É D I T O R I A L Myriad Genetics et tests de prédisposition aux cancers du sein : où en sommes-nous depuis 1999 ?* Myriad Genetics and breast cancer genetic testing : from 1999 until now ● D. Stoppa-Lyonnet** epuis que nous attirions, en septembre 1999, l’attention des lecteurs de La Lettre du Sénologue sur les risques de limitation des tests de prédisposition au cancer du sein et de l’ovaire par la société Myriad Genetics, beaucoup d’encre a coulé. Le scénario annoncé a menacé de devenir réalité. L’importante mobilisation française puis européenne a permis de repousser, peut-être pas définitivement, les tentatives de monopole de Myriad Genetics sur l’étude du gène BRCA1. Rappelons brièvement la situation. Myriad Genetics est une société de biotechnologie créée au début des années 90 par Mark Skolnick, alors chercheur en bio-informatique à l’université de l’Utah. Mobilisant d’importants moyens, Myriad Genetics a identifié, en 1994, le gène BRCA1, dont la localisation dans une région d’un million de paires de bases avait été établie par un consortium international de laboratoires et grâce à la contribution de nombreuses familles présentant un grand nombre de cancers du sein ou de l’ovaire. Myriad Genetics a déposé et obtenu des brevets protégeant la séquence de BRCA1 aux États-Unis, au Japon, en Australie, au Canada et, plus récemment, en 2001, en Europe. Trois brevets ont été acquis auprès de l’Office européen des brevets (OEB) : 1. brevet EP 699 754, brevet de procédé portant sur une méthode de diagnostic de prédisposition au cancer du sein fondé sur l’analyse comparative de la séquence de BRCA1 – toute technique de détection de mutation étant protégée par ce brevet ; 2. brevet EP 705 903, brevet de produit portant sur quelques mutations du gène BRCA1 et dont l’impact sur la limitation des tests est a priori plus modéré ; 3. brevet EP 705 902, brevet de produit limitant toute utilisation du gène BRCA1 ou de sa protéine à des fins de diagnostic, de prévention et de traitement. Fort de ces brevets, et en particulier du premier, Myriad Genetics a revendiqué, aux États-Unis comme au Canada et en Australie, son droit de monopole – droit que possède tout détenteur d’un brevet de procédé – sur la recherche de mutations du gène BRCA1 chez le cas index (premier test réalisé dans une famille donnée, nécessitant l’analyse de la séquence complète du gène, et étape limitant la réalisation des tests chez les apparentés). Myriad Genetics effectue, à partir de prélèvements sanguins envoyés à Salt Lake City, le séquençage complet de la partie codante de BRCA1. Accepter un tel monopole, c’était accepter un coût considérable du test, près de trois fois supérieur à celui des laboratoires européens, et, par là, accepter une limitation du nombre de tests réalisés (1) ; c’était aussi accepter une insuffisance de qualité, la méthode de séquençage direct retenue par Myriad Genetics ne détectant pas les délétions ou duplications partielles du gène BRCA1, qui représentent 10 à 20 % de ses mutations (2). Enfin, c’était accepter une orga- D * Voir éditorial précédemment paru. Stoppa-Lyonnet D. Les tests de prédisposition au cancer du sein sont-ils sous la dépendance de Myriad Genetics ? La Lettre du Sénologue 1999 ; 5 : 5. ** Service de génétique oncologique de l’Institut Curie et (bureau) du groupe génétique et cancer de la FNCLCC. 4 nisation des tests génétiques qui ne réponde pas à notre conception de la santé publique, fondée sur la prise en charge globale et pluridisciplinaire des personnes faisant une démarche génétique et encadrée par les lois de bioéthique de 1994. En janvier 2001, date d’obtention du premier brevet, il devenait urgent d’agir pour éviter un tel monopole. La première possibilité était d’utiliser une disposition spécifique à l’OEB : l’opposition. L’opposition a pour objectif la révocation du brevet ou la limitation des revendications. Elle doit être déposée dans les neuf mois qui suivent l’obtention du brevet. L’OEB réexamine alors, dans une chambre indépendante, le brevet obtenu à la lumière des arguments déposés par les opposants. La seconde possibilité était la mise en place de licences d’office contraignant le breveté à proposer des licences avec des conditions acceptables. L’attribution de licences d’office serait une procédure judiciaire ressortant d’une juridiction nationale. Aujourd’hui, l’introduction des licences d’office dans le domaine de la génétique médicale nécessiterait une modification de la loi. Cette possibilité a été envisagée par le gouvernement français et pourrait voir le jour dans le cadre de la révision des lois de bioéthique. Les licences d’office intéressent particulièrement les gouvernements de pays comme l’Australie et le Canada, qui n’ont pas la possibilité de révoquer un brevet par la voie relativement simple de l’opposition. Revenons aux dossiers d’opposition déposés successivement en octobre 2001, février 2002 et août 2002 pour chacun des trois brevets détenus par Myriad Genetics. En octobre 2001, l’Institut Curie, l’Institut Gustave-Roussy et l’Assistance publique des hôpitaux de Paris ont déposé une première opposition, avec le soutien de la Fédération nationale des centres de lutte contre le cancer (FNCLCC), de la Fédération hospitalière de France (FHF), de la Société française de génétique humaine (SFGH), du Conseil national de l’Ordre des médecins ainsi que des ministères de la Santé et de la Recherche. Un dossier d’opposition a également été déposé par la Société belge de génétique humaine, réunissant les sociétés de génétique allemande, britannique et danoise. Le Parlement européen a par ailleurs annoncé, dans une résolution, son soutien à la démarche d’opposition. Le même soutien a été apporté aux autres oppositions. Pour la dernière opposition, une conférence de presse commune aux opposants français et européens, conduits par Gert Matthijs (Louvain) et Dicky Halley (Rotterdam), a eu lieu, témoignant de l’étroite concertation des opposants. Il est étonnant de voir le retentissement qu’a eu l’opposition européenne aux brevets BRCA1. Mis à part le Canada et l’Australie, les États-Unis se sont également intéressés au mouvement d’opposition, que ce soit à travers les professionnels (American College of Medical Geneticists) ou les politiques. Un projet de loi a été proposé au congrès par Lynn Rivers en mars 2002, demandant l’absence de poursuite pour contrefaçon des praticiens réalisant des tests génétiques. Lors de la présentation de son projet, Lynn Rivers a rappelé l’opposition européenne sur les tests BRCA. La Lettre du Sénologue - n° 19 - janvier/février/mars 2003 L’argumentation principale des trois dossiers d’opposition repose sur : 1. le défaut de priorité et l’absence de nouveauté – la première séquence déposée par Myriad Genetics comportait erreurs et imprécisions –, permettant de faire reculer la date de priorité à mars 1995, date à laquelle de nombreux tests étaient déjà réalisés ; 2. le défaut d’activité inventive – il n’y avait pas d’invention à identifier un gène déjà finement localisé, il s’agissait seulement de la mise en œuvre de moyens. La procédure d’opposition est longue : Myriad Genetics a répondu sur le premier dossier ; une procédure orale réunissant brevetés et opposants pourrait avoir lieu à Munich dans la deuxième partie de l’année 2003. Dans l’immédiat, le ministère de la Santé a pris une position courageuse. En effet, JeanFrançois Mattéi, comme son prédécesseur Bernard Kouchner, a pour préoccupation principale que ces tests de prédisposition soient accessibles aux femmes à risque. Il a, fin 2002, soutenu la réalisation des tests par une dotation annuelle de 6,6 millions d’euros, celle-ci devant permettre de couvrir les besoins pour l’ensemble des tests en oncogénétique (incluant les prédispositions aux cancers du côlon, de la thyroïde et de pathologies plus rares). En d’autres termes, il s’agit d’un véritable soutien à la contrefaçon ! Il y a maintenant un véritable challenge à relever de la part des laboratoires : augmenter notre capacité de tests et avoir des délais d’analyse des cas index raisonnables. D’autres questions en aval des tests demeurent : quelle est la meilleure prise en charge des femmes à haut risque, quels sont les facteurs modificateurs des risques de cancers du sein et de l’ovaire ? La mise à jour de l’expertise collective INSERM-FNCLCC et l’étude de suivi des sujets porteurs d’une mutation BRCA, conduite par La Lettre du Sénologue - n° 19 - janvier/février/mars 2003 le groupe Génétique et cancer de la FNCLCC, devraient permettre d’apporter des éléments de réponse. Enfin, rappelons que la collaboration des femmes à risque reste cruciale, comme elle l’a été pour l’identification des gènes BRCA. Au-delà de la limitation de la prise en charge, le monopole des tests génétiques mettrait en péril l’acquisition de ces connaissances. ■ R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S 1. Sevilla C, Moatti JP, Julian-Reynier C et al. Testing for BRCA1 mutations : a cost-effectiveness analysis. Eur J Hum Genet 2002 ; 10 : 599-606. 2. Gad S, Caux-Moncoutier V, Pagès-Berhouet S et al. Significant contribution of large BRCA1 gene rearrangements in 120 French breast and ovarian cancer families. Oncogene 2002 ; 21 : 6841-7. 3. Puget N, Stoppa-Lyonnet D, Sinilnikova OM et al. Screening for germ-line rearrangements and regulatory mutations in BRCA 1 led to the identification of four new deletions. Cancer Res 1999 ; 59 : 455-61. Pour en savoir plus sur les brevets et sur le dossier Myriad Genetics ❏ Claeys A. La brevetabilité du vivant, rapport à l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques. Édité par l’Assemblée nationale et le Sénat en 2001. ❏ Cassier M, Gaudillière JP. Un effet pervers du brevetage des gènes. La Recherche 2001 ; 341 : 76-9. ❏ Brevet sur le vivant : enjeux pour la santé. INSERM, collection Repères, juillet 2002. Éditions INSERM. ❏ http://www.curie.net 5