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La Lettre du Sénologue - n° 2 - octobre 1998
cultés lors du contrôle des paramètres de surveillance (TP,
INR), aucun accident hémorragique n’a été rapporté. Il est à
noter que parmi ces 19 patientes, 6 avaient des antécédents de
phlébite et/ou de pathologie cardiovasculaire aggravant le
risque thromboembolique. Dans 10 cas, il existait également un
facteur favorisant chirurgical ou médical (traumatisme, fracture
ou infection) entraînant un alitement prolongé.
Dans la littérature, plusieurs observations “sporadiques”
d’accidents thromboemboliques survenus sous tamoxifène ont
été publiées, mais, dans la majorité des cas, il s’agissait de
patientes ayant des cancers mammaires avancés.
Le tableau II recense les principales études randomisées ayant
rapporté les taux d’accidents thromboemboliques en fonction
des traitements.
Dans l’étude rétrospective de l’ECOG qui a analysé 1 373 femmes
ménopausées, le risque d’accident thromboembolique est
significativement augmenté chez les patientes sous tamoxifène
(2,3 % ; p = 0,03) et surtout sous tamoxifène et chimiothérapie
concomitante (8 % ; p = 0,001) par rapport aux patientes non
traitées (0,4 %).
Dans cette étude, le risque d’accident thromboembolique est
influencé de façon significative par le poids des patientes (≥75 kg
surtout) et par la présence de récepteurs d’estrogènes dans la
tumeur mammaire initiale.
Une augmentation des accidents thromboemboliques non
significative est notée chez les femmes de plus de 58 ans
(6,8 % versus 4 % pour les plus jeunes) et en cas de présence
de “chronic diseases” (5,9 % versus 3,1 %), sans autre préci-
sion.
Dans l’essai B-14 du NSABP concernant les patientes
pN- RE+, on note 12 accidents thromboemboliques (0,9 %)
parmi les 1 318 patientes sous tamoxifène adjuvant, versus 2
(0,2 %) parmi les 1 326 sous placebo.
Dans deux autres études du NSABP (B-11 et B-12 associés et
B-16), incluant globalement 2 902 femmes, le risque accru
d’accidents thromboemboliques a été confirmé pour les
femmes sous chimiothérapie + tamoxifène versus tamoxifène
seul. Dans la première, il y a eu 3,6 % (37/1 082) versus 0,7 %
(5/696) d’accidents thromboemboliques et, dans la deuxième,
3,8 % (29/757) versus 1,6 % (6/367).
Pour toutes ces études du NSABP, on ne dispose d’aucune pré-
cision concernant l’existence de facteurs de risque particuliers
ni d’éventuelles circonstances favorisantes de survenue des
accidents thromboemboliques.
Dans la dernière étude du groupe de Toronto, on constate un
risque extrêmement élevé (13,6 %) d’accidents thromboembo-
liques parmi les 353 femmes ménopausées ayant reçu une chi-
miothérapie (de type CMF) en association avec le tamoxifène,
par rapport aux 352 n’ayant reçu que du tamoxifène (2,6 %).
La différence est statistiquement significative (p < 0,0001)
avec trois décès dus aux complications thromboemboliques
dans le premier groupe de patientes. Les facteurs de risque ne
sont pas clairement définis, même si, dans l’analyse univariée,
le poids élevé et l’âge avancé favorisent une tendance à
l’aggravation du risque. Les résultats préliminaires des essais
de chimioprévention (NSABP P1 et Italian Trial) ont révélé
des contradictions en termes de réduction de la survenue des
cancers du sein, mais dans ces deux essais, on note un risque
significativement accru d’accidents thromboemboliques (et
d’accidents vasculaires cérébraux dans l’essai italien) dans les
groupes avec tamoxifène.
➬Que peut-on déduire de tous ces éléments en pratique
quotidienne ?
L’instauration d’une anti-estrogénothérapie au long cours n’est
pas toujours un geste anodin. Si le bénéfice de ce traitement
est clairement établi chez des femmes avec un cancer du sein à
haut risque (pN+, T2 T3 T4), l’avantage définitif en survie est
très faible dans d’autres sous-groupes tels que les patientes
porteuses d’une lésion pT1N- et les femmes de plus de 70 ans,
qui représentent une proportion croissante des cancers mam-
maires. En effet, il faut rappeler que, d’après les résultats de la
dernière méta-analyse de l’Early Breast Cancer Trialist Colla-
borative Group, le gain absolu en survie à 10 ans pour
l’ensemble des patientes pN- avec récepteurs hormonaux posi-
tifs est de 5,6 %. Ce bénéfice est donc plus modeste (de l’ordre
de 1 à 2 %) dans les sous-groupes précités.
Le respect de règles simples (voir Fiche 1 p. 10), dans le cadre
d’indications valables du traitement adjuvant par tamoxifène,
devrait permettre de réduire considérablement le risque d’acci-
dents thromboemboliques. Ces accidents, dans leur forme la
plus grave, à savoir l’embolie pulmonaire (qui peut survenir
même en l’absence de phlébite), restent en effet mortels dans
environ un quart des cas. ■
POUR EN SAVOIR PLUS...
❐Cutuli B., Petit J.C., Fricker J.P. et coll. Accidents thromboemboliques chez
les patientes ménopausées sous traitement adjuvant par tamoxifène. Fréquence,
facteurs de risque et possibilités de prévention. Bull Cancer 1995 ; 82 : 51-6.
❐Daly E., Vessey M.P., Hawkins M.M. et coll. Risk of venous
thromboembolism in users of hormone replacement therapy. Lancet 1996 ; 348 :
Essai TAM Placebo
NSABP B-14 0,9 % 0,2 %
Tableau II. Accidents thromboemboliques au cours des essais randomi-
sés en fonction du traitement adjuvant.
Essai TAM + CT TAM
NSABP B-11 - B-12 3,6 % 0,7 %
NSABP B-16 3,8 % 1,6 %
ECOG 8,0 % 2,3 %
Toronto 13,6 % 2,6 %