D O S S I E R T H É M A T I Q U E Les hépatites fulminantes Fulminant hepatitis ● S. Dharancy, F.R. Pruvot* P O I N T S F O R T S P O I N T S F O R T S ■ Les patients avec hépatite fulminante (HF) présentent une défaillance hépatique sévère qui, à un stade avancé, peut évoluer vers une défaillance multiviscérale. Ces patients doivent être pris en charge de façon précoce dans une unité de soins intensifs en collaboration avec une équipe de transplantation hépatique. ■ La prévention de l’œdème cérébral et le maintien d’un état hémodynamique stable sont deux points critiques de la prise en charge des patients. ■ Devant des signes d’hypertension intracrânienne (HTIC), une osmothérapie et une hyperventilation assistée peuvent être proposées, car elles permettent de diminuer temporairement la pression intracrânienne. Il n’existe pas d’arguments clairs en faveur de leur instauration préventive. ■ La correction de la coagulopathie par transfusions de concentrés plaquettaires et/ou de PFC congelé n’est recommandée qu’en situation d’hémorragie active ou préalablement à une procédure invasive. ■ De nombreuses anomalies métaboliques sont à prévenir et à traiter, parmi lesquelles, au premier plan, figure l’hypoglycémie. ■ La N-acétyl-cystéine (NAC) est un antidote efficace et son administration systématique est conseillée dans tous les cas où un surdosage en paracétamol est documenté, suspecté ou possible. ■ La détermination du caractère réversible ou irréversible de l’HF à l’aide des indicateurs pronostiques et la détermination de la fenêtre de transplantabilité conditionnent le recours à la transplantation hépatique. Abréviations utilisées HTIC : hypertension intracrânienne EH : encéphalopathie hépatique HF : hépatite fulminante. DÉFINITIONS ET DONNÉES ÉPIDÉMIOLOGIQUES Une insuffisance hépatique aiguë grave se définit par une défaillance hépatique avec insuffisance hépatocellulaire entraînant une chute du taux de prothrombine (TP) ou du facteur V inférieure à 50 %. L’hépatite fulminante (HF) est une insuffisance hépatique grave avec manifestation d’encéphalopathie hépatique (EH). L’HF correspond à un syndrome clinique de défaillance hépatique d’apparition brutale associant une coagulopathie, un ictère et une EH, stricto sensu, en l’absence de maladie hépatique préexistante. Les différentes dénominations et tentatives de classification se rapportant à ce cadre nosologique ne facilitent pas l’analyse de la littérature et sont source de confusion. Les classifications reposent sur la durée de l’intervalle au sein duquel se développent l’ictère et l’encéphalopathie hépatique (figure 1). Aux États-Unis, le terme Intervalle ictère-encéphalopathie (semaine) 0 S1 170 S4 Hépatite fulminante S8 S12 S24-S26 Hépatite subfulminante Trey C et al., 1970 Hépatite fulminante Hépatite subfulminante Bernuau J et al., 1986 Défaillance hépatique aiguë Défaillance hépatique hyperaiguë * Service des maladies de l’appareil digestif et de la nutrition, hôpital ClaudeHuriez. Équipe de transplantation hépatique, chirurgie adulte Ouest, hôpital Claude-Huriez, CHRU, Lille. S2 Défaillance hépatique subaiguë , O Grady JG et al., 1993 Figure 1. Classification des insuffisances hépatiques aiguës avec encéphalopathie hépatique. La lettre de l’hépato-gastroentérologue - n° 4 - vol. VIII - juillet-août 2005 d’HF est retenu devant une séquence ictère-encéphalopathie développée au cours de 8 semaines ; le terme d’hépatite subfulminante est ensuite proposé pour un intervalle allant de la 8e à la 24e semaine. En France, un intervalle de 2 semaines définit l’HF et, au-delà de cette période, le terme utilisé est celui d’hépatite subfulminante (1). Enfin, l’équipe du King’s College Hospital a proposé les termes de défaillance hépatique hyperaiguë, aiguë et subaiguë pour des séquences évoluant respectivement sur 7 jours, 8 à 28 jours et 5 à 12 semaines (2). L’intérêt de cette dernière classification reposerait sur un pronostic apparaissant d’autant plus favorable que l’intervalle serait court. Cette atteinte, qui est rare, est une urgence vitale en hépatologie en raison de son pronostic spontané gravissime entraînant un risque de décès, en fonction de l’étiologie, dans 50 à 80 % des cas en l’absence de transplantation hépatique. La principale difficulté liée à cette affection est de déterminer son caractère réversible ou irréversible amenant une décision de transplantation hépatique. La prévalence exacte de l’HF est inconnue et, dans la grande majorité des cas, le facteur étiologique identifié est soit médicamenteux, soit viral. Dans 20 à 40 % des cas, aucune étiologie n’est retrouvée. Approximativement 2 000 cas d’HF sont rapportés annuellement aux États-Unis (incidence de 6/M d’habitants), de cause virale dans 35 à 50 % des cas. En France, un indicateur minimal indirect est fourni par le nombre de patients inscrits sur liste d’attente de transplantation hépatique en “super urgence”. Ce nombre, relativement stable depuis 5 ans, était de 67 patients en 2003 (données rapport EFG 2003), soit une prévalence sous-estimée proche de 1/M d’habitants. Dans les pays scandinaves, la prévalence d’inscription sur liste d’attente pour cette atteinte est de 0,7 à 1,5/M d’habitants (3). Les objectifs de cet article sont de présenter de façon succincte les principales manifestations cliniques de l’HF ainsi que les principales mesures thérapeutiques formalisées sous la forme de recommandations thérapeutiques en mai 2005 par l’American Association for the Study of Liver Diseases (4). MANIFESTATIONS DE L’HÉPATITE FULMINANTE Les patients avec HF présentent habituellement une défaillance multiviscérale, même si le pronostic dépend essentiellement de l’atteinte neurologique (figure 2). L’atteinte neurologique L’encéphalopathie hépatique (EH) est un syndrome neuropsychiatrique développé chez les patients avec insuffisance hépatique ou shunt portosystémique après élimination d’une autre cause d’atteinte cérébrale. Sa présence est nécessaire au diagnostic d’HF. Devant la disparité des tableaux cliniques sous-jacents et du potentiel évolutif, une nomenclature différenciant trois types d’EH a été proposée en 2002 : le type A (pour aigu) est associé à une défaillance hépatique aiguë, le type B (pour bypass) à un shunt portosystémique sans maladie hépatique intrinsèque, et le type C à la cirrhose (5). L’EH de type A est caractérisée par un pronostic plus sombre, répondant moins au traitement par le lactulose et évoluant plus volontiers vers l’œdème cérébral puis le coma. Ainsi, l’œdème La lettre de l’hépato-gastroentérologue - n° 4 - vol. VIII - juillet-août 2005 Figure 2. L’hépatite fulminante : une atteinte multiviscérale. Tableau I. Classification de l’encéphalopathie hépathique. Stade Principales manifestations cliniques I Troubles légers du comportement : euphorie, anxiété Peu de modifications de la conscience II Désorientation, comportement inadapté Astérixis possible Somnolence intermittente III Confusion Discours incohérent Patient endormi mais stimulable IV État comateux, absence de réponse à la douleur, mouvements de décortication ou décérébration cérébral n’est pas constant au cours de l’HF, sa présence est rare au cours des stades I et II, mais il complique l’évolution de la majorité des patients en stade IV (tableau I). L’interprétation des signes neurologiques reste difficile à un stade précoce. À ce stade, des anomalies discrètes peuvent être confondues, discordantes ou exacerbées par des manifestations liées au stress, aux conditions d’hospitalisation, au contexte émotionnel et clinique (intoxication médicamenteuse volontaire, alcoolisation aiguë). Ce risque potentiel de sur- ou sous-estimation de l’état neurologique justifie la répétition d’une évaluation clinique comparative, dont la rythmicité devra tenir compte de l’enrichissement et de la progression de la symptomatologie. La mesure de l’activité cérébrale par électroencéphalogramme permet de détecter de façon précoce des anomalies infracliniques et, éventuellement, d’anticiper leur évolution. Une tomodensitométrie cérébrale peut être utile pour éliminer une autre cause d’atteinte comme une hémorragie intracrânienne. À un stade constitué d’EH, le risque principal est représenté par le développement d’un œdème cérébral et des manifestations d’hypertension intracrânienne (HTIC). Ces manifestations, qui traduisent la gravité du tableau et la possibilité de souffrance puis d’engagement cérébral, sont des troubles du rythme cardiaque et de la pression artérielle, des manifestations neurovégétatives, une hypertonie musculaire, des anomalies pupillaires. L’œdème papil171 D O S S I E R T laire et les manifestations digestives sont rares. L’engagement cérébral constitue une cause importante de mortalité des patients avec HF. La prise en charge thérapeutique aura pour objectif de lutter contre l’apparition et la progression de l’œdème cérébral tout en préservant une perfusion cérébrale satisfaisante. Compte tenu de la rareté de l’atteinte, peu d’études contrôlées sont disponibles. Prise en charge thérapeutique de l’EH H É M A T I Q U E compte tenu des incertitudes résiduelles concernant des risques potentiels, cette technique n’est recommandée qu’en seconde ligne ou en recours après échec de l’osmothérapie. La corticothérapie n’a pas démontré d’intérêt significatif dans le contrôle de l’œdème cérébral ou de la survie des patients avec HF. Au total, devant des signes d’HTIC, une osmothérapie et une hyperventilation assistée peuvent être proposées, car elles permettent de diminuer temporairement la pression intracrânienne. Il n’existe pas d’arguments clairs en faveur de leur instauration préventive. – Conditionnement du patient Le patient sera isolé dans une chambre calme. Toutes les stimulations auditives et visuelles seront idéalement évitées. La tête sera surélevée de 30° et toutes les causes de gêne au retour veineux seront prévenues. La sédation doit être évitée aux stades initiaux de l’EH. Le patient dont le stade d’EH progresse (III ou IV) sera intubé afin de protéger ses voies aériennes. La mesure invasive de la pression intracrânienne reste sujette à controverse. Même si cette mesure fournit des informations intéressantes pour la surveillance neurologique, la procédure de mise en place comporte des risques hémorragiques qui peuvent éventuellement être prévenus par l’administration de facteurs de coagulation (facteur VII recombinant), mais aucune étude contrôlée ne prouve que cette mesure apporte un bénéfice en termes de survie. En l’absence de surveillance directe de la pression intracrânienne, une évaluation neurologique régulière doit permettre d’identifier des signes avant-coureurs d’un engagement cérébral. La coagulopathie Une étude rétrospective multicentrique publiée sous forme d’abstract a comparé l’évolution de 70 patients avec HF traités par lactulose à 43 patients non traités présentant des caractéristiques comparables. Cette étude ne mettait pas en évidence de différence entre les deux groupes en termes de sévérité de l’EH, de recours à la TH et de mortalité. La médiane de survie observée des patients traités avec lactulose, plus longue (15 jours versus 7 jours), suggérait une possibilité d’attente d’un greffon plus importante (6). Ainsi, le traitement par lactulose peut éventuellement être utile aux stades initiaux I et II de l’EH. Son utilisation, qui s’accompagne habituellement d’une distension gazeuse intestinale, peut néanmoins gêner la réalisation de la transplantation hépatique. Le foie étant le principal organe produisant les facteurs de la coagulation, tous les patients avec une HF présentent d’importantes anomalies de l’hémostase liées à la diminution de la synthèse des facteurs I, II, V, VII, IX et X. Dans ce contexte, d’autres anomalies sont fréquemment associées : consommation de ces facteurs, activation de la fibrinolyse, thrombopénie sévère et thrombopathie. La valeur pronostique du facteur V (proaccélérine) au cours de l’HF vient de sa demi-vie, qui est l’une des plus courtes (de 15 à 36 heures) et donne une relative indication sur la réserve fonctionnelle hépatique. En l’absence d’hémorragie active, il n’apparaît pas nécessaire de corriger ces anomalies par transfusion de concentrés plaquettaires ou de plasma frais congelé (PFC). Par ailleurs, le PFC modifie artificiellement le bilan d’hémostase, ne permettant plus d’interpréter les facteurs de coagulation comme indicateurs pronostiques, et comporte un risque d’inflation volumique par surcharge hydrosodée, facteur d’aggravation et précipitant vers l’HTIC. La correction externe de ces anomalies par transfusions de concentrés plaquettaires et/ou de PFC congelé n’est recommandée qu’en situation d’hémorragie active ou préalablement à une procédure invasive. L’administration de facteur VII recombinant humain pourrait également se révéler utile dans la prise en charge des patients en HF. Dans une étude publiée en 2003, son utilisation associée au PFC chez 7 patients, comparativement à la perfusion de PFC seul, réduisait le risque d’anasarque, corrigeait transitoirement les anomalies de l’hémostase, permettait la réalisation de gestes invasifs (mesure invasive de la pression intracrânienne) et améliorait sensiblement la survie globale post-transplantation (9). Ce travail mérite d’être confirmé à plus grande échelle. – L’osmothérapie, l’hyperventilation et la corticothérapie L’atteinte hémodynamique L’intérêt pour l’osmothérapie dans la prévention de l’œdème cérébral repose en partie sur une étude contrôlée publiée en 1982 et incluant 44 patients (7). Dans ce travail, l’administration de mannitol (1 g/kg) contrôlait les épisodes d’HTIC liée à l’œdème cérébral et améliorait significativement la survie (47 % versus 6 %, p = 0,008). Son utilisation, habituellement en bolus de 0,5 à 1 g/kg, présente un risque de rétention hydrosodée en cas d’insuffisance rénale. L’association à une technique d’épuration rénale est alors conseillée. L’hyperventilation provoque une diminution de la PaCO2 qui induit une diminution du flux sanguin cérébral par un mécanisme de vasoconstriction vasculaire. Dans une étude randomisée, l’hyperventilation préventive permettait de retarder l’engagement cérébral sans éviter l’œdème cérébral ni améliorer la survie (8). Néanmoins, La situation hémodynamique du patient avec HF est par certains aspects comparable à celle du patient cirrhotique en syndrome hépatorénal ou à celle du patient en choc septique avec effondrement des résistances vasculaires systémiques et hypercinésie circulatoire (débit cardiaque élevé, tachycardie). L’étude hémodynamique hépatique par cathétérisme sus-hépatique (mesure de la pression sus-hépatique bloquée et libre) met en évidence un gradient portosystémique élevé, témoin d’une hypertension portale liée à la congestion sinusoïdale (10). La plupart des patients à l’admission nécessitent un remplissage vasculaire en raison d’une hypovolémie réelle ou relative liée à l’apparition d’un troisième secteur, d’une vasodilatation généralisée et/ou d’une déshydratation (troubles digestifs, apports hydriques insuffisants). Le soluté d’expansion volumique souvent privilégié est l’albumine. L’utilisation de drogues – Le lactulose 172 La lettre de l’hépato-gastroentérologue - n° 4 - vol. VIII - juillet-août 2005 vasoactives (épinéphrine, norépinéphrine ou dopamine) peut devenir nécessaire en complément de l’expansion volumique afin de maintenir une pression artérielle de perfusion moyenne constamment supérieure à 60 mmHg. L’atteinte rénale et les troubles métaboliques Une insuffisance rénale aiguë est une constatation fréquente. Elle est présente d’emblée, dès l’admission, ou elle apparaît au cours de l’évolution de l’HF. Il s’agit d’une insuffisance rénale fonctionnelle liée à la diminution de la perfusion rénale ou d’une nécrose tubulaire aiguë volontiers d’origine toxique (intoxication par le paracétamol). D’une façon générale, les substances à potentiel néphrotoxique seront, dans la mesure du possible, contre-indiquées. Lorsqu’une épuration devient nécessaire, les techniques d’épuration continue (hémofiltration continue) seront préférées aux techniques intermittentes (hémodialyse intermittente), source d’instabilité et de déséquilibre hémodynamique. De nombreuses anomalies métaboliques sont à prévenir et à traiter, parmi lesquelles l’hypoglycémie figure au premier plan. Une perfusion continue de sérum glucosé, permettant des apports contrôlés en magnésium, phosphore et potassium, est nécessaire. L’atteinte respiratoire Une hypoxie est fréquemment constatée chez le patient avec HF. Sa cause est souvent multifactorielle (effet shunt, pneumopathie, hémorragie, SDRA). Une oxygénothérapie nasale et une protection des voies aériennes par aspiration gastrique sont recommandées dès l’apparition des troubles de conscience. L’évolution vers un coma rend nécessaire une intubation pour une ventilation assistée. PRISE EN CHARGE DU PATIENT AVEC HF La gestion du facteur temps et la surveillance L’intégration de la composante temporelle dans la prise en charge du patient avec HF est un élément clé. Une prise en charge précoce dans une unité de soins intensifs spécialisée en collaboration avec l’équipe de transplantation est un objectif prioritaire, idéalement dès le stade d’insuffisance hépatique grave, car elle conditionne la possibilité d’un traitement spécifique, qui sera d’autant plus efficace que son instauration sera précoce. En effet, l’histoire naturelle de l’HF peut ne pas suivre un mode linéaire, et l’aggravation rapide de l’état du patient sur quelques heures peut réduire significativement les fenêtres décisionnelles et de transplantabilité. Par ailleurs, à un stade constitué, les transferts et transports sont source de stimulations neurosensorielles délétères chez un patient avec une EH. Le bilan biologique à l’admission devra permettre de détecter des anomalies métaboliques et de rechercher une étiologie pouvant potentiellement relever d’un traitement spécifique (tableau II). Une surveillance clinique et biologique rapprochée est ensuite nécessaire. Tableau II. Bilan biologique d’admission pour une hépatite fulminante. Taux de prothrombine, facteur V Groupe sanguin Numération formule sanguine avec numération plaquettaire Tests fonctionnels hépatiques (ASAT, ALAT, PAL, gGT, bilirubine) Protidémie, albuminémie Ionogramme sanguin, glycémie, calcémie, posphorémie Fonction rénale (urée, créatinine) Amylase lipase Gaz du sang et lactates artériels Sérologies VIH, VHA, VHB, VHC Test de grossesse Paracétamolémie et recherche de toxiques Marqueurs auto-immuns : dosage immunoglobulines anticorps anti-tissus Céruloplasminémie contribuer à aggraver l’insuffisance hépatique. Un principe de précaution et le caractère non invasif initial de la prise en charge sont des éléments clés. Les procédures invasives seront effectuées dans une stratégie le plus souvent curative et non de façon préventive. L’antibiothérapie prophylactique systématique est sujette à controverse. Les arguments en faveur de son utilisation sont liés à l’existence d’un risque infectieux élevé et de son activité potentielle dans le contrôle des médiateurs inflammatoires participant à la physiopathologie de l’atteinte neurologique. Néanmoins, aucun bénéfice de survie n’a été pour l’instant démontré. La plupart des équipes initient néanmoins une antibiothérapie chez un malade intubé ventilé. Un traitement par N-acétyl-cystéine (NAC) systématique ? L’hépatite au paracétamol est une cause importante d’HF en Europe et aux États-Unis, et son rôle potentiel comme cofacteur d’aggravation au cours des hépatites virales aiguës est souvent débattu. Une paracétamolémie basse ou négative n’élimine pas l’étiologie médicamenteuse chez un patient pris en charge quelquefois plusieurs jours après la prise médicamenteuse. La NAC est un antidote efficace, et son administration systématique est conseillée dans tous les cas où un surdosage en paracétamol est documenté, suspecté ou possible. La tolérance de la NAC peut être médiocre, avec réaction anaphylactoïde et manifestations d’intolérance digestive, dont des vomissements faisant courir le risque d’inhalation chez un patient avec EH. Dans plusieurs études, la NAC permettrait d’améliorer les constantes hémodynamiques, la perfusion et la fonction hépatique. Sur ce rationnel, un essai multicentrique randomisé est en cours d’organisation pour déterminer l’intérêt d’étendre l’administration systématique de NAC dans les autres formes d’HF non liées à un surdosage en paracétamol. Une prise en charge conservatrice LES INDICATEURS PRONOSTIQUES, LA SUPPLÉANCE HÉPATIQUE ET LA TRANSPLANTATION HÉPATIQUE Le principe d’un traitement conservateur visant à éviter les cofacteurs d’aggravation doit être appliqué. Les traitements médicamenteux non vitaux sont arrêtés, car l’altération de leur métabolisme peut La transplantation hépatique en urgence est le traitement de référence de l’HF dont l’évolution ne permet pas d’assurer une régé- La lettre de l’hépato-gastroentérologue - n° 4 - vol. VIII - juillet-août 2005 173 S S I E R T nération hépatocytaire compatible avec une survie. La fenêtre de transplantabilité correspond à la période séparant la présence de critères de transplantation de la mort cérébrale ou de la mise en évidence d’une contre-indication à la TH. En France, les critères de transplantation communément admis sont : – l’apparition d’une confusion ou d’un coma associé à une diminution du facteur V < 30 % chez un patient de plus de 30 ans ; – l’apparition d’une confusion ou d’un coma associé à une diminution du facteur V < 20 % chez un patient de moins de 30 ans. Lorsque ces conditions sont remplies, la probabilité de décès spontané est supérieure à 90 % (11). Le système d’attribution existant en France permet de donner prioritairement un greffon au patient en HF ou nécessitant une retransplantation précoce (inscription en “super urgence”). La majorité des patients (65 %) inscrits en “super urgence” accèdent à la greffe dans les trois premiers jours suivant leur inscription. Environ 20 % des patients sont désinscrits en raison d’une amélioration. L’équipe du King’s College Hospital a proposé des critères d’inscription sur liste différents, tenant compte de l’étiologie de l’HF (tableau III) (12). Les courbes de survie actuarielle post-transplantation observées au sein des registres français (données rapport EFG), européen (données ELTR) et américain (données UNOS) mettent en évidence des survies à un an de 65 à 78 % (figure 3). Tableau III. Facteurs pronostiques du King’s College Hospital. 1) Critères modifiés du King’s College Hospital pour inscription sur liste HF paracétamol Concentration artérielle lactate > 3,5 mmol/l après remplissage vasculaire précoce Ou soit un pH < 7,3 soit concentration artérielle lactate > 3 mmol/l après remplissage Ou créatinine > 300 µmol/l, INR > 6,5 et encéphalopathie hépatique ≥ stade 3 H É 100 T I Q U 80 E 73 67 66 60 66 62 55 60 63 57 60 54 40 59 55 53 50 8 9 10 Années 96 108 20 0 1 2 3 4 5 6 7 Hépatite fulminante ou subfulminante : 3 920 Hépatite suraiguë : 264 Autres : 247 Données EFG 100 90 80 70 60 50 40 30 20 10 p < 0,0001 0 0 12 24 36 48 60 72 Temps (mois) 84 120 Cirrhose alcoolique Pathologie biliaire Tumeur hépatique Autre cause Défaillance hépatique aiguë ou suraiguë Cirrhose posthépatique (B, C ou D) Données UNOS 1,0 0,9 Proportion de survivants O’Grady J, Gastroenterology 1989 A Total Log Rank test p= 0,014 0 Bernal W, Lancet 2003 2) Autres étiologies – Taux de prothrombine > 100 s Ou – L’association de trois des paramètres suivants • Âge < 10 ans ou > 40 ans • Séquence ictère-encéphalopathie hépatique > 7 jours • Taux de prothrombine > 50 s • Bilirubine > 300 µmol/l • Hépatites non A-B, halothane, idiosyncrasie M Données ELTR Survie actuarielle après greffe (%) O Taux de survie (%) D 0,8 0,7 0,6 0,5 0,4 0,3 0,2 CONCLUSION L’HF est une affection rare et gravissime caractérisée par une atteinte multiviscérale de traitement difficile. Une prise en charge précoce des patients en collaboration avec une équipe de transplantation hépatique est nécessaire. En 2005, comme en 1936, c’est l’évolution neurologique qui conditionne encore souvent le pronostic : “C’est moins l’ictère que les signes nerveux, somnolence, 174 0,1 0 1 PBC PSC HEP C 2 3 4 5 Années ALD HEP B Auto-immune 6 7 Cancers Métabolique Fulminante 8 9 Autres Figure 3. Résultats de la transplantation hépatique pour hépatite fulminante. La lettre de l’hépato-gastroentérologue - n° 4 - vol. VIII - juillet-août 2005 indifférence, torpeur surtout, et les tendances hémorragiques qui caractérisent l’ictère grave” (extrait de Quelques vérités premières sur les maladies du foie par Noël Fiessinger, 1936). ■ Mots-clés : Transplantation hépatique - Urgence - Médicaments Virus - Paracétamol. Keywords: Liver transplantation - Emergency - Virus - Paracetamol. R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S 1. Bernuau J, Rueff B, Benhamou JP. Fulminant and subfulminant liver failure: definitions and causes. Semin Liver Dis 1986;2:97-106. 2. O’Grady JG, Schalm SW, Williams R. Acute liver failure. Redefining the syndromes. Lancet 1993;342:273-5. 3. Brandsaeter B, Hockerstedt K, Friman S et al. Fulminant hepatic failure: outcome after listing for highly urgent liver transplantation-12 years experience in the nordic countries. Liver Transpl 2002;11:1055-62. 4. Polson J, Lee WM. American Association for the Study of Liver Disease (AASLD). Position paper: the management of acute liver failure. Hepatology 2005;5:1179-97. 5. Ferenci P, Lockwood A, Mullen K et al. Hepatic encephalopathy-definition, nomenclature, diagnosis, and quantification: final report of the working party at the 11th World Congress of Gastroenterology, Vienne, 1998. Hepatology 2002; 3:716-21. 6. Alba L, Hay JE, Angulo P, Lee WM. Lactulose therapy in acute liver failure. J Hepatol 2002;36:33A. 7. Canalese J, Gimson AE, Davis C et al. 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La triade diagnostique de l’angor intestinal est présente dans seulement 5 % des cas. B. La mortalité est plus faible en cas d’infarcissement veineux qu’artériel. C. L’examen de référence reste l’artériographie cœliomésentérique. D. L’ischémie artérielle non occlusive est la forme la plus grave. E. La revascularisation artérielle est possible,même en cas de lésions apparemment irréversibles de l’intestin grêle. 2. Dans la pancréatite aiguë A. La sphinctérotomie endoscopique est systématique en cas d’origine biliaire. B. Dans les traitements médicaux spécifiques,seule la somatostatine a démontré son efficacité. C. L’antibioprophylaxie n’a pas clairement démontré son bénéfice en cas de pancréatite grave. D. La chirurgie reste indiquée en cas de nécrose extensive vue au scanner. E. La ponction sous scanner des collections est contre-indiquée, car elle augmente le risque d’infection. 3. Devant une ingestion de caustique d’origine suicidaire A. L’endoscopie est indiquée, sauf en cas de forme grave, du fait du risque de perforation. B. Le taux de guérison spontanée sans séquelles ne dépasse pas 50 %. C. La chirurgie est indiquée chez environ 10 % des patients. D. L’ingestion suicidaire est plus grave que l’ingestion accidentelle. E. La progression des lésions est plus longue en cas d’eau de Javel que de bases fortes. 4. Devant une colite aiguë grave compliquant une maladie inflammatoire chronique de l’intestin A. La radiographie d’abdomen sans préparation n’a plus d’indication. B. La coloscopie est contre-indiquée du fait du risque de perforation. C. La corticothérapie intraveineuse à 1 mg/kg est le traitement de première ligne. D. Une colectasie impose habituellement la chirurgie. E. En cas de rectocolite hémorragique, une anastomose iléo-anale d’emblée est préférable à un traitement chirurgical en plusieurs temps. 5. En cas d’hépatite fulminante d’origine médicamenteuse A. L’hospitalisation en réanimation est systématique quel que soit l’état neurologique du patient. B. En l’absence d’hémorragie, la correction de la coagulopathie par transfusions n’est pas recommandée. C. La N-acétyl-cystéine, du fait de ses risques allergiques, n’est prescrite qu’en cas de certitude sur la responsabilité du paracétamol dans l’hépatite fulminante. D. L’indication de transplantation hépatique chez un patient de moins de 30 ans inclut un facteur V inférieur à 30 % et l’apparition d’un coma ou d’une confusion. E. La survie à un an après transplantation hépatique pour hépatite fulminante est d’environ 90 %. Réponses : 1 : B, C, D - 2 : C - 3 : C, D, E - 4 : C, D - 5 : A, B. La lettre de l’hépato-gastroentérologue - n° 4 - vol. VIII - juillet-août 2005 175