Les nouvelles approches pharmacologiques du traitement de l’anxiété

publicité
O
S
S
I
E
R
T
H
É
M
A
T
I
Q
U
E
Mi s e
a u
p o i nt
D
Les nouvelles approches pharmacologiques du traitement
de l’anxiété
Designing novel anxiolytic drugs: from receptors to ligands?
● P. Martin*
R
R
É
É
S
S
U
U
M
M
É
É
SUMMARY
SUMMARY
Les troubles anxieux sont les maladies psychiatriques les
plus courantes. L’anxiété engendre des dysfonctionnements
neurobiologiques, sans que les mécanismes en soient
complètement connus. Le système GABAergique (notamment les récepteurs GABA-A) paraît jouer un rôle important dans la physiopathologie du stress, de l’anxiété et des
troubles dépressifs. L’avancée des nouvelles connaissances
neurobiologiques sur les troubles anxieux a entraîné la
recherche de nouveaux traitements comme alternative aux
benzodiazépines utilisées depuis plus de 40 ans. Les molécules actives sur les sous-unités du récepteur GABA-A
semblent présenter un grand intérêt pour le traitement des
patients anxieux. Par ailleurs, l’utilisation des anticonvulsivants (tiagabine, prégabaline, etc.) dans ces troubles
semble être une voie de recherche intéressante, comme cela
a été montré dans différentes études cliniques en ouvert ou
en double aveugle. Parmi ces voies de recherche nouvelles,
certaines concernent les neuropeptides, les molécules ayant
une affinité pour certains sous-types de récepteurs sérotoninergiques, ou encore les antagonistes du glutamate. Toutefois, il n’a pour l’instant pas encore été déterminé si ces
molécules devaient être utilisées en première intention, ou
en cas de résistance ou de non-réponse aux traitements
classiques.
Anxiety disorders are the most common type of psychiatric illnesses. Anxiety stems from and perpetuates dysregulations of
neurobiological systems, but the exact mechanisms of anxiety
disorders are still only partially understood. The gamma aminobutyric acid (GABA) system (including GABA-A receptors)
appears to play an important role in the regulation of psychologic responses to stress, anxiety and depressive disorders.
Recent advances in the understanding of the neurobiologic features of anxiety disorders have led to the identification of new
treatments that may prove to be useful alternatives to benzodiazepines, which have been the mainstay of anxiety treatment
for more than 40 years. Pharmacologic agents designed to
modulate the effects of GABA, such as the subunit-modulators,
have shown promise in the treatment of anxious patients. On
the other hand, the psychotropic use of anticonvulsants (tiagabine, pregabalin, etc.) is an active area of research, with several case reports and open and/or double-blind trials suggesting their potential efficacy in various anxiety disorders. Other
novel strategies concerning glutamate antagonists, neuropeptides and serotoninergic ligands have attracted greater interest
as potential anxiolytics. However, it is unclear at this point
whether their place will be as first-line agents, as augmenting
strategies, or as medications used in cases of treatment resistance or non response to traditional pharmacotherapy.
Mots-clés : Anxiolytiques – Systèmes GABAergiques – Sousunités GABA – Antagoniste NMDA – Modulateur des canaux
calciques voltage-dépendant (s-u α 2 δ) – GABAmimétiques.
Keywords: Anxiolytic drugs – GABAergic systems – GABA-A-R
subtypes – Antagonist NMDA – Voltage-dependent calcium
channel modulator (α 2 δ protein) – GABA-like drugs.
a prise en charge des troubles mentaux représente, en ce
début de XXIe siècle, l’un des plus importants défis de
santé publique pour la population mondiale. Ces pathologies sont, en effet, particulièrement fréquentes, tant en population générale (quel que soit le pays, une personne sur quatre sera
affectée par un ou plusieurs troubles mentaux ou du comportement au cours de sa vie) qu’au sein des populations médicalisées
(20 à 30 % des consultants de médecine générale présentent des
problèmes psychopathologiques).
Ces troubles sont, par ailleurs, caractérisés par un très fort impact
en termes de morbidité et de mortalité. En 2001, l’OMS, a ainsi
dénombré quatre maladies mentales (troubles dépressifs unipolaires, troubles liés à l’alcool, schizophrénie, trouble bipolaire)
L
* Département de psychiatrie, unité de recherche, université Pierre-et-MarieCurie, hôpital Saint-Antoine, Paris.
28
La Lettre du Psychiatre - vol. II - n° 1 - janvier-février 2006
p o i nt
La Lettre du Psychiatre - vol. II - n° 1 - janvier-février 2006
a u
ASPECTS FONCTIONNELS DE L’ANXIÉTÉ
Support neuro-anatomiques
L’anxiété correspond à un état psychologique, physiologique et
comportemental signalant un danger, une menace ou un conflit,
qu’ils soient réels ou seulement perçus comme tels, et destiné à
déclencher une réponse adaptative. Par conséquent, l’anxiété,
comme la peur, est liée à la fois à notre évaluation subjective de
ces stimuli et à nos réactions physiologiques à l’environnement.
Bien que l’anxiété corresponde à une réaction adaptative naturelle, elle peut devenir pathologique, et interfère alors avec notre
capacité à faire face à notre environnement (3).
Force est encore de constater aujourd’hui que l’empirisme et
même des stratégies chimiothérapeutiques appropriées n’ont toujours pas permis de formaliser précisément quels supports neurobiologiques pourraient rendre compte d’un état anxieux, et cela
même si de réels progrès ont été faits avec l’apport des neurosciences et de l’imagerie cérébrale. Le rôle clé du système limbique, et plus particulièrement de l’amygdale, de l’hippocampe,
du thalamus et des cortex préfrontal et cingulaire, a ainsi été mis
en évidence. Il est bien admis à l’heure actuelle que l’amygdale
constitue une structure primordiale pour l’étude des circuits de
l’anxiété, superposé à celui d’une émotion, la peur. Schématiquement, le processus évoqué pourrait être le suivant (figure 1) :
un stimulus sensoriel évoquant la présence d’un danger pour l’organisme va d’abord atteindre le thalamus. De là, il sera pris en
charge par deux voies parallèles : la voie thalamo-amygdalienne
(voie courte) et la voie thalamo-cortico-amygdalienne (voie
longue). La première véhicule une perception grossière et rapide
d’une situation puisque c’est une voie sous-corticale qui ne bénéficie pas de la cognition. Elle active l’amygdale qui, par l’entremise de son noyau central, fait naître des réactions émotionnelles
avant même que l’intégration perceptuelle n’ait eu lieu et que le
système puisse se représenter complètement le stimulus.
Dans un deuxième temps, le traitement de l’information par la
voie corticale longue arrive à l’amygdale et précise si le simulus
est véritablement menaçant ou s’il n’y a pas lieu de s’inquiéter.
Pour ce faire, différents niveaux de traitement cortical sont nécessaires. En effet, après un traitement des différentes modalités de
l’objet par le cortex sensoriel primaire, le cortex associatif “unimodal” fournit à l’amygdale une représentation de l’objet. À un
niveau d’analyse encore supérieur, le cortex associatif “polymodal” conceptualise la chose et en informe également l’amygdale.
Cette représentation élaborée de l’objet peut alors être comparée
au contenu de la mémoire explicite grâce à l’hippocampe, qui
entretient lui aussi des liens étroits avec l’amygdale.
C’est l’hippocampe qui permet en premier lieu l’apprentissage
du caractère dangereux d’un objet ou d’une situation grâce à la
mémoire explicite. L’hippocampe est aussi particulièrement sensible à l’encodage du contexte associé à une expérience aversive.
C’est lui qui fait qu’un stimulus peut devenir une source de peur
conditionnée, mais également les objets autour, la situation ou le
lieu où il se produit. La perception d’un danger imminent poursuit alors le travail d’activation de l’amygdale, dont les patterns
29
Mi s e
parmi les dix maladies générant la plus forte mortalité et le plus
important handicap, les troubles mentaux étant globalement responsables de 10,5 % du nombre total d’années de vie en bonne
santé perdues.
L’OMS a par ailleurs souligné les progrès considérables réalisés au
cours des 30 dernières années dans les domaines des neurosciences
et de la médecine du comportement (1). Après la spectaculaire percée de la psychopharmacologie à partir des années 1960, les avancées plus récentes de la génétique et de la biologie moléculaire ont
en effet permis de mieux caractériser le support organique de certaines maladies mentales (schizophrénie, trouble affectif bipolaire,
par exemple), tandis que le développement de la neuro-imagerie et
des neurosciences cognitives a permis d’établir des liens entre certaines activités cérébrales régionales et certains phénomènes mentaux, normaux ou pathologiques.
Ces progrès devraient permettre le développement de nouveaux
médicaments, mais aussi de nouveaux traitements physiques tels
que la photothérapie, la stimulation magnétique transcrânienne
répétée (rTMS) ou la stimulation cérébrale profonde (SCP).
En santé mentale, les troubles anxieux représentent les affections
psychiatriques les plus répandues chez l’adolescent et l’adulte,
puisque l’on estime à près de 25 % la proportion de sujets ayant
subi un épisode de trouble anxieux sévère et/ou invalidant au cours
de leur vie (2). Toutefois, il demeure un certain nombre de questions quant à leur reconnaissance clinique, tant sur le plan de leur
classification que sur le plan du référentiel de stratégies thérapeutiques, notamment médicamenteuses. Les classifications actuellement utilisées par la communauté scientifique internationale sont
celles de l’OMS et, surtout, celle de l’Association américaine de
psychiatrie (DSM-IV). Elles séparent les troubles anxieux en six
pathologies principales, qui se différencient par les sources de
l’anxiété ou par les stratégies utilisées pour tenter de la limiter.
En revanche, on peut dire qu’il existe des caractéristiques
communes à tous les troubles anxieux, c’est-à-dire un état d’hyperactivité chronique du système nerveux sympathique, associé à une
hypervigilance consciente et préconsciente, ainsi que la présence de
nombreux évitements (de situations, d’images ou de pensées) qui
soulagent l’anxiété à court terme, mais la chronicisent à long terme
en validant les postulats anxiogènes. Ce contexte a conduit à l’élaboration de différents modèles, dont le modèle bio-psycho-social
est considéré comme le plus convaincant par les chercheurs et les
cliniciens. En effet, dans ce paradigme, pour qu’un trouble anxieux
existe et persiste, il faut que soient présents, à des degrés divers, une
vulnérabilité biologique (souvent innée), une trajectoire psychologique allant dans le sens du trouble (modèles parentaux eux-mêmes
anxieux, éducation trop protectrice, etc.) et un environnement social
facilitant (rapports sociaux de plus en plus exigeants).
Enfin, ces troubles sont assez souvent comorbides chez ces
patients de manière soit synchronique, soit diachronique, avec
une intensité qui peut aussi fluctuer dans le temps. De là la très
grande variété des tableaux cliniques rencontrés et la question de
savoir quel(s) traitement(s) semble(nt) le(s) plus approprié(s),
sachant qu’il se dégage au moins trois grands axes que sont l’éducation et l’information des patients anxieux, les psychothérapies
et les traitements médicamenteux.
O
S
S
I
E
R
T
H
É
M
A
T
I
Q
U
E
p o i nt
D
a u
Figure 1. Le circuit de l’anxiété :
interconnexion entre les différentes
structures cérébrales impliquées
dans le traitement de l’information
des stimuli extérieurs et de la réponse
appropriée.
Mi s e
Cortex
sensoriel
primaire
Cortex
associatif
unimodal
Cortex
associatif
polymodal
Route
longue
Concept
Objet
Route courte
Stimulus
sensoriel
Caractéristiques
Hippocampe
Noyau
basal
parvicellulaire
Noyau
basal
accessoire
Tronc cérébral
Stimulus émotionnel
Noyau latéral
Noyau basal
magnocellulaire
Noyau
médial
Noyau
central
Hypothalamus
Sortie de
l'information
Réponses émotionnelles
de décharge vont activer les structures efférentes responsables des
manifestations de la peur, comme la fréquence cardiaque et la
pression sanguine élevées, les mains moites, la bouche sèche, les
muscles tendus, etc. En résumé, les lésions ou un dysfonctionnement de l’amygdale empêchent les réponses conditionnées ; les
lésions ou un dysfonctionnement de l’hippocampe empêchent
l’apprentissage. Enfin, le locus coeruleus joue un rôle de filtrage
des stimuli de peur.
On peut dire que l’imagerie cérébrale a permis de progresser dans
la compréhension des mécanismes physiopathologiques des
troubles anxieux et de déterminer plus précisément quelles structures étaient impliquées de manière privilégiée en fonction du
trouble anxieux considéré. À titre d’exemple (figure 2), la comparaison de trois troubles anxieux a montré, en ce qui concerne le
trouble anxieux généralisé, des anomalies neuro-anatomiques,
comme une augmentation du volume de l’amygdale, et probablement aussi du cortex préfrontal ainsi que des régions temporales.
Pour le trouble obsessionnel compulsif, il a été observé une augmentation de l’activité au niveau du cortex orbitofrontal, du cortex cingulaire antérieur et du noyau caudé ; enfin, pour la phobie
sociale, il a été décrit une augmentation de l’activité amygdalienne
et cingulaire et une diminution de celle des ganglions de la base.
30
Contexte
Entrée de
l'information
Trouble anxieux
généralisé
Troubles
obsessionnels
compulsifs
Phobie sociale
Figure 2. Neuro-anatomie fonctionnelle schématique et troubles anxieux.
Supports neurobiologiques
Dans la compréhension de la nature de l’anxiété, les travaux de
J. Gray sur l’anxiété et les circuits cérébraux qui l’engendrent
ont permis de poser les premières bases solides de réflexion.
Partant du fait que l’alcool, les barbituriques et les benzodiazépines, produits différents par leurs propriétés et leurs formules
chimiques, pouvaient tous soulager l’anxiété, J. Gray s’est proLa Lettre du Psychiatre - vol. II - n° 1 - janvier-février 2006
Molécules complexe macromol.
BZD/GABA
– Benzodiazépiniques et apparentés
– Neurostéroïdes
Molécules peptidergiques et al.
– CCK-B
– Antagoniste CRF (axe HHA)
– Neurotensine (axe HHA)
– Substance P
– Neurotrophines (NK1)
– Neuropeptide Y
– Vasopressine/ocytocine
– Galaline
Molécules à tropisme
aminergique
– Sérotonine
– Noradrénaline
– Histamine
– Dopamine
Molécules et neuromédiateurs
– GABA
– Glutamate
– N-méthyl-D-aspartate
– Glycine
– Adénosine
Molécules : autres
– Cytokines
– Facteurs neurotrophiques
COMPLEXE MACROMOLÉCULAIRE GABA/BZD
ET MODULATIONS ALLOSTÉRIQUES :
LES MODULATEURS DES SOUS-UNITÉS (EXTRACELLULAIRES)
L’acide gamma-aminobutyrique (GABA) est un neurotransmetteur inhibiteur du système nerveux central présentant, selon les
auteurs, de 40 à 60 % des synapses. Le GABA exerce ses effets
par l’intermédiaire de trois types de récepteurs :
– le récepteur GABA-A, le plus connu ;
– le récepteur GABA-B, qui fait partie des récepteurs métabotropiques ; couplé aux protéines G, présent sous forme de
dimères, il est subdivisé en sous-types B1 (α, β, γ, δ) et B2 ;
– le récepteur GABA-C (ρ1, ρ2, ρ3), présent dans la rétine et
l’hippocampe.
Au niveau présynaptique, la stimulation du récepteur GABA-B
entraîne une inhibition de la libération du neurotransmetteur. Il
semble jouer un rôle dans les états dépressifs, la mémoire, la douleur et l’anesthésie.
Le récepteur GABA-A fait partie de la superfamille des récepteurs ionotropiques. C’est un complexe macromoléculaire transmembranaire formé de plusieurs sous-unités. Le récepteur
GABA-A forme un hétéropentamère délimitant un canal perméable préférentiellement aux ions chlore (figure 3).
Outre les sites de fixation primaire au GABA, ce complexe
macromoléculaire comporte d’autres sites secondaires pour des
molécules modulatrices de l’effet du GABA (benzodiazépines,
barbituriques, convulsivants, alcool, etc.) [figure 4]. Ces sites
entraînent l’une des deux régulations allostériques, l’une au
niveau extracellulaire (cas présent), l’autre au niveau des
canaux ioniques. En ce qui concerne les modulateurs extracellulaires susceptibles de changer l’efficacité du GABA, ils n’ont
pas pour autant la finalité de générer une action anxiolytique
avérée, comme on a pu le croire un certain temps avec les
neurostéroïdes, par exemple. De plus, ces substances peuvent
favoriser l’effet du GABA, mais sont sans effet en l’absence de
ce dernier.
31
a u
p o i nt
La Lettre du Psychiatre - vol. II - n° 1 - janvier-février 2006
Tableau. Anxiété : multiples interactions neurobiologiques.
Mi s e
posé d’étudier les effets de ces trois substances sur diverses
tâches comportementales chez le rat, et ainsi de dresser un portrait “comportemental” de l’anxiété. De plus, il a recherché des
régions cérébrales dont les lésions produiraient des effets comparables à ceux des anxiolytiques sur la réalisation de ces tâches
afin d’isoler les structures anatomiques en action. Ce projet a
conduit, en 1982, à ce qui a été appelé la “théorie neuronale de
l’anxiété”.
Cette théorie a permis de mettre en avant certains mécanismes,
et tout d’abord, à l’époque, le rôle central du GABA dans
l’anxiété, partant du postulat que les benzodiazépines ont un
effet direct sur le GABA, facilitant son action inhibitrice, et
rendant ainsi difficile l’excitation du neurone postsynaptique
par le glutamate. L’hypothèse du complexe macromoléculaire
GABA/BZD en a découlé (4, 5). Plus tard est venue la reconnaissance, en fait, d’une action indirecte du GABA sur l’anxiété
avec la mise en jeu des systèmes aminergiques, notamment sérotoninergique, histaminergique et noradrénergique, probablement
comme voie finale d’action anxiolytique.
Pendant longtemps, il a résulté de ces observations une sorte
de “pensée unique”, essentiellement – pour ne pas dire totalement – axée sur les anxiolytiques de la classe des benzodiazépines (BZD) ; ce n’est que depuis une quinzaine d’années
qu’il apparaît de manière assez consensuelle que l’“anxiété”
pourrait rendre compte d’un dysfonctionnement des systèmes
5-HT, allant dans le sens d’un excès en sérotonine. Il est ainsi
étonnant de constater que, globalement, jusqu’à ces dernières
années, aucun progrès majeur dans la compréhension et la
prise en charge de ces troubles n’a été vraiment réalisé.
D’ailleurs, si nous considérons l’arsenal chimiothérapeutique,
il est facile de constater qu’il n’y a pas de classification des
anxiolytiques, contrairement à ce qui existe pour les antidépresseurs, par exemple, et nous nous référons à une liste OMS.
De plus, il est intéressant de noter que les substances répertoriées sur cette liste sont très hétérogènes, aussi bien par leur(s)
impact(s) sur des cibles neurobiologiques différentes que par
leurs mécanismes d’action variés. Enfin, l’indication dans les
troubles anxieux de molécules dites antidépressives, dont le
mécanisme d’action pourrait aller à l’encontre des hypothèses
émises sur l’anxiété (augmentation des transmissions sérotoninergiques et noradrénergiques, par exemple), n’a pas facilité non plus une vision claire de la prise en charge de ces
patients.
C’est justement dans la prise en compte de l’apparition de nouvelles cibles neurobiologiques (tableau) que des espoirs concernant la synthèse de nouvelles molécules anxiolytiques sont apparus, comme une alternative ou non aux BZD.
Plusieurs grands axes sont à l’heure actuelle en plein développement :
✓ complexe macromoléculaire GABA/BZD et modulations
allostériques : les modulateurs des sous-unités (extracellulaires) ;
✓ systèmes GABAergiques : molécules intervenant à différents
niveaux du métabolisme ;
✓ excitabilité neuronale : acides aminés excitateurs et inhibiteurs
et canaux calciques.
O
S
S
I
E
R
T
H
É
M
A
T
I
Q
U
E
a u
p o i nt
D
de médicaments anxiolytiques futurs (6). Ainsi, à l’heure actuelle,
on a identifié près de 19 isoformes, dont 17 ont été clonés (7). On
distingue actuellement 6 sous-types de sous-unités alpha (α),
4 sous-types de sous-unités bêta (β), 3 sous-types de sous-unités
gamma (γ) et un sous-type de sous-unités delta (δ), epsilon (ε), pi
(π) et 3 rhô (ρ). Cela entraîne non seulement une grande hétérogénéité de structure, mais aussi une hétérogénéité pharmacologique,
dont les conséquences sont encore mal connues. À partir de ligands
spécifiques d’une sous-unité ou de combinaisons de sous-unités, il
est possible de déterminer l’activité de la molécule, sans retrouver
systématiquement les cinq propriétés à la fois bénéfiques et délétères que possèdent les benzodiazépines. Il est toutefois nécessaire
de confirmer si les propriétés de ces nouveaux composés, retrouvées chez l’animal, se confirment chez l’homme (8).
Mi s e
Canal
chlore
β
γ
α
β
α
Complexe récepteur/canal ionique
Figure 3. Le complexe macromoléculaire GABA/BZD. Conformations
spéculatives.
Récepteurs
stéroïdes
pregnanolone
corticoïdes
Site
barbiturique
Site
picrotoxine
Zn
Ca 2+
+
Site
éthanol
+
+
−
Récepteurs
histamine
+
Récepteurs
benzodiazépine
et ses sous-unités
+
α
β
γ
+
Récepteur
GABA-A
Cl –
Site
anesthésique
alphaxolone
Systèmes neurobiologiques (NAD, 5-HT, DA, etc.)
Figure 4. Le complexe GABA/BZD et ses sites modulateurs extracellulaires.
C’est à partir de ce complexe macromoléculaire et de ces sites
qu’un grand nombre de molécules souhaiteraient “revendiquer”
l’efficacité des benzodiazépines en tant qu’anxiolytiques, sans en
avoir les effets secondaires. Toutefois, il faut bien noter que la
modification allostérique de ce complexe n’est pas non plus initiatrice d’une dynamique anxiolytique.
En revanche, c’est probablement à partir des isoformes de ces sousunités que l’avancée de la recherche est la plus probante, sur le plan
à la fois des connaissances neurobiologiques et de la détermination
32
Modulateurs allostériques extracellulaires du GABA-R :
sous-unités
Les agonistes à effet allostérique modulent la sensibilité du récepteur GABA-A à l’effet du GABA. Ils peuvent favoriser ou réduire
l’effet du GABA mais, jusqu’à présent, n’ont été retenus comme
médicaments que ceux qui le favorisaient : ce sont principalement
les benzodiazépines et les barbituriques. On distingue deux types
de récepteurs des benzodiazépines (BZD) selon que leur activation
par des agonistes favorise l’ouverture du canal Cl- (quasi-totalité
des BZD utilisées en thérapeutique) ou tente de s’y opposer (effet
agoniste inverse). Des antagonistes peuvent inhiber l’effet des agonistes : un neuropeptide d’origine endogène, appelé diazepam binding inhibitor, s’oppose à la fixation des BZD et à leurs effets. Des
substances d’origine exogène, comme le flumazénil, et peut-être à
un moindre degré la caféine, sont aussi des antagonistes.
Globalement, aujourd’hui, on commence à déterminer, in vitro
ou chez l’animal, l’activité de ces sous-unités, seules ou en combinaison. Ainsi, il a pu être mis en évidence le fait que :
– la sous-unité α 1, qui est la plus répandue au niveau du système
nerveux central (SNC), pourrait médier seule un effet sédatif par
l’action d’un modulateur positif ; elle pourrait également être à
l’origine des amnésies antérogrades (9), comme possiblement la
sous-unité α 5 (10) ;
– la sous-unité α 2 pourrait médier seule un effet anxiolytique, ainsi
qu’en combinaison α 2 α 3 (11). Cette sous-unité pourrait également rendre compte d’un effet myorelaxant, l’un ou l’autre par l’action d’un modulateur positif. Par exemple, plusieurs molécules dites
“modulateurs positifs de sous-unités spécifiques”, en cours de développement, présenteraient une action anxiolytique, sans effet sédatif ; c’est le cas du PTAO23 (α 2 α 3), du L-838417 (α 2 α 3 α 5)
et du SL-651,438 (α 2 α 3 et agoniste partiel α 1 α 5) (12) ;
– la sous-unité α 3, moins bien connue, pourrait médier seule, par
l’action d’un modulateur négatif, un effet anxiogène. Par ailleurs,
un modulateur positif comme le PT003 (α 3) pourrait entraîner
chez l’animal une diminution de la consommation alcoolique et
du stress induit et provoquer une hypothermie ; il ne serait pas
sédatif. L’ELB139, un modulateur positif (α 3), a montré chez
l’animal un effet anxiolytique ainsi qu’une absence de tolérance
et de dépendance ; il est actuellement en phase II chez l’homme.
La Lettre du Psychiatre - vol. II - n° 1 - janvier-février 2006
GABAmimétiques directs
Les principales molécules utilisées sont les anesthésiques volatils. La comparaison, en termes d’activité, des différents isomères
indique que les énantiomères dits actifs favorisent l’entrée de Cldans la cellule en intervenant sur le récepteur GABA-A, probablement par stimulation directe, en agissant sur un site spécifique
à cette classe de molécules.
Certains anti-épileptiques, comme le progabide, qui est un agoniste direct (prodrogue) des récepteurs GABA-A, possèdent des
propriétés indiscutables dans de nombreuses formes d’épilepsie.
Ce sont des molécules qui, par un ou plusieurs mécanismes (augmentation de la biosynthèse, diminution du catabolisme, inhibition de la recapture), augmentent la concentration de GABA au
niveau des synapses GABAergiques.
En ce qui concerne le métabolisme du GABA, schématiquement,
celui-ci est présent dans les neurones, où il est synthétisé à partir
de l’acide glutamique, sous l’influence d’une enzyme, l’acide
glutamique décarboxylase (GAD), utilisant le phosphate de pyridoxal comme cofacteur. Stocké dans les granules des terminaisons présynaptiques et libéré dans la fente synaptique, il agit sur
des récepteurs spécifiques de type GABA-A et GABA-B situés
au niveau postsynaptique. Une partie du GABA libéré est captée
par les terminaisons présynaptiques ; l’autre diffuse et est en partie captée par les cellules gliales. Les mitochondries des cellules
gliales transforment, sous l’influence de la GABA transaminase
(plus pyridoxine), le GABA en acide succinique semi-aldéhyde,
lui-même transformé en acide succinique.
Les molécules qui agissent sur les différentes étapes du métabolisme sont essentiellement des antiépileptiques (11) [figure 5].
CANAL CALCIQUE
VOLTAGE DÉPENDANT
GABA
vigabatrine
GABAmimétiques indirects
GABA-T
α1-sous-unité
aldehyde
succinique
valproate
α2-sous-unité
aldehyde
succinique métabolites
dehydrogenase
tiagabine
δ-sous-unité
-1
GAT
β-sous-unité
GABA
dépolarisation
γ-sous-unité
GABA
SITE GABA
Na +
Ca 2+
Na +
Ca 2+
Dépolarisation
Dépolarisation
barbituriques
benzodiazépines
Extracellulaire
Intracellulaire
Cl D’après Martin et Lambert, 2006.
Repolarisation
La Lettre du Psychiatre - vol. II - n° 1 - janvier-février 2006
Figure 5. Système
GABAergique.
33
a u
p o i nt
Parmi les différentes démarches consistant à interagir avec les
systèmes GABAergiques, il existe celles concernant une ou des
actions GABAmimétiques directes et indirectes. Toutefois, la
distinction entre GABAmimétiques directs et indirects est souvent
difficile à établir, car certains médicaments ont les deux types
d’effets. L’autre hypothèse concerne l’action d’un certain nombre
de molécules actives dans différentes pathologies psychiatriques
(anxiété, épilepsie, migraine, troubles bipolaires, douleur, etc.) ou
somatiques (neuropathie périphérique et diabétique) mettant en jeu
un dysfonctionnement de l’excitabilité neuronale. Il s’agit essentiellement des molécules anti-épileptiques, qui peuvent agir notamment sur les systèmes GABAergiques et glutamatergiques (13).
Toutefois, en raison de la fréquence des hépatites qu’il provoquait, le progabide a été retiré du commerce. À l’heure actuelle,
compte tenu des molécules existantes, il n’y a pas à notre
connaissance de référence d’utilisation dans les troubles
anxieux.
Mi s e
SYSTÈMES GABAERGIQUES : MOLÉCULES INTERVENANT
À DIFFÉRENTS NIVEAUX DU MÉTABOLISME
O
S
S
I
E
R
T
H
É
M
A
T
I
Q
U
E
Mi s e
a u
p o i nt
D
Inhibition du catabolisme : vigabatrine
La vigabatrine est un inhibiteur irréversible et spécifique de la
GABA aminotransférase, ce qui entraîne une augmentation de la
concentration intracérébrale de GABA dans la synapse. Chez
l’animal, la vigabatrine a montré un effet positif dans les tests
usuellement utilisés pour évaluer l’équivalent d’un symptôme
anxieux. Chez l’homme, cette molécule s’est opposée aux crises
d’angoisse induites (CCK-4).
Augmentation de la synthèse : gabapentine
La gabapentine a une structure chimique qui présente une analogie avec celle du GABA. Elle augmente la synthèse de GABA en
stimulant l’activité de la glutamate décarboxylase et favorise sa
libération au niveau synaptique. Chez des sujets anxieux, cette
molécule a été décrite comme favorisant les effets des benzodiazépines en coprescription. Son intérêt semble avoir été montré
également en cas de trouble panique (placebo/control., n = 103),
dans le trouble obsessionnel compulsif (n = 5), dans l’état de
stress post-traumatique (ESPT) [ouvert, n = 30], dans l’anxiété
généralisée (ouvert, n = 21) et dans la phobie sociale (placebo/
control., n = 69).
Augmentation de la synthèse du GABA et antagoniste
NMDA : acide valproïque
L’acide valproïque a un mécanisme d’action complexe, avec plusieurs cibles neurobiologiques : effet gabamimétique, effet antagoniste du glutamate et inhibition des canaux sodiques voltagedépendants. L’effet gabamimétique résulte d’une élévation de la
concentration de GABA cérébral consécutive à l’augmentation
de sa synthèse par activation de la GABA décarboxylase et diminution de son catabolisme par inhibition de la GABA transaminase. Chez l’homme, plusieurs études ont montré son intérêt
dans l’ESPT (ouvert, n = 16), dans le trouble panique (ouvert,
n = 12 ; double aveugle, n = 12), dans le trouble obsessionnel
compulsif (ouvert, n = 10) et dans la phobie sociale (ouvert,
n = 33).
Inhibiteur de la capture du GABA : tiagabine
La tiagabine est un analogue du GABA qui inhibe la recapture du
GABA par les neurones et les cellules gliales, par inhibition du
transporteur GAT-1. Chez l’animal, elle a été positive aux tests
utilisés avec les anxiolytiques. Chez l’homme, plusieurs études
ont montré son intérêt dans l’ESPT (ouvert, n = 30), dans
l’anxiété généralisée avec ou sans comorbidité dépressive
(ouvert, randomisé versus paroxétine, n = 20 ; ouvert, n = 18 ; placebo/control., double aveugle, n=134). Cette molécule s’est également opposée aux crises d’angoisse induites (CCK-4) [n = 15,
sujets sains].
Augmentation des taux cérébraux de GABA : lévétiracétam
Il a été montré que le lévétiracétam pouvait augmenter
les taux cérébraux de GABA, sans que l’on sache précisément
par quel mécanisme. Ce produit s’est avéré actif dans la
phobie sociale (ouvert, n = 20) et dans l’ESPT (ouvert,
n = 16).
34
EXCITABILITÉ NEURONALE : MODULATEUR DES
CANAUX CALCIQUES ET ACIDES AMINÉS EXCITATEURS
ET INHIBITEURS
Comme cela a déjà été précisé, il apparaît clairement une hétérogénéité “cumulée” entre les troubles dits anxieux et les différents
axes de recherche neurobiologique. À l’heure actuelle, l’arsenal
thérapeutique s’enrichit de molécules actives dans d’autres pathologies cliniquement différentes les unes des autres, aussi bien en
termes psychiatriques que somatiques.
Si l’on se réfère à différents modèles physiopathologiques et neurobiologiques, il est possible de trouver un point commun pour
tenter de faire un lien. L’excitabilité neuronale dans ses dimensions d’hypo- ou d’hyperfonctionnement pourrait être ce lien,
puisqu’elle concerne la propagation de l’influx nerveux et des
mouvements ioniques retrouvés dans la plupart des systèmes neuronaux. Parmi les différents canaux ioniques (sodique, calcique,
potassique, chlore, etc.), le canal calcique est la dernière étape
avant la libération des neurotransmetteurs, et des travaux récents
indiquent que des anomalies de l’activation des canaux calciques
se trouvent au centre de l’exagération de l’activité neuronale
observée dans certaines pathologies du système nerveux central
et périphérique.
Les canaux calciques
Il existe une grande diversité fonctionnelle de canaux calciques
activés par dépolarisation membranaire en fonction des courants
produits. La nomenclature internationale (14) a déterminé plusieurs types de canaux, appelés : L (squelette, muscle, tissu, etc.),
N (terminaison neuronale, dendrite), P/Q (terminaison neuronale,
dendrite), R (corps cellulaire, dendrite) et T (muscle cardiaque,
corps cellulaire, dendrite, etc.). Tous ces canaux sont voltagedépendants, avec un seuil déterminé et une durée d’ouverture
inégale selon les canaux. La fonction essentielle des canaux calciques est de moduler – dans le cas présent – la libération de neurotransmetteurs par les vésicules au cours de la transmission
synaptique.
La structure du canal calcique est relativement complexe. C’est
une protéine comportant plusieurs sous-unités : l’unité principale
α 1 et des unités secondaires α 2 δ, γ et β. Les sous-unités secondaires interviennent dans la régulation de l’activité et la modulation du flux calcique ainsi que son entrée dans la cellule. La partie α 2 de la sous-unité α 2 δ est particulièrement intéressante,
car elle est extracellulaire et constitue un site de liaison pour des
molécules psychotropes ; cette sous-unité détermine la fonctionnalité du canal calcique. La densité de cette sous-unité α 2 δ augmente dans des circonstances pathologiques ; cette surexpression
pourrait être une cause de l’excitabilité neuronale.
Modulateur des canaux calciques
Dans ce paradigme d’excitabilité neuronale, des molécules utilisées dans l’épilepsie et certaines neuropathies se sont avérées
présenter un intérêt dans l’anxiété généralisée au cours d’études
La Lettre du Psychiatre - vol. II - n° 1 - janvier-février 2006
Le N-acétyl-aspartyl-glutamate est transformé en acide glutamique par une peptidase dont l’activité est augmentée au cours
de certaines maladies neurologiques et psychiatriques. Il est aussi
le précurseur du GABA. L’acide glutamique, qui, par perte d’un
proton, donne le glutamate, en favorisant la pénétration de
sodium et de calcium dans la cellule, a un effet dépolarisant ou
activateur. La production d’un potentiel d’action dépend de la
relation entre le glutamate, neurotransmetteur excitateur ubiquitaire dans le cerveau, et le GABA inhibiteur.
La Lettre du Psychiatre - vol. II - n° 1 - janvier-février 2006
a u
p o i nt
Acides aminés excitateurs : glutamate
Équilibre
GLUTAMATE
GABA
Na+
Na+
Cl-
Na+
Récepteurs AMPA
Récepteurs GABA-A
Inhibition
Mi s e
à court terme (15). Les mécanismes d’action putatifs de ces molécules, qui semblent encore mal connus, paraissent assez complexes et rendent compte de plusieurs impacts : via les canaux
calciques, indirectement, sur les systèmes glutamaergiques et
GABAergiques, voire aminergiques.
La molécule apparemment la plus prometteuse dans l’indication
de l’anxiété généralisée est la prégabaline, l’un des isomères de
l’isobutylGABA, un analogue liphophile du GABA substitué en
position 3 qui possède une analogie vis-à-vis du GABA trois à
dix fois supérieure à celle de la gabapentine, celle-ci ayant une
structure chimique similaire à celle de la prégabaline [S-(+)-3isobutylGABA].
La prégabaline comme la gabapentine entraînent une inhibition
dose-dépendante du canal calcique de type N/Q, chez l’homme et
chez l’animal, au niveau des structures cérébrales. Cette action
s’effectuerait, pour ces deux molécules, via la sous-unité α 2 δ du
canal calcique (figure 5), ce qui aurait pour conséquence d’atténuer
la dépolarisation présynaptique des canaux calciques de type N/Q.
Dans la cascade événementielle qui s’ensuit, on peut observer une
diminution de la libération de différents neuromédiateurs (GABA,
NAD, 5-HT, glutamate, aspartate, substance P, etc.) en fonction des
structures cérébrales (16, 17). Par exemple, K. Fink et al. (18) ont
montré que la prégabaline diminuait, via les canaux calciques, la
libération de noradrénaline par la réduction de l’action des récepteurs AMPA situés sur les terminaison nerveuses noradrénergiques.
Enfin, il est suggéré que la prégabaline pourrait, comme la gabapentine, augmenter la synthèse de GABA en stimulant l’activité
de la glutamate décarboxylase.
Le glutamate et le GABA sont donc les deux principaux neurotransmetteurs assurant le fonctionnement synaptique (figure 6).
Aujourd’hui, pris isolément ou conjointement, il est admis que
les systèmes glutamaergique et GABAergique représentent, en
amont, un élément clé de la physiopathologie des troubles
anxieux et du mécanisme d’action des anxiolytiques. Il s’instaure
une homéostasie entre ces deux systèmes qui contrôlent l’excitabilité neuronale et qui vont permettre ou non de gérer, au final, la
neurotransmission aminergique par exemple.
Concernant l’aspect clinique, une dizaine d’études comparatives
(placebo, référence) en ouvert et en double aveugle ont à ce jour
montré l’intérêt de la prégabaline chez des patients souffrant
d’anxiété généralisée (environ 2 000 sujets) (19), mais également
dans la phobie sociale (double aveugle, n = 463) (20) et le trouble
panique (double aveugle, n = 314).
CA2+
Excitation
Figure 6. Systèmes GABAergique et glutamatergique.
Plusieurs types de récepteurs existent.
◗ Les récepteurs ionotropiques sont couplés à un canal calcique
et entraînent une dépolarisation par ouverture de canaux perméables aux ions Na+ et aux ions Ca2+. L’ouverture du canal
pourrait aussi permettre la sortie de potassium. On les subdivise
en deux types :
✓ les récepteurs NMDA ; il s’agit de récepteurs-canaux qui s’ouvrent lors de la fixation du glutamate et laissent entrer les ions
Na+ et surtout Ca2+ ;
✓ les récepteurs non NMDA. Ils sont activés par des substances
non utilisées comme médicaments, le quisqualate et le kaïnate ou
l’acide amino-hydroxy-méthyl isoxazole propionique (AMPA),
et favorisent l’entrée de sodium dans la cellule. Ces récepteurs
entraînent une dépolarisation précoce (figure 7).
◗ Les récepteurs métabotropiques
Ces récepteurs, appelés mGlu 1, mGlu 2 et ainsi de suite jusqu’à
mGlu 8, agissent par l’intermédiaire des protéines G et entraînent, selon leur type, une stimulation de la phospholipase C, une
inhibition de l’adénylcyclase, une activation de la phospholipase
A2, une inhibition de l’ouverture des canaux potassiques ou une
stimulation des phosphodiestérases, ainsi que d’autres effets
complexes, dont la modulation de certains canaux récepteursdépendants. Le glutamate intervient en favorisant l’entrée de
sodium et de calcium dans la cellule et favorise la transmission
synaptique au niveau du système nerveux central (figure 7).
Les récepteurs mGlu 2, mGlu 3, mGlu 4, mGlu 6, mGlu 7 et
mGlu 8 sont situés au niveau présynaptique ; mGlu 1, mGlu 2,
mGlu 3, mGlu 5, NMDA, AMPA et le kaïnate se trouvent au
niveau postsynaptique. Les récepteurs des groupes II et III inhibent la libération du neurotransmetteur (figure 7).
Un certain nombre de composés du groupe I ont montré chez
l’animal des effets anxiolytiques, comme par exemple les antagonistes mGlu 5 (SIB-1757, MPEP) et le MTEP, qui potentialise
les effets du diazépam. Dans le groupe II, le LY544344 et le
35
O
S
S
I
E
R
T
H
É
M
A
T
I
Q
U
E
p o i nt
D
a u
Figure 7. Récepteurs au S-glutamate (AAE).
Mi s e
Récepteurs métabotropiques
Récepteurs ionotropiques
Na +
Ca +
Na +
Ca +
Na +
Ca +
G
Groupe I
(phospholipase)
- Glu 1a,b,c,d
- Glu 5a,b
Groupe II
(Adenylcyclase)
- Glu 2
- Glu 3
Groupe III
(Adenylcyclase)
- Glu 4a,b
- Glu 6
- Glu 7a,b
- Glu 8a, b
NMDA
AMPA
Kainate
- NR 1
- NR 2A, B, C, D
- PCP
- Glu 1
- Glu 2
- Glu 3
- Glu 4
- Glu 5
- Glu 5
- Glu 6
- Glu 7
- KA1
- KA2
Site Sigma
S1
S2
S3
LY354740 sont des agonistes des récepteurs mGlu 2/3. Ils diminuent la libération de glutamate et présentent chez la souris un
profil anxiolytique, cet effet étant antagonisé par le flumazénil.
Pour le groupe III, il y a peu de molécules spécifiques. Le MSOP,
un agoniste mGlu 6, a montré chez l’animal des effets anxiolytiques, tout comme le PHCCC (mGlu 4), qui favorise l’augmentation de la recapture du glutamate, cet effet étant antagonisé par
le flumazémil. Enfin, des auteurs ont montré que l’ACPT-1, un
agoniste mGlu 4/6/7/8, et le L-CCCG-1, un agoniste mGlu 2/3,
pouvaient exercer chez l’animal des effets anxiolytiques concomitamment à l’action du neuropeptide Y, via le récepteur Y1, au
niveau de l’amygdale. Les auteurs ont ainsi montré que l’activité
du neuropeptide Y pouvait être régulée par les systèmes glutaminergiques (21).
CONCLUSION
Aujourd’hui, différentes formes de troubles anxieux ont été définies selon des critères cliniques mais, en dehors de l’intérêt de
ces critères, la question se pose de savoir quelle est la réelle pertinence de l’élargissement de troubles avérés à de “nouvelles”
entités, subsyndromiques ou non.
La prise en charge des troubles mentaux au sens large nécessite
un équilibre entre trois composantes fondamentales : le traitement
médicamenteux, la psychothérapie et la réadaptation sociale. Audelà de cette trilogie, le traitement médicamenteux se doit de
prendre en compte l’ensemble de la pathologie à court terme,
mais également à long terme. Le ciblage d’une action neurobiologique “unique” peut-il suffire à soulager, voire à supprimer, une
symptomatologie anxieuse avérée ?
Pendant des années, les benzodiazépines ont été le traitement de
choix des troubles anxieux au sens large, sans distinction des
36
entités. Même l’existence de molécules non benzodiazépiniques
efficaces dans l’anxiété (hydroxyzine) ou l’apparition de molécules à tropisme sérotoninergique (buspirone) n’avaient que peu
ou pas remis en cause les concepts, qu’ils soient neuropharmacologiques ou cliniques. Si la mise en évidence de l’effet des
antidépresseurs à tropisme sérotoninergique, puis étendu à la plupart des antidépresseurs, a modifié la prise en charge clinique des
troubles anxieux, on ne peut pas vraiment dire que cela ait contribué à améliorer les connaissances sur la physiopathologie de
l’anxiété.
Partant du postulat que le fonctionnement du cerveau repose
sur un équilibre entre signaux d’excitation et signaux d’inhibition, impliquant le principal neuromédiateur inhibiteur, le
GABA, la recherche sur la synthèse de nouveaux anxiolytiques
a continué à s’orienter, ces dernières années, vers des molécules qui seraient de plus en plus spécifiques d’une cible neurobiologique.
En effet, au cours des dernières années, l’approche moléculaire a
permis de définir beaucoup plus précisément l’existence de sousunités des récepteurs GABA, notamment de type A, au niveau du
complexe macromoléculaire GABA/BZD. La mise à profit de ces
connaissances doit aller dans le sens de molécules qui agiraient
de façon spécifique sur l’anxiété et qui, de préférence, n’auraient
pas les effets délétères propres aux benzodiazépines classiques.
Les principales sous-unités, dites alpha 1, alpha 2, alpha 3 et/ou
alpha 5, ont permis de déterminer des molécules possédant des
effets cliniques plus ciblés (par exemple, absence d’affinité sur la
sous-unité alpha 1).
Parallèlement, l’intérêt pour ces systèmes GABAergiques,
l’impact sur ces systèmes de molécules dont les indications cliniques n’étaient pas les troubles anxieux (épilepsie, migraine,
troubles bipolaires, etc.) et les progrès spectaculaires de la biologie moléculaire ont permis de s’orienter vers de nouvelles cibles :
La Lettre du Psychiatre - vol. II - n° 1 - janvier-février 2006
É F É R E N C E S
B I B L I O G R A P H I Q U E S
1. OMS. Rapport sur la santé dans le monde. La santé mentale : nouvelle conception, nouveaux espoirs ; 2001.
2.
Martin P. The epidemiology of anxiety disorders. Dialogues in Clinical
Neuroscience 2003;5(3):281-98.
3. Stein DJ, Hollander E (eds). Textbook of anxiety disorders. Washington, DC:
American Psychiatric Publishing, 2002.
4. Haefely W, Kulcsar A, Mochler H et al. Possible involvement of GABA in the
central actions of benzodiazepines. Advances in Biochem Psychopharmacol 1975;
14:131-51.
5. Squires RF, Baestrup C. Benzodiazepine receptors in rat brain. Nature 1977;
266:732-4.
6. Korpi ER, Sinkkonen ST. GABA(A) receptor subtypes as targets for neuropsychiatric drug development. Pharmacol Ther 2006;109(1-2):12-32.
7. Sieghart W, Ernst M. Heterogeneity of GABA-A receptors: Revived interest in
the development of subtype-selective drugs. Current Medicinal Chemistry Central Nervous System Agents 2005;5(3):217-42.
8. Whiting PJ. GABA-A receptors: a viable target for novel anxiolytics? Curr
Opin Pharmacol 2006;6(1):24-9.
9. McKernan RM, Rosahl TW, Reynolds DS, Sur C. Sedative but not anxiolytic
properties of benzodiazepines are mediated by the GABA(A) receptor alpha1 subtype. Nat Neurosci 2000;3:587-92.
10. Collinson N, Kuenzi FM, Jarolimek W, Maubach KA. Enhanced learning and
memory and altered GABAergic synaptic transmission in mice lacking the alpha
5 subunit of the GABA-A receptor. J Neurosci 2002;22(13):5572-80.
11. Dias R, Sheppard WF, Fradley RL, Garrett EM. Evidence for a significant
role of alpha3-containing GABA-A receptors in mediating the anxiolytic effects of
benzodiazepines. J Neurosci 2005;25(46):10682-8.
12. Atack JR. The benzodiazepine binding site of GABA-A receptors as a target
for the development of novel anxiolytics. Expert Opin Invest Drugs 2005;
14(5):601-18.
13. Van Ameringen M, Mancini C, Pipe B, Bennett M. Antiepileptic drugs in the
treatment of anxiety disorders: Role in therapy. Drugs 2004;64(19):2199-220.
14. The IUPHAR Compendium of voltage-gated ion channels. Calcium channel.
Catterall WA, Chandy KG, Gutman GA (eds). University of Leeds, 2002:31-56.
15. Low K, Crestani F, Keist R, Benke D. Molecular and neuronal substrate for
the selective attenuation of anxiety. Science 2000;290:131-4.
16. Jensen K, Jensen MS, Lambert JDC. The role of presynaptic L-type Ca2+channels in GABAergic synaptic transmission in cultured neurons. J Neurophysiol
1999;81:1225-30.
17. Halabisky B, Friedman D, Radojicic M, Strowbridge B. Calcium influx
through NMDA receptors directly evokes gaba release in olfactory bulb granule
cells. J Neurosci 2000;20:5124-34.
18. Fink K, Dooley DJ, Meder WP, Suman-Chauhan N. Inhibition of neuronal
Ca2+ influx by gabapentin and pregabalin in the human neocortex.
Neuropharmacol 2002;42(2):229-36.
19. Pohl RB, Feltner DE, Fieve RR, Pande AC. Efficacy of pregabalin in the treatment of generalized anxiety disorder: double-blind, placebo-controlled comparison of BID versus TID dosing. J Clin Psychopharmacol 2005;25:151-8.
20. Feltner DE, Pollack MH, Davidson JRT et al. A placebo-controlled, doubleblind study of pregabalin treatment of social phobia: outcome and predictors of
response. J Eur Coll Neuropsychopharmacol 2000;10(Suppl.3):S345.
21. Wieroñska JM, Szewczyk B, Paucha A, Brañski P et al. Anxiolytic action of
group II and III metabotropic glutamate receptors agonists involves neuropeptide
Y in the amygdala. Pharmacological Reports 2005;57:734-43.
22. Cortese BM, Phan KL. The role of glutamate in anxiety and related disorders.
CNS Spectr 2005;10(10):820-30.
37
a u
p o i nt
La Lettre du Psychiatre - vol. II - n° 1 - janvier-février 2006
R
Mi s e
d’une part, celles intervenant dans les cascades événementielles
et liées à l’activation ou à l’inhibition des systèmes GABAergiques ; d’autre part, une éventuelle dynamique commune, qui
pourrait être l’excitabilité neuronale, avec l’intervention privilégiée des canaux calciques.
Cette notion de régulation homéostatique a également été élargie
aux neuromédiateurs excitateurs, et notamment aux systèmes
glutaminergiques (glutamate, glycine, etc.). La recherche de
molécules ayant des propriétés anxiolytiques (antagoniste des
récepteurs NMDA-2b, par exemple) ou intervenant sur la régulation de ces systèmes est relativement avancée (22).
Par ailleurs, de nouvelles stratégies se sont multipliées, concernant des voies neurobiologiques différentes mais conservant,
en revanche, les mêmes impacts neuro-anatomiques (amygdale). Cela concerne notamment certains neuropeptides,
comme la vasopressine, les neurokinines (antagonistes de la
substance P, des récepteurs NK1 –vestipitant –, antagonistes
non peptidiques des récepteurs NK2 : GR159,897 et SR48968),
la galaline (colocalisée et colibérée avec la NAD et la 5-HT,
notamment au niveau du raphé), la neurotensine, le neuropeptide Y, etc. Sans oublier les antagonistes du CRF (axe hypothalamo-hypophysaire adénocorticotrope, axe du stress) et des
récepteurs CCK-B, comme le L365,260, qui fait l’objet
d’études de phase III, le L740,093 (phase II) et le CI 988, un
dipetoïde agoniste partiel de ces récepteurs, actuellement en
phase II. D’autres voies plus confidentielles, comme l’implication de l’oxyde nitrique synthétase (NOS) dans l’anxiolyse,
ont également été explorées.
Enfin, il existe une continuité dans la mise au point de molécules anxiolytiques qui exercent leurs activités sur les soustypes de récepteurs sérotoninergiques afin de moduler la transmission. Les principaux sous-types concernés sont les
récepteurs somatodendritiques 5-HT1A (agoniste), les autorécepteurs 5-HT1D (agoniste), qui contrôlent la libération de
5-HT, les antagonistes 5-HT2C (deramciclane) et/ou 2A, antagoniste 5-HT2 et agoniste mélatoninergique (agomélatine). En
revanche, les résultats positifs des antagonistes 5-HT3 dans les
modèles animaux de “l’anxiété” n’ont pas été confirmés chez
l’homme.
En résumé, une “preuve basée sur l’observation” montre qu’il
demeure une très grande hétérogénéité des symptomatologies et
des troubles anxieux, avec une importante variété de molécules
susceptibles d’être anxiolytiques et une multiplicité de cibles
neurobiologiques.
Toutefois, n’y a-t-il pas un abus à vouloir hâtivement qualifier
une molécule d’anxiolytique, car l’une de ses propriétés touche
une des voies possiblement impliquées dans l’anxiété ?
Le fait qu’une substance intervienne dans une cascade événementielle impliquée possiblement dans la médiation d’un effet
anxiolytique est-il suffisant pour que cette molécule soit dite
anxiolytique chez l’homme ?
Enfin, quelle molécule pour quel trouble ? Bien que la dynamique de recherche aille vers une spécificité d’action et que les
mécanismes d’action des molécules soient différents, l’indication
■
clinique demeure la même…
Téléchargement