La Lettre du Cancérologue • Vol. XVII - n° 5 - mai 2008 | 189
tats obtenus démontrent sans
ambiguïté que l’expression de
l’isoforme M2, et non celle de
l’isoforme M1, est indispen-
sable à l’établissement des tumeurs.
Dans cet article, les auteurs mettent en évidence
un rôle majeur de la PK M2 dans les processus de
tumorogenèse et les changements métaboliques
qui les accompagnent. Bien que les mécanismes
sous-jacents restent à déterminer, il est vraisem-
blable que ce changement d’isoforme, tout en
n’étant pas par lui-même transformant, crée un
environnement métabolique favorable à la progres-
sion tumorale.
A. Escargueil,
hôpital Saint-Antoine, Paris
Références bibliographiques
1. Fantin VR, St-Pierre J, Leder P. Attenuation
of LDH-A expression uncovers a link between
glycolysis, mitochondrial physiology, and tumor
maintenance. Cancer Cell 2006;9:425-34.
Le polymorphisme
de la bléomycine hydrolase
est associé à l’efficacité
de la chimiothérapie
des cancers testiculaires
> De Haas EC, Zwart N, Meijer C, Nuver J, Boezen HM, Suurmeijer AJ,
Hoekstra HJ, van der Steege G, Sleijfer DT, Gietema JA. Variation
in bleomycin hydrolase gene is associated with reduced survival
after chemotherapy for testicular germ cell cancer. J Clin Oncol
2008;26(11):18-23.
Q
ui se souvient de la bléomycine ? Une des
rares indications de ce composé original est
le cancer du testicule ; dans les protocoles associant
cette molécule au cisplatine et à l’étoposide, on
atteint maintenant une survie à long terme de plus
de 80 % des patients, et il paraît difficile de faire
mieux, malgré le fait que le groupe de patients de
mauvais pronostic n’ait une survie à long terme
que de 48 %. La bléomycine reste indispensable
au traitement médical des tumeurs germinales
(1)
,
ce qui n’est pas sans poser problème, puisque ce
médicament présente une toxicité pulmonaire non
négligeable, et parfois fatale
(2)
. La bléomycine
est inactivée par une bléomycine hydrolase, qui
présente un polymorphisme (A1450G, ile443val)
souvent considéré comme fonctionnel parce qu’il
est associé à une différence dans l’endommage-
ment de l’ADN induit par la bléomycine
(3)
.
Les auteurs ont étudié rétrospectivement ce poly-
morphisme dans une cohorte de 372 patients traités
pour une tumeur non séminomateuse du testicule
dans un seul centre, de 1977 à 2003. Ils ont pu
obtenir de l’ADN dans 304 cas et relier la présence
de la variation polymorphique à la survie globale,
à la survie liée au cancer et à la survie sans progres-
sion. La variation était présente à l’état homozygote
chez 31 patients et à l’état hétérozygote chez
133 patients ; 140 patients présentaient le géno-
type commun homozygote. La survie des patients
homozygotes variants était réduite de façon signifi-
cative par rapport aux homozygotes communs, celle
des hétérozygotes
étant intermédiaire ;
et cela a été observé
pour les trois para-
mètres étudiés (survie
globale : p = 0,006 ;
survie liée au cancer :
p = 0,001 ; survie sans
progression : p = 0,013). Un modèle de Cox multivarié
a été établi : seuls apparaissent significativement
prédictifs de la survie le grade pronostique classique
et le polymorphisme de la bléomycine hydrolase ;
le risque de décès lié au cancer est multiplié par 5
chez les patients homozygotes variants (intervalle
de confiance à 5 % : 2,2-11,4).
Voilà un travail “statistiquement satisfaisant” : un
nombre suffisant de patients a été recruté, un seul
type de paramètre a été évalué (la survie) et un
seul polymorphisme a été recherché. À l’évidence,
les uro-oncologues devraient pouvoir utiliser ce
polymorphisme pour en tirer des conséquences
cliniques, qui pourraient être l’intensification de
la chimiothérapie chez les sujets homozygotes
variants (10 % de la population), même s’ils
appartiennent au groupe de bon pronostic. Mais
la conduite à tenir ne pourra être validée que par
un essai prospectif…
J. Robert,
institut Bergonié, Bordeaux
Références bibliographiques
1. Levi JA, Raghavan D, Harvey V et al. The
importance of bleomycin in combination
chemotherapy for good-prognosis germ-cell
carcinoma. Australasian Germ Cell Trial Group.
J Clin Oncol 1993; 11:1300-5.
2. Sleijfer S. Bleomycin-induced pneumonitis. Chest
2001;120:617-24.
3. Tuimala J, Szekely G, Gundy S, Hirvonen A,
Norppa H. Genetic polymorphisms of DNA repair and
xenobiotic-metabolizing enzymes: role in mutagen
sensitivity. Carcinogenesis 2002;23:1003-8.
Des enzymes
de la glycolyse
liées à la croissance
tumorale
Ils ont, dans un
premier temps, utilisé
un modèle murin de
cancer du sein (souris
MMTV-NeuNT) pour montrer que, lors de la tumo-
rogenèse, l’expression de l’isoforme M1 de la PK
(PK M1) est rapidement perdue au profit de celle de
son isoforme M2. Ils ont confirmé l’importance de ce
changement en montrant que l’ensemble de leurs
lignées de cellules tumorales exprimaient la PK M2
et non la PK M1. Enfin, par immunohistochimie, sur
des coupes de cancer colorectal, ils ont montré que,
bien que la PK M1 soit exprimée dans les cellules
stromales, elle est absente des cellules cancéreuses,
où elle est remplacée par la PK M2. Pour comprendre
le rôle de la PK M2 dans les cellules cancéreuses, les
auteurs ont inhibé de manière stable son expression
par interférence ARN dans les cellules humaines de
cancer du poumon H1299. Cette inhibition entraîne
un ralentissement du métabolisme du glucose et de
la prolifération cellulaire. En condition normoxique,
cette inhibition peut néanmoins être complétée par
l’expression des isoformes M1 ou M2 murines. En
condition hypoxique, en revanche, seule l’expres-
sion de la PK M2 murine peut complémenter les
effets de l’inhibition de l’expression de l’enzyme
endogène. De même, le traitement des cellules
avec de l’oligomycine, un inhibiteur spécifique
de l’ATP synthase mitochondriale, affecte unique-
ment la prolifération des cellules complémentées
par la PK M1, ce qui suggère que la prolifération
des cellules exprimant cette isoforme, et non la
PK M2, est fortement dépendante du processus
mitochondrial de phosphorylation oxydative. Pour
confirmer cette hypothèse, les auteurs ont mesuré la
consommation d’oxygène, la production de lactate
et autres métabolites dans les cellules complémen-
tées par la PK M1 ou la PK M2. En accord avec les
résultats précédents, les cellules complémentées par
la PK M1 consomment plus d’oxygène et produisent
moins de lactate que celles qui sont complémentés
par la PK M2, et ce bien que leur consommation
en glucose soit similaire. D’autres métabolites tels
que le pyruvate ou le fructose biphosphate voient
aussi leur concentration modifiée en fonction de
l’isoforme exprimée. Ces résultats démontrent que
le changement d’isoforme de la PK observé dans les
cellules tumorales entraîne un changement majeur
de leur métabolisme. Pour confirmer le rôle de ce
changement dans la prolifération tumorale in vivo,
les auteurs ont injecté, dans des souris, les cellules
complémentées avec la PK M1 ou la PK M2. Les résul-
Bléomycine :
en a-t-on vraiment
fait le tour ?
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