La Lettre du Psychiatre - vol. I - n° 1 - mars-avril 2005
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DOSSIER THÉMATIQUE
Mise au point
E
n dépit du fait que des progrès significatifs ont été
accomplis dans le traitement de la schizophrénie depuis
la description initiale de l’efficacité des neuroleptiques
par Delay et Deniker (1) en 1952, les thérapeutiques, même les
plus récentes, ne parviennent pas à guérir, sur le plan clinique ou
des fonctions cognitives, les schizophrènes traités. On considère
habituellement que la période initiale de l’apparition du trouble
influe sur son évolution au long cours et doit, de ce fait, être
considérée comme critique pour l’instauration d’une thérapeu-
tique. Cette approche constitue le fondement de la prévention
secondaire (2-6). Dans le but d’éviter un allongement de cette
période qui pourrait être délétère, un grand nombre de travaux
s’intéressent aujourd’hui à la détection précoce de la schizo-
phrénie. Une approche possible consiste à étudier avec attention
les caractéristiques évolutives de populations à risque important
de développer une psychose. Nous allons ainsi décrire les diffé-
rents travaux effectués sur ces populations.
DURÉE DE PSYCHOSE NON TRAITÉE ET PRONOSTIC
Loebel et al. (7) ont montré, dès 1992, qu’une plus longue durée
de psychose non traitée (DUP) chez des patients ayant présenté
leur premier épisode était associée à une rémission plus tardive
et moins fréquente. Toutefois, d’autres études n’ont pas répliqué
ces résultats (8). Ces données ont été initialement interprétées
* Service hospitalo-universitaire de psychiatrie, CHU Charles-Nicolle, Rouen,
et INSERM U614, faculté de médecine et de pharmacie.
** Service de psychiatrie, CHU Saint-Antoine, Paris.
Prévention secondaire de la schizophrénie :
données issues de l’étude des populations à risque
Schizophrenia secondary prevention: data from high-risk populations
F. Thibaut*, P. Nuss**
L’identification et la gestion précoces d’un premier épisode
de schizophrénie restent difficiles en raison du manque de
spécificité des symptômes prodromaux. Cependant, la durée
de la psychose non traitée semble avoir une influence
importante sur son devenir à long terme. En tout état de
cause, en l’absence d’évaluation bien définie des prodromes
de schizophrénie, l’utilisation extensive des traitements
pharmacologiques (antipsychotiques et/ou antidépresseurs)
peut être préjudiciable aux 60 % des sujets prodromaux qui
ne développeront pas la schizophrénie.
Beaucoup d’équipes de recherche dans le monde essaient de
définir des populations à risque en ayant recours à des mar-
queurs cliniques, neuropsychologiques ou neurophysiolo-
giques. Nous sommes pourtant encore loin de pouvoir pré-
voir de façon précise la schizophrénie. Les recommandations
concernant l’usage des antipsychotiques pour ces sujets à
haut risque, en l’absence de symptômes prodromaux, font
toujours défaut.
Mots-clés : Sujets à haut risque – Schizophrénie – Facteurs
de risque génétique – Traitement précoce – Prévention
secondaire – Prodromes.
R É S U M É
R É S U M É
The early recognition and management of a first episode of
schizophrenia remains difficult due to the lack of specificity
of prodromal symptoms. However, the duration of untreated
psychosis seems to have a major influence on the long term
outcome of the disorder. Somehow, in the absence of well
defined risk estimates for the schizophrenia prodromes, the
widespread use of pharmacological interventions (anti-
SUMMARY
SUMMARY
psychotics or, to a lesser extent, antidepressants) may be
prejudicial to the estimated sixty percent of prodromal sub-
jects who will not develop schizophrenia. Many research
teams, around the world, are trying to define at-risk popu-
lation using clinical, neuropsychological or neurophysio-
logical markers. However, we are far from accurate pre-
diction of the disease. The rationale for the use of
antipsychotics in these non prodromal high-risk subjects is
still lacking.
Keywords: High-risk subjects – Schizophrenia – Genetic lia-
bility – Early treatment – Secondary prevention – Prodromes.
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comme suggérant un effet “toxique” de la psychose, susceptible
d’induire par elle-même des anomalies neurobiologiques (9). Des
études récentes, s’appuyant sur des tests neuropsychologiques ou
sur des études d’IRM, ne confirment pas cette hypothèse (10).
Néanmoins, Barnes et al. (8) ont pu mettre en évidence l’exis-
tence d’une altération plus importante sur une tâche de change-
ment attentionnel pour les DUP longues (plus de six mois) par
rapport aux DUP plus courtes. De nombreux problèmes métho-
dologiques se posent concernant l’analyse de la DUP. Ils sont
évoqués dans ce numéro dans l’article de P. Nuss et al (page 6 et
suivantes).
De ce fait, l’usage de traitements pharmacologiques pendant la
phase des prodromes de la maladie ne fait pas l’unanimité quant
à sa faisabilité et/ou à son innocuité. Pour tenter d’apprécier l’in-
térêt d’une telle approche, plusieurs modèles d’intervention pré-
coce mis en œuvre par diverses équipes de par le monde ont été
analysés. Ils concernent soit le traitement des premiers épisodes
psychotiques, soit celui des sujets à haut risque. Le “Case Mana-
gement”,les traitements neuroleptiques à faible dose, la psycho-
éducation familiale ainsi que diverses thérapies de groupes de
patients prodromaux constituent les différentes approches théra-
peutiques mises en œuvre. Quelques études publiées récemment
rendent compte de l’intérêt et des limites de ces prises en charge
sur des durées s’étendant de un à cinq ans. Toutefois, la compa-
raison de ces données est difficile, comme le font remarquer
Edwards, McGorry et Pennell (11), dans la mesure où il existe
une grande diversité des approches selon les services concernés.
Néanmoins, si les méthodes ne peuvent être comparées, les
données issues de populations, certes spécifiques, mais carac-
térisées par des sujets à haut risque peuvent offrir un canevas
sur lequel chaque service clinique, en cohérence avec son
fonctionnement propre, peut orienter ses pratiques en ce qui
concerne la prise en charge des sujets présentant des signes
prodromaux.
DÉFINITION DE LA POPULATION À RISQUE
La prise en charge précoce des sujets à risque de schizophrénie
concerne deux aspects. Le premier porte sur l’intérêt, en termes
de guérison de l’épisode et de qualité de l’amélioration clinique,
d’une prise en charge précoce des patients prodromaux. Le
deuxième concerne l’utilité de la prise en charge de sujets tota-
lement asymptomatiques, mais porteurs d’un risque génétique
pour le trouble. Dans ce dernier cas, l’identification d’adolescents
à haut risque de devenir psychotiques conduirait à une prise en
charge avant même le début des prodromes de la psychose. Cette
approche résulte du fait que l’on connaît, par de nombreuses
études de familles, de jumeaux et d’adoptions, l’importance du
poids de la génétique dans la schizophrénie. Cela, en dépit du fait
que les gènes n’ont jusqu’alors pas été identifiés. En l’absence de
tests génétiques, on peut identifier ces populations à traiter
précocement selon deux modalités. La première consiste à étu-
dier prospectivement ou rétrospectivement l’enfance des sujets
devenus schizophrènes à l’âge adulte. Les manifestations pré-
monitoires spécifiques retrouvées seraient significativement associées
au développement ultérieur d’une schizophrénie ou d’un trouble
du spectre clinique de la schizophrénie. Cette approche est
décrite ici même dans l’article “Avant la psychose ou le génie des
origines. Prodromes, vulnérabilité à la psychose”. La deuxième
modalité d’étude consiste à étudier de manière prospective les
enfants de patients schizophrènes ou des sujets schizotypiques.
Ces derniers, potentiellement à risque génétique, pourraient
présenter des symptômes ou des traits biologiques, électrophy-
siologiques ou neuropsychologiques associés à la vulnérabilité à
la psychose. L’identification de tels marqueurs aiderait à la mise
en place de prises en charge précoces.
Descendants du premier degré de sujets schizophrènes
Diverses études longitudinales prospectives ont étudié les carac-
téristiques sociales, psychologiques et biologiques identifiables
précocement chez des individus exempts de toute psychopatho-
logie mais présentant un risque statistique plus élevé de schizo-
phrénie.
Dans le projet New York High-Risk Project (NYHRP) instauré en
1971, des enfants de parents schizophrènes ou présentant un
trouble affectif ont été suivis jusqu’au début de leur vie d’adulte.
Leur consommation de toxiques (abus de substances) a fait l’ob-
jet d’une attention particulière.
L’étude des sujets à haut risque d’Édimbourg (EHRS) a débuté
pour sa part dans les années 1990. Elle s’intéresse également aux
individus pour lesquels il existe un risque génétique plus élevé de
développer une schizophrénie. Elle inclut les enfants pour les-
quels il existe au moins deux parents du premier ou du second
degré présentant une psychose. Dans cette population, on attend
un risque de développement du trouble d’environ 10 %.
On a pu mettre en évidence, chez les jeunes suivis dans le
NYHRP, des déficits de la mémoire verbale, une incoordination
motrice et un trouble de l’attention (CPT) chez respectivement
83 %, 75 % et 58 % des sujets qui ont développé une psychose
ou un trouble du spectre clinique de la schizophrénie. Il existe
cependant un taux de faux positifs chez les sujets qui n’ont pas
développé la schizophrénie, à hauteur de 18 % pour ceux ayant
des déficits attentionnels dans l’enfance et de 28 % pour ceux
présentant des déficits mnésiques (12).
Dans l’EHRS, Johnstone et al. (13) ont mis en évidence l’exis-
tence de davantage de difficultés psychologiques, d’un niveau
d’éducation académique plus bas et d’un taux d’emploi plus
faible dans un groupe de jeunes adultes (16-25 ans) à haut risque,
à l’issue de quatre ans de suivi. L’abus de drogue, plus élevé dans
cette population, ne peut à lui seul expliquer ce résultat.
L’étude d’Amminger (14) (NYHRP) nous apporte une informa-
tion importante à ce sujet. Cet auteur a pu montrer que 67 % des
enfants identifiés comme “à risque génétique” (dont les parents
sont schizophrènes ou du spectre psychotique) présentent les cri-
tères d’abus de substances, contre 20 % chez les enfants dont les
parents sont indemnes de troubles psychiatriques.
Il est néanmoins souvent difficile, dans ces cohortes à haut risque,
de faire la part de ce qui est attribuable à la relation précoce
parent-enfant et de ce qui serait lié au facteur génétique propre-
ment dit.
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Personnalité schizotypique et risque génétique
Une susceptibilité génétique isolée n’est habituellement pas suf-
fisante pour conduire aux manifestations cliniques de la schizo-
phrénie. Les influences environnementales sont importantes dans
l’expression de ces dernières. Afin d’essayer d’identifier la part
de susceptibilité génétique “non exprimée” chez les sujets à
risque génétique, on a étudié divers traits psychopathologiques
présents chez les apparentés de patients schizophrènes. Ces traits
s’appellent “schizotypie” et sont présents chez 7 à 14 % des
apparentés de premier degré des patients schizophrènes.
Les modèles étiologiques tels que celui de Meehl (modèle du
locus majeur isolé) ou celui de Gottesman et Schield (modèle à
niveau de seuil multifactoriel) s’accordent sur le fait que les traits
schizotypiques peuvent refléter une susceptibilité génétique à la
schizophrénie. Les études sur les populations à haut risque sup-
posent ainsi l’existence d’une certaine continuité entre traits de
personnalité schizotypiques et schizophrénie elle-même. Cepen-
dant, le rapport exact entre la schizotypie et la schizophrénie est
complexe et mal connu (15). La plupart des analyses fondées sur
l’étude de la descendance des schizophrènes ou sur celle de sujets
présentant une personnalité schizotypique ne peuvent pas être
directement extrapolées à la détection des individus préschizo-
phréniques en population générale. Elles peuvent davantage
être utiles à l’identification de marqueurs biologiques ainsi qu’à
la compréhension du processus de transition vers la psychose.
Certains de ces dysfonctionnements prémorbides peuvent servir
d’indicateurs phénotypiques des gènes de susceptibilité à la
schizophrénie.
APPORT DES ENDOPHÉNOTYPES DANS L’ÉTUDE
DES SUJETS À RISQUE
Les liens de causalité entre symptômes cliniques et génétiques ne
sont pas aisés à établir. C’est pourquoi de nombreux travaux ten-
tent d’approcher ce lien par le biais de l’analyse de corrélations
entre des dysfonctionnements à l’échelon neuronal et des ano-
malies biologiques dans la schizophrénie, d’une part, et la géné-
tique, d’autre part.
Le fait que les groupes à haut risque expriment de nombreuses
anomalies neurocognitives caractéristiques a servi de modèle
d’étude. On a cherché à établir un lien entre certains troubles du
traitement de l’information et certaines caractéristiques géné-
tiques. Ces modalités ont été explorées, tant pendant les périodes
symptomatiques que lors des périodes de rémission, ou encore
chez des sujets prémorbides. On a ainsi distingué des marqueurs
de “vulnérabilité cognitive” pour lesquels on a tenté d’identifier
des gènes candidats. Plusieurs méthodes neuropsychologiques ou
électrophysiologiques ont été employées dans cette intention. On
citera les mesures de l’attention, des mouvements de la poursuite
oculaire ou les potentiels évoqués auditifs. Les phénotypes mesu-
rables qui sont ainsi évalués sont appelés endophénotypes (car
non observables cliniquement). Ils doivent être héritables et s’ex-
primer avant le début de la maladie, être stables dans le temps
(indépendamment des traitements et des phases cliniques) pour
avoir le statut de marqueur de trait.
Mesures de l’attention
Beaucoup d’études suggèrent un dysfonctionnement cognitif
général chez les schizophrènes. On note particulièrement une
diminution des capacités attentionnelles. Cette diminution est
surtout manifeste pour les tâches à haut niveau de demande
cognitive. On peut penser que ces dernières sollicitent des
systèmes neurobiologiques dont la structure ou la fonction
pourraient comporter une part génétiquement liée au risque de
schizophrénie.
Egan et al. (16), en utilisant le Continuous Performance Test
(CPT - version 1-9), ont rapporté un risque relatif (RR) de 2,1
pour des apparentés de patients dont les scores étaient d’un écart
type en dessous de ceux des témoins, et un RR de 3,3 pour des
apparentés de patients ayant deux déviations standard sous la
moyenne des témoins. Une déviation standard en dessous de la
moyenne du groupe comparateur a été retrouvée chez 50 % des
patients, 24 % de leurs apparentés et 18 % des témoins. Dans le
NYHRP, un index attentionnel altéré est prédictif d’une transi-
tion vers la psychose (ou vers le spectre psychotique) chez 58 %
des sujets. Le taux de faux positifs est de 18 % dans cette étude
(12).
Mouvements oculaires (poursuite lente et tâche des antisaccades)
Beaucoup d’études ont été publiées à propos d’anomalies de la
poursuite oculaire chez les patients schizophrènes ou leurs appa-
rentés. Elles ont presque toutes indiqué une altération significa-
tive de cette poursuite, puisqu’on la retrouve chez 50 à 85 % des
patients et chez 50 % des apparentés du premier degré. Seuls 8 %
de sujets contrôles présentent cette anomalie. Cette atteinte
semble porter sur les processus d’initiation et de maintien de la
poursuite oculaire lente. On a pu démontrer que l’atteinte de la
poursuite oculaire co-ségrège avec une anomalie déjà décrite
chez ces patients sur le chromosome 6. Ce trouble de la poursuite
oculaire lente semble s’exprimer chez les familles de schizo-
phrènes de façon compatible avec une modalité de transmission
autosomique dominante (pour revue, voir 17). On a aussi pu
montrer l’existence, chez les patients schizophrènes et leurs appa-
rentés, d’un déficit dans la capacité d’inhibition dans les tâches
d’antisaccades (capacité du sujet à porter son regard le plus rapi-
dement possible du côté diamétralement opposé à la cible qui
s’allume ; ce test permet d’évaluer la capacité du sujet à inhiber
une réponse réflexe vers la cible et mesure le temps de latence de
la réponse vers une cible imaginaire opposée à la cible réelle). De
ce fait, les anomalies associées aux tâches d’antisaccades ainsi
que les altérations de la poursuite oculaire lente pourraient servir
à identifier les apparentés porteurs de la prédisposition génétique
pour la schizophrénie (18).
Potentiels évoqués auditifs de moyenne latence (P50)
L’ensemble des troubles de l’attention présents dans la psychose
peut refléter une altération générale des processus inhibiteurs
dans le système nerveux central (SNC) chez les sujets schi-
zophrènes. Ces processus inhibiteurs permettent, au sein des
réseaux neuronaux cérébraux, de discriminer les stimuli perti-
nents du bruit de fond de l’activité cérébrale. Les neurophysiolo-
gistes caractérisent l’inhibition cérébrale à l’aide d’un paradigme
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conditionnel au cours duquel on expose les sujets à des stimuli
appariés. Une réduction de l’inhibition de l’onde P50 à des stimuli
auditifs répétés a ainsi été observée chez environ 80 % des patients
schizophrènes et chez 50 % de leurs apparentés. Cette anomalie
de réponse est retrouvée chez moins de 10 % des sujets témoins.
Le déficit d’inhibition de l’onde P50 retrouvé dans les familles
des patients schizophrènes est compatible avec une transmission
autosomique dominante. Une première étude de linkage a pu
mettre en évidence un lien entre l’altération de l’inhibition de
l’onde P50 et la région chromosomique 15q14. D’autre études
ont retrouvé une association positive entre des polymorphismes
situés sur ce gène ou son “duplicata” et l’absence de filtrage sen-
soriel évalué par le paradigme du P50 (19, 20). Cette zone s’est
avérée être le locus du gène codant pour la sous-unité α7 du
récepteur nicotinique à l’acétylcholine, laquelle est impliquée
dans l’activation cholinergique des interneurones hippocam-
piques (21).
L’identification du risque génétique pour la schizophrénie pourrait
vraisemblablement augmenter en puissance en s’appuyant sur des
études génétiques qui croiseraient plus d’un endophénotype (18).
Par quels mécanismes ces marqueurs potentiels pris isolément ou
en association augmentent-ils (ou éventuellement diminuent-ils)
le risque de développer la maladie ? Et s’ils le font, quelle est leur
importance dans ce risque ? Pour tenter d’apporter une réponse à
ces questions, l’identification des anomalies moléculaires au
niveau de gènes candidats et la détermination du rôle exact de ces
anomalies dans la genèse de la maladie psychotique sont des pistes
de recherche excitantes et prometteuses (pour revue, voir 22).
CONCLUSION
La détermination de marqueurs de risque génétique pour la schi-
zophrénie souffre de l’absence d’études répliquées et générali-
sables. Malgré cette absence de données fiables, on assiste à une
augmentation des prescriptions d’antipsychotiques chez les
patients présentant des manifestations prodromales. Cette ten-
dance pourrait être préjudiciable si elle était appliquée à de jeunes
sujets à risque de schizophrénie sans que l’on connaisse précisé-
ment le taux d’évolution vers la schizophrénie de ces sujets pro-
dromaux (23).
Dans la mesure où toute intervention est éventuellement porteuse
d’un effet iatrogène, il convient lorsqu’on le fait de pouvoir s’ap-
puyer sur des marqueurs fiables. Or, la plupart des marqueurs cli-
niques ou neuropsychologiques de risque identifiés ont une faible
valeur prédictive positive. Des facteurs de risque plus sûrs tels
que les facteurs génétiques sont de ce fait très attendus par les cli-
niciens. Des efforts d’identification de tels facteurs sont actuel-
lement en cours. Cependant, évaluer le risque à l’échelle d’une
population paraît envisageable, alors que l’évaluation du risque
à l’échelon individuel est beaucoup plus complexe.
Dans ce contexte, les thérapies cognitives, dont les effets iatro-
gènes sont faibles, doivent être privilégiées. Notamment, elles
peuvent s’appliquer plus aisément sur des sujets qui s’avéreront
être de faux positifs. En revanche, les traitements pharmacolo-
giques, qui sont potentiellement plus puissants mais qui peuvent
produire des effets secondaires, particulièrement chez les ado-
lescents dont le cerveau est en phase de développement, doivent
être utilisés avec circonspection. Dans l’étude de McGorry (24),
parmi 60 sujets à risque, on a assisté au développement d’une
psychose à six mois chez 12 % de ceux inclus dans le bras com-
portant un traitement neuroleptique contre 35 % de ceux du
groupe non traité. Cela signifie qu’au moins 65 % des sujets
inclus ne nécessitaient pas de traitement pharmacologique.
Tsuang et al. (25) se sont concentrés sur la “schizotaxia”, terme
que Meehl a introduit en 1962, pour décrire la prédisposition, ou
la vulnérabilité génétique, à la schizophrénie. Cette dernière ne
mène inévitablement ni à la schizophrénie ni au trouble de la per-
sonnalité schizotypique. Ce syndrome est caractérisé par l’exis-
tence de symptômes négatifs, par une atteinte neuropsycholo-
gique et par un dysfonctionnement psychosocial. Toutefois,
Tsuang souligne le fait qu’“une des difficultés dans la mise en
application d’un protocole de traitement de la schizotaxie est le
manque de définition consensuelle du terme”.
Nous manquons donc actuellement de données rigoureuses per-
mettant de déterminer l’indication des antipsychotiques chez des
sujets prodromaux n’appartenant pas au groupe à haut risque que
nous venons de décrire. Cela, notamment, en raison du fait qu’il
n’existe pas de preuve réelle de l’existence d’une hyperdopami-
nergie chez les sujets prodromaux, si ce n’est chez quelques
sujets schizotypiques. En outre, des auteurs ont rapporté des don-
nées controversées concernant l’efficacité des inhibiteurs de la
recapture de la sérotonine (IRS) dans la prévention de la schizo-
phrénie chez les sujets prodromaux (23). Ces données soulignent
la complexité des anomalies neurobiologiques en jeu lors des
périodes de transition vers la psychose, surtout manifestes chez
les sujets à haut risque. Les modes de réponse individuelle au
traitement et les taux de transition vers la psychose varient cer-
tainement au sein de la population à risque. Dans l’état actuel de
nos connaissances, il est exclu de traiter les sujets, même à haut
risque, sans symptômes prodromaux ou cliniques de la schizo-
phrénie. Nous devrons attendre encore quelques années avant de
pouvoir répondre à ces questions. En revanche, l’information
et la prise en compte des risques environnementaux (usage ou
abus de cannabis, infections virales périnatales, complications
obstétriques, etc.) peuvent d’ores et déjà être intégrées dans la
prévention secondaire de la schizophrénie.
R
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