si l’exploration endoscopique
réalisée tôt (< 6 heures) met en évidence des lésions de moyenne
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Tableau. Classification endoscopique des lésions
caustiques.
Stade I
Pétéchies ou érythème
Stade II
IIa
Ulcérations linéaires ou rondes
IIb
Ulcérations circulaires ou confluantes
Stade III
IIIa
Nécrose localisée
IIIb
Nécrose étendue
Stade IV Perforation
Photo 1. Nécrose œsophagienne diffuse
(Destop®).
gravité, elle doit être répétée dans les 24 heures, afin de détecter
une aggravation qui pourrait faire poser une indication opératoire
secondaire. L’introduction de l’appareil doit être prudente et se faire
sous contrôle de la vue. Cependant, dans ce contexte, la perforation
digestive endoscopique est exceptionnelle (14, 16, 18). Son risque
est élevé quand l’endoscopie est réalisée au-delà de la 48e heure (16).
Le principal danger de l’examen est l’inhalation caustique, rendant indispensables l’utilisation d’un endoscope doté d’une puissante aspiration et l’aspiration immédiate du contenu gastrique avant
de réaliser l’exploration œsogastrique proprement dite. En cas de
brûlures gastriques sévères, la rétrovision, en raison de l’importante insufflation qu’elle nécessite, et l’exploration duodénale, si
elle est difficile, sont déconseillées, compte tenu des risques de
perforation qu’elles comportent, et parce qu’elles ne modifient pas
l’indication opératoire.
Description des lésions
Les lésions sont classiquement définies en quatre stades (tableau).
En fait, cette classification ne permet pas une définition lésionnelle
précise, et la variabilité d’interprétation interobservateur est grande.
Le principal problème est l’appréciation de la gravité des lésions
œsophagiennes. Au stade initial des lésions sévères, il existe rarement des ulcérations, et la muqueuse a un aspect gris ou beige, la
coloration noirâtre de la nécrose n’apparaissant que secondairement (photo 1). En fait, l’appréciation du degré d’extension pariétale de la nécrose, dont dépendent les risques de perforation et de
brûlure par contiguïté des organes de voisinage, est primordiale
pour poser l’indication opératoire. Une atonie complète traduit une
nécrose transpariétale et est un signe majeur de gravité. L’appréciation des lésions gastriques et duodénales est plus simple. Au
niveau de l’estomac, les lésions maximales sont localisées à sa partie la plus déclive en décubitus dorsal, c’est-à-dire au niveau de la
grosse tubérosité. Les lésions de nécrose sont hémorragiques et
noirâtres d’emblée (photo 2).
En pratique, plutôt que d’utiliser une classification, il est préférable de réaliser un schéma détaillé de l’examen, en précisant
l’étendue, la nature exacte des lésions et la contractilité des segments lésés. Enfin, chez les malades pour lesquels l’endoscopie n’a pas conduit à une intervention en urgence, elle doit être
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Photo 2. Nécrose gastrique partielle avec
muqueuse congestive hémorragique.
répétée chaque fois que l’on suspecte cliniquement une aggravation des lésions.
L’ENDOSCOPIE TRACHÉOBRONCHIQUE
Une brûlure trachéobronchique est provoquée par l’inhalation du
produit caustique ou par une médiastinite caustique secondaire à
des brûlures œsophagiennes sévères (8). L’endoscopie trachéobronchique doit être systématiquement réalisée en cas de suspicion
d’inhalation et/ou de nécrose des tiers supérieur et moyen de l’œsophage. Les brûlures limitées au tiers inférieur de l’œsophage ne provoquent jamais de lésions trachéobronchiques de contiguïté. Les
brûlures par inhalation surviennent précocement ; elles prennent un
aspect en coulée prédominant sur la bronche souche droite et sont
fréquemment associées à des lésions ORL, à des troubles ventilatoires initiaux et à des vomissements. Les brûlures par contiguïté
se traduisent par l’apparition secondaire des lésions. Elles prédominent sur le bord postérieur gauche de la trachée et la bronche souche
gauche, au niveau des zones de contact entre l’œsophage et l’arbre
trachéobronchique. La présence de lésions trachéobronchiques de
contiguïté doit conduire à modifier le protocole opératoire (cf. infra).
À la phase initiale de la prise en charge, et contrairement à ce qui
a été proposé (3), nous pensons que l’échographie et la tomodensitométrie abdominale ne sont d’aucune utilité pour poser une
indication opératoire. Les lésions des organes de voisinage s’associent toujours à des brûlures œsogastriques graves qui nécessitent
à elles seules une laparotomie, au cours de laquelle le bilan lésionnel
complet est effectué. En revanche, ces examens sont utiles lorsque
l’on suspecte une complication secondaire chez les malades qui
n’ont pas été opérés en urgence, telle une perforation bouchée.
TRAITEMENT À LA PHASE INITIALE
Les figures 1 et 2 exposent les grandes règles de la prise en charge
thérapeutique de ces malades selon la localisation et la gravité
des lésions.
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Stade I
Stade IIb
Stade IIIa
Stade IIa
Alimentation
immédiate
FOGD
FOGD
s
ur
Fibroscopie
trachéobronchique
o
5j
e1
Guérison
Stade IIIb
Jeûne
21 jours
NPT
Jeûne
8 jours
Guérison
n
eû
J
Guérison = 0
FOGD : fibroscopie
œso-gastroduodénale
TOGD : transit
œso-gastroduodénal
NPT : nutrition
parentérale totale
Sténose TOGD
Bypass
chirurgical
3e mois
Dilatation
endoscopique
6e semaine
Guérison
Œsophagectomie
± thoracotomie
en urgence
Échec
Figure 1. Attitude thérapeutique. Lésions œsophagiennes.
Stade I-IIa
Stade IIb
Stade IIIa
Stade IIIb
Jeûne
8 jours
NPT
Alimentation
immédiate
FOGD
Laparotomie
exploratrice
en urgence
Ulcérations
Nécrose Jéjunostomie
Jeûne
15 jours
FOGD
Sténose antrale
TOGD
FOGD : fibroscopie
œso-gastroduodénale
TOGD : transit
œso-gastroduodénal
NPT : nutrition
parentérale totale
Gastrectomie
partielle
3e mois
s
ur
21
jo
Gastrectomie
totale
Anastomose
œsojéjunale
ou œsophagectomie
considérablement le pronostic. Cette attitude n’est pas partagée
par tous (19, 20). Dans notre expérience, elle a manifestement fait
diminuer la mortalité.
L’attitude face à des lésions de nécrose localisées (stade IIIa) est
en général conservatrice. Cependant, en présence d’une nécrose
œsophagienne suspendue des tiers supérieur ou moyen de l’œsophage et, a fortiori, quand il existe une suspicion de brûlure trachéobronchique de contiguïté en endoscopie bronchique, l’œsophagectomie doit être réalisée. Par ailleurs, des lésions de nécrose gastrique
localisées dont il est difficile d’établir le caractère transmural en
endoscopie doivent conduire à réaliser une laparotomie à la recherche
de lésions préperforatives ou perforatives. Au cours de cette laparotomie sera réalisée soit une gastrectomie, soit une simple jéjunostomie d’alimentation.
Une fois la décision d’exérèse prise, celle-ci doit être réalisée sans
délai, la mortalité opératoire augmentant significativement lorsque
le délai entre l’ingestion et l’intervention dépasse 12 heures (1).
TYPES D’INTERVENTIONS CHIRURGICALES
EN URGENCE
L’intervention est le plus souvent une œsogastrectomie totale
(photo 3) (21). L’œsophagectomie est réalisée à thorax fermé, par
stripping de haut en bas par une double voie d’abord cervicale et
abdominale. Un drainage médiastinal, une jéjunostomie d’alimentation et une œsophagostomie cervicale sont réalisés en
fin d’intervention (figure 3). En
cas de lésions gastriques prédominantes, l’œsophage peut être
conservé, si les lésions œsophagiennes ne dépassent pas le stade
d’ulcérations superficielles et
s’il est bien vascularisé. Une gastrectomie totale avec anastomose
œsojéjunale sur une anse en Y
est alors réalisée (22). Si les
lésions œsophagiennes sont plus
importantes, il existe une forte Photo 3. Nécrose œsogastrique
probabilité de voir se constituer totale.
Figure 2. Attitude thérapeutique. Lésions gastriques.
INDICATIONS OPÉRATOIRES
La décision d’exérèse est formelle en présence d’une péritonite
caustique et d’une nécrose diffuse (stade IIIb) œsophagienne, gastrique ou œsogastrique.
Le but de l’exérèse précoce des organes atteints de nécrose diffuse
est de prévenir une perforation caustique et de limiter l’extension
de la brûlure aux organes de voisinage, situations qui assombrissent
La lettre de l’hépato-gastroentérologue - n° 4 - vol. VIII - juillet-août 2005
Figure 3. Œsophagectomie sans thoracotomie par stripping.
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une sténose caustique secondaire, et il n’est pas licite de réaliser
dans le même temps une anastomose œsojéjunale. Afin d’éviter les
complications liées à l’exclusion ou au drainage d’un œsophage
laissé en place, une œsogastrectomie est alors préférable (1). À
l’inverse, l’estomac peut être conservé en cas de brûlure œsophagienne prédominante. Il faut alors réaliser un geste de drainage
gastrique (pyloroplastie ou gastrostomie). La mortalité de l’œsogastrectomie totale est d’environ 10 % (1).
CAS PARTICULIER
DES EXÉRÈSES VISCÉRALES ÉLARGIES
En cas d’ingestion massive de
substances à forte causticité
et/ou de retard dans la prise en
charge chirurgicale (5, 16), la
brûlure peut s’étendre par contiguïté aux organes de voisinage
dans l’abdomen, principalement
au bloc duodénopancréatique, à
l’intestin grêle et au mésocôlon
transverse. La réalisation d’une
duodénopancréatectomie céphalique associée à l’œsogastrectomie totale est licite et ne s’accompagne pas d’une mortalité Photo 4. Nécrose étagée du grêle.
prohibitive (7). Les limites raisonnables de l’exérèse sont les nécroses intestinales massives en
raison des très faibles chances de survie postopératoire (photo 4).
Les exérèses coliques étendues peuvent compromettre la reconstruction œsophagienne. Enfin, l’extension secondaire de la brûlure
après l’exérèse élargie est fréquente et doit conduire à la réintervention pour exérèse complémentaire au moindre doute. La mortalité
opératoire après exérèse viscérale élargie est de 25 % (7). Cela souligne la nécessité de réaliser des exérèses viscérales précoces en
cas de brûlures sévères, afin d’éviter l’extension de la brûlure aux
organes de voisinage.
CAS PARTICULIER DES BRÛLURES
TRACHÉOBRONCHIQUES DE CONTIGUÏTÉ
Le diagnostic en est fait par la fibroscopie bronchique, systématique
en cas de nécrose des deux tiers supérieurs de l’œsophage. L’œsophagectomie ne peut alors être menée par stripping en raison du
risque de déchirure trachéale. Elle est menée par thoracotomie droite
et s’accompagne de la réalisation d’un patch pulmonaire trachéobronchique (8).
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sation plus rapide que l’œsophage et que le risque d’évolution vers
la sténose y est moindre (16). Ainsi, pour des lésions de même gravité, la reprise de l’alimentation sera plus précoce en cas de lésions
gastriques.
• En cas d’érythème de l’œsophage ou d’ulcérations gastriques
superficielles, la reprise de l’alimentation orale est immédiate, et
la sortie de l’hôpital s’effectue après une consultation psychiatrique systématique.
• Dans tous les autres cas, une surveillance en hospitalisation est
nécessaire, en raison du risque de complications à type d’hémorragie, de surinfection et de perforation qui peuvent survenir jusqu’au
21e jour. Le jeûne strict est indispensable pour limiter les phénomènes inflammatoires, obtenir la cicatrisation des lésions et limiter le risque de sténose cicatricielle. Une alimentation entérale ou
parentérale hypercalorique est instituée. Elle semble jouer un rôle
important dans la cicatrisation des lésions muqueuses (18).
• En cas d’ulcérations profondes de l’estomac ou d’ulcérations
superficielles de l’œsophage, un contrôle endoscopique est réalisé
au 8e jour, délai après lequel on peut espérer une nette amélioration
des lésions (persistance d’un simple érythème ou d’ulcérations
superficielles gastriques). L’alimentation orale peut alors être
reprise.
• Lorsque les lésions initiales sont plus avancées, le contrôle endoscopique est effectué au 21e jour, car il est illusoire d’espérer une
cicatrisation avant ce délai. En l’absence d’amélioration nette
(persistance de lésions de nécrose, d’ulcérations œsophagiennes,
d’ulcérations gastriques creusantes), le jeûne doit être poursuivi.
L’évolution se fait alors le plus souvent vers la constitution d’une
sténose œsophagienne, qui peut être dilatée à partir de la 6e semaine.
En cas d’impossibilité ou d’échec de la dilatation endoscopique,
une œsophagoplastie sera réalisée au 3e mois.
Le choix entre alimentation parentérale et entérale par jéjunostomie pendant la période de jeûne dépend de la durée prévisible de
la cicatrisation. La mise en place d’une sonde de jéjunostomie est
justifiée dès que l’on prévoit une durée de jeûne minimale de 21 jours
et un fort risque de sténose cicatricielle, c’est-à-dire dès qu’il
existe des ulcérations profondes œsophagiennes ou des lésions de
nécrose œsogastrique, n’imposant pas une exérèse en urgence.
CONCLUSION
En cas de brûlure caustique œsogastrique sévère, une exérèse viscérale doit être réalisée en urgence. La principale difficulté est de
savoir poser l’indication opératoire. Cependant, tous les centres
de soins doivent être en mesure de le faire, car le pronostic vital
de ces patients dépend essentiellement de la précocité d’une prise
en charge adaptée.
■
TRAITEMENT DES MALADES NON RÉSÉQUÉS
Les attitudes à adopter dépendent de l’importance de la brûlure.
Elles peuvent être nuancées en fonction de la localisation des lésions
(figures 1 et 2), sachant que l’estomac a une capacité de cicatri168
Mots-clés : Brûlures caustiques - Œsophagectomie - Gastrectomie - Maladie psychiatrique.
Keywords: Caustic injury - Œsophagectomy - Gastrectomy - Psychiatric disorders.
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to corrosive burns of the upper gastrointestinal tract. J Br Soc Gastroenterology
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19. Pruvot FR, Brami F, Saulnier F et al. Gastric conservation in severe caustic
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20. Ribet M, Chambon JP, Pruvot FR. Oesophagectomy for severe corrosive
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du tractus digestif supérieur de l’adulte. Chirurgie 1989;115:220-7.
22. Gossot D, Sarfati E, Célérier M. Anastomose œso-jéjunale immédiate après
gastrectomie totale pour nécrose caustique. Ann Chir 1989;43:352-5.
1er Congrès francophone de chirurgie digestive
et hépatobiliaire
Journée de Gastro-entérologie
Paris, 8-10 décembre 2005
Organisateur : J.P. Legendre, hôpital Saint-Antoine
Comité d’organisation : K. Boudjema, D. Cherqui, L. Chiche,
J. Chipponi, L. de Calan, B. Dousset, Y. Panis, C. Partensky,
B. Sastre, A. Sauvanet.
Maison de la Chimie - 28, rue Saint-Dominique
75007 Paris
Paris, vendredi 25 novembre 2005
Centre de congrès de New Bay Club - DisneyLand Resort Paris
75007 Paris
Inscription avant le 11 novembre 2005
par fax au 01 41 06 67 79 ou en vous inscrivant
sur le site Internet : www.b-c-a.fr/hepatogastro2005
Thèmes : chirurgie colorectale ; chirurgie hépato-biliaire
et pancréatique ; laparoscopie ; cancérologie ;
tranplantation hépatique ; formation continue.
Droits d’inscription : les droits d’inscription sont fixés
à 110 € par journée. Gratuit pour les étudiants
et les internes sur présentation de justificatif.
BCA
6, boulevard du Général-Leclerc
92115 Clichy Cedex - France
[email protected]
www.b-c-a.fr
Tél. : +33 (0)1 41 06 67 70
Fax : +33 (0)1 41 06 67 79
La lettre de l’hépato-gastroentérologue - n° 4 - vol. VIII - juillet-août 2005
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