O S S I E R T H É M A T I Q U E Mi s e a u p o i nt D Prévention secondaire de la schizophrénie : données issues de l’étude des populations à risque Schizophrenia secondary prevention: data from high-risk populations ● F. Thibaut*, P. Nuss** R R É É S S U U M M É É L’identification et la gestion précoces d’un premier épisode de schizophrénie restent difficiles en raison du manque de spécificité des symptômes prodromaux. Cependant, la durée de la psychose non traitée semble avoir une influence importante sur son devenir à long terme. En tout état de cause, en l’absence d’évaluation bien définie des prodromes de schizophrénie, l’utilisation extensive des traitements pharmacologiques (antipsychotiques et/ou antidépresseurs) peut être préjudiciable aux 60 % des sujets prodromaux qui ne développeront pas la schizophrénie. Beaucoup d’équipes de recherche dans le monde essaient de définir des populations à risque en ayant recours à des marqueurs cliniques, neuropsychologiques ou neurophysiologiques. Nous sommes pourtant encore loin de pouvoir prévoir de façon précise la schizophrénie. Les recommandations concernant l’usage des antipsychotiques pour ces sujets à haut risque, en l’absence de symptômes prodromaux, font toujours défaut. Mots-clés : Sujets à haut risque – Schizophrénie – Facteurs de risque génétique – Traitement précoce – Prévention secondaire – Prodromes. SUMMARY SUMMARY The early recognition and management of a first episode of schizophrenia remains difficult due to the lack of specificity of prodromal symptoms. However, the duration of untreated psychosis seems to have a major influence on the long term outcome of the disorder. Somehow, in the absence of well defined risk estimates for the schizophrenia prodromes, the widespread use of pharmacological interventions (anti- * Service hospitalo-universitaire de psychiatrie, CHU Charles-Nicolle, Rouen, et INSERM U614, faculté de médecine et de pharmacie. ** Service de psychiatrie, CHU Saint-Antoine, Paris. 20 psychotics or, to a lesser extent, antidepressants) may be prejudicial to the estimated sixty percent of prodromal subjects who will not develop schizophrenia. Many research teams, around the world, are trying to define at-risk population using clinical, neuropsychological or neurophysiological markers. However, we are far from accurate prediction of the disease. The rationale for the use of antipsychotics in these non prodromal high-risk subjects is still lacking. Keywords: High-risk subjects – Schizophrenia – Genetic liability – Early treatment – Secondary prevention – Prodromes. n dépit du fait que des progrès significatifs ont été accomplis dans le traitement de la schizophrénie depuis la description initiale de l’efficacité des neuroleptiques par Delay et Deniker (1) en 1952, les thérapeutiques, même les plus récentes, ne parviennent pas à guérir, sur le plan clinique ou des fonctions cognitives, les schizophrènes traités. On considère habituellement que la période initiale de l’apparition du trouble influe sur son évolution au long cours et doit, de ce fait, être considérée comme critique pour l’instauration d’une thérapeutique. Cette approche constitue le fondement de la prévention secondaire (2-6). Dans le but d’éviter un allongement de cette période qui pourrait être délétère, un grand nombre de travaux s’intéressent aujourd’hui à la détection précoce de la schizophrénie. Une approche possible consiste à étudier avec attention les caractéristiques évolutives de populations à risque important de développer une psychose. Nous allons ainsi décrire les différents travaux effectués sur ces populations. E DURÉE DE PSYCHOSE NON TRAITÉE ET PRONOSTIC Loebel et al. (7) ont montré, dès 1992, qu’une plus longue durée de psychose non traitée (DUP) chez des patients ayant présenté leur premier épisode était associée à une rémission plus tardive et moins fréquente. Toutefois, d’autres études n’ont pas répliqué ces résultats (8). Ces données ont été initialement interprétées La Lettre du Psychiatre - vol. I - n° 1 - mars-avril 2005 DÉFINITION DE LA POPULATION À RISQUE La prise en charge précoce des sujets à risque de schizophrénie concerne deux aspects. Le premier porte sur l’intérêt, en termes de guérison de l’épisode et de qualité de l’amélioration clinique, d’une prise en charge précoce des patients prodromaux. Le deuxième concerne l’utilité de la prise en charge de sujets totalement asymptomatiques, mais porteurs d’un risque génétique pour le trouble. Dans ce dernier cas, l’identification d’adolescents à haut risque de devenir psychotiques conduirait à une prise en charge avant même le début des prodromes de la psychose. Cette approche résulte du fait que l’on connaît, par de nombreuses études de familles, de jumeaux et d’adoptions, l’importance du poids de la génétique dans la schizophrénie. Cela, en dépit du fait que les gènes n’ont jusqu’alors pas été identifiés. En l’absence de tests génétiques, on peut identifier ces populations à traiter précocement selon deux modalités. La première consiste à étudier prospectivement ou rétrospectivement l’enfance des sujets devenus schizophrènes à l’âge adulte. Les manifestations prémonitoires spécifiques retrouvées seraient significativement associées La Lettre du Psychiatre - vol. I - n° 1 - mars-avril 2005 Descendants du premier degré de sujets schizophrènes Diverses études longitudinales prospectives ont étudié les caractéristiques sociales, psychologiques et biologiques identifiables précocement chez des individus exempts de toute psychopathologie mais présentant un risque statistique plus élevé de schizophrénie. Dans le projet New York High-Risk Project (NYHRP) instauré en 1971, des enfants de parents schizophrènes ou présentant un trouble affectif ont été suivis jusqu’au début de leur vie d’adulte. Leur consommation de toxiques (abus de substances) a fait l’objet d’une attention particulière. L’étude des sujets à haut risque d’Édimbourg (EHRS) a débuté pour sa part dans les années 1990. Elle s’intéresse également aux individus pour lesquels il existe un risque génétique plus élevé de développer une schizophrénie. Elle inclut les enfants pour lesquels il existe au moins deux parents du premier ou du second degré présentant une psychose. Dans cette population, on attend un risque de développement du trouble d’environ 10 %. On a pu mettre en évidence, chez les jeunes suivis dans le NYHRP, des déficits de la mémoire verbale, une incoordination motrice et un trouble de l’attention (CPT) chez respectivement 83 %, 75 % et 58 % des sujets qui ont développé une psychose ou un trouble du spectre clinique de la schizophrénie. Il existe cependant un taux de faux positifs chez les sujets qui n’ont pas développé la schizophrénie, à hauteur de 18 % pour ceux ayant des déficits attentionnels dans l’enfance et de 28 % pour ceux présentant des déficits mnésiques (12). Dans l’EHRS, Johnstone et al. (13) ont mis en évidence l’existence de davantage de difficultés psychologiques, d’un niveau d’éducation académique plus bas et d’un taux d’emploi plus faible dans un groupe de jeunes adultes (16-25 ans) à haut risque, à l’issue de quatre ans de suivi. L’abus de drogue, plus élevé dans cette population, ne peut à lui seul expliquer ce résultat. L’étude d’Amminger (14) (NYHRP) nous apporte une information importante à ce sujet. Cet auteur a pu montrer que 67 % des enfants identifiés comme “à risque génétique” (dont les parents sont schizophrènes ou du spectre psychotique) présentent les critères d’abus de substances, contre 20 % chez les enfants dont les parents sont indemnes de troubles psychiatriques. Il est néanmoins souvent difficile, dans ces cohortes à haut risque, de faire la part de ce qui est attribuable à la relation précoce parent-enfant et de ce qui serait lié au facteur génétique proprement dit. 21 p o i nt a u au développement ultérieur d’une schizophrénie ou d’un trouble du spectre clinique de la schizophrénie. Cette approche est décrite ici même dans l’article “Avant la psychose ou le génie des origines. Prodromes, vulnérabilité à la psychose”. La deuxième modalité d’étude consiste à étudier de manière prospective les enfants de patients schizophrènes ou des sujets schizotypiques. Ces derniers, potentiellement à risque génétique, pourraient présenter des symptômes ou des traits biologiques, électrophysiologiques ou neuropsychologiques associés à la vulnérabilité à la psychose. L’identification de tels marqueurs aiderait à la mise en place de prises en charge précoces. Mi s e comme suggérant un effet “toxique” de la psychose, susceptible d’induire par elle-même des anomalies neurobiologiques (9). Des études récentes, s’appuyant sur des tests neuropsychologiques ou sur des études d’IRM, ne confirment pas cette hypothèse (10). Néanmoins, Barnes et al. (8) ont pu mettre en évidence l’existence d’une altération plus importante sur une tâche de changement attentionnel pour les DUP longues (plus de six mois) par rapport aux DUP plus courtes. De nombreux problèmes méthodologiques se posent concernant l’analyse de la DUP. Ils sont évoqués dans ce numéro dans l’article de P. Nuss et al (page 6 et suivantes). De ce fait, l’usage de traitements pharmacologiques pendant la phase des prodromes de la maladie ne fait pas l’unanimité quant à sa faisabilité et/ou à son innocuité. Pour tenter d’apprécier l’intérêt d’une telle approche, plusieurs modèles d’intervention précoce mis en œuvre par diverses équipes de par le monde ont été analysés. Ils concernent soit le traitement des premiers épisodes psychotiques, soit celui des sujets à haut risque. Le “Case Management”, les traitements neuroleptiques à faible dose, la psychoéducation familiale ainsi que diverses thérapies de groupes de patients prodromaux constituent les différentes approches thérapeutiques mises en œuvre. Quelques études publiées récemment rendent compte de l’intérêt et des limites de ces prises en charge sur des durées s’étendant de un à cinq ans. Toutefois, la comparaison de ces données est difficile, comme le font remarquer Edwards, McGorry et Pennell (11), dans la mesure où il existe une grande diversité des approches selon les services concernés. Néanmoins, si les méthodes ne peuvent être comparées, les données issues de populations, certes spécifiques, mais caractérisées par des sujets à haut risque peuvent offrir un canevas sur lequel chaque service clinique, en cohérence avec son fonctionnement propre, peut orienter ses pratiques en ce qui concerne la prise en charge des sujets présentant des signes prodromaux. Mi s e a u p o i nt D O S S I E R T Personnalité schizotypique et risque génétique Une susceptibilité génétique isolée n’est habituellement pas suffisante pour conduire aux manifestations cliniques de la schizophrénie. Les influences environnementales sont importantes dans l’expression de ces dernières. Afin d’essayer d’identifier la part de susceptibilité génétique “non exprimée” chez les sujets à risque génétique, on a étudié divers traits psychopathologiques présents chez les apparentés de patients schizophrènes. Ces traits s’appellent “schizotypie” et sont présents chez 7 à 14 % des apparentés de premier degré des patients schizophrènes. Les modèles étiologiques tels que celui de Meehl (modèle du locus majeur isolé) ou celui de Gottesman et Schield (modèle à niveau de seuil multifactoriel) s’accordent sur le fait que les traits schizotypiques peuvent refléter une susceptibilité génétique à la schizophrénie. Les études sur les populations à haut risque supposent ainsi l’existence d’une certaine continuité entre traits de personnalité schizotypiques et schizophrénie elle-même. Cependant, le rapport exact entre la schizotypie et la schizophrénie est complexe et mal connu (15). La plupart des analyses fondées sur l’étude de la descendance des schizophrènes ou sur celle de sujets présentant une personnalité schizotypique ne peuvent pas être directement extrapolées à la détection des individus préschizophréniques en population générale. Elles peuvent davantage être utiles à l’identification de marqueurs biologiques ainsi qu’à la compréhension du processus de transition vers la psychose. Certains de ces dysfonctionnements prémorbides peuvent servir d’indicateurs phénotypiques des gènes de susceptibilité à la schizophrénie. APPORT DES ENDOPHÉNOTYPES DANS L’ÉTUDE DES SUJETS À RISQUE Les liens de causalité entre symptômes cliniques et génétiques ne sont pas aisés à établir. C’est pourquoi de nombreux travaux tentent d’approcher ce lien par le biais de l’analyse de corrélations entre des dysfonctionnements à l’échelon neuronal et des anomalies biologiques dans la schizophrénie, d’une part, et la génétique, d’autre part. Le fait que les groupes à haut risque expriment de nombreuses anomalies neurocognitives caractéristiques a servi de modèle d’étude. On a cherché à établir un lien entre certains troubles du traitement de l’information et certaines caractéristiques génétiques. Ces modalités ont été explorées, tant pendant les périodes symptomatiques que lors des périodes de rémission, ou encore chez des sujets prémorbides. On a ainsi distingué des marqueurs de “vulnérabilité cognitive” pour lesquels on a tenté d’identifier des gènes candidats. Plusieurs méthodes neuropsychologiques ou électrophysiologiques ont été employées dans cette intention. On citera les mesures de l’attention, des mouvements de la poursuite oculaire ou les potentiels évoqués auditifs. Les phénotypes mesurables qui sont ainsi évalués sont appelés endophénotypes (car non observables cliniquement). Ils doivent être héritables et s’exprimer avant le début de la maladie, être stables dans le temps (indépendamment des traitements et des phases cliniques) pour avoir le statut de marqueur de trait. 22 H É M A T I Q U E Mesures de l’attention Beaucoup d’études suggèrent un dysfonctionnement cognitif général chez les schizophrènes. On note particulièrement une diminution des capacités attentionnelles. Cette diminution est surtout manifeste pour les tâches à haut niveau de demande cognitive. On peut penser que ces dernières sollicitent des systèmes neurobiologiques dont la structure ou la fonction pourraient comporter une part génétiquement liée au risque de schizophrénie. Egan et al. (16), en utilisant le Continuous Performance Test (CPT - version 1-9), ont rapporté un risque relatif (RR) de 2,1 pour des apparentés de patients dont les scores étaient d’un écart type en dessous de ceux des témoins, et un RR de 3,3 pour des apparentés de patients ayant deux déviations standard sous la moyenne des témoins. Une déviation standard en dessous de la moyenne du groupe comparateur a été retrouvée chez 50 % des patients, 24 % de leurs apparentés et 18 % des témoins. Dans le NYHRP, un index attentionnel altéré est prédictif d’une transition vers la psychose (ou vers le spectre psychotique) chez 58 % des sujets. Le taux de faux positifs est de 18 % dans cette étude (12). Mouvements oculaires (poursuite lente et tâche des antisaccades) Beaucoup d’études ont été publiées à propos d’anomalies de la poursuite oculaire chez les patients schizophrènes ou leurs apparentés. Elles ont presque toutes indiqué une altération significative de cette poursuite, puisqu’on la retrouve chez 50 à 85 % des patients et chez 50 % des apparentés du premier degré. Seuls 8 % de sujets contrôles présentent cette anomalie. Cette atteinte semble porter sur les processus d’initiation et de maintien de la poursuite oculaire lente. On a pu démontrer que l’atteinte de la poursuite oculaire co-ségrège avec une anomalie déjà décrite chez ces patients sur le chromosome 6. Ce trouble de la poursuite oculaire lente semble s’exprimer chez les familles de schizophrènes de façon compatible avec une modalité de transmission autosomique dominante (pour revue, voir 17). On a aussi pu montrer l’existence, chez les patients schizophrènes et leurs apparentés, d’un déficit dans la capacité d’inhibition dans les tâches d’antisaccades (capacité du sujet à porter son regard le plus rapidement possible du côté diamétralement opposé à la cible qui s’allume ; ce test permet d’évaluer la capacité du sujet à inhiber une réponse réflexe vers la cible et mesure le temps de latence de la réponse vers une cible imaginaire opposée à la cible réelle). De ce fait, les anomalies associées aux tâches d’antisaccades ainsi que les altérations de la poursuite oculaire lente pourraient servir à identifier les apparentés porteurs de la prédisposition génétique pour la schizophrénie (18). Potentiels évoqués auditifs de moyenne latence (P50) L’ensemble des troubles de l’attention présents dans la psychose peut refléter une altération générale des processus inhibiteurs dans le système nerveux central (SNC) chez les sujets schizophrènes. Ces processus inhibiteurs permettent, au sein des réseaux neuronaux cérébraux, de discriminer les stimuli pertinents du bruit de fond de l’activité cérébrale. Les neurophysiologistes caractérisent l’inhibition cérébrale à l’aide d’un paradigme La Lettre du Psychiatre - vol. I - n° 1 - mars-avril 2005 CONCLUSION La détermination de marqueurs de risque génétique pour la schizophrénie souffre de l’absence d’études répliquées et généralisables. Malgré cette absence de données fiables, on assiste à une augmentation des prescriptions d’antipsychotiques chez les patients présentant des manifestations prodromales. Cette tendance pourrait être préjudiciable si elle était appliquée à de jeunes sujets à risque de schizophrénie sans que l’on connaisse précisément le taux d’évolution vers la schizophrénie de ces sujets prodromaux (23). Dans la mesure où toute intervention est éventuellement porteuse d’un effet iatrogène, il convient lorsqu’on le fait de pouvoir s’appuyer sur des marqueurs fiables. Or, la plupart des marqueurs cliniques ou neuropsychologiques de risque identifiés ont une faible valeur prédictive positive. Des facteurs de risque plus sûrs tels que les facteurs génétiques sont de ce fait très attendus par les cliniciens. Des efforts d’identification de tels facteurs sont actuellement en cours. Cependant, évaluer le risque à l’échelle d’une population paraît envisageable, alors que l’évaluation du risque à l’échelon individuel est beaucoup plus complexe. Dans ce contexte, les thérapies cognitives, dont les effets iatrogènes sont faibles, doivent être privilégiées. Notamment, elles peuvent s’appliquer plus aisément sur des sujets qui s’avéreront être de faux positifs. En revanche, les traitements pharmacologiques, qui sont potentiellement plus puissants mais qui peuvent La Lettre du Psychiatre - vol. I - n° 1 - mars-avril 2005 R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S 1. Delay J, Deniker P. Méthodes chimiothérapiques en psychiatrie. Paris: Masson, 1961:496 p. Crow TJ, MacMillian JF, Johnson AL, Johnstone EC. The Northwick Park study of first episodes of schizophrenia - II. A randomised controlled trial of prophylactic neuroleptic treatment. Br J Psychiatry 1986;148:120-7. 3. Wyatt RJ. Early intervention for schizophrenia: can the course of the illness be altered? Biol Psychiatry 1995;38:1-3. 4. Birchwood M, MacMillan JF. Early intervention in schizophrenia. Aust NZ J Psychiatry 1993;27:374-8. 5. Mc Glashan TH. Early detection and intervention of schizophrenia: rationale and research. Br J Psychiatry 1998;172(S33):3-6. 2. 23 p o i nt a u produire des effets secondaires, particulièrement chez les adolescents dont le cerveau est en phase de développement, doivent être utilisés avec circonspection. Dans l’étude de McGorry (24), parmi 60 sujets à risque, on a assisté au développement d’une psychose à six mois chez 12 % de ceux inclus dans le bras comportant un traitement neuroleptique contre 35 % de ceux du groupe non traité. Cela signifie qu’au moins 65 % des sujets inclus ne nécessitaient pas de traitement pharmacologique. Tsuang et al. (25) se sont concentrés sur la “schizotaxia”, terme que Meehl a introduit en 1962, pour décrire la prédisposition, ou la vulnérabilité génétique, à la schizophrénie. Cette dernière ne mène inévitablement ni à la schizophrénie ni au trouble de la personnalité schizotypique. Ce syndrome est caractérisé par l’existence de symptômes négatifs, par une atteinte neuropsychologique et par un dysfonctionnement psychosocial. Toutefois, Tsuang souligne le fait qu’“une des difficultés dans la mise en application d’un protocole de traitement de la schizotaxie est le manque de définition consensuelle du terme”. Nous manquons donc actuellement de données rigoureuses permettant de déterminer l’indication des antipsychotiques chez des sujets prodromaux n’appartenant pas au groupe à haut risque que nous venons de décrire. Cela, notamment, en raison du fait qu’il n’existe pas de preuve réelle de l’existence d’une hyperdopaminergie chez les sujets prodromaux, si ce n’est chez quelques sujets schizotypiques. En outre, des auteurs ont rapporté des données controversées concernant l’efficacité des inhibiteurs de la recapture de la sérotonine (IRS) dans la prévention de la schizophrénie chez les sujets prodromaux (23). Ces données soulignent la complexité des anomalies neurobiologiques en jeu lors des périodes de transition vers la psychose, surtout manifestes chez les sujets à haut risque. Les modes de réponse individuelle au traitement et les taux de transition vers la psychose varient certainement au sein de la population à risque. Dans l’état actuel de nos connaissances, il est exclu de traiter les sujets, même à haut risque, sans symptômes prodromaux ou cliniques de la schizophrénie. Nous devrons attendre encore quelques années avant de pouvoir répondre à ces questions. En revanche, l’information et la prise en compte des risques environnementaux (usage ou abus de cannabis, infections virales périnatales, complications obstétriques, etc.) peuvent d’ores et déjà être intégrées dans la ■ prévention secondaire de la schizophrénie. Mi s e conditionnel au cours duquel on expose les sujets à des stimuli appariés. Une réduction de l’inhibition de l’onde P50 à des stimuli auditifs répétés a ainsi été observée chez environ 80 % des patients schizophrènes et chez 50 % de leurs apparentés. Cette anomalie de réponse est retrouvée chez moins de 10 % des sujets témoins. Le déficit d’inhibition de l’onde P50 retrouvé dans les familles des patients schizophrènes est compatible avec une transmission autosomique dominante. Une première étude de linkage a pu mettre en évidence un lien entre l’altération de l’inhibition de l’onde P50 et la région chromosomique 15q14. D’autre études ont retrouvé une association positive entre des polymorphismes situés sur ce gène ou son “duplicata” et l’absence de filtrage sensoriel évalué par le paradigme du P50 (19, 20). Cette zone s’est avérée être le locus du gène codant pour la sous-unité α7 du récepteur nicotinique à l’acétylcholine, laquelle est impliquée dans l’activation cholinergique des interneurones hippocampiques (21). L’identification du risque génétique pour la schizophrénie pourrait vraisemblablement augmenter en puissance en s’appuyant sur des études génétiques qui croiseraient plus d’un endophénotype (18). Par quels mécanismes ces marqueurs potentiels pris isolément ou en association augmentent-ils (ou éventuellement diminuent-ils) le risque de développer la maladie ? Et s’ils le font, quelle est leur importance dans ce risque ? Pour tenter d’apporter une réponse à ces questions, l’identification des anomalies moléculaires au niveau de gènes candidats et la détermination du rôle exact de ces anomalies dans la genèse de la maladie psychotique sont des pistes de recherche excitantes et prometteuses (pour revue, voir 22). Mi s e a u p o i nt D O S S I E R T 6. Verdoux H, Liraud F, Bergey C et al. Is the association between duration of untreated psychosis and outcome confounded? A two year follow-up study of firstadmitted patients. Schizophr Res 2001;49:231-41. 7. Loebel AD, Lieberman JA, Alvir JMJ et al. Duration of psychosis and outcome in first-episode schizophrenia. Am J Psychiatry 1992;149:1183-8. 8. Barnes TRE, Hutton SB, Chapman MJ et al. West London first-episode study of schizophrenia. Clinical correlates of duration of untreated psychosis. Br J Psychiatry 2000;177:207-11. 9. Wyatt RJ. Early intervention with neuroleptics may decrease the long-term morbidity of schizophrenia. 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Relationship between childhood behavioral disturbance and later schizophrenia in the New York High-Risk Project. Am J Psychiatry 1999;156:525-30. 15. McDonald AW, Pogue-Geile MF, Debski TT, Manuck S. Genetic and environmental influences on schizotypy: a community-based twin study. Schizophr Bull 2001;27(1):47-58. H É M A T I Q U E 16. Egan MF, Goldberg TE, Gscheidle T et al. Relative risk of attention deficits in siblings of patients with schizophrenia. Am J Psychiatry 2000;157(8):1309-16. 17. Calkins ME, Iacono WG. Eye movement dysfunction in schizophrenia: a heritable characteristic for enhancing phenotype definition. Am J Med Genet 2000; 97:72-6. 18. Louchart de la Chapelle S, Nkam I, Houy E et al. A concordance study of three electrophysiological measures in schizophrenia. Am J Psychiatry 2005;162(3):466-74. 19. Raux G, Bonnet-Brilhault F, Louchart S et al. 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