M I S E A U P O I N T Peut-on réséquer un cancer colorectal par laparoscopie ? Minimal invasive surgery for colorectal cancer ● T. Perniceni* epuis la première cholécystectomie par laparoscopie réalisée en 1986, la faisabilité de cette voie d’abord a été documentée pour toutes les interventions de chirurgie digestive. À côté de l’épargne pariétale, les avantages attendus dans la période postopératoire immédiate par rapport à la laparotomie sont la diminution de la douleur et de la durée de l’iléus, et donc la réduction de la durée d’hospitalisation et de cessation des activités pour l’opéré. Le développement de la laparoscopie en chirurgie oncologique digestive a été initialement freiné par les publications, en 1995, de greffes tumorales sur les sites de trocart après colectomie pour cancer. La fréquence de ces greffes tumorales variait de 1,5 à 4,5 %. Ces mêmes greffes tumorales, de survenue précoce – quelques semaines à quelques mois postopératoires –, ont aussi été rapportées après des cholécystectomies faites pour lithiase biliaire, le cancer de vésicule étant une découverte de l’examen anatomopathologique. La récente publication d’une étude prospective randomisée comparant les résultats oncologiques de la colectomie pour cancer par laparotomie et par laparoscopie, concluant à la supériorité de cette dernière, relance un débat toujours actif et justifie cette mise au point sur les indications de la laparoscopie dans le traitement du cancer colorectal (1). D LES GREFFES TUMORALES SUR LES SITES DE TROCART Elles ont été décrites pour de nombreuses localisations tumorales (côlon, rectum, vésicule, pancréas, foie, vessie, ovaire), y compris pour des lésions classées in situ ou pT1. Pour le cancer du côlon, dans les études les plus récentes, la fréquence de ces greffes tumorales est nulle dans plusieurs séries monocentriques (ce qui correspond à notre expérience) et inférieure à 0,9 % dans des registres multicentriques (2). Contrairement à la crainte initiale, cette fréquence, à stade TNM équivalent, n’est pas supérieure à celle qui était observée en laparotomie. La diminution de fréquence de cette complication, constatée ces dernières années, peut s’expliquer par une meilleure maîtrise par les chirurgiens de la colectomie par laparoscopie et par le respect de précautions techniques dont l’efficacité a été suggérée par des études expérimentales (fixité des trocarts, absence de manipulation de la * Département médico-chirurgical de pathologie digestive, Institut mutualiste Montsouris, 42, bd Jourdan, 75014 Paris. La Lettre du Cancérologue - Volume XII - no 4 - juillet-août 2003 tumeur, extraction de la pièce dans un sac plastique, protection des berges de l’incision d’extraction de la pièce, exsufflation du pneumopéritoine trocarts en place…). Des études expérimentales ont aussi étudié l’influence du type de gaz utilisé pour le pneumopéritoine sur la croissance tumorale, la dissémination tumorale intra- et extrapéritonéale et la fréquence des greffes tumorales sur les sites de trocart. Seul l’hélium, non utilisé en clinique, permettrait de diminuer la dissémination tumorale et le risque de greffe tumorale sur ces sites. Actuellement, pour le cancer du côlon, le risque de greffe tumorale sur les trajets de trocart n’est plus une contre-indication à la laparoscopie. En revanche, nous récusons la laparoscopie au profit de la laparotomie devant toute suspicion de tumeur de la vésicule. En effet, en cas de cancer de la vésicule de découverte fortuite sur l’examen anatomopathologique après cholécystectomie pour lithiase biliaire, la fréquence de ces greffes tumorales varie dans la littérature de 10 à 17 %. Il a aussi été montré qu’en cas de cholécystectomie par laparoscopie, des cellules épithéliales biliaires étaient retrouvées dans le péritoine. IMMUNITÉ ET LAPAROSCOPIE Une moindre dépression immunitaire postopératoire est un avantage avancé pour défendre la laparoscopie en chirurgie oncologique. De multiples études expérimentales (chez la souris, la souris athymique, le cochon…) et cliniques ont été réalisées, pour la cholécystectomie et la colectomie. Tout, ou à peu près tout, a été étudié : les populations lymphocytaires, les interleukines, le TNFα, l’α1-CTI, la fonction kupférienne… Deux études datant de 1995 illustrent les difficultés d’interprétation des résultats expérimentaux. L’étude de Jones, où des cellules tumorales étaient injectées dans le péritoine de souris, montre que la croissance tumorale est plus importante après réalisation d’un pneumopéritoine qu’après une laparotomie : il ne faudrait donc pas faire de laparoscopie pour cancer ! L’étude d’Allendorf, où des cellules tumorales étaient injectées en sous-cutané chez la souris, montre que la croissance tumorale est plus importante après laparotomie qu’après réalisation d’un pneumopéritoine : il ne faudrait donc pas faire de laparotomie pour cancer ! Il faut noter que ce dernier résultat n’est pas retrouvé si l’expérience est effectuée avec des souris athymiques. Cependant, plusieurs études prospectives randomisées réalisées chez l’homme, depuis 1997, montrent une meilleure préservation de l’immunité cellulaire par la 141 M I S E A laparoscopie. Pour certains auteurs, cela expliquerait les meilleurs résultats postopératoires immédiats obtenus par la laparoscopie dans la prise en charge des cancers du côlon (3). LA PERTE DE LA PALPATION EN LAPAROSCOPIE Un inconvénient de la laparoscopie est la perte de la palpation. Cela rend difficile la localisation d’une tumeur n’envahissant pas la séreuse. Il est donc très important de localiser la lésion à réséquer, en préopératoire (opacification colique, cliché au cours de la coloscopie diagnostique, mise en place d’un clip radio-opaque en coloscopie) ou en peropératoire (coloscopie ou rectoscopie). L’endoscopie peropératoire est particulièrement utile en cas de tumeur du rectum non accessible au toucher rectal pour s’assurer que la marge de sécurité sous-tumorale est respectée. L’exploration du foie reste tout à fait possible grâce à l’échographie peropératoire, mais la perte de la palpation peut faire méconnaître des lésions infracentimétriques sous-capsulaires dans un foie d’échostructure remaniée. LAPAROSCOPIE ET CANCER DU CÔLON Les règles de la chirurgie oncologique habituellement observées en laparotomie, bien que de faible niveau de preuve, sont transposables en laparoscopie : absence de manipulation tumorale, ligature première des vaisseaux à l’origine, résection en bloc (4). Une lymphadénectomie de qualité permettant de correctement classer un opéré pN0 est techniquement réalisable. Toutes les colectomies sont faisables ; les pertes sanguines peropératoires sont moins importantes qu’avec la laparotomie. Le taux de conversion, certes variable avec l’expérience de l’opérateur, est inférieur à 5 % dans les équipes expérimentées. La mortalité opératoire, nulle dans beaucoup de séries, n’est pas différente de celle observée en laparotomie. Il en est de même pour la morbidité, en particulier le taux de fistules anastomotiques. Toutes les études sont concordantes pour indiquer une augmentation de la durée opératoire, notamment au début de l’expérience. La qualité oncologique de la résection, jugée sur le nombre de ganglions trouvés dans la lymphadénectomie (cela dépendant aussi du pathologiste) et la longueur de la marge de sécurité, est identique, voire supérieure, en laparoscopie. Dans notre expérience, le nombre moyen de ganglions examinés est de 25 après laparotomie et de 22 après laparoscopie, et nous n’avons jamais observé de recoupe envahie. Mais le critère de jugement le plus important reste la survie. On ne dispose actuellement que d’une seule étude prospective randomisée comparant les résultats à long terme (41 mois en moyenne) de la colectomie pour cancer par laparoscopie et laparotomie (1). Dans ce travail en analyse multivariée, la laparoscopie améliore significativement la survie actuarielle spécifique, notamment pour les opérés de stade III. Cette étude a été violemment critiquée, les critiques portant principalement sur la méthodologie (choix d’une étude d’équivalence, insuffisance du nombre d’opérés inclus), sur les résultats inhabituels du bras laparotomie, avec un taux de récidives locorégionales de 14 %, et sur la différence de traitement postopératoire entre les deux 142 U P O I N T bras (plus de chimiothérapie adjuvante après laparoscopie). Au congrès du Collège américain des chirurgiens colorectaux, en 2002, beaucoup de travaux présentés concluaient en faveur de la laparoscopie (avantages postopératoires immédiats, moindre morbidité, mêmes résultats carcinologiques à 5 ans, moindre immunodépression). Sous réserve des résultats des autres études prospectives randomisées actuellement en cours, on peut conclure que la laparoscopie peut être utilisée pour l’exérèse d’un cancer du côlon, mais à une condition majeure : le chirurgien doit être formé à la laparoscopie et à la chirurgie colique par laparoscopie. Beaucoup d’auteurs sont d’accord pour estimer que le préalable est la réalisation d’une trentaine de colectomies pour lésion bénigne. LAPAROSCOPIE ET CANCER DU RECTUM Sur le plan chirurgical, l’amélioration des résultats oncologiques passe par la réalisation d’une exérèse extrafasciale du mésorectum, cette exérèse devant être totale pour les tumeurs de l’ampoule rectale basse (5). Pour ces mêmes tumeurs, la marge de sécurité sous-tumorale peut être réduite à 2 cm ; les indications d’amputation abdominopérinéale ont donc diminué. La réalisation d’un réservoir colique en cas d’anastomose colo-susanale ou colo-anale a permis d’améliorer les résultats fonctionnels pour les opérés. Enfin, la dissection extrafasciale du mésorectum permet une meilleure préservation des nerfs pelviens et donc une diminution des séquelles urinaires et sexuelles (6). Tous ces acquis sont-ils transposables à la laparoscopie ? Il est possible techniquement de faire, en laparoscopie, une dissection extrafasciale du mésorectum. En cas de tumeur de l’ampoule rectale basse, la dissection est faite jusqu’au plancher pelvien, avec une exérèse totale du mésorectum. Dans notre expérience, la marge circonférentielle, élément pronostique majeur, a toujours été respectée ; il en est de même de la marge sous-tumorale. Il est probable que l’excellente vision du champ opératoire procurée par la laparoscopie facilite la dissection pelvienne, notamment en cas de pelvis étroit, et le respect des nerfs pelviens. La réalisation d’anastomoses colo-sus-anale ou coloanale avec réservoir est possible comme par laparotomie. Mais la proctectomie par laparoscopie reste une intervention plus difficile que la colectomie, avec un taux de conversion de 15 à 20 %. La radiothérapie préopératoire ne gêne pas la laparoscopie. Peu de résultats à long terme sont disponibles. Il semble cependant que la laparoscopie ne dégrade pas les résultats oncologiques. Dans une étude comparative historique menée dans notre département, la survie spécifique des opérés par laparoscopie est meilleure, en analyse multivariée, que celle des opérés par laparotomie (7). CONCLUSION Au total, pour l’exérèse par laparoscopie d’un cancer colique ou rectal : – la qualité oncologique de l’exérèse est respectée ; – les résultats carcinologiques à long terme devraient être identiques à ceux de la laparotomie ; – une meilleure qualité des suites opératoires immédiates (non La Lettre du Cancérologue - Volume XII - no 4 - juillet-août 2003 encore formellement démontrée) pourrait permettre de diminuer le délai entre chirurgie et traitement adjuvant ; – mais l’apprentissage de la technique, notamment de la proc■ tectomie, est difficile. R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S 1. Lacy AM, Garcia-Valdecasas JC, Delgado S et al. Laparoscopic-assisted colectomy versus open colectomy for treatment of non metastatic colon cancer : a randomised trial. Lancet 2002 ; 359 : 2224-9. 2. Silecchia G, Perrotta N, Giraudo G et al. Abdominal wall recurrences after colorectal resection for cancer. Dis Colon rectum 2002 ; 45 : 1172-7. 3. Braga M, Vignali A, Gianotti L et al. Laparoscopic versus open colorectal surgery. A randomized trial on short-term outcome. Ann Surg 2002 ; 6 : 759-67. 4. Kohler L, Eypasch E, Paul A, Troidl H. Myths in management of colorectal malignancy. Br J Surg 1997 ; 84 : 248-51. 5. Lehander Martling A, Holm T, Rutqvist LE, Moran BJ, Heald RJ, Cedermark B. Effect of a surgical training programme on outcome of rectal cancer in the county of Stockholm. Lancet 2000 ; 356 : 93-6. 6. Lindsey I, Guy RJ, Warren BF, Mortensen NJ. Anatomy of Denonvilliers’ fascia and pelvic nerves, impotence, and implications for the colorectal surgeon. Br J Surg 2000 ; 87 : 1288-99. 7. Imperato M, Gayet B, Perniceni T et al. Chirurgie du cancer du rectum : les résultats des proctectomies par cœlioscopie et laparotomie ne sont pas équivalents. Gastroenterol Clin Biol 2002 ; 26 : A49. Erratum diaporama ASCO 2003 Une erreur s’est glissée dans le commentaire de la diapositive n° 16, il fallait lire : “des résultats plus intéressant en réponse et en survie sans progression”, à la dernière ligne du commentaire. La Lettre du Cancérologue - Volume XII - no 4 - juillet-août 2003 143