La Lettre du Psychiatre - vol. I - n° 1 - mars-avril 2005
Mise au point
21
comme suggérant un effet “toxique” de la psychose, susceptible
d’induire par elle-même des anomalies neurobiologiques (9). Des
études récentes, s’appuyant sur des tests neuropsychologiques ou
sur des études d’IRM, ne confirment pas cette hypothèse (10).
Néanmoins, Barnes et al. (8) ont pu mettre en évidence l’exis-
tence d’une altération plus importante sur une tâche de change-
ment attentionnel pour les DUP longues (plus de six mois) par
rapport aux DUP plus courtes. De nombreux problèmes métho-
dologiques se posent concernant l’analyse de la DUP. Ils sont
évoqués dans ce numéro dans l’article de P. Nuss et al (page 6 et
suivantes).
De ce fait, l’usage de traitements pharmacologiques pendant la
phase des prodromes de la maladie ne fait pas l’unanimité quant
à sa faisabilité et/ou à son innocuité. Pour tenter d’apprécier l’in-
térêt d’une telle approche, plusieurs modèles d’intervention pré-
coce mis en œuvre par diverses équipes de par le monde ont été
analysés. Ils concernent soit le traitement des premiers épisodes
psychotiques, soit celui des sujets à haut risque. Le “Case Mana-
gement”,les traitements neuroleptiques à faible dose, la psycho-
éducation familiale ainsi que diverses thérapies de groupes de
patients prodromaux constituent les différentes approches théra-
peutiques mises en œuvre. Quelques études publiées récemment
rendent compte de l’intérêt et des limites de ces prises en charge
sur des durées s’étendant de un à cinq ans. Toutefois, la compa-
raison de ces données est difficile, comme le font remarquer
Edwards, McGorry et Pennell (11), dans la mesure où il existe
une grande diversité des approches selon les services concernés.
Néanmoins, si les méthodes ne peuvent être comparées, les
données issues de populations, certes spécifiques, mais carac-
térisées par des sujets à haut risque peuvent offrir un canevas
sur lequel chaque service clinique, en cohérence avec son
fonctionnement propre, peut orienter ses pratiques en ce qui
concerne la prise en charge des sujets présentant des signes
prodromaux.
DÉFINITION DE LA POPULATION À RISQUE
La prise en charge précoce des sujets à risque de schizophrénie
concerne deux aspects. Le premier porte sur l’intérêt, en termes
de guérison de l’épisode et de qualité de l’amélioration clinique,
d’une prise en charge précoce des patients prodromaux. Le
deuxième concerne l’utilité de la prise en charge de sujets tota-
lement asymptomatiques, mais porteurs d’un risque génétique
pour le trouble. Dans ce dernier cas, l’identification d’adolescents
à haut risque de devenir psychotiques conduirait à une prise en
charge avant même le début des prodromes de la psychose. Cette
approche résulte du fait que l’on connaît, par de nombreuses
études de familles, de jumeaux et d’adoptions, l’importance du
poids de la génétique dans la schizophrénie. Cela, en dépit du fait
que les gènes n’ont jusqu’alors pas été identifiés. En l’absence de
tests génétiques, on peut identifier ces populations à traiter
précocement selon deux modalités. La première consiste à étu-
dier prospectivement ou rétrospectivement l’enfance des sujets
devenus schizophrènes à l’âge adulte. Les manifestations pré-
monitoires spécifiques retrouvées seraient significativement associées
au développement ultérieur d’une schizophrénie ou d’un trouble
du spectre clinique de la schizophrénie. Cette approche est
décrite ici même dans l’article “Avant la psychose ou le génie des
origines. Prodromes, vulnérabilité à la psychose”. La deuxième
modalité d’étude consiste à étudier de manière prospective les
enfants de patients schizophrènes ou des sujets schizotypiques.
Ces derniers, potentiellement à risque génétique, pourraient
présenter des symptômes ou des traits biologiques, électrophy-
siologiques ou neuropsychologiques associés à la vulnérabilité à
la psychose. L’identification de tels marqueurs aiderait à la mise
en place de prises en charge précoces.
Descendants du premier degré de sujets schizophrènes
Diverses études longitudinales prospectives ont étudié les carac-
téristiques sociales, psychologiques et biologiques identifiables
précocement chez des individus exempts de toute psychopatho-
logie mais présentant un risque statistique plus élevé de schizo-
phrénie.
Dans le projet New York High-Risk Project (NYHRP) instauré en
1971, des enfants de parents schizophrènes ou présentant un
trouble affectif ont été suivis jusqu’au début de leur vie d’adulte.
Leur consommation de toxiques (abus de substances) a fait l’ob-
jet d’une attention particulière.
L’étude des sujets à haut risque d’Édimbourg (EHRS) a débuté
pour sa part dans les années 1990. Elle s’intéresse également aux
individus pour lesquels il existe un risque génétique plus élevé de
développer une schizophrénie. Elle inclut les enfants pour les-
quels il existe au moins deux parents du premier ou du second
degré présentant une psychose. Dans cette population, on attend
un risque de développement du trouble d’environ 10 %.
On a pu mettre en évidence, chez les jeunes suivis dans le
NYHRP, des déficits de la mémoire verbale, une incoordination
motrice et un trouble de l’attention (CPT) chez respectivement
83 %, 75 % et 58 % des sujets qui ont développé une psychose
ou un trouble du spectre clinique de la schizophrénie. Il existe
cependant un taux de faux positifs chez les sujets qui n’ont pas
développé la schizophrénie, à hauteur de 18 % pour ceux ayant
des déficits attentionnels dans l’enfance et de 28 % pour ceux
présentant des déficits mnésiques (12).
Dans l’EHRS, Johnstone et al. (13) ont mis en évidence l’exis-
tence de davantage de difficultés psychologiques, d’un niveau
d’éducation académique plus bas et d’un taux d’emploi plus
faible dans un groupe de jeunes adultes (16-25 ans) à haut risque,
à l’issue de quatre ans de suivi. L’abus de drogue, plus élevé dans
cette population, ne peut à lui seul expliquer ce résultat.
L’étude d’Amminger (14) (NYHRP) nous apporte une informa-
tion importante à ce sujet. Cet auteur a pu montrer que 67 % des
enfants identifiés comme “à risque génétique” (dont les parents
sont schizophrènes ou du spectre psychotique) présentent les cri-
tères d’abus de substances, contre 20 % chez les enfants dont les
parents sont indemnes de troubles psychiatriques.
Il est néanmoins souvent difficile, dans ces cohortes à haut risque,
de faire la part de ce qui est attribuable à la relation précoce
parent-enfant et de ce qui serait lié au facteur génétique propre-
ment dit.